Lame Noire et Aile Blanche
Lame Noire et Aile Blanche
Chapitre 1
Ombre
Un jeune garçon, vêtu d’habits sombres et visage masqué, tente de pénétrer dans la base au nez et à la barbe des gardes armés.
« - Heureusement que ce sont Harper et Jones qui gardent la porte, selon mes informations, pense-t-il avec un léger sourire, je n’ai pas besoin de passer par la « petite porte ».
La nuit est à son avantage, tout comme la pleine lune qui l’éclaire suffisamment. Ce garçon a de l’expérience dans l’intrusion car ce n’est pas la première fois qu’il tente de s’introduire dans cette base : une petite base dans les faubourgs de Portsmouth, côté Est, et qui n’abrite pas plus de trois ou quatre courriers… Sauf cette nuit.
« - Mince ! La sécurité a été renforcée. Pas étonnant vu le rassemblement… Cela ne m’empêchera pas d’entrer ! » Se murmure-t-il pour se donner du courage, et ce malgré le groupe de soldats qui rentrent d’une patrouille nocturne.
Il n’est pas inquiet car il a tout prévu la veille pour s’introduire le plus facilement possible en détournant l’attention des gardes : du simple caillou dans la poche jusqu’au fil, teint en noir, pour secouer une branche d’arbre. Rien n’y personne ne pourra l’empêcher d’entrer et de regarder. Oui car c’est uniquement pour regarder qu’il a traversé Portsmouth et ses faubourgs de nuit, sous la voûte étoilée avec sa lune opalescente.
« - Il devrait y en avoir au moins 10 dont un amiral », jubila-t-il en approchant de la porte principale à pas de loup, « et voilà les très dispensables Harper et Jones, fidèles au poste se murmura-t-il avec cynisme. »
Il sort du chemin pour s’approcher de son « installation ». La ficelle n’attendait que son marionnettiste pour donner vie à l’arbre de l’autre côté de la route. Il l’a saisie et l’actionne en douceur pour commencer. Constatant qu’en plus d’être « légèrement imbibé », les deux hommes sont sourds, il insiste sur la ligne avec plus de force. Les deux (fiers) spécimens de l’armée de sa Majesté s’approchent, fusil épaulé. « Affligeant » se désespère-t-il « une ruse qui ne prend que sur les chatons… ». Amusé par la naïveté des deux soldats, il entre dans la base par la grande porte en silence, tel un spectre.
Plus que quelques yards dans l’ombre et il pourra enfin voir ce pourquoi il est venu. « Etrange, j’ai vu une patrouille entrer mais où est-elle allée ? Elle n’est quand même pas déjà en pause ? » Il commence tout de même à angoisser, légèrement. « Cela ne m’étonnerait qu’à moitié cela dit… ». Il connait bien le « sérieux » de l’armée terrestre de sa Majesté. Il se refuse néanmoins à tous les condamner (il déteste les préjugés et autres idées reçues) même s’il n’avait aucun contre-exemple : Certains de ces soldats avaient fermés les yeux sur quelques uns de ses problèmes.
Il continu à progresser silencieusement, à l’affut du moindre bruit. Il longe le mur Sud d’un baraquement pour rejoindre le terrain principal à l’Est du quartier des officiers : un genre de petit château avec trois cours intérieurs et trois niveaux estime-t-il. « Logiquement, ça doit être visible depuis le coin de ce mur ». Il s’approche, avec discrétion, de l’angle du mur, son cœur bat fort, il a réussi, il commence à triompher intérieurement…
« - Eh toi là-bas ! Qui es-tu et que fais-tu là ? »
Le jeune garçon se fige. Un garde vient de sortir par la porte qu’il vient de dépasser et l’a repéré… Trop tôt. « Ne pas se retourner, rester calme, évaluer la distance entre lui et moi, ne montrer aucun signe d’hostilité… ». Il récite à mi-voix des règles qu’il avait lu dans un livre… Même il ne se souvient plus duquel.
« - Recules ! Et retournes-toi !
Personne ne bouge.
- T’es sourd ou quoi ?
