L'Eclosion du Mal
Il faisait froid dans cette salle d'interrogatoire. C'était un bon moyen de torture psychologique supplémentaire : il suffisait de bringuebaler le prisonnier dans une salle surchauffée puis dans une autre glacée pour briser un peu plus son esprit. Ce n'était qu'un détail mais ce petit rien ajouté à la multitude de tortures déja subies formait très rapidement un tout gigantesque. Cela dit, il faisait vraiment froid, tellement que je me surpris à frotter mes mains l'une contre l'autre dans l'espoir de les réchauffer. Voyant que ça n'aboutissait à rien, je fis un signe à un maton d’amener la température de la pièce à un niveau plus acceptable pour un être humain.
J'étais assis sur une chaise en bois poli, inhabituellement soignée dans une pièce aussi sinistre. Les murs de parabétons étaient dévorés par la rouille et les moisissures. L'unique rai de lumière filtrait d'un minuscule vasistas situé tout en haut de la pièce, comme hors de portée des personnes présentes. Des volutes de poussières dansaient dans la pièce, comme accomplissant une sorte de ballet obéissant aux ordres d'un chef d'orchestre invisible.
Devant moi, maintenu sur un tabouret rivé au sol par électromagnétisme, le prisonnier que j'avais fait tirer des geôles obscures du BSI me regardait d'un air calme, comme s'il se moquait du sang qui collait ses cheveux en touffes compactes ou les multiples bleus et écorchures qui parsemaient son visage. Il n'y avait plus grand chose de commun avec l'holoportrait qui figurait sur l'avis de recherche placardé à travers toute la galaxie à l'exception d'un petit quelque chose dans le regard, comme une détermination qui ne faiblirait pas, quoiqu'on fasse subir à son corps.
Je croisai les bras et déclarai d'un ton compatissant :
_Sachez que je suis navré que les choses se soient passées ainsi. Si mes hommes m'avaient prévenu plus tôt que le légendaire Jlei Namoun était tombé entre nos mains, j'aurais tout fait pour venir vous voir sans qu'on touche à un seul de vos cheveux.
Le rebelle eut un petit rire exhibant ainsi sa dentition désormais incomplète :
_Vous inquiétez pas, je sais ce que c'est que l'administration. J'ai été sénateur après tout.
C'est vrai, j'avais presque oublié qu'avant de devenir Xam, l'homme de confiance de Bel Iblis, l'homme avait été un petit sénateur bon teint, qui s'était toujours battu pour les droits des Chantiers Navals de Kuat et de la suprématie des barons sur leur peuple. Etrange parcours.
_Monsieur Namoun, j'ai une question, demandais-je franchement. J'ai du mal à comprendre : qu'un ouvrier, un paysan ou un obscur fonctionnaire en mal de gloire veuille donner un sens coloré à sa petite vie terne et s'excite pour une certaine forme d'aventure en ralliant les Rebelles, je peux l'admettre. Qu'une personne qui estime que l'Empire lui a fait du mal à lui ou à son monde natal décide de se venger et de prendre les armes, comme un Ackbar, je peux aussi faire un effort et considérer ce choix comme acceptable du point de vue de la raison. Mais dans votre cas, je dois bien admettre que c'est un mystère total. Vous étiez un élu kuatien, respecté de vos pairs, aimé de vos administrés avec un salaire confortable et une jolie petite famille. Pourquoi avoir tout gâché en rejoignant les terroristes ?
_Parce que vous croyez que rejoindre l'Alliance c'est tout gâcher ?
Amusé, j'embrassais rapidement le décor de la main :
_Et bien vous avez été traqué sur toute la galaxie, capturé, torturé, vous serez jugé et probablement exécuté. Ce n'est pas du gâchis pour vous ?
Il gloussa. J'avais beau savoir d'expérience que les prisonniers utilisaient l'humour ou le second degré comme catharsis, c'était toujours surprenant à constater de vive vue.
_Je pourrais vous retourner la question monsieur le Délégué...vous demander si diriger le COMPORN quand on était un brillant étudiant en droit, ce n'est pas aussi finalement du gâchis. Mais rassurez-vous, j'ai quitté la politique depuis quelques années. Les petites phrases, c'est plus mon genre.
Il passa une langue fatiguée sur ses lèvres craquelées et écaillées de sang.
_Pour répondre à votre question, oui, j'aurais pu rester posé à la rotonde du Sénat, à graisser un peu la patte aux officiels pour le bien de ma planète et à profiter de la vie. Mais quelque chose s'est déclenché la dedans, déclara t-il en apposant son index sur son crâne. Un déclic, une révélation, appelez ça comme vous voulez. Après Ghorman, quand Tarkin a fait écraser son vaisseau sur le sitting pacifiste, j'ai commencé à sérieusement douter du bien fondé du régime. A me demander si je n'aurais pas mieux fait de me couper la main le jour où j'ai voté pour l'Empire.
_Et vous avez finalement choisi la lutte armée ?
_Quand j'ai compris que le Sénat n'était plus bon qu'à courber le dos et à obéir à votre organisation, monsieur le Délégué, j'ai effectivement décidé de passer à un mode d'action plus radical, c'est vrai. Au fond, je n'ai fait qu'appliquer l'article 3.5 de la Constitution Galactique : "Quand l'Etat viole les droits des citoyens, l'insurrection est pour les citoyens, le plus sacré des droits..."
_"...et le plus indispensable des devoirs", je sais. Sauf que l'article en question, ainsi que la Constitution toute entière sont considérés comme caducs, depuis la Déclaration de l'Ordre Nouveau.
Il leva les yeux au ciel avant de me fixer avec un certain mépris :
_Jouer sur les textes de lois...vous êtes le stéréotype même de ce que je hais dans l'Empire, Nexhrn. Pas le soldat mais le salopard de bureaucrate.
_C'est pas en me provoquant que vous allez alléger votre peine, lui fis-je remarquer.
_Alléger ma peine ? répéta t-il dans une sorte de hoquet nerveux. Vous croyez vraiment que je veux passer le reste de ma vie sur Kessel ou dans un vaisseau-prison ?
_C'est le choix que font la plupart de vos camarades, lui fis-je noter. Choisir la vie plutôt que la mort. C'est tout à fait honorable.
_Nous n'avons pas la même définition de l'honneur alors...
Je passai fugacement ma main sur mon visage. A la réflexion, j'aurais dû laisser le BSI se charger un peu plus de Namoun. Je commençais à me lasser sérieusement de la bravade de certains prisonniers.
_Je vais être direct avec vous, lui exposais-je d'un ton sec. L'Alliance vient de se faire écraser sur Hoth. Nous avons détruit la moitié de vos transports. Vos pertes sont incalculables et le propre fils de Mon Mothma, Jobin, est tombé face à nos snowtroopers. Et maintenant, vous, un des principaux chefs de l'armée secrète des Rebelles, êtes entre les mains de l'Empire. La fin de la guerre est proche. Et nous allons gagner. Et attendant, vous, vous allez mourir. Je peux faire en sorte que ce soit rapide et sans douleur ou que ça prenne trois vies de neti pour vous voir y passer. En souffrant jusqu'à en être malade à chaque seconde de chaque minute que ça durera. Peut-être même que j'ordonnerais de faire la même chose à votre femme et à vos enfants.
Pour la première fois depuis le début de notre entretien, le visage du rebelle pâlit et prit un air sérieux.
_Vous ne feriez pas ça.
_Vous n'imaginez pas tout ce que je peux faire ou ne pas faire. Au COMPORN j'ai plus de pouvoir que Palpatine lui-même.
Je croisai les mains et fis craquer mes jointures.
_Donnez à mes hommes les renseignements qu'ils veulent et on épargnera les vôtres. Ca me semble un marché plutôt correct, vous ne trouvez pas ?
_Vous menaçez ma famille...et dire que vous me demandiez pourquoi j'ai choisi l'Alliance...
_Votre réponse ?
Il chuchota quelque chose que je ne compris pas à cause du bourdonnement des filtres à air. Par réflexe, je me penchais en direction du détenu pour mieux saisir ses mots. Avant d'avoir pu comprendre quelque chose, je sentis une intense douleur me frapper au nez accompagnée d'un bruit mat et un liquide frais couler sur mon cou et arroser mon costume sur mesure. L'ancien sénateur venait de me frapper d'un formidable coup de tête.
Les matons se précipitèrent sur Namoun et lui firent regretter son acte à coups de matraque et de schlague. Plaquant une main contre mon nez brisé et secouant la tête pour dissiper les étoiles qui se formaient devant mes yeux, je levai ma main libre en signe d'interdiction aux deux gardiens.
_Non ! articulais-je tant bien que mal. Reconduisez-le en cellule. Et personne ne le touche jusqu'à mon contre-ordre. Exécution ! hurlais-je.
Les soldats arrêtèrent immédiatement de frapper le rebelle, l'arrachèrent de son tabouret et le ramenèrent dans sa geôle. Étouffant une série de jurons, je fouillai mes poches à la recherche d'un mouchoir ou de quelque chose à plaquer sur mon nez. Ne trouvant rien, j'ouvris la porte de la salle d'interrogatoire et hurlai à la sentinelle de m'apporter quelque chose. Les hommes partirent comme des flèches dans les tréfonds des couloirs du BSI tandis que je regagnai tant bien que mal le rez de chaussée, essayant d'oublier la douleur sourde qui se communiquait à tout mon visage.
J'avais atteint le hall lorsque une sentinelle me rattrapa, me tendant un chiffon à la propreté douteuse. En grommelant, je le plaquais sur mon nez en évitant d'appuyer trop fort sur la zone endolorie. Je jetai un coup d'oeil à mon reflet, aperçu dans le marbre de l'entrée et fronçai les sourcils devant les dégats infligées à mon costume de soie. Ce n'était pas comme s'il m'avait coûté personnellement une fortune puisque depuis que j'étais haut placé au COMPORN, je ne payais pratiquement plus rien mais mes tenues de luxe étaient importantes pour mon image. Je ne pouvais raisonnablement pas être le numéro deux du Comité avec une chemise à moitié recouverte de sang.
_Monsieur le Délégué, je suis absolument navré !
Je me retournai vers l'homme qui m'interpellait ainsi et vis le Commandant Sollaine, le chef suprême du Bureau de Sécurité Impérial se précipiter vers moi pour se confondre en excuses, expliquant que ses hommes auraient du surveiller encore d'avantage le prisonnier. Sollaine avait été pendant longtemps un bras droit loyal envers l'Empire et le Comité, bien que dévoré d'ambition, rêvant de remplacer Vador aux côtés de Palpatine. Mais l'an dernier, Sollaine avait échoué lors d'une mission spéciale visant à démasquer et à capturer une taupe rebelle infiltrée dans les plus hauts-rangs de l'Empire.
