Trafic
Chapitre trois
Vol(e)
Sheppard est à l’approche de la cabine avant de l’hélicoptère.
DiNozzo voudrait le rejoindre mais il n’arrive pas à esquisser le moindre mouvement. Le vent les fouette avec d’autant plus de violence qu’ils ne sont que sommairement habillés. Tony DiNozzo ne porte qu’une simple chemine de coton, rayée de divers tons bleutés. John Sheppard s’étant vu dépossédé de sa tenue par Gloria, se contente de la veste assortie, généreusement prêtée par Tony.
Un petit côté James Bond finalement… le filin de sécurité et les effets spéciaux en moins.
Sheppard se coule juste devant la porte du Huey. Un coup d’œil rapide lui apprend que le pilote n’est autre que le premier homme entré dans le restaurant. A ses côtés se tient un militaire en tenue de la Navy. S’il est armé, et c’est plus que probable, Sheppard n’a aucune chance de prendre le contrôle de l’hélicoptère.
- Il y a un passager à l’avant. C’est un gars de chez vous !
- Qu’allez-vous faire ?
- Improviser. Notre seule chance, c’est de se débarrasser du pilote.
- Quoi ?!
- Accrochez-vous, ça va secouer !
- John !!
Le cri de Tony n’atteint pas son destinataire. Paniqué, regrettant soudain son empressement à quitter le plancher des vaches, Tony enlace aussi fermement que possible tous ce qui est à sa portée.
Plus rapide que ne le laisse présager sa situation précaire, Sheppard ouvre grand la porte avant et d’une main ferme saisit le pilote. Surpris, non sanglé, ce dernier perd l’équilibre et bascule dans le vide. Une chute vertigineuse dont l’aboutissement ne peut être que la mort.
Aussitôt l’hélicoptère entame un magistral piqué, saisissant d’effroi tous ses occupants. A l’extérieur, Tony est pétrifié. Il regarde Sheppard qui se hisse dans la cabine. Le marine essaye maladroitement de le repousser du coude et du pied, mais n’ose pas lâcher le levier de direction qui tremble violemment dans ses mains. Sheppard s’installe à la place de sa victime et sangle immédiatement sa ceinture. Inutile de risquer un saut de l’ange au moindre mouvement brusque de l’engin. Pour l’heure, le dit engin tangue au gré des efforts surhumains du militaire. Sheppard pose ses mains expertes sur le manche. Au contact familier des commandes, s’ajoute le contact tout aussi familier d’un canon de pistolet sur sa nuque. Le Desert Eagle est de retour.
- Lâchez ça tout de suite !
L’ordre lui est hurlé à même les oreilles. Le tumulte du vent et du rotor gène considérablement la discussion. Sheppard ne quitte pas les commandes, bien au contraire. D’un geste sur, il redresse l’appareil puis se tourne face au magnum et à l'homme qui le tient en joue.
- Vous préférez que je vous passe les commandes ?
Joignant le geste à la parole, John lâche brusquement le manche, entraînant de nouveau l’hélicoptère dans une descente infernale.
Ne sachant que faire, l’homme hésite, regarde ses compagnons tout aussi désorientés que lui, puis plante le canon de son arme sur le front de Sheppard.
- OK, redressez l’hélico, mais pas de blague.
Sheppard s’installe correctement, referme la porte laissée béante puis met son casque. Le calme revient dans l’appareil. En dessous, en revanche, Tony DiNozzo n’est pas au mieux de sa forme. Frigorifié et tétanisé de peur, il serre les dents, maudissant le jour où son chemin a croisé celui de ce satané militaire.
L’homme au magnum n’a pas baissé sa garde. Une fois un calme relatif revenu, les questions commencent à fuser. Sheppard n'a pas le temps de répondre car le militaire installé à l'avant lui indique du doigt le plan de vol qu'il doit suivre.
- Vous nous emmenez là et inutile de chercher à feinter. Je ne sais peut-être pas piloter cet engin mais je suis tout à fait à même de me repérer dans cette carte.
