Trafic
Épilogue
Savourez votre mort, ce n’est pas tous les jours que vous en aurez l’occasion.
S’il savait !
Un flash blanc éblouit le colonel Sheppard. Premier signe de l’hypoxie qui inéluctablement court vers l’anoxie ? Sheppard ressent dans ce flash la violence de ses expériences passées : la noyade et son lots de souvenirs angoissants (Fanfic : La tombe) mais aussi la suffocation lors de sa confrontation avec le wraith (Fanfic : Autres regards). Si le premier souvenir est douloureux, le second le projette davantage dans le plaisir du laisser aller, du lâcher prise qui vous porte en douceur vers la fin. La fin de l’existence mais aussi celle de la souffrance et de son contingent de douleurs.
Mourir ne fait pas peur au militaire. Non qu’il accueille la faucheuse avec plaisir, mais plutôt parce que la vie ne cesse de lui rappeler que sa fin est proche et sera ainsi, douloureuse et violente. D’une certaine façon, Sheppard s’est résigné à mourir dans la souffrance, mais en revanche il n’accepte pas cette mort qui lui semble inutile et sans fondement. McKay aussi lui répète inlassablement qu’il se complaît dans ce rôle du héros qui se sacrifie. Sauf que parfois Sheppard aimerait inverser la donne. Non, McKay exagère, comme toujours ! Quoique… si Rodney était en danger de mort, John sait pertinemment qu’il irait à son secours au détriment de sa propre sécurité. Bon finalement, Rodney a sans doute raison.
Mais le cas présent est différent.
Sheppard va mourir.
La douleur qu’il ressent dans ses poumons brûlants, la violence des élancements qui lacèrent ses yeux et son cerveau, ne lui laissent aucun doute. La mort arrive et va l’emporter avec elle. Sheppard l’imagine hilare sous sa cape noire. Il se perd dans cette illusion qui prend vie dans son cortex enflammé.
- Depuis le temps que je l’on se tourne autour, te voila enfin mien.
Mais John ne veut pas l’accompagner, pas cette fois-ci.
La mort retire sa capuche de toile épaisse et poussiéreuse. Une intense lumière émerge de ce qui devrait être son visage. Celui-ci n’existe pas à proprement parler. Ce serait plutôt comme un appel, une sorte de trou noir qui aspire l’âme de celui qui y plonge le regard. Sheppard hésite. Il n’aime pas cette mort-là mais il se sent attiré par elle. La mort tend ses bras vers le mourant.
- Viens, lie-toi à moi.
- Non, je ne sais pas. Pas encore. Je ne comprends pas, tu ne m’accueilles pas aussi gentiment d’habitude ?
- C’est vrai mais je n’aime pas que l’on me force la main. Aujourd’hui, c’est différent, je ne te sens pas prêt à te blottir en moi. Disons que cela m’excite de te découvrir sous ce jour nouveau.
- Non, je veux bien mourir mais… mais qu’est-ce que c’est que ce délire ?!
Sheppard se sent tirer en arrière.
La mort remet sa capuche et se détourne de lui. La silhouette devient évanescente. Elle n’est plus qu’une aura de tristesse sur fond de douleur. Elle est infime et tend à disparaître mais pourtant…
Pourtant maintenant que la souffrance est de retour, Sheppard se dit qu’une fois de plus il a laissé passer sa chance de mourir en douceur. Dieu comme il est bête !
- Faucheuse ! Revient !
***
Le docteur Zespatto regarde la lumière qui faiblit dans les yeux du lieutenant-colonel John Sheppard. Le voila qui part, qui quitte le monde des vivants. Trop vite finalement. Cela ne satisfait pas pleinement le médecin.
Soudain sa victime semble reprendre vie. Comme d’autre avant lui, le docteur découvre la braise incandescente qui anime le regard de Sheppard lorsque la haine se mêle à la souffrance. Des flammes rougeoyantes dansent dans les yeux de son supplicié. Zespatto lâche machinalement la seringue de curare.
- Vous m’avez fait peur colonel Sheppard !
Il reprend la lente injection du produit. Son sourire vicieux se teinte maintenant d’un petit tremblement de sa lèvre supérieur. Il y a urgence à liquider ce militaire. Trop de haine se lit en lui, trop de hargne et de courage. Les ingrédients qui grippent les rouages d’une machine bien huilée. Sheppard est de ces hommes, qui même sans le vouloir, font et défont les stratagèmes les mieux conçus. De ces êtres infâmes qui donneraient leur vie pour les autres.
- Pouah ! Vous me dégoûtez. Cessez de me regarder avec cette rage qui suinte de tout votre être. Vous êtes à ma merci et il faudra bien que vous regardiez les choses en face !
Zespatto libère sa haine dans un fou rire dément.
- Commencez par vous regarder colonel Sheppard. Vous n’êtes plus que l’ombre de l’homme que vous étiez ! Je vous maintiens dans cet état depuis si longtemps que j’ai le sentiment de vous posséder. Vous êtes mon jouet et je vous casse si l’envie m’en prend !