S'il avait finalement identifié l'agent infiltré, qui se révéla être Rivoche Tarkin, la propre nièce du Grand Moff, Sollaine n'avait pas réussi à la faire prisonnière et pour cet échec, mis au placard par Sa Majesté. De nombreuses rumeurs circulaient depuis, sur le fait que Vador lui-même avait tout prévu pour griller politiquement le chef du BSI. Personnellement, du moment que le Bureau de Sécurité Impérial continuait à faire son travail et à obéir au Comité avant tout, je me moquais complètement du reste.
_Vos hommes n'y sont pour rien, dis-je au travers du chiffon. Je n'aurais pas dû me pencher vers lui, c'est entièrement ma faute.
_Tout de même, commenta Sollaine en secouant la tête, ces terroristes...soyez sûr qu'il va regretter ce qu'il vient de vous faire.
_Comme je l'ai ordonné en salle d'interrogatoire, j'interdis qu'on touche à Namoun...pour l'instant. Traitez-le convenablement et veillez à ce qu'il mange bien.
_Si je peux me permettre monsieur le Délégué, questionna le Commandant en passant sa prothèse robotique dans ses cheveux noirs coupés courts, il vous a quand même lâchement agressé. Un petite séance avec un IT-O lui ferait le plus grand bien...
_Namoun sera puni pour ce qu'il m'a fait en temps et en heures. L'Inquisotorius continue de rêver de mettre la main dessus et maintenant, il est à nous. Les Renseignements Impériaux seront prêts à négocier très cher pour qu'on le leur livre.
_Vous pensez vraiment qu'Isard sera prête à nous donner quelque chose pour Xam ? Sans vouloir vous offenser monsieur le Délégué, j'ai déjà vu un armadid plus ouvert à la discussion que Coeur de Glace.
Je pouffais au trait d'humour de Sollaine et je n'aurais probablement pas dû, eut égard à la décharge électrique de douleur qui parcourut le milieu de mon visage.
_Moi aussi je préférais Isard père, soufflais-je lorsque la douleur diminua. Lui au moins, il savait où était sa place et mis à part bien servir l'Empire, il n'avait pas de grandes ambitions. Mais on fait avec ce qu'on a.
Au COMPORN, nous avions tous beaucoup perdu quand Armand Isard, le chef des Renseignements Impériaux, les rivaux du BSI avait été exécuté sur ordre de Palpatine, pour le punir des vols de l'Etoile Noire, juste après la défaite de Yavin.
Si dans l'absolu, Isard aurait été une menace le jour où le Comité prendrait le pouvoir, il serait resté probablement ouvert à la négociation et nous aurions sans doute pu le rallier à notre cause. Mais Ysanne Isard, sa fille et héritière à la tête des Renseignements Impériaux était bien plus dangereuse que son géniteur. Pas tellement parce qu'elle était dévorée par l'ambition mais parce qu'elle avait les moyens de nourrir ses rêves et de leur faire prendre corps.
_Vous devriez passer à l'infirmerie monsieur le Délégué, me conseilla le Commandant.
_Ca ira, rétorquais-je. J'ai survécu à deux attentats. C'est pas un nez cassé qui m’empêchera de bien servir l'Empire...et puis je trouve que c'est pas si cher payé pour avoir mis la main sur l'homme de confiance de Bel Iblis et des autres leaders rebelles.
Sollaine se borna à hocher la tête. Nous discutâmes encore quelques instants de choses et d'autres, fîmes le salut impérial et je quittai les locaux du BSI. Alors que je m'éloignais du parvis des bâtiments de la police secrète, je laissais lentement mes sentiments reprendre leur place. C'était une aide psychologique que j'avais adoptée au fil des années, lorsque je devais me rendre dans de tels lieux. J'enfermais mes émotions dans un coin de ma tête, les gardant bien au chaud pour qu'elles ne m'importunent pas lorsque je croisais le regard brisé des prisonniers ou que je ne flanche pas devant un interrogatoire particulièrement affreux.
J'aurais aimé vous dire qu'on s'habituait à ce genre de chose au bout d'un moment, que voir un bourreau du BSI briser les articulations d'un suspect à coups de marteau énergétique ne provoquait guère plus qu'un haussement de sourcil ou qu'on était insensible lorsqu'on observait un homme devant lequel on torturait sa famille pour le faire parler. C'était peut-être vrai pour certains mais pas pour moi. Ma conscience se rappelait perpétuellement à moi en me martelant d'images sanglantes et de souvenirs douloureux. Je n'avais pas la chance de pouvoir comme d'autres, y prendre goût et retourner la souffrance en plaisir pour supporter mes actes.
Moi, je me bornai à faire ce que je devais faire. Je dirigeai pratiquement l'organisation la plus puissante de l'Empire avec tout ce que cela impliquait comme responsabilités.
Soyons honnêtes, la majeure partie de mon travail, tenter de créer une galaxie meilleure était quelque chose qui me motivait et qui me plaisait. Tous les avantages qui y étaient attachés, comme la célébrité, la richesse et le pouvoir me grisaient agréablement.
Mais je devais accepter ma tâche dans son entier. Et l'éradication de la Rébellion, comme des tous les ennemis de l'Etat en faisait partie.
Après tout, chaque métier comporte des parties désagréables : avant de jouer sur scène à tourbillonner, un danseur devra faire souffrir son corps pendant plusieurs heures à l'entraînement et après avoir nourri ses clients, un restaurateur devra nettoyer son établissement pour tout recommencer le lendemain.
Le poste de chef occulte du COMPORN ne coupait pas plus à cette règle que n'importe quel autre travail.
Peut-être juste une question d'échelle.
Je regroupai mon index et mon majeur ensemble avant d'effleurer prudemment l'arrête de mon nez. J'avais beau être sous anti-douleur, j'avais besoin de sentir les restes de ma blessure, comme pour m'assurer qu'elle était bien là. Mes doigts se promenèrent sur l’arrête de mon nez au travers du panssement immaculé qui le recouvrait. Je me sentais parfaitement stupide avec cet attirail au beau milieu du visage mais qui aurait osé me faire la moindre remarque ?
Que quelqu'un se risque à faire une plaisanterie et j'avais tout pouvoir de le faire disparaître à jamais dans la plus profonde des gêoles du BSI, pourquoi pas le faire abattre en pleine rue par la CompForce ou encore le faire rosser par les miliciens Subs-Adultes.
J'avais eu de la chance cela dit : le coup de tête de Namoun avait brisé le cartilage assez proprement. Les médecins n'avaient concrètement rien eu de plus à faire que rassembler les morceaux et les maintenir ensemble en attendant la reconstruction. J'aurais une multitude de petites cicatrices, comme un puzzle et sans doute une voix un peu étrange durant les premières semaines de ma convalescence puis tout repartirait comme avant.
Je vivais déjà avec un poumon estropié et avais été manchot durant de longues semaines. La perte de l'odorat pour quelques temps n'était pas si catastrophique en fin de compte.
_Il vous a pas raté ce salopard, commenta Snaaned d'un petit signe de tête.
Un truisme maintenant ? Par les canyons de cristal...mis à part un fusil en main, le milicien n'était décidément pas bon à grand chose. Et encore. On ne pouvait pas dire que les auxiliaires de la CompForce étaient réellement des soldats, contrairement à ce qu'ils pensaient. Certes, ils étaient souvent au feu mais ils étaient le plus souvent chargés de tout le sale travail à faire en zone conquise une fois la bataille terminée. L'élimination de prisonniers en masse était leur grande spécialité. Ce n'était pas un hasard si l'essentiel de ces hommes étaient des brigands ou des violeurs qui une fois arrêtés, avaient eu le choix encore la prison ou la Phalange.
Mais pourquoi avait-il fallu que moi et Snaaned se retrouvions au même endroit au même moment ? Je haïssais les coïncidences.
Je préférais ne rien répondre et porter mon attention sur l'entraînement qui se tenait à quelques pas de nous, sous la supervision des soldats-instructeurs de la CompForce. Contrairement à l'armée régulière, qui entrainait ses hommes dans de coûteuses simulations holographiques, l'armée politique du Comité préférait faire ses exercices en conditions réelles.
C'était pour cela que les recrues qui s'étaient présentées aujourd'hui et qui devaient traverser un champ de bataille sous un feu nourri s'abritaient derrière de véritables mottes de terre, voyaient l'herbe roussir à quelques cheveux d'eux quand un soldat les manquait et ressentaient une douleur à la limite du supportable quand le tir ne ratait pas.
La puissance des blasters des soldats d'entraînement étaient conçus pour paralyser ou blesser, selon le rôle défini à l'avance par le schéma de l'exercice. Bien que les plus radicaux de la CompForce demandaient depuis des cycles à ce qu'on autorise les tirs à pleine puissance, j'avais toujours réussi à faire maintenir les salves non-mortelles.
88 % d'échec aux entraînements me semblait être une barre assez haute en soi.
Pas la peine de rajouter la létalité dans l'équation.
Le centre d'entraînement de la CompForce n'était pratiquement qu'un champ de bataille perpétuel. Même le mess ou les quartiers des officiers étaient inclus dans les terrains d'entraînements, pour que les soldats restent toujours aux aguets. Après tout, il n'était pas rare que sur un vrai théâtre de guerre, le QG se retrouve soumis au feu ennemi ou à un bombardement massif, ce qui satisfaisait pleinement les hommes car comme se plaisait à le répéter le Colonel Kraik "la guerre non-stop est la seule chose qui tienne un soldat en vie".
Cette antithèse qui pouvait sembler absurde en mots prenait étrangement corps sur le terrain. Sans action, un soldat finissait par relâcher son attention, par baisser la garde. J'avais eu l'occasion de le constater de mes yeux vus à forcer d'arpenter les champs de bataille.
Une grenade lancée un peu plus correctement que les autres finit sa trajectoire au beau milieu d'un petit groupe d'aspirants qui sautèrent le plus loin possible de l'explosif avant qu'il ne les réduise en bouillie. Une gerbe de feu, de terre et de brins d'herbe carbonisés les recouvrirent comme un linceul. La grenade n'était réglée qu'en position assommante mais d'aussi près, elle était aussi mortelle qu'un tir de blaster en pleine tête.
On ne donna aucun ordre pour arrêter l'entraînement. Des conditions réelles étaient des conditions réelles. Une véritable bataille ne s'arrêtait pas aux premiers morts. Bien au contraire.
