Lame Noire et Aile Blanche
Chapitre 4
Le rêve prend fin…
Un soleil radieux illumine le ciel, comme si l’astre du jour avait oublié de revêtir son masque nuageux de l’automne. C’est sous ce temps estival que les capitaines sonnent le rassemblement de leurs équipages respectifs pour l’exercice de l’après-midi : vol en formation avec manœuvres d’évitement.
Ethan retrouve son petit coin de ce matin et s’installe confortablement. Il dispose d’une vue bien dégagée et en plus il est à l’ombre. Même équipement que ce matin pour les dragons pour un exercice radicalement opposé au précédent : des attaques en solitaire à une manœuvre défensive en formation. Une fois les dragons équipés, les équipages embarqués et la vérification de sécurité effectuée, ils décollent enfin. La vérification de sécurité consiste pour un dragon à se relever sur ses pattes arrière et à secouer son chargement : si rien ne se détache alors tout est opérationnel.
Dans les airs, les dragons se mettent immédiatement en formation, Mortiferus en tête. Ethan ne connait pas les autres dragons mais il se promet de combler ses lacunes très vite. La manœuvre consiste à simuler une attaque massive française et d’exécuter un repli : faire mine de battre en retraite et de contre-attaquer. « Ca ne ressemble pas à une manœuvre d’évitement. » S’étonne Ethan. « Ils cherchent à éviter l’affrontement direct. Dans ce cas, le mieux à faire serait de séparer la formation en deux groupes en simulant une fuite et de terminer par une virée de bord en finissant par une tenaille sur les ennemis. Une tactique un peu vicieuse mais qui a des chances de fonctionner. » Il a lu un grand nombre d’ouvrage sur la stratégie militaire et pas seulement sur les affrontements aériens.
Après une pseudo-fuite devant un ennemi invisible, la formation se divise en 2 groupes, ils s’éloignent l’un de l’autre pour se rabattre sur les flancs de l’ennemi inexistant de chaque côté. L’opération n’a duré que 20 seconde depuis la séparation. Une fusillade éclate ! Des balles à blanc évidemment, déduit Ethan, il est trop dangereux d’utiliser des balles réelles à cause du croisement des deux groupes au moment de la contre-attaque. Passé le crépitement des fusils, les deux groupes se rejoignent et la formation complète réapparait devant ses jeunes yeux avec un naturel frappant. « Ces manœuvres semblent être une seconde nature pour ces dragons. » s’étonne Ethan. « Les batailles aériennes ne se limite pas à ça j’espère : une simple succession de passes et le premier belligérant qui compte assez de pertes abandonne ? » S’interroge-t-il. « Un jour, je saurais ce qu’il en est réellement ! »
Au terme d’une dizaine de ces passes, avec quelques variantes : séparation en 3 groupes, contre-attaque en diagonale plongeante par exemple, les dragons se posent afin qu’ils puissent, avec leur capitaine, débriefer l’exercice terminé. Le débriefing se déroule sur le lieu même de l’atterrissage, sur le terrain d’envol, en présence de l’Amiral Lenton et d’Obversaria. Ils n’ont pas pris part à l’exercice mais ont tout observé au sol depuis un promontoire rocheux en bordure du terrain d’envol. Ils participent au débriefing au milieu des dragons et de leur capitaine. Les membres de l’équipage non-officier ont quartier libre jusqu’à ce soir. Des cartes sont déployées avec un planisphère aérien (sorte de grande sphère de fer avec des statuettes en forme de dragon accrochées dans la sphère pour visualiser des formations de vol théoriques) pour faciliter le débriefing. Pendant ce temps, l’équipe au sol entame la longue besogne de vérification et de réparation de la totalité du matériel : le harnais des dragons, les baudriers sans oublier les armes à feu.
Pour Ethan, par contre, c’est le signe que sa journée va prendre fin et qu’il va être fixé sur son sort : va-t-il rester ici ou retourner dans sa famille ? Quoi qu’il arrive, il ne regrettera pas cette journée et s’en souviendra toute sa vie.
L’amiral Lenton vient le voir directement après son entretien avec les différends capitaines :
« - Ethan ?
- Oui Amiral ? Demande-t-il avec une pointe d’inquiétude.
- Tu es prêt ? Je te ramène chez toi. Annonce Lenton sèchement.
- Mais… Je… » Sa voix tremble, est-ce vraiment terminé ?
