Autres regards

Chapitre 19 : XIX

Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2016 18:08

XIX

- Qui allez-vous choisir ? 
L’humain réagit exactement comme je m’y attendais. Ils sont parfois si surprenants et d’autre fois si prévisibles. Toute l’ambiguïté de l’humain est dans sa façon d’interpréter les faits. Son cerveau est une machine complexe dont l’imperfection crée une diversité d’action terriblement déstabilisante mais particulièrement efficace en temps de guerre.
Et nous sommes en guerre.
Avant l’arrivée des terriens dans Pégase, les wraiths dominaient sans grande difficulté des populations soumises et dociles. Maintenant nous devons nous battre contre notre nourriture. Certes, traquer la proie est un jeu formateur, mais lorsque le gibier se transforme à son tour en chasseur, le plaisir devient contrainte.
Qu’il est beau mon gibier en cet instant magique. Il est à califourchon sur moi, son arme dansant contre ma peau sans aucune douceur. Il lutte contre le désir de me faire exploser. Je le sens et je le vois. Ce dilemme est un pur délice. Une épice qui donnera à sa mort un goût suave que je garderai en moi aussi longtemps que possible.
 
Le doute grignote sa résistance et le ronge comme une maladie incurable, lente et douloureuse.
Il regarde son ami McKay. Un beau spécimen celui-là aussi. Différent, tellement étrange et si proche de ce que je suis. Un esprit scientifique à la recherche de la compréhension de l’autre et de soi-même. J’imagine que c’est ce dernier point qui nous lie. A travers l’étude des humains je me découvre tel que je suis, l’évolution finale d’une espèce primitivement humaine et imparfaite. Je suppose que McKay se cherche comme on aspire à connaître l’origine de la vie. Il m’intrigue mais ne m’attire pas avec la même attraction vitale que Sheppard. L’un représente ce que j’aurai pu être, dans une époque lointaine et ancestrale, l’autre est une facette différente, mais particulièrement actuelle, de mon être.
 
Sheppard effleure du regard le corps de Teyla.
Ses yeux sont comme une caresse sur l’athosienne. Le fait que celle-ci porte en elle une parcelle de moi ne semble pas le gêner outre mesure. La tolérance est une ouverture sur autrui qui peut parfois être bien dangereuse.
Attention Sheppard, l’affection que vous portez à cette femelle sera votre perte…ou celle de votre ami McKay !
 
Je sens Sheppard souffrir de la savoir en moi contre son grès, prisonnière d’une carcasse qui la rebute, coincée dans les entrailles de l’ennemi. L’image me fait sourire, mais l’idée d’attiser le feu qui crépite déjà avec tant de violence dans le regard de l’humain me donne bien davantage de satisfaction.
-Votre amie vous supplie de l’épargner. Elle hurle contre son impuissance et ma suprématie dévoilée. Elle a en commun avec vous la couleur de ses émotions. 
Je lui décris les couleurs qui chevauchent leurs auras et ondulent autour d’eux. Je devine que ces représentations sont abstraites pour lui, mais elles ont pour moi beaucoup de valeur.
 
Les humains sont vraiment naïfs. Croient-ils vraiment que pour un wraith, toute nourriture est identique ? L’énergie vitale que recèle un corps n’a pas une valeur similaire d’un individu à l’autre.
La vie de McKay aura l’âcreté du jaune et le piquant des ronces. Son goût sera un plaisir bref, comme une étincelle de vie qui pétille un instant avant de s’éteindre dans la nuit noire.
Teyla à la délicatesse du rouge orangé. Fondant lentement dans le corps en le réchauffant tout doucement. Elle est le miel de l’âme.
Sheppard partage avec Teyla la teinte rouge qui réchauffe. Mais il s’agit d’un autre feu. Il est la braise qui enflamme la colère et la rage. Il est le rouge du sang qui noirci lorsque l’oxygène vient à manquer, lorsque la mort frappe par derrière. Se nourrir de Sheppard est comme une claque d’énergie brutale et enivrante. Une drogue qui se distille dans le corps en y imprimant sa marque. L’épice sera brûlure, douleur et plaisir. J’ai hâte de l’unir à moi, de le vider de cette force qui me fait tant envie.
 