C'était peut-être à cause de Fejor, de Fyr ou de toutes les autres planètes sur lesquelles j'avais vu des atrocités mais je n'eus guère plus d'une pensée pour les hommes qui venaient de mourir devant moi. Sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi, je me mis à songer à la partie de dejarik que j'avais disputé avec ma fille ce matin-même et comment elle m'avait battue à platte couture. J'aurais sans doute dû mieux protéger mon houjik.
Mine de rien, ça commençait à faire un moment que je n'avais pas gagné contre Eesla à un jeu de société. Il est vrai que laissée aux bons soins de droïdes précepteurs depuis la mort de Dakcen, son contact avec le monde s'était encore appauvri et qu'elle passait le plus clair de son temps plongée dans des jeux de pazaak ou d'holoéchecs. Je savais bien que la garder dans une bulle n'était pas la meilleure chose à faire pour son développement mais je voulais à tout prix la garder de l'idéologie spéciste impériale. D'un autre côté, Eesla grandissait. Elle venait d'avoir ses premières règles et son corps se modifiait. Psychologiquement aussi, elle commençait à me contredire sur de nombreux points et à prendre le contre-pied de mes idées. Je savais très bien que je devrais un jour ou l'autre la laisser faire ses propres erreurs, tester ses limites mais pour le moment, je n'y étais pas encore résolu. Elle était encore ma petite fille pendant quelques mois. Et si lui laisser encore un peu la bride sur le cou pour pouvoir l'aimer de tout mon saoul provoquerait une crise d'adolescence plus violente que les tirs de cent super destroyers, j'étais prêt à payer ce prix.
Je sortis de mes pensées quand le Colonel Kraik escalada le talus pour me serrer la main. Hormis une nuée de balafres à l'arrière du crâne, il semblait plutôt en forme.
_Alsh, qu'est-ce qui vous est arrivé ? Un croche-patte d'un gratte-filmplast trop ambitieux ?
_Si seulement...juste que je devrais éviter de trop m'approcher des prisonniers. Ca me servira de leçon à l'avenir.
_Une cicatrice de plus. Vous savez qu'à la CompForce, on dit que ce sont les médailles de la vie ? Puisque elles s'accrochent directement sur la peau.
_Pour un nez cassé ? pouffais-je. Vous êtes généreux avec moi Redra.
Je réussis à arracher un sourire au militaire :
_D'accord, je parlais plus de votre blessure à la poitrine ou à l'époque où vous aviez la main en bouillie.
_C'était des attentats, dis-je en haussant les épaules. Ca compte pas : j'ai jamais été blessé sur le terrain. Je reste un homme de bureau.
_Mais au moins vous y êtes allé. Je connais plus d'un bureaucrate qui serait resté sur Coruscant à se planquer derrière son fauteuil pour pas partir au feu.
_Vous me flattez trop Redra. Continuez comme ça et on va finir par croire que c'est moi qui suis plus gradé que vous.
Le sourire se mua en rire :
_A la CompForce peut-être. Mais on sait qui tire vraiment les ficelles au Comité pas vrai ? me demanda t-il en me faisant un clin d'oeil.
Le regard du militaire se porta sur Snaaned et toute joie quitta son visage. Kraik reprit son ton martial habituel.
_Lieutenant...je dois dire que je suis assez déçu de vos hommes. Les résultats sont très mauvais. Le jour où la Phalange comprendra qu'elle doit servir d'appui-feu aux troupes de la CompForce au lieu de se jeter dans la mêlée avec pas plus de réflexion qu'un neimoidien qui trouve un décicrédit par terre, on aura fait un pas de TB-TT en avant.
Placé dos au mur, le milicien bomba le torse et tenta de se défendre tant bien que mal :
_Vous semblez oublier Colonel, que mes hommes se sont pas engagés pour rester à l'arrière à vous servir de chauffeurs ou à creuser des chiottes en pleine nature pendant que les vôtres vont au feu et ont toute la gloire. La Phalange aussi doit avoir sa part d'honneur.
_Vos hommes sont ratachés à la CompForce et la première chose pour laquelle ils se sont engagés, rectifia Kraik, c'est l'obéissance ! Si je demande à mille de vos guerriers de faire la danse du voile zeltronne, ils ont intérêt à exécuter mes instructions sans réfléchir. Sinon, ça se finit au poteau...
Leur dispute m'ennuyait. C'était un problème à double sens depuis que la Phalange avait fait ses preuves sur Fyr et grossi en importance. C'était désormais une sorte d'armée mercenaire, ultra-spéciste, envoyée aux quatre coins de la galaxie pour soutenir l'action de la CompForce. Elle recrutait en masse, principalement car chaque nouveau membre de l'organisation voyait son nom et son casier judiciaire effacés. Une porte de sortie plutôt attractive pour toute la lie de l'univers.
Résultat des courses, la Phalange était une armée monstrueuse quoique très indisciplinée, chargée d'appuyer l'armée politique du Comité, qui était bien moins nombreuse et mille fois plus rigoureuse.
Je tolérais la Phalange pour l'instant car elle nous servirait dans la lutte pour le pouvoir. La CompForce seule ne tiendrait pas numériquement le coup face à l'armée régulière même si j'étais persuadé que des unités loyalistes finiraient par nous rallier à un moment ou à un autre.
Cela dit, après la mort de l'Empereur, quand le Comité s'imposerait comme seul garant de la pax imperia et que nous aurions stabilisé la galaxie, la Phalange s'avérerait être un poids mort. Et on s'en débarrasserait. Personne n'irait pleurer la mort de voleurs, de meurtriers et de psychopathes auxquels on avait donné un fusil, un semblant d'uniforme et qui avaient joué aux soldats quelques temps.
_Messieurs, dis-je en haussant la voix pour éviter de me faire couvrir par le bruit des blasters. Quand vous aurez fini de vous entretuer, nous pourrions peut-être nous mettre au travail, non ?
Les deux hommes arrêtèrent brutalement là leur dispute et hochèrent la tête de concert. Je fis signe à Kraik de venir parler dans un endroit où les explosions et les tirs ne masqueraient pas l'essentiel de notre discussion. Il accepta de me suivre à l'entrée de la salle d'entraînement, laissant Snaaned sur le talus, peut-être dans l'espoir qu'une grenade perdue le débarrasse du phalangiste.
_Combien de temps on va devoir supporter ces dingues Alsh ? me demanda t-il dès que nous fûmes à l'écart. Mes hommes commencent à se demander s'il ne vaut pas mieux tirer sur les phalangistes que sur les rebelles pour gagner une bataille...
_La Phalange est un mal nécessaire, exposais-je d'un ton posé. Pour l'instant, je demande à vous et à vos hommes de les tolérer. Et d'éviter les "accidents de tir". Si les miliciens se mettent à comprendre quelque chose et à se retourner contre nous, on aura un sérieux problème sur les bras.
_Rien qu'on ne pourra résoudre, affirma le militaire d'un ton martial.
_Vous avez essayé de penser aux dégâts que feraient les millions d'hommes de la Phalange lâchés dans une cité-monde comme Coruscant ? J'ose même pas imaginer tout ce qu'ils détruiraient, sans parler de l'émeute que leur révolte provoquerait.
Kraik eut un geste de la tête, comme pour me concéder ce point.
_On les garde sous contrôle pour l'instant, repris-je. On endort leur méfiance, on fait le dos rond.
_Et quand viendra le moment...poursuivit le soldat.
_...vous pourrez loger personnellement autant de cartouches dans la tête du lieutenant Snaaned que vous le souhaiterez. Mais si j'étais vous, je tirerais ailleurs. Le cerveau ne doit pas être un organe vital chez lui, conclus-je en faisant un clin d'oeil.
Le rire du militaire fit écho à ma plaisanterie.
_Vous avez raison Alsh. Je viserais pas le cœur non plus alors, me glissa t-il avec un sourire entendu.
_Y a plus important dont je voulais parler avec vous, enchainais-je après une courte pause. Est-ce que vos premières unités se sont déployées sur Vax III ?
_Affirmatif, me répondit Kraik. Les hommes de la Troisième Division, l'unité qui est directement sous mes ordres s'habituent au moment où nous parlons aux installations de la lune. C'est une belle petite forteresse que vous avez fait construire. Si les rebelles décident d'attaquer, ils en seront pour leurs frais.
_Tant que la Troisième Division n'est pas parfaitement accoutumée à Vax, je refuse qu'elle soit relevée. Quand Vax III servira pour de bon, je veux que les soldats sachent parfaitement se servir du moindre recoin à des fins tactiques.
_Y aura aucun problème, me jura Kraik. La Troisième Division est peut-être pas la plus nombreuse de la CompForce mais elle apprend vite. Dans moins de trois semaines, on pourra passer aux tests en conditions réelles.
_Parfait. Tout ce que je veux, c'est que Vax soit pleinement opérationnelle au plus vite.
_Quelque chose presse ?
Devais-je dire à Kraik que notre victoire imminente sur l'Alliance Rebelle serait la période idéale où prendre le pouvoir ? Après tout, l'Armée était dispersée dans toute la galaxie, jetant ses dernières forces dans l'ultime combat. Après notre triomphe, les stormtroopers seraient exsangues, incapables d'arrêter un coup d'Etat en bonne et due forme. Enfin, "coup d'Etat". Ca serait la continuité légitime du régime de Palpatine. Mais bien entendu, pour que le COMPORN prenne place sur le trône, l'Empereur devait le quitter. D'une manière ou d'une autre.
_Rien de spécial, mentis-je avec aplomb à Kraik. Mais le plus tôt sera le mieux.
Oh oui...plus tôt le Comité ferait ce à quoi il avait toujours été destiné sera le mieux pour la galaxie toute entière...
Appeler la Zone de Protection Alien "cloaque", "décharge" ou encore "égout à ciel ouvert" aurait été une insulte pour ces trois derniers termes. En fait, je me demandais si on pouvait apposer un adjectif péjoratif aux ZPA, tant le nom charriait avec lui une image dégradante, malodorante et infestée de vermine. A bien y réfléchir, traiter la ZPA de Coruscant de "ghetto alien" était presque un geste d'euphémisme comparé à la réalité crue.
La Zone de Protection Alien s'étendait sur des centaines de klicks, découpés en plusieurs quartiers au dernier niveau inférieur de la cité-monde. Non pas dans les quartiers pauvres mais à même la surface, là où le soleil n'arrivait jamais, occulté par les immenses tours dont on ne voyait même pas les premiers niveaux tant ils semblaient se perdre à des centaines de klicks de hauteur.