Zespatto se rapproche du visage de Sheppard. Il lui glisse ses mots comme on parle à son amante dans le secret de l’alcôve.
- Et l’envie me prend avec d’autant plus de plaisir que j’y vois maintenant un acte profondément nécessaire. Vous êtes dangereux colonel Sheppard mais je le suis bien plus que vous. Vous regarder mourir m’apporte bien plus de plaisir et de satisfaction que je ne l’aurais cru possible. Ayez conscience de cela colonel. Votre mort m’apporte un plaisir infini… oui, c’est cela… brûlez de haine pour moi, consumez-vous de l’intérieur, ma jouissance n’en est que meilleur !
***
Sheppard a effectivement de la haine pour cet homme qu’il ne connaît pas. Une rage farouche contre le médecin qui pour d’obscures raisons, lui arrache douloureusement la vie. Cependant ce qui le répugne le plus, c’est d’avoir également de la haine contre pour lui-même. Du mépris et de la peur face à son impuissance. La douleur qu’il croyait connaître tant physiquement que psychologiquement, prend en lui une nouvelle tournure. Une dimension inconnue jusque là et pour tout dire relativement insaisissable. Une douleur sans nom, de celle que l’on ne découvre que lorsqu’elle se glisse en nous insidieusement, avant d’exploser en un paroxysme qu’aucun mot ne peut décrire. Une douleur que l’on oublie sitôt sa disparition mais qui laisse une sensation exécrable, comme un dégoût de soi.
Sheppard est spectateur de sa souffrance et son bourreau se délecte de cet état de fait. John quant à lui estime que se regarder mourir est bien pire que la mort elle-même.
- Faucheuse, revient !
***
Jamais McKay n’aurait imaginé avoir une telle énergie. Une furieuse envie de meurtre qui booste et décuple les forces du corps avec la rage du désespoir et de la haine.
En entrant dans l’infirmerie, son regard n’a fait qu’effleurer la suffisance du médecin avant de se fondre dans son ami agonisant. Et maintenant le voila pris dans la tourmente qui emporte Sheppard. Rodney s’accroche à lui, le tire vers le haut, tente de l’extraire au plus profond de son être, mais John résiste et semble au contraire appeler la mort à lui.
McKay quitte désemparé le regard moribond de John pour celui plein de vie du médecin.
- Vous allez me le payer !
Les mots sont criés comme le ferait un enfant chagriné et vexé. Mais McKay n’est plus un gamin et quoiqu’en pensent les autres membres d’Atlantis, ses attitudes enfantines ne sont que le reflet de son manque de confiance en lui, de son besoin maladif de s’abaisser dans sa condition d’homme. Étrange paradoxe pour un être qui clame par ailleurs son génie scientifique. Étonnantes attitudes que seuls de vrais amis peuvent comprendre et appréhender avec assez de patience et de tendresse pour se lier… à la vie… à la mort !
McKay se jette sur le médecin avec cette folie qui n’a d’égale que sa fragilité et son génie. Zespatto ne peut que subir les assauts de celui qui plie devant une souris mais qui déplace les montagnes en quête de reconnaissance des autres et de lui-même.
Sheppard, son ami, son double, celui qui à l’inverse a une confiance absolue en lui-même, celui qui transpire la force militaire et le génie stratégie. Sheppard qui leurre son monde en jouant les militaires basiques et incultes. Rodney sait qu’il n’en est rien, bien au contraire. Sheppard est bien plus intelligent qu’il ne le prétend.
Sheppard et McKay.
John et Rodney.
Deux êtres si différents et si semblables. Deux pôles que tout éloignaient et qui ont fini par s’attirer inéluctablement. La famille, l’amitié, autant de mots qui ne sont rien face à ce qu’ils sont ensembles.
Les poings de McKay labourent le médecin sans aucune retenue. Déjà ses jointures se couvrent de son sang mêlé à celui du trafiquant.
- A mon tour de jouer au bourrin militaire !
Rodney crie sa rage, stupéfiant les spectateurs jusque là impuissants. Le colonel Caldwell, l’infirmière du bloc mais aussi les hommes de la sécurité qui les ont rejoints en urgence. Tous regardent médusés le scientifique qui frappe encore et encore le corps inerte du médecin félon.
Une alarme, celle d’un des moniteurs reliés à Sheppard, arrête net le combat. Rodney lâche le corps inconscient qui s’effondre sans aucune douceur sur le sol froid du bloc médical.
Avec une incroyable promptitude, Rodney se retrouve au chevet de son ami. Le moniteur indique l’absence de mouvements respiratoires. La saturation en oxygène commence lentement à dégringoler. Alors que l’infirmière se hâte vers le respirateur artificiel, McKay entreprend un bouche-à-bouche salvateur. L’air porteur de l’oxygène vital à son ami, pénètre dans les poumons endoloris. Le sang se gorge de son précieux mélange moléculaire.
Doucement le regard de Sheppard se réanime. Une flammèche qui oscille lentement au rythme des insufflations d’air.
- La machine est prête, vous pouvez arrêter docteur McKay.
