SuperNovak
Chapitre deux
Caldwell vs Novak
- Novaaaaaaaak!
Le cri qui semble hurlé à plein poumons sort le docteur Novak de sa torpeur. La scientifique quitte péniblement la contemplation de l'espace et de l’Asgard pour poser ses yeux hagards sur l'auteur du hurlement. L'homme en question n'est autre que le commandant du vaisseau. Si quelques minutes plus tôt, le colonel Caldwell était dans d'autres sphères de sa conscience, il est maintenant en pleine possession de ses moyens, et particulièrement de ses cordes vocales, outils nécessaire à tout chef de son rang.
Avec un tout petit temps de latence qui semblerait sans doute une éternité pour un Asgard, Lindsey accommode sa vision, non sur le colonel mais tout simplement sur le présent. Il était plus doux et plus simple de se perdre dans l'abattement, mais cela ne changera pas la face du monde et du Daedale. Finalement Novak pose sur son chef un regard emprunt de gratitude. Rien n'est pire que le laisser aller. Dans ce genre de situation, il faut agir, et vite.
Le colonel Steven Caldwell vient tout juste de s'éveiller. Cela n'est guère passé inaperçu sur la passerelle du Daedale comme dans les annexes attenantes. Entre jurons limite incompréhensibles, ou du moins que l'on préfère prendre comme tel, et ordres en tous genres, le colonel Caldwell a réussi le tour de force d'éveiller tout un équipage en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, ou plutôt pour l'écrire.
Caldwell assiste à la renaissance de son vaisseau avec tristesse mais satisfaction. Ces hommes et femmes ont tous été triés sur le volet et sont issues des meilleurs parmi les meilleurs, il serait inconcevable qu'ils restent avachis alors qu'ils sont en situation de crise !
Il est cependant une personne qui reste impassible, se contentant simplement de pencher la tête de droite à gauche comme un métronome ajusté sur 30. Hermiod, témoin privilégié mais invisible. Seule le docteur Novak lui prête la moindre importance. Elle regarde alternativement la baie vitrée du Daedale et Hermiod qui dandine son chef dans un mouvement quasi hypnotique.
- Novaaaaaaaak!
Le nom est prononcé avec énergie, mais sans violence ni agressivité. L'unité symbiotique Novak/Hermiod se brise et la Terrienne réagit enfin aux mouvements qui animent la passerelle. Hermiod de son côté semble toujours aussi circonspect. Cela indiffère bien le colonel Caldwell qui a d'autres chats à fouetter que cet Asgard nu et insolent.
- Novak ! Vous m'écoutez ?
Lindsey ajuste son regard sur la droite, le faisant passer de l’Asgard au militaire.
- Oui mon colonel, désolée mon colonel, navrée je...
- Docteur Novak, une explication ?
- Oui, ou du moins une hypothèse. Nous pensons...
Son regard se pose sur Hermiod avec l'espérance d'un soutient. Œil noir, globuleux et vitreux. Lindsey déglutit laborieusement, voûte ses épaules puis reprend la posture qui traduit son manque terrible de confiance en elle. Le hoquet n'est pas loin, elle le sent monter lentement, et à dire vrai, tout le monde le sent également. Le silence s'est fait autour d'eux. Steven Caldwell n'est pas le seul à attendre de Novak, si ce n'est une solution, du moins une explication.
- Nous sommes coincés dans l'hyperespace et nos systèmes sont trop endommagés pour espérer nous en sortir rapidement.
- Estimation du temps de réparation du système de navigation ?
- Deux mois et cinq jours.
Le docteur Novak est prise de vitesse par Hermiod, toujours dans l'anticipation des réactions terriennes. Pour une fois, Novak ne s'en porte pas plus mal et accueille la réponse de l’Asgard d'un regard de velours. Ce n'est pas le cas du reste de l'équipage qui prend douloureusement conscience de la situation plus que dramatique.