A l'époque de l'Ancienne République et dans les premiers temps de l'Ordre Nouveau, le sol de Coruscant avait servi à ce qu'il servait depuis des générations. C'était le domaine du crime et du meurtre, du proxénétisme et du trafic de drogue. L'illégalité avait été la seule manière de survivre et de vivoter pour des centaines de milliers de personnes. Elles se retrouvaient là après avoir tout perdu, suite à une trahison ou bien elles étaient nées dans cette fange qu'elles appelaient "maison". A l'époque, la police ne s'aventurait jamais dans les quartiers miséreux et même le stormtroopers, connus pour leur loyauté sans faille, rechignaient à y aller sans un équipement extrêmement lourd.
Lorsque la loi sur les ZPA fut votée, dix-huit ans auparavant, défendue à la tribune par le jeune avocat général que j'étais alors, on décida d'installer celle de Coruscant directement aux niveaux inférieurs. Pourquoi s'embêter à bâtir un ghetto alors qu'on en avait déjà un prêt à l'emploi ?
Afin de suivre la ligne politique, on chassa les humains qui résidaient dans les quartiers pauvres, les envoyant pour la plupart sur Kessel, les autres, dans d'autres colonies pénitentiaires ou vaisseaux-prison. Une ZPA ne pouvait avoir par définition, d'hôte humain. On ne fit rien en revanche, pour toute la population alien qui habitait déjà dans les ghettos. Après tout, ils étaient déjà sur place. Et tant pis s'ils n'avaient rien fait contre l'Empire.
On laissa l'essentiel des bâtiments en état, permettant même la construction de quelques magasins et d'un semblant d'autorité politique, avec la création d'un Conseil Alien. C'était en réalité un pouvoir fantoche afin de faire croire à la population non-humaine que le régime impérial respectait encore un peu les lois. Dans les faits, le Conseil Alien avait autant de pouvoir qu'un ange des cendres en avait sur la gravité de Sullust.
Les Subs-Adultes déployèrent des barbelés à chaque extrémité du ghetto, déployant également des nids à mitrailleuses et des tours de gardes. Des soldats de la CompForce se postèrent à la limite de la ZPA avec pour instruction de tirer à vue au premier non-humain sans sauf-conduit qui tenterait de franchir les points de passage. Enfin, les SA y organisaient régulièrement des pogroms, pénétrant dans la ZPA, bastonnant celles et ceux qu'ils trouvaient pour le simple plaisir de faire mal et de casser quelque chose.
Cela dit, tous les aliens de Coruscant ne se retrouvaient pas nécessairement dans la Zone de Protection Alien : ceux qui collaboraient avec nous, qui ne faisaient pas de vague ou qui dénonçaient leurs voisins pour activité séditieuse étaient plus ou moins protégés. Ce qui ne voulait pas dire qu'un beau matin, la porte de leur studio pouvait être enfoncée par nos hommes qui les conduisaient manu militari au ghetto alien, les laissant à peine prendre de quoi manger et de quoi vivre. On les embarquait dans une navette de transport qui faisait route jusqu'à la ZPA avant de stationner à un mètre du sol crasseux. Puis, sans même prendre la peine de se poser, le pilote ouvrait la porte arrière de l'appareil et les soldats poussaient le futur "résident" dans son futur lieu de torture d'un bon coup de pied dans l'arrière train ou d'un vigoureux coup de crosse entre les omoplates, au choix des militaires.
Puis, sans même vérifier si l'alien ne s'était pas fait mal en tombant, la navette reprenait de l'altitude et disparaissait au loin. Quelquefois, pour s'amuser, le pilote faisait descendre la navette si bas que bien des non-humains tentaient d'y grimper, dans un élan de survie. L'occasion rêvée pour que les gardes du vaisseau s'entraînent à ajuster le tir de leurs E-11.
Étrangement, la population des ghettos ne s'était jamais soulevée, trop brisée moralement pour tenter quelque chose. L’instinct de survie avait pris le pas sur la dignité. Les surplus de rations militaires à moitié périmées larguées chaque semaine par nos soins au dessus de la ZPA leur apportaient à peine les calories nécessaires pour tenir jusqu'au prochain envoi mais ils s'en accommodaient.
Après tout, il n'avait pas vraiment le choix.
Non, pas le choix du tout en fait.
Mis à part l'arrivée régulière de nouveaux "résidents" et le droppage hebdomadaire de nourriture, les seuls contacts de la ZPA de Coruscant avec le monde extérieur était, si on occultait les réguliers pogroms des SA, les reportages des différents médias, toujours désireux de faire un peu de propagande et de montrer au citoyen coruscanti bien installé devant son écran d'Holonet combien cette quarantaine raciale était nécéssaire à la survie de l'espèce humaine. Tous les journalistes étaient cependant, sous le regard vigilant des hommes de la CompForce, prompts à intervenir si quelque chose se passait mal. Par exemple, si une holocaméra filmait la réalité de ces camps de détention en puissance, par exemple.
Dans ce cas là, quelques sous-entendus appuyés et quelques coups de schlague pour la forme poussait l'équipe de journalistes à remettre aux soldats les enregistrements et à aller se faire pendre ailleurs. Et si quelques reporters avaient la mauvaise idée de protester au nom du droit à l'image et à l'information, ils payaient généralement leur excès de déontologie par leur vie. Des accidents de tir étaient vite arrivés en Zone de Protection Alien.
Alors que mon airspeeder s'enfonçait plus profondément de minutes en minutes dans le dédale des niveaux inférieurs, franchissant les nuées de vaisseaux atmosphériques qui se faisaient de plus en plus rare à cette hauteur-ci de la cité-monde, j'observais par la fenêtre la nuit perpétuelle remplaçer les lueurs orangées des couches de pollution à une vitesse ahurissante. On avait l'impression de voir une de ces vidéos accélérées de l'Holonet où l'obscurité dévorait le paysage en quelques secondes.
Après quelques secondes dans ce que je crus être le noir absolu, nous franchîmes un magma de néons et d'enseignes tapageuses aux couleurs criardes, comme si l'excès de couleurs était une piqûre de rappel qui permettait d'exister et de survivre à ce niveau de Triple Zéro où plus rien, hormis les ténèbres ne frappait la rétine.
Enfin, mon chauffeur atteint les derniers klicks de Coruscant. Sa base, celle où toute la cité-monde reposait. Contrairement à ce que j'avais pu penser, bien que les rayons du soleil ne dardaient pas le sol, l'obscurité n'y régnait pas en maîtresse absolue. Au contraire même. De puissants projecteurs envoyaient une lumière crue et presque blanche aux alentours. Le contraste était si violent avec le monde de la nuit quelques étages au dessus que mes yeux mirent de longues dizaines de secondes à chasser les étoiles de mon champ de vision. L'airspeeder se posa et mon chauffeur descendit le premier avant de m'ouvrir la portière. Alors que la semelle de ma botte effectuait son premier contact avec le sol coruscanti, mes narines furent agressées par des miasmes nauséabondes, un mélange de pourriture, d'excréments et de lait cru fermenté. Comme si mon nez tout juste cicatrisé n'avait pas assez souffert ces derniers temps.
J'eus une grimace de dégoût et ravalai ma salive, tout en me forçant à m'habituer à cette odeur. J'allais devoir la côtoyer pendant quelques heures alors autant m'y faire.
Mon chauffeur, suivant mes ordres à la lettre resta sur place à entretenir le speeder tandis que j'avançais droit devant moi, vers la ZPA et ses premiers checkpoints.
Les spots éclairaient les bas-fonds de manière irrégulière, de grands cercles de lumière pure qui semblaient dessiner une sorte de chemin. A chaque fois que l'on quittait un de ces ronds et avant d'entrer dans un nouveau cercle, on passait par un anneau de ténèbres, si noir qu'on se serait cru dans l'espace lui-même.
Enfin, je distinguais des silhouettes blanches et noires au loin, des longs fils hérissés de piquants et ce qui me semblait être des tours de garde. En me rapprochant, je pus confirmer mes hypothèses, aidé par la grande inscription en aurebesh qui proclamait, peinte sur un panneau dressé à l'entrée : "checkpoint sud-est de la Zone de Protection Alien de Coruscant. Fin de la civilisation."
Connaissant le COMPORN comme je le connaissais, je n'étais même pas sûr que la remarque soit ironique. La ou les personnes qui avaient marqué cela devaient probablement le penser.
Quelques soldats firent des gestes du menton à leurs camarades, qui par respect du protocole, allèrent prendre position à leurs postes de combat pendant qu'une petite délégation allait à ma rencontre, sans doute pour vérifier mes papiers. Mais cela ne fut pas la peine quand je sortis du dernier anneau d'obscurité pour rejoindre réellement le checkpoint et que les soldats me virent de leurs yeux vus. La délégation s'arrêta net et lançant son bras en avant, elle fit le salut impérial plusieurs fois, imitée très rapidement par ses camarades à quelques mètres de nous. Un sous-officier s'approcha timidement de moi et bégaya :
_Monsieur le Délégué...vous ici...c'est un tel honneur...excusez-nous si nous vous avons semblés agressifs monsieur le Délégué, c'est juste que...
_Vous ne faites que votre travail caporal, le coupais-je. Qui est de filtrer les entrées et les sorties de la ZPA. C'est tout à fait normal. Voici mes papiers, lui dis-je en lui tendant ma carte de haut cadre du Comité.
_Voyons monsieur le Délégué à la Communication et aux Relations Publiques...tout le monde vous connaît bien au Comité. C'est vraiment pas la peine de...
_Et si j'étais un espion rebelle déguisé ou avec une chirurgie faciale ou que sais-je encore ? La loi est la même pour tous caporal. Alors j'insiste pour ne pas être une exception.
_Oui, vous avez raison monsieur le Délégué...absolument monsieur le Délégué, bredouilla l'homme en saisissant d'une main tremblante ma carte et en la passant à un de ses camarades munis d'un scan.
Il était évident que j'aurais pu me dispenser de ce banal contrôle somme toute inutile mais il renforçait encore mon image de chef près de ses hommes, qui les comprend et les respecte, se pliant aux mêmes règles que n'importe qui, peu importe son rang ou sa classe. Quelques minutes d'examen plus tard, ma carte me fut rendue.
_Si vous voulez bien me suivre monsieur le Délégué, murmura le caporal en faisant un geste de la main vers le ghetto alien. Je vais vous faire entrer dans la ZPA.