« - Ne discute pas s’il te plait. Nos lois sont très claires sur ce point : sans accord de tes parents, tu ne peux rejoindre les Corps.
- Mais je n’en ai pas.
- Tu as une famille qui t’héberges et te nourris : cela suffit aux yeux de la loi.
- Et le fait que je n’ai pas d’acte de naissance ? Se désespère Ethan en tentant de rappeler à Lenton « l’idée » qu’il a eu ce matin.
- Etant donné le contexte actuel, l’administration est débordée et les erreurs nombreuses : il s’est probablement perdu dans les arcanes administratives. »
Lenton enfonce le clou ! Ethan baisse la tête, dépité par le caractère soudainement glacial de l’Amiral. Il se doutait bien que ses espoirs étaient bien haut… Maintenant, ils sont réduits à néant.
« - Il reste malgré tout un espoir. Assure Lenton qui semble se radoucir. Peut-être pourrais-je convaincre ta famille de te faire rentrer dans les Corps.
- Vous avez des choses plus importantes à faire. Dit Ethan, les épaules tombantes.
- Plus importantes oui, plus agréables, non. De toute façon, aucun capitaine n’a le temps de te ramener avec leur partenaire dragon ; Alors je te ramène avec Obversaria.
- Vous… à dos de dragon ? » Toute sa déception meurt d’un seul coup pour laisser place à une véritable joie mêlée de profond respect.
Malgré ses 10 tonnes, peut-être plus d’ailleurs, Obversaria est arrivé à pas de loup derrière Ethan et va s’allonger confortablement juste derrière Lenton. A la lumière du crépuscule, le soleil se reflète délicatement sur ses écailles d’or découpant subtilement ses formes gracieuses. Ethan ne connait évidemment pas les goûts des mâles dragons pour les femelles, mais il l’a trouve magnifique et attirante… pour l’œil bien sûr.
« - Pardonnes ma froideur de tout à l’heure : une mauvaise nouvelle. Bref, vas chercher tes affaires et rends-toi ici-même. Nous verrons sur place comment va réagir ta famille et je tenterais quelque chose… »
Ethan retrouve peu à peu une mine de circonstance. Il retourne dans la chambre à gauche du bureau de Lenton et récupère toute ses affaires : un sac contenant ses habits sombres d’hier soir, son masque et deux ou trois petites choses qu’il avait jugé utile d’emmener. Il se refuse à exprimer d’avantage sa frustration. Après tout, sa journée n’est pas totalement terminée : Obversaria en personne va le ramener chez lui, ce n’est donc pas une raison pour faire la moue. Il ne croise personne dans les couloirs sur le chemin du retour hormis un serviteur qui semble très occupé.
De retour sur le terraine d’envol, il retrouve l’Amiral Lenton, Obversaria et … Catherine. Elle est venue pour lui dire au revoir, sûrement.
« - Bien que le trajet soit court, j’ai supposé que tu accepterais que Miss Harcourt vienne aussi. Il me semble que vous avez eu un bon contact ce matin.
- Oui, c’est vrai Amiral ! Merci de venir aussi Catherine, tu n’étais pas obligé.
- Ce n’est rien, vraiment. Ça me fait plaisir. Lui assure Catherine avec un sourire sincère. »
Il aime bien Catherine. Elle présente une certaine noblesse au milieu de tous ces soldats et aspirants qui n’ont aucune « classe ». Elle a 14 ans et est plutôt belle il l’admet, elle a de la culture aussi et ce n’est pas rien dans ce milieu militaire « une fille de bonne famille peut-être » Suppose-t-il. Maintenant qu’il va retourner dans ce qu’il appelle « sa demi-vie », il ne l’a reverra probablement plus jamais. Il se doit donc de savourer chaque instant passé en sa compagnie et en ce lieu surtout : un base aérienne remplie de dragons. Avant l’embarquement, Catherine lui montre et explique comment installer un baudrier. Il n’ose pas lui dire qu’il le sait déjà : il l’a lu dans un livre sur les techniques utilisées par l’Aerial Corps. « Quelle belle voix elle a ». Pense-t-il dans son fort intérieur.
« - Voilà, tu es prêt. Amiral, nous pouvons embarquer. Déclare Catherine avec un formalisme poussé.
- Bien ! Dans ce cas, embarquez ! Ordonne Lenton. »
Catherine monte en premier avec l’aisance de celle qui maitrise cet exercice depuis quelques années déjà : cela semble si facile. Ethan hésite cependant, les mains tenant fermement la sangle latérale droite du harnais d’Obversaria.