Sheppard essaye de me cacher ses émotions mais c’est peine perdue.
- Teyla sait très bien que je n’ai pas le choix. On a déjà vécu cela auparavant. 
Je cherche en moi, en elle, le souvenir de cet épisode. La femme tente de me fermer le chemin de son esprit, mais rien n’est plus simple pour moi que de naviguer dans ses pensées.
 
Un souvenir apparaît, fugace, comme une bulle de savon qui s’ouvre à la surface de notre pensée commune. Deux êtres se déchirent. Sheppard est possédé par l’un d’eux, un homme. Tiens, intéressante découverte qui me permet de mieux comprendre ce que ressent le terrien. Il doit être totalement en empathie avec la femelle. Sa souffrance doit en être décuplée. Il en sera de même de mon plaisir.
Ma faim augmente. Ma patience s’amenuise.
 
Ainsi donc, Teyla allait tuer ce pauvre colonel pour sauver sa communauté. Voila enfin une action humaine qui obtient toute mon approbation. Logique sacrifice. Un pour tous.
- Oui, effectivement. Mais j’entrevois une différence de taille colonel Sheppard. Teyla allait vous tuer afin de sauver toute la population d’Atlantis. Alors que le choix que je vous donne est plus restreint. Sauver Teyla ou la sacrifier pour McKay ! 
Deux situations en apparence similaire, mais dont les finalités sont largement opposées. Quelque soit le choix que fera Sheppard, il sera perdant. Il le sait.
- Quel est le sens que vous donneriez au mot amitié à cet instant ? 
 
J’ai encore une fois gagné contre la stupidité humaine et leurs paradoxes ridicules. L’amitié est un piège sans fond dans lequel Sheppard est tombé. Et moi je suis là pour le réceptionner.
 
Sheppard se redresse brutalement sans pour autant me quitter de sa ligne de mire. Il a pris sa décision. Quelle est-elle ? Je l’ignore, mais son regard me transperce avec violence. Une douleur vive me saisit à l’épaule puis à l’abdomen. Une fois, puis deux et enfin trois fois je sens une pointe acérée qui me lance dans tout le corps.
Il me faut une seconde pour comprendre que Sheppard m’a tiré dessus. Il a ouvert le feu sans se soucier de faire du mal à Teyla. Il a donc fait son choix.
Haaaa.
Il me blesse encore, aux jambes cette fois. Je ne reste pas sans réagir. La prochaine blessure pourrait m’être fatale tant mon capital énergétique est au plus bas. J’ai mésestimé sa rapidité d’action et j’ai surestimé ma capacité de jeun.
 
En un éclair je suis sur lui, au corps à corps. Pourquoi ne m’a-t-il pas achevé alors qu’il le pouvait ? La question me vient à l’esprit mais s’en échappe aussitôt. Pas le temps de réfléchir, il me faut agir.
D’un magistral revers de la main, je le déstabilise. Il perd l’équilibre et j’en profite pour lui soustraire son arme. Il ne se laisse pas faire. Evidemment, cela aurait été trop facile. Sa résistance me plait vraiment énormément. Ses louables mais ridicules efforts me stimulent et décuplent mes forces. Nos mains sont jointent en une prière commune, posées fermement sur le canon de son arme.
Il ne lâche pas. Moi non plus.
Nos regards se sont noyés l’un dans l’autre. Il m’emmène dans sa douleur, je l’emporte dans ma jubilation. Il faiblit et je me gorge de l’énergie qui s’échappe de son enveloppe charnelle. L’arme se détourne de moi puis pointe vers le ciel avant de redescendre lentement vers lui.
Je ne le quitte pas des yeux.
 
Mon plaisir est à son comble lorsque la surprise et le bruit le figent dans cette stupéfaction pré mortem que je connais si bien. Son regard de braise s’éteint doucement. Le rouge le quitte par l’orifice que le projectile a formé dans sa chair. Je le lâche physiquement, tout en prenant bien soin de ne pas briser le lien qui uni nos regards. Le sien se voile doucement. De l’eau coule lentement dans ses pupilles, distillant la mort et éteignant son feu.
Non, il est hors de question de perdre cette flamme. Elle sera mienne !
 
Je pose un genou à terre et arrache violement la combinaison de pilote du colonel Sheppard. Ma faim est grande. Vitale pour ma survie et nécessaire pour apaiser mon envie de lui.
Je hurle ma satisfaction tout en jetant ma main vers Sheppard. Je ne saurai jamais ce qu’est l’amitié, mais à défaut je vais maintenant en connaître le goût.
 
 
***

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