Alors que je m'approchai de lieu que j'avais fait créer par ma suggestion, il y a dix-huit ans, l'odeur nauséabonde gagna en intensité. Le sous-officier qui ouvrait la marche s'en excusa pour moi.
_Navré monsieur le Délégué. Nous avons bien essayé d'inculquer la propreté et l'hygiène à ces sauvages mais ils ne comprennent rien. Leurs déchets pourrissent dans les rues et ils brûlent leurs cadavres au grand air. Nos SA essayent régulièrement de leur faire comprendre le savoir-vivre à coups de matraque électrique mais si un alien était du genre intelligent, ça se saurait !
Je ne répliquai pas, focalisant mon attention sur le grand édifice qui se détachait peu à peu devant moi, étonné de ne pas l'avoir vu plus tôt, perdu dans les ténèbres. C'était une grande statue de bronzium, représentant un jeune homme à demi-nu, le corps sculpté par l'exercice physique, la main gauche placée sur sa poitrine, y plaquant une volée de feuillets portant le noms de différents décrets spécistes tandis que la bras droit exécutait un salut impérial dans les règles de l'art.
Repoussés par le bras virilement tendu, un groupe hétéroclite alien, armé de bâtons, de pierres et d'objets tranchants semblaient vouloir passer pour s'en prendre à deux jeunes enfants humains, qui s'abritaient derrière les mollets du jeune homme. En m'approchant de la statue, je pus lire la plaque qui y était apposée : "Le Sub-Adulte sauvant la civilisation humaine des hordes aliens cherchant à la détruire".
Le caporal leva les yeux à son tour vers la statue, avec un respect presque religieux.
_Y a des statues comme ça à chaque checkpoint de la ZPA, pour rappeler aux hommes leur mission sacrée. Y en a même une de vous.
_De moi ? demandais-je surpris.
_Bien sûr monsieur le Délégué. La plus belle et la plus grande, juste au centre de la Zone de Protection. Vous méritez bien ça. C'est grâce à vous que le Sénat a voté la première loi sur la quarantaine raciale. Sans vous, pérora t-il, embrassant le décor glauque d'un ample mouvement de bras, tout ceci n'existerait pas.
Je cherchais désespérément un ton ironique dans ses propos. Il n'y en avait pas.
Les camarades du caporal s'affairèrent autour de la grande barrière et la soulevèrent pour me dégager le passage. Avant que je ne puisse faire un pas de plus, un gigantesque soldat de la CompForce surgit d'une casemate, me salua à la volée et se plaça juste à ma droite.
_Cet homme assurera votre protection pendant que vous serez dans la ZPA monsieur le Délégué, me dit le caporal avec un hochement de tête.
Un chaperon ? Oh non, j'avais absolument besoin d'être seul dans le ghetto pour faire ce que j'avais à faire.
_Je vous remercie de votre aide caporal mais je crois que je vais me débrouiller seul, affirmais-je avec un petit sourire.
_Sauf votre respect, je peux pas vous laisser entrer sans protection monsieur le Délégué. C'est contraire au règlement.
_JE fais le règlement, précisais-je au sous-officier en adoptant un ton un peu plus dur. Je suis ici à titre complètement officieux, ma visite doit rester secrète. Est-ce que vous voyez la meute habituelle de secrétaires, d'aides de camp ou de simples lèches-bottes qui me suivent à la trace ?
_Négatif monsieur le Délégué...admit le militaire.
_Alors vous en déduisez que j'ai besoin d'être seul dans la ZPA. De toute façon, vos snipers couvrent tout le ghetto, non ?
_Effectivement, confirma le sous-officier.
_Alors si quelque chose se passe mal, ils n'ont qu'à tirer. Mais rassurez-vous, je ne compte rien faire de stupide.
_Monsieur le Délégué, je comprends parfaitement votre envie d'être seul mais...
_Est-ce que vous comprenez les ordres caporal Kienes ? lui demandais-je d'un ton sec en lisant son nom sur son armure. Je vais rentrer dans la ZPA seul, y faire ce que bon me semble et je repartirai quand j'en aurais envie. Vos hommes me protégeront de loin. Alors anticipons un peu : selon si mes ordres sont respectés ou non, j'aimerais savoir, si en ressortant, quand je vous croiserais, je saluerais le caporal-chef Kienes, un loyal sujet de Sa Majesté, récompensé pour s'être bien comporté à son poste ou bien le deuxième-classe Kienes, bouclé pour insubordination et non respect des consignes d'un officier supérieur ?
Kienes déglutit et baissa les yeux vers le sol boueux.
_Je vous prie de m'excuser monsieur le Délégué. Il est évident que je suivrais vos consignes sans en discuter le bien-fondé.
_Parfait, lui glissais-je avec un petit sourire. Si tout se passe bien, lançais-je en le quittant et en franchissant la barrière, peut-être que je croiserais le sergent Kienes en sortant, qui sait ?
Les hommes de la CompForce se hâtèrent de refermer la porte derrière moi, me laissant enfin véritablement à l'intérieur de la Zone de Protection Alien de Coruscant.
Je la voyais enfin véritablement de mes propres yeux. Et par les canyons de cristal, c'était encore pire que tout ce que j'avais pu imaginer.
J'étais devant une mer de toiles. Partout où je portais le regard, je ne voyais que des milliers et des milliers de tentes, un gigantesque campement où chaque habitation était collée à sa voisine, faute de place.
Des feux de fortune brûlaient ici et là, assez éloignés des tentes, sans doute pour ne pas provoquer d'incendie. Je frémis en imaginant le campement prendre feu.
Et cette ville de toile bourdonnait. Au sens propre tout d'abord puisque de gros insectes voletaient en permanence au dessus des monceaux de détritus, qui traînaient ça et là sur le sol. Mais aussi au sens figuré puisque le ghetto débordait d'activité. Ici, je vis une famille arcona manger à même le plat avec leurs voisins, à l'entrée de leurs tentes. Là, deux siniteens discutaient âprement ce qui semblait être le prix d'une pièce de métal. Un groupe d'enfants nuknogs passa même devant moi en riant, en jouant à chat.
Moi qui avais toujours cru qu'une ZPA n'était qu'un mouroir...
J'allais de surprise en surprise en progressant dans le ghetto. Il semblait bien que même si les non-humains ne s'étaient pas retrouvés ici par choix, il s'en étaient accommodés. Mine de rien, la ZPA de Coruscant était une véritable petite ville. Bien sûr, les allées étaient crasseuses, bien sûr, les spots des tours de gardes placées régulièrement au milieu des tentes aveuglaient plus qu'ils n'éclairaient, bien sûr l'odeur était à la limite du supportable mais enfin, une impression de normalité se dégageait presque des lieux. C'était effrayant.
Globalement, les aliens évitaient de me regarder. Etait-ce parce qu'ils m'avaient reconnu et qu'ils craignaient de subir le courroux des snipers s'ils posaient trop longtemps les yeux vers moi ou simplement parce que plusieurs jours, semaines, mois ou années passées dans le ghetto leurs avaient appris à ne pas se mêler des affaires des humains quand ils pénétraient ici, je ne pouvais le dire. Il suffisait que je regarde un non-humain pour qu'il regarde brusquement ses pieds, ses pattes, ses tentacules ou ses mains, dans le cas particulier des dugs.
En m'éloignant petit à petit de la pointe sud-est de la Zone de Protection Alien, je vis les tentes se transformer lentement en taudis. Ce n'était guère rien de plus que quatre bouts de duracier collés entre eux à la va-vite, rafistolés avec ce qu'on trouvait au petit-bonheur-la-chance mais enfin, ces familles avaient un toit. Troué certes mais un toit quand même.
Je finis par arriver sur une sorte de petite place en étoile, d'où huit chemins différents partaient dans des directions différentes.
Je compris bien vite qu'ainsi, le schéma se répétant dans toute la ZPA, on pouvait découper le ghetto en petites zones, faciles à contrôler, à boucler et à réprimander en cas de problème.
Ne sachant pas dans quelle direction aller, ne voyant aucun panneau indicateur, je m'adressais à un gran qui, assis sur le sol, mangeait une sorte de sandwich peu engageant. Le non-humain sursauta et s'empressa de pointer ses trois yeux ailleurs que vers moi avant de m'indiquer mon chemin d'une voix chevrotante.
Je le remerciai de son aide et me mis en marche vers la route qui se trouvait à notre droite, celle qu'il m'avait indiqué. Alors que je continuai à marcher dans le ghetto, je croisai un groupe de jeunes SA dont le plus âgé ne devait pas avoir seize ans. Ils me saluèrent avec fougue et s'approchèrent de moi, pour s'assurer que je n'étais pas un sosie et que oui, le Petit Avocat en personne se tenait devant eux. Je leur signai des autographes, tentant de dissimuler mon mal-être en ces lieux. Eux semblaient parfaitement dans leur élément, en témoignait les traces de suie et de sang encore brillait qui maculait le plastron de leurs uniformes. Sans doute revenaient-ils d'un pogrom. Un des jeunes homme me confia une petite holocarte des environs et je l'en remerciai chaleureusement. Puis, les Subs-Adultes et moi-même nous quittèrent, chacun partant dans la direction opposée.
Aidé de l'holocarte, je me rendis compte que je n'étais pas si loin de la grand place, celle ou selon les dires de Kienes, ma statue y trônait. Incapable de résister à la tentation, je fis un détour.
La grand place ne s’appelait pas ainsi pour rien. C'était une immense zone circulaire de plusieurs dizaines de mètres qui, chose notable pour la ZPA était pavée. Exactement en son centre, je me vis, représenté sous les traits d'un géant de bronzinium immaculé, levant les yeux vers le ciel de Coruscant, un air de défi sur le visage et bien sûr, exécutant le salut du Comité. Quand on ne fait qu'un mètre soixante, se voir figuré par une statue quatre ou cinq fois plus grande, a quelque chose d'impressionnant. Quelque chose pendait au bout du bras droit de la statue, balloté par les vents et je dus plisser les yeux pour mieux la distinguer.
Avec un frisson d'horreur, je vis le cadavre d'un y'bith à moitié décomposé, se balancer tristement au bout d'une corde, une pancarte passée autour du cou. Il était simplement inscrit "Je suis un sale alien" en aurebesh.
Rien d'autre.
Le pire n'était peut-être pas qu'on pende des non-humains à une statue à mon effigie mais bien le fait que la foule aux alentours, qui passait devant elle ne levait même pas les yeux. Sans aucun doute, cela devait être un banal spectacle pour eux.