- Ah bon ? Je croyais que dans la marine, on vous apprenait juste à distinguer une vague d’un tsunami.
Furieux, l’homme ne se maîtrise plus et se jette sur Sheppard, les deux mains serrées sur son cou. Dans la seconde qui suit l’hélicoptère perd de l’altitude. Le militaire se rassoit gentiment, les yeux fixés sur l’horizon et le front couvert d’une fine pellicule de sueur.
L’homme au magnum le fustige aussitôt.
- Calmes-toi Gus, dans l’immédiat nous avons besoin de lui donc laisse tes pulsions de côtés.
Sheppard enchaîne sur la remontrance avec un ton narquois et un sourire enjôleur.
- C’est ça Gus, couché le bon petit soldat.
Gus ne se retient plus et frappe violemment Sheppard à la face.
Si DiNozzo commençait tout juste à s’habituer aux voyages clandestins, cet ultime mouvement de chute libre achève toutes ses résistances. Contrairement à John, Tony n’a pas eu droit à un sublime plat de pancakes… et c’est une chance pour lui.
L’hélicoptère aux couleurs du SAR reprend son assiette.
Sheppard essuie discrètement le sang qui coule de son nez et de sa lèvre fendue. Sur le siège du copilote, le militaire est inconscient. L’homme au pistolet (DiNozzo aurait sans doute dit L'homme au colt d'or ) l’extirpe pour prendre sa place. A l’arrière, le cuistot et Gloria l’aident et allongent sans aucune douceur le malheureux entre les caisses d’armes. Le magnum reprend sa place sur la tempe de Sheppard.
- Ne croyez surtout pas avoir gagné Monsieur le Héros. Si je l’ai assommé, c’est uniquement parce qu’il représentait un danger pour notre survie.
- Je ne voyais pas les choses autrement. Où allons-nous ?
L’homme ne répond pas mais Gloria s’immisce dans la conversation.
- Comment as-tu fait pour échapper à l’explosion ?
- Un coup de chance.
- Et Tony ?
- Un coup de malchance.
Un silence pesant s’installe dans l’hélicoptère.
A l’avant l’homme au flingue, visiblement le chef de l’expédition, ne quitte Sheppard des yeux que pour s’assurer de leur destination. Le canon du pistolet ne s’éloignant jamais du Colonel. A l’arrière, Gloria et le cuistot sont attentifs à chaque manœuvre de l’Huey. Angoissés à l’idée de subir une nouvelle perte de contrôle de l’engin, ils se sont accrochés tant bien que mal aux armatures de l’appareil. A leurs pieds, le soldat ronfle bruyamment. Personne ne lui prête la moindre attention.
Après dix minutes de vol sous haute surveillance, le copilote rompt enfin le silence. Il désigne un petit aérodrome désaffecté et partiellement envahi par la végétation.
- Pose-toi là et ne fait surtout pas le malin.
Une petite pression sur la tempe du colonel Sheppard ponctue sa phrase.
Sheppard tente une approche dangereusement basse, espérant permettre à DiNozzo de sauter avant l’atterrissage. L’hélicoptère danse entre les thuyas canadiens, hauts de plus de quinze mètres.
De fait, Tony est accroché sous l’hélicoptère dans une position plus proche du paresseux endormi sur sa branche, que de l’agent chevronné défiant les brigands. Réalisant la manœuvre de Sheppard, il s’apprête à lâcher prise au moment le plus opportun. Son souci principal étant qu’à l’évidence, il n’y aura aucun moment plus propice qu’un autre.
Prenant une grande inspiration, Tony laisse tomber ses jambes dans le vide puis effectue quelques mouvements de balancier, espérant pouvoir accrocher une branche dans sa chute. Après une courte hésitation, il quitte sa prise et se laisse tomber. Une chute de plus de huit mètres amortie sans aucune délicatesse par les épais branchages.