Imaginez un incendie ravageant un continent de glace... fermez les yeux et devinez, respirez l'humeur présente.
Colère, désespoir, agacement, quelque soit le sentiment qui vient de s'éveiller en chacun, il est aussi palpable et froid que la glace, aussi brûlant et chaud que la braise, aussi corrosif et déstructurant que l'évaporation d'un corps. Une haine qui sourdre d'une plaie ouverte pour suinter sur le Asgard, présent au mauvais moment, pas assez empathique ou pas assez sympathique tout simplement !
- Et maintenant ?
La question est collégiale et n'attend finalement pas vraiment de réponse.
Le colonel Caldwell se lève de son fauteuil, grimaçant sous la douleur qui vient de s'éveiller. Elle est lancinante et invisible d'autrui et c'est bien là que Steven compte l'abandonner... Il ferme un instant les yeux, enfermant sa douleur dans un coin reculé de sa conscience puis apostrophe tout l'équipage présent.
- Novak, Hermiod, retournez à vos postes respectifs et voyez comment on peut envisager les réparations. Docteur Novak, je voudrai un état précis de nos ressources et de celles du Daedale. Combien de temps le vaisseau peut-il résister à la pression de l'hyperespace ? Peut-on en sortir et si oui, où et comment ? Je veux toutes les options possibles et même les impossibles !
Qu'attendez-vous ? Rompez ! !
La Terrienne se précipite à la suite de l’Asgard qui parcoure déjà les couloirs du vaisseau. Derrière eux le silence se rompt et un brouhaha tout sauf joyeux emplit la passerelle. Il ne faut pas être devin pour deviner les paroles échangées entre Terriens. Lindsey sait pertinemment que ses compatriotes vont chercher un coupable à ce désastre, un responsable sur qui passer leurs nerfs quand le vaisseau se fondra entre deux mondes. La nature humaine est-elle si injuste et perfide ? Novak marche silencieusement, tête basse, le regard fixé sur la rythmique de ses pas.
Les Humains adorent trouver des coupables à tout leurs maux, chercher des poux dans la tête des Asgards... ou défier les lois de la nature, ce qui revient au même !
- Ne vous tracassez pas tant. Quelle importance tout cela ?
Lindsey sort de sa mélancolie avec le regard ahuri qui la caractérise si souvent. Hermiod ne peut s'empêcher de sourire (si si, les Asgards sourient aussi !) en voyant sa compagne d'infortune.
- Décidément vous êtes perpétuellement surprise.
En réponse, un haussement de sourcils de Novak, puis enfin la scientifique se relâche.
- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- Ils sont angoissés et stressés. Ils ne comprennent pas les tenants et aboutissants de nos suppositions.
- Parce que les comprendre rend les choses plus faciles à digérer ? J'ai comme le sentiment que tout repose sur nos épaules. Si nous trouvons une solution, ce dont je doute, cela ne sera que la conclusion logique de nos efforts, en revanche si nous échouons...
- En quoi cela change-t-il de nos précédentes missions ?
- Et bien...heu... Je ne sais pas. Souvent la solution vient d'elle-même, en toute logique et... Hoc ! Zut et re-zut !
Hermiod hausse ses épaules et reprend sa place derrière son pupitre. Lindsey le regarde un instant, puis entre deux hoquets, se replonge dans d'interminables calculs.
Le colonel Caldwell est plus que songeur. Ses hommes ont l'habitude de le voir avachi sur son accoudoir dans cette position digne de Rodin. Pourtant cette fois-ci, il ne s'agit pas d'une posture étudiée et réfléchie. Steven sent une pression immense peser sur sa poitrine. Il aurait bien aimé la dispatcher ça et là, mais malgré une tentative sur Novak et le Asgard, la pression reste aussi intense. Le poids des responsabilités !