En m'approchant du socle de ma statue, je remarquai une série d'encoches gravées dans le bronzinium. Certaines semblaient âgées et poussiéreuses tandis que d'autres étaient encore brillantes, comme si elles avaient été faites quelques jours auparavant. La question posée à une bothan qui passait près de moi m'apprit que la CompForce tenait tout simplement à jour le nombre d'aliens pendus à ma statue.
Elle précisa qu'il y avait généralement une pendaison par semaine, des fois plus, des fois moins, au bon vouloir des soldats. Les motifs de la peine capitale pouvaient être réels, si la victime avait tenté de fuir le ghetto par exemple, totalement fantaisistes, comme lorsque elle me narra le cas de cette twi'lek pendue pour "vol et dissimulation de Star Destroyer Impérial" ou encore, sans motif aucun, comme c'était le cas pour le y'bith d'aujourd'hui.
Je refusai de compter le nombre d'encoches et repris ma route.
Par les étoiles noires...je savais bien que je n'avais rien à voir avec les ZPA, n'ayant fait que donner l'idée et plaider au Sénat pour leur existence, je ne pouvais m’empêcher de me dire qu'il aurait encore été plus humain de tous les passer par les armes. Et dire qu'à plusieurs centaines de klicks en hauteur, dans les beaux quartiers, on dansait, on s'amusait, on mangeait bien et on faisait l'amour sur des millions de cadavres en puissance.
Enfin...c'était sans doute le prix à payer pour le bien-être de Coruscant.
Les taudis firent place à de petites habitations branlantes en parabéton et à des sortes d'immeubles surpeuplés, prêts à s'écrouler si quelqu'un éternuait un peu trop fort.
Je stoppai devant ce que je pensais être ma destination, une bicoque grise, guère plus qu'une cabane en pierre. Je vérifiai rapidement ma position dans le ghetto sur l'holocarte et demandai à un quidam, qui confirma. Rassuré, j'allais jusqu'à la porte de bois vermoulue et frappai. Doucement tout d'abord, puis, plus énergiquement.
N'obtenant aucune réponse, je poussais la porte, à peine étonné par l’absence de verrou : qui irait voler quelque chose à quelqu'un ici ?
Je pénétrai dans une pièce si bas de plafond que je dus moi-même rentrer la tête dans les épaules et pourtant, je n'étais pas grand. Une sorte de cafard et un mille-pattes se battaient férocement juste devant mes bottes. Je les chassai de la pointe du pied, les laissant poursuivre leur affrontement ailleurs et refermai la porte derrière moi. Il faisait relativement chaud, la faute à un feu qui ronflait dans un semblant de cheminé.
L'âtre cela dit, semblait plus nourri par des débris de bois que par de véritables bûches.
Dire que le confort de la pièce était spartiate aurait été une hyperbole. Hormis une petite table en plastacier sale, un petit tabouret, un garde-manger à moitié vide et ce qui semblait être une vague cuisine presque encastrée dans le mur pierreux et nu, il n'y avait rien.
Tant et si bien que je commençais à me demander si elle n'était pas sortie quand je l'entendis.
Un souffle, une respiration irrégulière et difficile. Le bruit venait de l'âtre de la cheminée. Je m'approchai de ce dernier pour découvrir une couverture jetée sur une paillasse, qui se soulevait au rythme des inspirations de la personne qui était en dessous. Je posai ma main sur la forme allongée et tentai de la réveiller.
_Don ? C'est moi, Alsh.
La forme se retourna et me fit face. Je plaquai ma main libre sur ma bouche, croyant un instant que ce n'était pas elle tant elle était changée.
Amaigrie, elle n'avait plus que la peau sur les os, une peau craquelée et couverte de taches. Ses cheveux étaient gras et collés par la sueur autour de ses cornes, où ils formaient de disgracieux paquets. Enfin, de lourdes cernes violettes encadraient des yeux fiévreux et clairs comme la glace.
Dontika posa les yeux vers moi et sourit. Ou plutôt, tenta de sourire mais ne parvint qu'à grimacer.
_Tiens, tiens, tiens, murmura t-elle si bas que je dus presque coller mon oreille contre sa bouche pour capter ses paroles. Regardez qui nous fait l'honneur de sa visite. Le Petit Avocat en personne...
_Don, dis-je en lui posant la main sur le front, t'es brûlante ! Faut t'enmmener à l'hôpital tout de suite !
_Oh, mais répliqua t-elle, t'as oublié que les aliens peuvent pas avoir accès aux soins publics ? pouffa t-elle d'une toute petite voix. Article neuf, paragraphe six des Lois pour la Protection de la Race Humaine, récita t-elle sans s'arrêter de rire.
_Ils feront ce que j'ordonne ! répliquais-je en commençant à la dégager des couvertures.
_Laisse-moi tranquille ! m'ordonna t-elle en me repoussant du plat de la main avec une vigueur étonnante. Je veux pas aller dans un de vos hôpitaux humains...ils zigouillent les patients aliens avec des produits dans les médicaments...
_C'est faux, mentis-je. C'est de la propagande rebelle.
_Ah oui, la propagande...c'est vrai que t'es dans ça toi maintenant, déclara mon ancienne petite amie en se relevant lentement sur les coudes. Et ils savent au moins, tes copains que ton ex est une zabrak ?
Je repensai fugacement à Dakcen.
_Non. Plus personne de vivant en tout cas.
Elle rit :
_C'est drôle, commenta t-elle en avalant sa salive. Je suis en train de mourir tranquillement et là, t'apparaît. On croirait un de ces mauvais films sur l'Holonet...
_Tu vas pas mourir, lui assurais-je. Je peux te faire soigner, je peux...
Elle rit à nouveau :
_Je t'en prie...ça fait combien de temps que tu m'as quittée ? Vingt ans ?
_Dix-huit, précisais-je.
_Et ça en fait bientôt dix que je croupis ici, siffla t-elle d'une voix qui allait decrescendo. Et tu débarque maintenant, sur ton bel equine blanc...
_Je savais pas que t'étais ici. Mes hommes ont mis du temps à te retrouver.
C'était vrai. Je n'avais eu sa localisation précise dans la ZPA que le matin-même.
_Et qu'est-ce que ça change ? me demanda t-elle en haussant un sourcil. Si tu voulais te racheter une âme, t'arrives dix-huit ans trop tard. Alsh Nexhrn est mort le jour où il a accepté de plaider pour le COMPORN.
_J'en suis presque le chef maintenant, répliquais-je d'un ton un peu sec.
_Et le pire, continua t-elle sur sa lancée, c'est que je suis sûre qu'au fond de toi, tu te dégoûtes. Je sais que le vrai Alsh s'en veut et s'en voudra toute sa vie. Dis-moi Alsh...qu'est-ce que ça fait d'avoir le sang de milliards d'êtres sensibles sur les mains juste parce que t'es arrivé numéro deux à ta promo de droit ?
_Kolba'ra a triché, affirmais-je d'un ton sans appel.
_Et tu crois que même si c'est vrai, ça te donne une excuse ?
_Je...
_Je crois en fin de compte, grimaça t-elle en se rallongeant et en rabattant la couverture sur son corps fiévreux, que tu restes un petit garçon. Tu te remets jamais en question et si les choses ne vont pas dans le sens où tu veux, tu préfères créer une réalité qui te convient mieux plutôt que t'adapter comme une personne adulte.
_Est-ce qu'un enfant serait arrivé là où je suis aujourd'hui ? lui demandais-je, avec un air de défi.
_Tu changes de jouets, c'est tout, rétorqua Dontika en fermant les yeux une seconde. Oui, en fait, le Petit Avocat, c'est très bien trouvé comme surnom, conclut-elle en pouffant à nouveau.
_Tu as conscience que je pourrais te faire sérieusement regretter ce que tu viens de dire ?
_Et comment ? demanda t-elle en rouvrant les yeux et en roulant vers moi pour me fixer du regard. Tu comptes m'envoyer en taule ? La ZPA, c'est déjà une prison à ciel ouvert. On a rien à manger, les soldats nous tirent dessus pour s'amuser, les SA nous frappent sans raison...
_Je peux te sortir de là, lui assurais-je en prenant sa main dans la mienne.
Encore une fois, elle me repoussa :
_Arrête avec tes grands airs ! Si t'avais vraiment voulu me protéger, on serait partis tous les deux sur Anaxes, comme c'était prévu. On aurait pu être heureux là bas. Être une famille, avoir des enfants peut-être. Mais à la place, t'es devenu le numéro deux de la pire organisation criminelle de l'Empire pendant que moi, je croupissais dans le ghetto. Y a mieux comme happy end, persifla t-elle avant d'être interrompue par une violente quinte de toux.
Pendant un court instant, aucun de nous deux ne parla, le silence de la pièce n'étant troublé que par le crépitement de l'âtre.
_En fait, le plus à plaindre de nous deux, poursuivit-elle faiblement, c'est toi. Moi, je vais mourir aujourd'hui ou bien demain ou peut-être que ce sera moi que les soldats pendront avec une pancarte autour du cou. Mais toi Alsh...toi, vas vivre. Tu vas vivre jusqu'à la fin de tes jours avec le souvenir de toutes les horreurs dont tu es responsable. Juste pour flatter ton petit égo. Alors j'espère que tu vas vivre très longtemps. Pour que toutes les nuits, les fantômes de tes victimes viennent te hanter.
Je ne répondais pas et me relevai, la laissant seule près du feu. Alors que je franchissais la porte, elle s'adressa une dernière fois à moi :
_J'espère aussi pour toi que tu auras une bonne défense quand les dieux décideront ce qu'ils vont faire de toi.
_Je ne crois pas à l'Enfer, lui répondis-je d'un ton cinglant.
Elle rit une ultime fois, un rire entrecoupé de quintes de toux douloureuses :
_Effectivement. Il vaudrait mieux pour toi.
Puis, elle enfouit la tête sous les couvertures et ne dit plus un mot. Je sortis de la pièce en silence, soulagé de reprendre une goulée d'air, fut-il vicié après l'atmosphère morte de la minuscule maison de pierre. Je restai planté sur le perron pendant cinq bonnes minutes, hésitant sur la marche à suivre. Devais-je faire soigner et nourrir Dontika de force ? J'avais assez de pouvoir pour lui permettre de s'échapper loin des zones contrôlées par l'Empire. Mais le voudrait-elle ? J'en doutais. Et puis d'un autre côté, je ne devais pas oublier pourquoi je m'étais séparé d'elle dix-huit ans auparavant. Elle aurait été un frein à mon ascension au COMPORN et maintenant que j'en étais presque à sa tête, voilà que je me laissais gagner par des sentiments qui n'avaient plus lieu d'être.