Il s’approche… Plus que quelques pas et il sera à portée…
-Je t’ai dit de te retour… »
Le jeune garçon se retourne vivement, attrape le fusil du garde en le renversant au passage, avant de l’assommer avec sa propre arme. Le garçon en profite pour décamper… Mais pas vers la sortie. Il dépasse l’angle du mur dans sa course silencieuse. Il craint que la voix du soldat se soit fait entendre. Il franchit la première porte qu’il trouve et qui n’est pas fermée. Il referme la porte en sourdine, malgré un léger grincement, avec l’espoir que personne ne le chercherait à l’intérieur du bâtiment principal. Par réflexe, il n’entre que dans la troisième pièce qui est ouverte pour brouiller les pistes derrière lui. Ça aussi il l’a lu quelque par mais où ?... Il entend les gardes s’agiter dehors, « ils viennent probablement de découvrir leur collègue évanoui » déduit-il. Il n’est plus inquiet : en cas d’alerte, personne ne le cherchera dans cette chambre.
La chambre en question ne semble pas avoir servie récemment. Un lit à une place, une armoire à peine plus grande que lui et sans fioritures, pas de rideaux à l’unique fenêtre (dont les volets sont fermés) et un miroir composent le mobilier de cette pièce.
Il s’attarde sur le miroir. Il y vit une petite créature tout de noir vêtue avec un masque représentant la lune, gris-noir avec des cercles représentant les aspérités de la lune,… et deux yeux rouges.
Une heure plus tard, après que les soldats se soient convaincu que « l’agresseur » est parti, il décide de sortir de la chambre. « Il est trop risqué de sortir du château pour l’instant, je vais en profiter pour visiter ». Il était évidemment déjà rentré dans le château mais que dans l’aile Ouest et il est actuellement dans l’aile Est. Il est probablement deux heures du matin estime-t-il et mis à part une paire de soldats déambulant dans les couloirs, le mot « désert » n’est pas inapproprié pour décrire ce lieu. « Étrange… Il ne me reste qu’une cour à visiter et toujours aucunes traces. Je me demande si l’on ne m’a pas menti… Peut-être que… ». Il n’a pas le temps de terminer sa réflexion : la même paire de gardes qui semble s’être perdue est apparue au détour du couloir qui lui faisait face. Il a tout juste le temps de franchir une porte à sa gauche. Il garde la porte entrouverte car la refermer ferait trop de bruit. Les claquements de leurs bottes se rapprochent et le garçon les entend chuchoter en passant devant la porte entrebâillée :
« - … marre de te faire donner des ordres par elle ?
- Bah si mais bon… Si on fait pas ce qu’elle dit tu sais ce qui va arriver.
- Pffff. Vivement que ça se termine. J’ai pas envie que… »
Le reste de la conversation est mangé par la distance : ils ne l’ont pas repéré et ils s’éloignent dans une autre section du château.
« - Pfiou ! Ce n’est vraiment pas passé loin. Chuchote-t-il, soulagé.
- Bonsoir.
Le garçon fronça les sourcils : il était persuadé d’avoir entendu une voix.
- C’est toi qu’ils recherchent ?
Il se figea : cette fois il en était sûr. La main sur la poignée, il s’apprête à s’enfuir sans se retourner.
- Ne t’enfuis pas je te prie. Je ne te veux aucun mal et je n’appellerais pas la garde.
Le garçon ne bouge toujours pas.
- Je comprends que tu as peur mais n’ai crainte : les gardes ne viennent pas ici de toute façon car il paraitrait que je suis effrayante. Qu’en penses-tu ? »
Cette voix féminine, bien que grave, prononçant des paroles rassurantes fait mouche dans son esprit. Et cette odeur légèrement acide et caractéristique… Son sang ne fait qu’un tour. Il se retourne…
Un immense dragon d’or le regarde avec ce qui ressemble à un air amusé. Son regard croise celui du jeune garçon qui tressaille. Son cœur cogne contre sa poitrine. Il a chaud. Il tremble légèrement, non pas de peur mais d’excitation. Il a trouvé ce qu’il était venu chercher. Ces quelques secondes qui lui ont semblées se muer en éternité sont brisées par ce dragon :
« - Je me nomme Obversaria. Qu’elle est ton nom jeune garçon masqué ? »
Il reste sans voix. Il est en présence de l’Amirale Obversaria : 30 ans de service dans l’Aerial Corps (L’armée de l’air anglaise) et partenaire de l’Amiral Lenton, responsable de la base de Douvres.
« - Parles sans craintes, tu as surement remarqué que les humains ne sont guère actif la nuit, bien que tu sois une exception visiblement. Ils ne t’entendront pas. »
Le garçon hoche la tête lentement et déglutit :
« - Je m’appelle Ethan Carter, très honoré de faire votre connaissance Amirale Obversaria. Il s’incline respectueusement devant l’un des fleurons de l’armée de sa Majesté.