Caldwell prend une grande inspiration, bombe le torse, puis s'élance dans une danse militaire, rythmée et animée par des ordres et des encouragements à l'effort. Lorsque le commandant du navire quitte enfin la passerelle, ses hommes sont au travail, s'agitant autour de tout ce qui peut encore être exploité. Un passage par le bloc médical lui permet de constater que l'effervescence est partout. Là une antenne médicale a été installée, ici des techniciens s'affairent autour d'un tableau de commande désossé et là encore, un homme tente une manœuvre désespérée pour sauver un générateur de secours...
Des écrans s'illuminent un peu partout dans le Daedale, le vaisseau a repris vie ! Finalement cela vaut le coup de garder espoir. Caldwell termine son inspection par l'antre du fameux binôme Novak/Hermiod.
Après l'espoir occasionné par la renaissance du navire de guerre, la découverte au grès de ses pas des blessés mais aussi des morts, a méchamment entamé son optimisme. Trois membres de son équipage sont décédés des suites de brûlures ou de chocs lors de l'explosion. Cinq autres sont dans état critique et l'on ne compte plus les blessures légères. Steven porte machinalement la main à son épaule. Non, il doit encore renier sa douleur quelque temps. Il sera toujours assez tôt pour s'inquiéter de son propre sort lorsque ses hommes seront en sécurité... mais ce moment n'est pas encore venu !
Novak et Hermiod sont là, juste derrière la prochaine cloison. Caldwell s'en approche à pas de loup et regarde travailler ceux sur qui reposent leurs derniers espoirs. Rien que d'y penser, il hésite entre fondre en larmes ou rire aux éclats ! Lorsqu'il avait vu le docteur Novak pour la première fois, il avait réprimé l'envie irrésistible d'aller se cacher derrière une caisse de joues et mâchouiller un vieux morceau de tissus. L'image semble grotesque et l'est, on ne peut en douter, mais elle est en Steven comme une photographie noire et blanc de son passé.
Enfant, le petit Steven avait été confié, comme grand nombre d'enfants de militaires haut gradés, aux bons soins d'une nurse, entendez par là, une gouvernante anglaise sachant parfaitement chanter « frère Jacques » en français et tenir la cuiller avec l'auriculaire en érection... Tea Time oblige ! La dite nurse avait les traits secs et anguleux comme ceux de Lindsey Novak, mais surtout le chignon tiré à quatre épingles, protocolaire à souhait. Heureusement pour le docteur Novak et pour les nuits de quiétude du colonel Caldwell, dès que la scientifique avait ouvert la bouche, toute peur s’était évaporée. La voix de Lindsey était tout sauf stressante... quoiqu’après plusieurs heures de hoquet, Caldwell s’était vu obligé de réviser ce jugement.
Maintenant qu'il regarde le docteur Novak s'affairer derrières ses consoles et discuter avec le Asgard, il ne voit plus en elle la vieille matrone anglaise mais le soldat en action. Un soldat rigoureux et exigeant, surtout envers elle-même. Une femme d'exception. Pendant un temps il aurait bien fait un échange avec le docteur McKay, hautement qualifié mais désespérément imbuvable, pire que le colonel Sheppard, c'est dire ! Évidement Caldwell a conscience que son antipathie pour le colonel Sheppard n'est pas fondé sur des faits militaires, ou du moins pas uniquement. Mais parfois l'homme prend le pas sur le soldat... qu'y pouvons-nous ?
En attendant, en cet instant de doute, Novak est la seule personne susceptible de dénicher une solution, si solution il y a. Son travail en étroite collaboration avec Hermiod peut aboutir à des choses incroyables et espérons-le, miraculeuses... du moins, si le Asgard s'en donne la peine.
Le problème avec ces petites choses toutes nues, c'est qu'elles n'en font réellement qu'à leur tête. Voilà bien le principal point de discorde entre Caldwell et Hermiod. Associez à cela le fait que Hermiod anticipe toujours les propos du colonel et se targue inlassablement de sa supériorité, et vous obtenez le cocktail explosif qui règne actuellement sur le Daedale.