Elle ne méritait pas mon aide.
Rebroussant chemin vers le checkpoint sud-est, je croisai à nouveau le groupe de jeunes SA que j'avais vu plus tôt. Leur donnant l'adresse exacte du taudis pierreux où se mourrait Dontika, je demandai aux jeunes hommes de s'y rendre et de faire un exemple des personnes qui se trouvaient à l'intérieur. Un exemple ferme et définitif.
Les Subs-Adultes hochèrent la tête avec empressement, ravis d'obéir à leur Délégué bien-aimé.
Je quittai la ZPA par le checkpoint sud-est, saluant le désormais caporal-chef Kienes et ses hommes avant de rejoindre mon airspeeder, en ayant guère plus d'une pensée pour l'ordre que je venais de donner aux SA. En fin de compte, je rendais service à mon ancienne petite amie. Cela allait mettre un terme définitif à sa souffrance.
Bien sûr, j'aurais pu ordonner de faire ça plus proprement.
Mais enfin, ceux qui m'insultaient finissaient toujours par le payer. Et peu importait au final, de qui il s'agissait.
Puisque la loi est la même pour tous...
Saisissant une cuillière en bois, je me mis à mélanger énergiquement les lambeaux de viande de nerf avec les oignons coupés en dés, tout en évitant de recouvrir les feux de cuisson d'huile brûlante. Je n'avais guère l'occasion de faire la cuisine la plupart du temps, tout simplement parce que je mangeais au mess des officiers de la CompForce ou me rendais dans divers restaurants, avec les hauts cadres du Comité, quand on ne nous servait pas une collation sur le pouce directement au bureau.
Mais quand je n'étais pas au travail, quand le Petit Avocat redevenait Alsh Nexhrn dans son luxueux appartement coruscanti, je m'efforçais de faire moi-même les repas. J'avais d'ailleurs promptement rangé dans un placard le droïde-cuistot qu'une connaissance m'avait offerte pour mon anniversaire. Je tenais à faire les choses moi-même, c'est à dire bien.
Je me penchais vers la poêle et humais le fumet du plat en train de cuire.
C'était quelque chose de tout simple : du nerf de bonne qualité, des oignons de Taanab, quelques épices importées de la Bordure Médiane et un peu de sel. Si j'aimais faire la cuisine ça ne voulait pas dire non plus que je désirais passer des heures derrière les fourneaux à chaque fois.
Et puis quelque part, ça m'amusait de devoir revêtir un vieux tablier couvert de taches de sauce séchées, défraichi par des années de bons et loyaux services. Ca me changeait agréablement de mes costumes sur-mesure ocres de Délégué à la Communication et aux Relations Publiques ou à mon uniforme noir griffé d'argent de Commandant de la CompForce.
Ce soir, sous le tablier, je portais une simple chemise bleue marine et un jean assorti. En me voyant ainsi, les militants comme les cadres du Comité ne l'auraient sûrement pas cru. Quoique qu'ils étaient capables de se dire qu'en m'habillant ainsi chez moi, je montrais à quel point les dirigeants du COMPORN pouvaient être simples et proches du peuple. La Volonté d'Acier pourrait même en faire sa une.
Portant un peu de viande à ma bouche, j'estimais la quantité de sel à rajouter et je m'exécutai, en quelques pincées. Le bruit de la friture emplissait agréablement la cuisine et me donnait déjà faim. Je n'étais pas le seul apparemment puisque Boldni n'arrêtait pas de venir se frotter contre ma jambe, guettant avec avidité le moment où un bout de viande sauterait hors du plat. Mon spukama était la principale raison, si on ôtait de l'équation mes droïdes ménagers pour laquelle le sol de la cuisine de mon appartement était toujours propre : il ne laissait aucune miette de nourriture ne serait-ce qu'effleurer le carrelage brun. Boldni avait beau être vieillissant et son pelage tirer sur le gris, voire le blanc, à certains endroits, ses réflexes quand il s'agissait d'attraper au vol un extra de nourriture étaient étonnements jeunes.
Le coup de multiplier l'âge par sept ne devait sûrement pas s'appliquer ici.
Alors que j'utilisais la cuillère en bois pour mélanger harmonieusement viande, légumes et épices, nappant régulièrement le mélange de son propre jus frémissant, je me rendis brusquement compte qu'avec la disparition de Dontika, le dernier pan qui me reliait réellement à mon passé était parti avec elle. Avec Kolba'ra et Dakcen, elle avait formé une sorte de triptyque qui m'avait vu m'élever, de près ou de loin, avec différents points de vue, de la place de second de promotion à l'Ecole de Droit au poste de chef occulte du COMPORN. Un voile venait de tomber sur presque vingt ans de ma vie.
Plus personne dans la galaxie ne pouvait réellement faire le lien entre le jeune avocat fraîchement diplômé que j'étais alors avec le père de famille que j'étais aujourd'hui.
Trois personnes qui n'étaient plus là parce que j'en avais donné l'ordre.
Trois personnes qui n'étaient plus là parce que c'était nécessaire. A la survie de l'Empire ? Probablement pas. A celle du Comité ? Peu de chances. A la continuité de l'homme que j'étais devenu ? C'était déjà plus probable.
A une forme de survie sans examen de conscience ?
Je me forçai à me revenir au présent et à me concentrer sur des choses plus importantes. Le dîner allait brûler si je n'y prenais pas garde.
Je baissai le niveau des feux, peu désireux de passer des heures à gratter les traces de brûlé quand je ferais la vaisselle.
Je jetai un coup d'œil derrière moi, regardant brièvement le comptoir de la cuisine et au delà, le salon crème et la nuit coruscanti derrière les vitres ciselées.
Je n'arrivais pas à me défaire de cette impression d'oppression quand la nuit tombait, depuis cette vieille entrevue avec Vador, quand j'avais eu une crise, juste avant le debriefing de Fejor. Si les couchers de soleil étaient le moment que je préférais sur ma planète d'adoption, ce qui suivait après ne m'enchantait guère.
Pourtant, je n'avais pas de quoi avoir peur : mon appartement était dans les hautes strates des quartiers chics, si haut placé que mon immeuble utilisait un appareil spécial pour absorber les nuages et permettre aux résidents d'observer leur cité. L'appartement en question était hyper-sécurisé, sous la garde permanente de soldats de la CompForce au qui-vive vingt-quatre heures sur vint-quatre, équipé de vitres pouvant résister à un tir de turbolaser et que sais-je encore. On n'y accédait que par un turboélévateur privé qui montait directement à mon étage après insertion d'une carte magnétique, d'un contrôle d'empreintes et de rétines et d'un code secret, qui changeait aléatoirement chaque semaine.
Et malgré tout cela...je me sentais toujours mal à l'aise devant les ténèbres de Coruscant, plus que sur n'importe quelle autre planète, comme une sorte de vertige nimbé d'un malaise implacable qui venait me frapper avec d'autant plus de virulence à chaque fois que je portais le regard au dehors.
Est-ce que cela avait un lien avec les évènements de Fejor ? Non, c'était stupide. J'avais accompli d'autres missions sinistres pour le Comité avant d'être envoyé sur ce tas de boue et le malaise n'était pas encore là.
Est-ce que d'avoir fait fusillé les novices Jedi y était pour quelque chose ? Ou ruiner l'écosystème d'un monde entier pour remporter la victoire sur les insurgés ?
A moins que ce soit exactement l'inverse. D'avoir gracié cet adolescent, en lui permettant de fuir dans les bois. Peut-être que je n'étais pas fait pour les bonnes actions. J'aurais probablement dû laisser le soldat clone lui coller un tir blaster dans la nuque.
Bah...il était trop tard pour avoir des regrets après tout. Ce qui était fait était fait. On devait l'accepter et continuer son chemin.
Je baissais le niveau des feux de cuisson et quittai la cuisine pour le salon, estimant qu'il était temps de mettre la table. En chemin, je pris Boldni par la peau du cou et le laissais retomber dans son panier, dans un coin de la pièce. Je savais d'expérience que mon spukama était capable de vider une poêle entière de nourriture en quelques minutes. C'était sans doute le chat corellien le plus glouton du Comité. Eesla plaisantait souvent à ce sujet, imaginant que Boldni était une aberration génétique, un rancor ou un sugati particulièrement malin, ayant adopté un déguisement de spukama pour avoir en quantités importantes et sans se fatiguer, nourriture et caresses sous le menton.
L'animal miaula de dépit et me lança un bref regard noir avant de se blottir au fond de son panier et d'enfouir son visage dans ses pattes. Il resterait prostré ainsi jusqu'à la fin du repas, lorsque nous débarrasserions. Et si par hasard, un peu de viande ou de sauce tomberait au sol, Boldni nous prouverait une fois de plus à quel point un spukama motivé pouvait bondir loin.
Je me retournais vers la commode en bois précieux de Kashyyk, j'en ouvris un battant et me saisis de deux assiettes en porcelaine de Serenno, ainsi que de deux verres colorées, tirés des sables de Pantolomin. Je disposais le tout sur la table marbrée d'obsidienne qui trônait au milieu du salon et retournant à la commode, je pris deux jeux de couverts. Après quelques allés et retours à la cuisine, je ramenai le pot de sel, quelques tranches de pain, une bouteille de vin précieux pour moi, une cannette de soda gazéifiée pour ma fille et diverses autres choses. Un pichet d'eau pure plus tard, la table était mise.
Tout était prêt. Ne manquait plus que ma fille.
_Eesla ! criais-je. A table !
Pas de réponse. Etouffant un soupir, je me dirigeais jusqu'à la chambre de ma fille, grimaçant au fur et à mesure que je m'approchai de la porte et que le niveau sonore de ce qu'elle écoutait manquait de m'arracher les tympans. Planté devant l'entrée de la chambre, je crus même voir la porte de bois trembler sous l'effet des décibels. Sachant parfaitement que mon appel serait couvert par le vacarme, j'ouvris directement la porte, après avoir brièvement frappé, par réflexe.
Eesla était affalée sur son lit, feuilletant un magazine à scandales, un casque vissé sur les oreilles.
Surpris, je constatai qu'elle n'avait pas branché les enceintes de sa chambre, juste poussé le volume des écouteurs au maximum. Ma fille avait les yeux à demi-clos et accompagnait les coups de batterie de brusques mouvements de tête.
Je m'approchai d'elle et lui passai plusieurs fois la main devant le visage pour lui faire signe de ma présence.