S’il s’imaginait descendre tranquillement de l’arbre en sautant de branche en branche, Tony est particulièrement déçu. Son corps incontrôlable s’engouffre dans la masse épaisse des rameaux puis dégringole en rebondissant selon un ordre totalement aléatoire. Sa chute ne dure que quelques secondes qui pourtant semblent durer une éternité, et se conclue par un contact brutal avec le sol.
Au bruit sourd d’un corps qui s’affale sans grâce, suit celui guère plus avenant d’un énorme soupir. Tony DiNozzo se laisse aller, dos au sol, profitant du soulagement d’être encore en vie. Heureusement qu'il s'agissait de thuyas et non d'acacias !
Rapidement de multiples brûlures lui rappellent sa condition de blessé. Sa cuisse le lance fortement mais ce n’est rien comparé à la sensation de peau à vif occasionnée par les microcoupures qui parsèment tout son corps.
L’agent serre les dents de rage. Un beau costume à plus de cent cinquante dollars !
Reprenant son souffle, il se relève et part en direction de l’aérodrome.
- John, j’espère que vous au moins, avez pris soin de ma veste.
La dite veste se pose avec son porteur sur la zone centrale du petit héliport. Sheppard coupe les gaz puis retire son casque. Son copilote lui intime l’ordre de ne pas bouger, laissant le temps aux passagers arrière de s’extirper de l’engin.
Le cuistot sort le premier. Il fait quelques pas, titube puis s’écoule au sol, vidant du même coup tout le contenu de son estomac. Gloria plus prudente fait juste un pas en direction de Sheppard. Elle ouvre la porte et le met également en joue.
L’homme au magnum range son arme et sort de son barda une paire de menottes qu’il tend à Sheppard.
- Mettez ça !
Sheppard s’exécute aussitôt, conscient que l’avantage n’est plus de son côté. Son seul espoir réside dans la survie de Tony… un espoir plus qu’improbable.
Une fois menotté, Sheppard est tiré sans aucun ménagement hors de l’hélicoptère puis est accompagné vers un petit baraquement en bois. Le hangar n’était pas visible du ciel et Sheppard ne découvre qu’au dernier moment la présence d’un véhicule de l’armée.
DiNozzo avait donc raison. Un important trafic lie les différentes factions de l’armée Américaine. En plus de l’homme au magnum, du militaire, du cuistot et de Gloria s’ajoute donc un ou plusieurs protagonistes supplémentaires. Sheppard comprend vite que l’affaire s’annonce plutôt sous de mauvais jour.
Le suspens est de courte durée quand apparaît un militaire portant un P-90. Celui-ci désigne Sheppard du canon de son arme.
- Qui c’est celui-là ? Où sont Morgan et Gus ?
- Morgan est mort. Quand à Gus, j’ai du l’assommer car il compromettait grandement la mission. Il est à l’arrière de l’hélico. Ce type est un pilote de l’armée qui a eu le malheur de se trouver sur notre chemin. C’est lui qui a piloté l’hélico après avoir bazardé Morgan.
L'homme au flingue énonce les faits sans aucun chagrin apparent. Que lui importe la mort d’un homme. Ce n’est qu’une part supplémentaire à se partager. Au vu de la réaction de celui qui semble commander les opérations, celui-ci partage le même désintérêt pour la santé de ses hommes.
Il s’approche de Sheppard et le regarde fixement.
- Tuez-le !
L’ordre est sec et ne laisse a priori aucune place pour être commenté. C’est cependant ce que fait Gloria.
- Si on le tue, qui va piloter le Piaggio ?
Sheppard jette un œil circulaire dans le hangar et découvre sidéré, un modèle récent du Piaggio P180 Avanti. Un biréacteur italien possédant un moteur de conception canadienne. Une petite merveille de manœuvrabilité.
Le militaire fixe de nouveau Sheppard. Au regard avide que le prisonnier jette sur l’avion, il est évident que ce dernier connaît son affaire.