Le colonel sait qu'en expédiant Novak et Hermiod loin de la salle de contrôle, il a désamorcé une méchante bombe, mais il a surtout permis à leur esprit torturé de s'affranchir d'une pression supplémentaire... surtout Novak.
- HOQ !
Ah non, finalement ce n'était pas suffisant !
Caldwell examine sans bruit ses deux « hommes ».
Hermiod balbutie son charabia habituel et Novak farfouille dans un tiroir.
Que cherche-telle ?
Le docteur Novak s'énerve. Cela fait une heure qu'elle cherche une solution qui semble la fuir. Exaspérée, elle ouvre un tiroir et y met un désordre inhabituel. Même Hermiod interrompt son travail. Ni l'un ni l'autre n'ont remarqué l'ombre du colonel qui se profile à l'entrée de la salle. A leur décharge, toutes les consoles et toutes les lumières du Daedale n'ont pas repris leur éclat d'antan.
Hermiod avance sa tête sans pour autour bouger son tronc. Drôle d'attitude de tortue sans carapace.
- Que faites-vous ?
- Je cherche du ruban adhésif.
- Pour quoi faire ?
Le docteur Novak ne prend pas la peine de répondre. Elle continue à semer la pagaille dans ses affaires. Nulle doute qu'elle aura des cauchemars en réalisant que les papiers bleus ne sont plus à gauche des papiers jaunes et les perforés sous les non-perforés ! En attendant cette révélation, Lindsey se redresse et exhibe triomphante le rouleau de scotch marron. Sans un mot, elle quitte son poste, et tournant le dos à Hermiod et Caldwell, part se coller à la baie vitrée la plus proche. Avec énergie, elle prend le scotch entre ses dents et d'un coup ferme en arrache deux morceaux.
Tout en expectative, le colonel Caldwell avance dans la salle et vient se positionner aux côtés de l’Asgard. Ce dernier n'a pas bougé sa tête prognathe et regarde successivement Caldwell et Novak. Reprenant une position plus digne de sa personne, Hermiod se permet pour la première, et sans aucun doute dernière fois, une question à l'égard de Steven Caldwell. Le colonel en est tant interdit qu'il tarde à répondre... à moins qu'il ne connaisse tout simplement pas la réponse !
- Que fait-elle ?
En fait Lindsey, entre deux hoquets de plus en plus violents, forme une croix sur la vitre. Ravie de son œuvre, elle extirpe de sa poche une lampe torche et la pose face au grand X, éclairant son ouvrage d'une clarté artificielle. Novak est triomphante. Son chef d'œuvre est achevé et avec lui son hoquet s'en est allé !
Trois minutes de silence.
Caldwell n'en peut plus.
- Et si vous nous expliquiez !
Novak se retourne brutalement et son visage qui avait enfin repris un semblant d'éclat perd d'un coup toute sa consistance. La scientifique semble se liquéfier sur place, ses épaules se voûte... tout son corps paraît se ratatiner sur lui-même. Elle semble disparaître… avant qu'un célèbre hoquet de notre connaissance ne vienne violemment secouer son corps, lui redonnant artificiellement un minimum de substance.
- Je...heu...
-Ne me dites pas que vous vous attendiez à voir débarquer le directeur-adjoint Skinner pour vous sauver ?!
- Non, bien sur mais...
Novak bombe son torse, ce qui a peu d'effet sur sa tenue militaire mais beaucoup sur le colonel Caldwell. C'est bien la première fois qu'elle tente une résistance.
- Désolée colonel. Je cherchais un moyen de canaliser mon hoquet et mon stress. J'ai conscience du ridicule d'une telle action mais... Tiens, mon hoquet a effectivement disparu!
- Félicitation docteur ! Maintenant retournez à votre travail !