La voix de l’infirmière est douce, presque compatissante. La voix de la raison, et pourtant Rodney ne peut interrompre de lui-même son geste réanimateur. Il lui est d’autant plus difficile d’abandonner John, qu’il le sent revenu à la réalité.
Une main tire McKay en arrière, obligeant sa bouche à quitter celle du colonel. Aussitôt, l’infirmière introduit dans la trachée du patient une canule puis une sonde qu’elle relie à l’imposante machine. Rodney qui ne quitte pas Sheppard des yeux peut lire en lui la souffrance induite par leurs gestes techniques. Normalement tout cela se fait sous neuroleptique ou en tout cas sous sédation. Après s’être vu et senti mourir, voila John obligé de subir, impuissant, la pénétration mécanique de son air. Son regard exprime tout autant le soulagement de se savoir vivant que l’envie irrépressible de ne plus l’être. L’infirmière injecte un produit laiteux dans la perfusion de Sheppard. Le militaire accueille ses effets avec apaisement. L’infirmière lui caresse doucement le front et lui parle avec une voix lente et lisse, presque hypnotique.
- Là, doucement, vous allez bientôt vous endormir.
Comme par magie, Sheppard ferme enfin ses yeux sur son monde de souffrance, glissant paisiblement vers l’inconscience. Aussitôt la vie reprend autour de McKay. Le scientifique réalise seulement à cet instant la présence du personnel de Daedale et du colonel Caldwell. Sa vue se trouble.
- Heu… je crois que je …
Sa phrase se perd dans les brumes qui l’envahissent. Le stress a eu raison de Rodney McKay.
***
Tony termine de rédiger son rapport. Encore un malfaiteur sous les verrous.
Il est quatre heures du matin, son heure préférée pour s’occuper de la paperasse. En journée, Tony est tellement accaparé par son rôle de bad boy macho, une image qu’il entretient avec un luxe de détails, qu’il ne peut décemment pas charrier ses collègues et s’atteler en même temps à des tâches sérieuses.
Le bureau est calme, presque reposant.
Ducky est rentré de ses petites vacances avec madame Mallard, sa mère. Lui et Gibbs ont l’air de s’être mis d’accord pour ne plus parler du Canada. Puisqu’il doit en être ainsi, DiNozzo, a fait table raz de cette étrange aventure, la reléguant au rang des anecdotes cinématographiques sorties tout droit de X-Files.
Un petit bruit, comme une mélodie à deux notes, attire son attention. DiNozzo s’extirpe sans regret de ses dossiers et suit la petite mélopée. Celle-ci provient du terminal de Gibbs.
DiNozzo ne peut s’empêcher de ricaner.
- Alors patron, on a oublié d’éteindre son ordinateur ?
Un coup d’œil rapide sur l’écran et le ricanement disparaît au profit du bruit bien moins séduisant d’une déglutition laborieuse.
Un message s’affiche en rouge clignotant, à un angle du bureau au motif impersonnel.
Message en provenance du SGC
Une seconde d’hésitation, pas plus, et DiNozzo clic sur le lien. Un message s’ouvre et s’efface aussitôt.
Sheppard sauvé. Tout est rentré dans l’ordre.
Rendez-vous dimanche 16 comme prévu.
Je me charge des cartes, apportez le café.
Une signature en petit caractère, à peine lisible : Général Landry.
FIN…
Ha non ! J’oubliais ! Tous les mystères de cette fanfiction ne sont pas résolus. Il reste une énigme qu’il me faut achever. Qu’est devenue Katia, la belle infirmière disparue avec DiNozzo dans le cabinet de toilette ?
Et bien, pour tout dire, cette partie de mon histoire avait été volontairement cachée, sans doute par pudeur. Cependant, devant vos mines surprises et avides de savoir, je vais vous dévoiler l’inconcevable.
Katia, notre jolie brunette, fut retrouvée quelques heures après la téléportation de DiNozzo. Elle était assoupie sous l’évier, les mains liés dans son dos par ses bas résilles. Ses joues étaient joliment teintées de rouge et son nez se trémoussait au rythme de ses mouvements oculaires. Certains diront qu’elle geignait. De fait, le bâillon providentiel que Tony avait fabriqué avec les dessous de la belle, l’empêchait de verbaliser les images qui se dessinaient dans son esprit. Une chose cependant est certaine. Lorsque le dit morceau de tissus fut retiré de sa bouche, Katia tendit ses lèvres pour accueillir un invisible baiser. Un seul mot fut prononcé : Ethor.
Depuis la belle a disparu, mutée sans doute sur une autre planète, à moins qu’elle ne soit partie rejoindre celui qui hante ses nuits.
FIN
Petite dédicace à ...
... Monsieur Anderson qui a trouvé dans ma fic une mort bien cruelle, mais justifiée par ses insinuations calomnieuses sur mon grand âge. ^^
... Ethor qui a choisi le prénom de Katia et par la-même est devenu ... " celui qui hante ses nuits".
Merci a tous ceux qui ont accompagné la création de cette fanfiction.