- Je ne mérite pas cette révérence, je ne fais que mon devoir », déclare-t-elle avec humilité. « Hmm… A la voix tu ne dois pas être âgé de plus de 10 ans… Quel âge as-tu Ethan Carter ?
- J’ai 10 ans Amirale Obversaria.
- Encore considéré comme un dragonnet… et tu t’es introduit dans cette base de l’Aerial Corps pour… ?
- Regarder les dragons dormir.
- Une réponse que je n’attendais pas. Pourquoi cette nuit ?
- J’avais entendu parler d’un rassemblement militaire à Portsmouth alors... », Il se censure quelques secondes avant de poursuivre, « je voulais juste regarder je vous le promets.
- Je te crois. Peux-tu, je te prie, ôter ton masque ? Que je puisse voir ce visage qui s’exprime si bien pour son âge. »
Ethan baisse la tête, réfléchi une dizaine de secondes et décide de découvrir son visage. Il ôte son masque et son capuchon sans cérémonie.
Un visage d’ange ; des traits fins et fragiles sculptés par sa jeunesse, deux yeux rouges rubis et des cheveux blancs immaculés : il est albinos. Son visage reflète une légère expression de soulagement avec un sourire qu’il a du mal à dissimuler.
« - Pourquoi souris-tu ? » Lui demande Obversaria.
« - Vous êtes la première personne qui n’a pas un mouvement de recul en me voyant tel que je suis. J’aime cette sensation.
- Celle d’être enfin considéré comme une personne et non comme une « chose à voir une fois dans sa vie » n’est-ce pas ?
- Oui. Vous la ressentiez aussi ? » Il n’était pas le seul à ressentir cette impression désagréable.
« - Evidemment. Les dragons ne sont pas des voisins très appréciés. On nous regarde soit avec curiosité, soit avec effroi. L’un et l’autre ne me satisfait point. Toi, par contre, ce n’est ni de la peur ou de la curiosité que j’ai vu… Pour ma part, je te trouve charmant.
- Si seulement les personnes que j’ai rencontrées pensaient comme vous…
- Pourquoi dis-tu ça ? Que t’ont fait ces « personnes » ?
- Je...
Ethan baisse les yeux, par honte, colère ou tristesse… Obversaria n’arrive pas à déterminer laquelle de ces émotions primait sur les autres.
-… Avec tout le respect que je vous dois Amirale Obversaria, je… ne souhaite pas en parler. Pardonnez-moi.
- Et de quoi devrais-je te pardonner ? »
Ethan détourne les yeux, cachant ses émotions derrière un masque de neutralité parfaite. Obversaria change de sujet :
« -Veux-tu devenir aviateur jeune Ethan ?
- C’est mon rêve. Mais ma famille s’y oppose, ils détestent tous les dragons : des « engeances de démons chevauchés par du gibier de potence » soutien ma famille.
- Je vois…
- Mais cela ne correspond pas du tout à mes pensées je vous assure !
- Bien évidemment. Tu me plais bien ! Avec ta discrétion naturelle, rentre par cette porte, monte au deuxième étage et frappe cinq fois à la porte marquée « ne pas dérangé ». N’attend aucune réponse et rentre sans attendre.
- Que vais-je trouver derrière cette porte ?
- Je suis certaine que tu l’as déjà deviné. Vas et ne te fait pas prendre, cela ne devrait pas être difficile pour toi.
- Entendu. Merci Amirale Obversaria et veuillez m’excuser de vous avoir dérangez.
- Tu ne m’as pas dérangé bien au contraire. » Lui assure Obversaria qui semble lui sourire… Les dragons n’expriment pas leurs émotions de la même façon que les humains mais le sourire, même furtif, est universel.
Il s’incline devant elle qui le lui rend avec un hochement de son immense tête. Ethan remet son masque et son capuchon avant d’emprunter la porte indiquée par la dragonne aux écailles dorées. Après avoir passé ladite porte, il se rend compte qu’il tremble. Depuis quand, il ne le sait pas. Il tremble tellement qu’il n’arrive pas à fermer correctement la porte. « Était-ce réel ? » pense-t-il. Il n’arrive pas à réaliser ce qu’il vient de se passer. « Pas le temps de lambiner, se reprend-il, je doit trouver cette porte ». Ce n’est pas la première fois qu’il s’adresse à un dragon : il a croisé plusieurs courriers avec lequel il échange quelques mots, avec son capitaine… Enfin, plus précisément, le même courrier plusieurs fois, mais rien de comparable avec Obversaria « quel regard, quelle prestance ! » penses-t-il.