« - Est-ce le vertige ou bien la crainte de me salir ? L’interroge Obversaria avec ce qui ressemble à un sourire amusé. Des dizaines d’hommes me grimpe dessus tous les jours, n’est aucune appréhension et monte jeune Ethan. »
Il ne se fait prier une seconde fois et monte sur le dos d’Obversaria. Les deux enfants se placent juste en retrait des épaules de la dragonne : seul le partenaire du dragon peut s’assoir à la base de son cou. Du haut de son perchoir, Ethan remarque qu’un dragon courrier (moins de 4 tonnes et très rapide) dormant non-loin, à la lisière du bosquet. « Un winchester semble-t-il »suppose Ethan. « La race la plus petite d’Angleterre ». Lenton escalade sa partenaire et se positionne à sa place. Obversaria pivote son immense tête dorée afin de vérifier que son « chargement » est bien arrimé.
« - Ethan, tu n’as pas attaché ton baudrier. Prévient Obversaria à l’intention du jeune garçon d’une voix douce.
- Oh ! Toutes mes excuses Obversaria ! Dit Ethan. »
Il vérifie et effectivement il a oublié de le fixer au harnais : son esprit est déjà parti dans les nuages. Le trajet étant très court, Obversaria ne s’élèvera pas au-delà de 600 pieds (environ 200 mètres). « Ce n’est pas assez haut pour tutoyer les nuages ». Se désole Ethan. Pendant qu’il accroche son baudrier, Obversaria lui demande où pourra-t-elle se poser.
« - Il y a un champ abandonné juste à côté de la maison : il y a assez de place et vous ne pouvez pas le manquer. Et merci encore de me ramener. Lui répond Ethan.
- Ce n’est pas grand-chose pour moi et important pour toi : profites-en. Déclare Obversaria d’une voix chaleureuse. »
Sur ces dernières paroles, elle se retourne pour se préparer à décoller : elle se dresse sur ses pattes, déploie ses ailes telles des voiles d’un vaisseau de 1ère classe (navire avec plus de 100 canons), brasse l’air une fois pour en tester la résistance, fléchi les pattes en levant les ailes… Quand un dragon décolle, et notamment un dragon de plus de 10 tonnes comme dans ce cas présent, il vaut mieux être sur ledit dragon qu’à côté. Obversaria donne une puissante impulsion avec ses pattes, soutenue par une violente poussée des ailes. Les arbres ploient légèrement, toute l’herbe du terrain et couchée sur près d’un hectare et le dragon allongé à l’orée du petit bois a mis sa tête entre ses pattes pour se protéger de la bourrasque et du bruit. Le décollage est une opération qui ne nécessite qu’une poignée de seconde, mais le bruit qu’elle engendre est proche du coup de tonnerre : un coup de tonnerre à chaque coup d’aile. Les différences de pression pendant la montée en altitude surprend Ethan… surtout ces oreilles : c’est très douloureux. Il se bouche les oreilles par réflexe.
Obversaria est maintenant dans les airs. Ethan n’en croit pas ses jeunes yeux. Il chevauche un dragon pour la première fois de sa vie. Son cœur bat la chamade : il cogne furieusement dans sa poitrine. Malgré les recommandations de Catherine, il ne peut s’empêcher de regarder en bas : il remarque qu’Obversaria reste à bonne distance de la ville portuaire en la contournant par le Nord pour rejoindre les faubourgs ouest : les dragons ont interdiction formelle de survoler les agglomérations. Ethan préfère regarder le paysage à droite de la dragonne dorée pour ne pas voir sa maison qui lui gâcherait le peu de temps qu’il lui reste en vol. Malgré la volonté d’Ethan pour que le vol soit long et que le temps ralentisse, Obversaria entame sa descente sur le pré : leur destination. Il ferme les yeux pendant l’atterrissage pour savourer les dernières secondes.
Obversaria se pose en douceur, ou plus précisément avec la délicatesse d’un dragon de 10 tonnes, et c’est fini… Le jeune garçon se rend à l’évidence et, la larme à l’œil, il regarde sa maison… Contrairement à tout ce qu’il pensait avant de partir, aussi étrange que cela puisse paraitre et après tout ce qu’il a dit sur ce lieu, il trouve sa maison d’une saisissante beauté. Il ne l’a jamais vu sous cet angle et elle est magnifique! Le crépuscule souligne avec justesse le relief des gravats de sa maison.