- Ok. On n’a guère le choix sans Morgan. Bon, en attendant, qu’il se rende utile !
D’un geste il désigne le cuistot et Gloria.
- Il va vous aider à charger les caisses. Secouez Gus. J’ai à parler à Stilton.
L'homme au Desert Eagle prend enfin un mon, Stilton. Ce dernier pousse John vers le cuistot.
- Ne le quitte pas des yeux et quoiqu’il te dise, surtout ne lui enlève pas les menottes.
- Ok, chef.
Chacun part de son côté, sans apercevoir l’ombre qui se profile discrètement dans le hangar. Tony est rassuré de savoir John vivant. Cet homme l’intrigue plus qu’il ne le rassure, mais il se sent proche de lui et après tout, il lui doit d’être encore en un seul morceau. Pour l’instant Sheppard n’étant pas en danger, DiNozzo s’attarde auprès de ceux qui semblent être les dirigeants du groupe. Silencieusement il s’en approche au plus près, espionnant leur discussion.
- C’est qui ce type en réalité ?
- Je n’en sais pas plus. D’après le contact de Gloria à Cheyenne Mountain il fait partie d’une expédition classée secret défense. Mais aussi incroyable que cela puisse être, sa présence n’est que le fruit du hasard.
- Mon œil ! Un militaire, qui plus est de Cheyenne Mountain… C’est obligatoirement un espion.
- Écoute, il va nous piloter jusqu’à la zone de livraison de la marchandise et après on le zigouille.
- Non, c’est trop dangereux. Je vais contacter un ami pilote et on le descend dès qu’il arrive.
- Ok. Bon alors, ce matos ultra sophistiqué que l'on a transporté, c’est quoi ?
- Ce sont des armes étrangères que nous procure notre contact de Cheyenne Mountain. Elles sont incroyables. En particulier les grenades. Tu vas aimer, viens voir.
Tous deux s’éloigne de DiNozzo. Tony en profite pour se glisser dans le tout terrain militaire. S’il y a bien une chose qu’il a appris à Philadelphie, c’est trafiquer une voiture. En deux temps, trois mouvements, le véhicule est inutilisable.
Son forfait accompli, Tony se coule sournoisement dans l’unique bureau du hangar. S’il pouvait trouver un téléphone ou un flingue, ce serait la panacée. Avant d’entrer dans la pièce il jette un rapide coup d’œil à Sheppard.
Les mains entravées par les lourdes menottes métalliques, Sheppard aide au transbordement des caisses d’armes. Gus, rancunier, le chahute un peu brutalement mais Gloria y met rapidement un terme ?
- Arrête Gus, on perd du temps. Tu devrais mettre de côté ta colère et nous aider plus activement.
- Ouais, et toi, tu n’écoutes pas tes pulsions peut-être ?
Gloria fixe Sheppard qui fait mine de ne pas prêter attention à la conversation.
Dans le restaurant elle ne voyait en lui qu’une proie à déguster sans modération. Maintenant elle hésite entre l’envie de soumettre l’homme d’action qu’il s’est avéré être, et la crainte qu’il lui inspire. Finalement la peur ne donne que plus de piment au désir.
Oui elle a envie de le posséder.
Oui, il sera sien avant de mourir et oui, elle espère que sa fin se fera de sa main à elle.
Au moment où il s’y attendra le moins, au moment où…
- Gloria !!
Le hurlement puis un grand fracas la sort de ses rêveries érotico-meurtrières. Toute à ses pensées, Gloria a laissé échapper une caisse qui s’est bruyamment écrasée au sol.
John en profite pour examiner le contenu de la cargaison. Ce qu’il voit à cet instant le sidère tant qu’il manque perdre l’équilibre. Voyant son manège, Gus, Gloria et le cuistot s’approchent à leur tour.
Le militaire est le premier à exprimer à haute voix la pensée commune à tout le petit groupe.
- Qu’est-ce que c’est ?