Elle leva les yeux vers moi mais ne coupa pas la musique. Je lui demandais d'éteindre son appareil en mimant le geste avec mes deux mains. Eesla leva les yeux au plafond, murmura quelque chose que je ne pus saisir dans ce vacarme assourdissant et saisissant une télécommande qui traînait sur la couverture non loin d'elle, elle en effleura une touche.
Aussitôt, la musique se coupa.
J'accueillis le silence avec soulagement. La couverture santé avait beau être bonne au COMPORN, je n'avais pas spécialement de temps à perdre chez le médecin.
_On mange Ees, répétais-je à ma fille.
_C'est bon, j'avais compris, me répondit-elle en ôtant son casque avec précaution de ses longs cheveux blonds platinés. Je suis pas sourde tu sais...
_Tu risques de le devenir si tu continues à écouter ta musique aussi fort, répliquais-je d'un ton que je voulais neutre.
Eesla sauta au bas du lit et grimaça :
_Oh tu vas pas commencer ? Le swing-bop, si ça s'écoute pas à fond, ça vaut rien.
Ah, le swing-bop. La dernière passion de ma fille. Une musique incompréhensible et extrêmement confuse où chaque musicien devait jouer au moins de dix instruments. Très populaires chez les adolescents de nos jours.
Rendez moi le jizz de ma jeunesse, pitié...
_Et puis tout le monde de branché fait ça papa, poursuivit ma fille. C'est cool. Même Draksha l'écoute à donf. Et y trouve ça cool. Pas vrai Drak ? demanda t-elle à son voorpak, niché sur son épaule droite, sa fourrure marron jurant avec le tissu rouge du T-shirt d'Eesla, orné de motifs géométriques et de citations inscrites au marqueur noir.
_Je suis pas sûr que les voorpaks aient l'oreille musicale, déclarais-je après un petit temps de réflexion.
_Eux p'tet mais Drak oui. Hein mon vieux ?
Répondant à l'appel de sa maîtresse, le voorpak poussa ce qui semblait être un cri d'approbation.
_Il est d'accord avec moi, tu vois ? Cool, déclara t-elle en déposant doucement l'animal à terre. On va manger ? me demanda ma fille, qui, sans attendre ma réponse, me dépassa et quitta sa chambre pour se rendre dans le salon.
Je restais seul dans la pièce un court instant, jetant des coups d'oeils dubitatifs aux multiples posters qui criblaient les murs. Que des groupes de swing-bop dont j'ignorais jusqu'à même le nom.
Je repensais fugacement à la vieille affiche jaunie de Siuol Gnortsmra, le célèbre trompettiste de jizz bith qui avait ornée les murs de ma chambre universitaire, puis de mon premier studio. Elle devait encore être quelque part dans un carton. Je devrais la ressortir un de ces quatre.
Je fermais la porte et retournai au salon. Eesla s'était installée à sa place et avait allumé la chaine Holonet d'information en continu, la regardant d'un air blasé, le menton posé au creux de sa main.
_Ees, coupe ça, lui ordonnais-je. On passe à table.
_Mais papa ! me répondit-elle. C'est un direct depuis Endor ! C'est ton travail de te tenir au jus de ce qui se passe, non ?
De bons arguments. Une fille digne de son père.
_Justement, répliquais-je en allant jusqu'au moniteur et en coupant le son, voulant au fond de moi, sans vraiment savoir pourquoi, garder un œil sur tout ça. J'aimerais faire une pause ce soir.
De toute façon, Endor c'était plié avant même que la flotte rebelle ne surgisse de l'hyperespace. Une nouvelle Etoile Noire, encore plus grosse et plus puissante que la précédente, une armée de destroyers stellaires, un générateur de bouclier protégé par une forêt luxuriante et une garnison surentraînée...sans parler de la présence sur le terrain de l'Empereur en personne ainsi que de Dark Vador. Et c'était justement parce que ce devait être le triomphe de l'Empire que je me refusai à le regarder. Aucun intérêt sans suspense.
Pendant qu'Eesla se servait une généreuse rasade de soda, j'allais à la cuisine et revins avec la poêle brûlante. J'en versais une quantité un peu plus importante que d'habitude à ma fille, la trouvant un peu maigrichonne ces derniers temps, pris ma part et rapportai la poêle vide à la cuisine. Je la posai dans l'évier, pris une bouteille de liquide vaisselle, en fis couler un peu sur la fonte avant de placer la poêle dans l'évier et d'ouvrir l'eau.
La chaleur s'extirpa de la poêle en sifflant comme un serpent de Malastare et des volutes de fumées se dissipèrent dans l'air. Je noyais la poêle sous l'eau et revins à table.
Ma fille ne m'avait pas attendu pour commencer à manger. Les yeux rivés sur l'image muette que diffusait le moniteur, elle portait de temps à autres la viande à sa bouche, délaissant les oignons qu'elle laissait sur le bord de son assiette.
A la réflexion, je pouvais la comprendre. Moi aussi j'avais eu quatorze ans et je m'étais enthousiasmé pour les conflits que j'avais vus sur l'Holonet même si aucun ne m'avait tant captivé que la Guerre des Clones, à la fin de mon adolescence.
Je pris place sur ma chaise, me versai un peu de vin et commençais à manger.
Alors que je dégustais ma première bouchée de nerf, Eesla m'interrompit :
_Pourquoi est-ce que les rebelles vont au combat ? Je veux dire, ils vont se faire botter le cul. T'as vu les forces qu'on a ?
_J'aimerais que tu surveilles un peu ton langage à table jeune fille, lui répondis-je d'un ton sans appel.
Puis, d'une voix plus douce :
_Ils doivent se dire qu'ils ont une chance ou que quelque chose de miraculeux les tirera d'affaire. Comme à Yavin.
_Mais ils ont réussi à s'enfuir de Hoth, fit remarquer Eesla. Et de Bespin. Ils sont peut-être protégés par une sorte de magie ou je sais pas quoi.
_C'est pas de la magie, grimaçais-je. Ils ont eu de la chance. Les seps aussi ont réussi deux ou trois jolies choses pendant la Guerre des Clones. Et regarde où en est la Confédération aujourd'hui !
_C'est bizarre qu'ils s'enfuient pas, déclara ma fille entre deux gorgées de soda.
_Une histoire de principes, déclarais-je en haussant les épaules.
_Qu'est-ce que tu veux dire ? m'interrogea Eesla.
_Ils se battent pour leurs idées. Et ils ont prouvé qu'ils sont prêts à mourir pour ça.
_Alors ce sont de bonnes idées, conclut ma fille d'un hochement de tête.
_Qu'est-ce que tu veux dire ? lui demandais-je, lui retournant sa précédente question.
_C'est bien le Comité qui dit qu'une valeur n'a de sens que si on est cap' de lui donner sa vie, non ?
_Effectivement, dis-je du bout des lèvres, lui concédant ce point. Mais ça ne veut pas forcément dire que c'est toujours une bonne idée. Un pirate hutt qui tue et pille pour de l'argent...c'est un travail plutôt risqué, il doit être prêt à mourir pour lui. Et c'est pas franchement la cause la plus honorable de la galaxie.
_Ca m'étonnerait qu'un corsaire de Nal Hutta veuille mourir dans un raid. Y va plutôt essayer de s'en sortir sans trop de casse pour la prochaine attaque.
J'accordais une nouvelle fois la victoire à ma fille sur ce coup là. Elle enchaîna :
_Et y a autre chose de bizarre. L'Empire lutte pour la paix et la sécurité, d'accord ? Mais en déclarant la guerre aux rebelles, on a tué la paix pour laquelle on est censés se battre. Ca a pas de sens !
Voyant ma fille m'amener sur une pente savonneuse, je tentai de corriger le tir :
_Ce sont les rebelles qui sont dans l'erreur, pas nous. L'Alliance pense que chaque être sensible de la galaxie est égal. C'est une aberration génétique, raciale, spéciste...enfin, est-ce qu'un twi'lek peut voler comme un toydarien ? Est-ce qu'un bothan à les mains à la place des pieds comme un dug ?
_Ils veulent une égalité devant les lois, précisa ma fille avec une précision qui me fit regretter de l'avoir si bien éduquée.
_Ca revient au même, dis-je en finissant mon assiette. Enfin, est-ce que tu voudrais que toi, tu aies les mêmes droits et les mêmes devoirs que le dernier des bandits de Kiffex ?
_Et pourquoi pas ? suggéra Eesla. Je pense que chacun mérite de partir de la même place dans la vie. Peut-être que comme ça, y aurait moins de mal dans la galaxie. Parce que les gens auraient le choix.
Les images de Vax III se matérialisèrent dans mon esprit :
_Des fois, on est obligé de faire quelque chose de mal. Pour que quelque chose de bien arrive à la fin.
_Je crois pas, répondit ma fille. C'est une excuse que se donnent ceux qui font des saloperies pour se laver la conscience. Si le but est bon en soi, le chemin pour l'atteindre doit l'être aussi, non ?
_C'est pas toujours aussi simple, soufflais-je d'un ton amer.
Soudain, Eesla sursauta, les yeux toujours rivés sur le moniteur. Surpris, je lus dans son regard que quelque chose d'incroyable venait de se passer en direct sur l'Holonet. Je me retournai et courus jusqu'à l'appareil pour rebrancher le son. L'image en elle-même était on ne peut-plus troublante : là où quelques secondes auparavant, trônait la redoutable Etoile de la Mort, il n'y avait maintenant plus que débris et poussière stellaire.
Je zappais sur une autre chaîne pour découvrir le même spectacle, encore et encore. De chaînes en chaînes, les présentateurs affolés relayaient la même nouvelle : la seconde Etoile Noire avait été détruite et la flotte impériale était en train de connaître la pire défaite de son histoire.
Au fil des minutes, les informations se précisèrent : Palpatine lui-même et Dark Vador étaient au nombre des victimes, sans parler des officiers supérieurs qui se trouvaient à bord.
Je mis quelques minutes à digérer l'information.
L'Empereur était mort. Mort.
La clé de voute du système pour lequel avait été créé le COMPORN venait d'être ôtée. Il n'y avait aucun héritier légitime au trône de Palpatine. L'Alliance venait de prendre de vitesse le Comité. Nous n'avions pas encore rassemblé nos forces, ni consolidé nos positions pour le coup d'État.
Maintenant, sans autorité légitime sur le trône, tout le monde allait se retourner contre tout le monde, les alliances d'hier allaient être brisées et ce serait le règne des seigneurs de guerre et la loi du plus fort.
Hébété, je ne vis qu'à moitié Boldni qui avait profité du choc pour se hisser sur la table et fouiner dans mon assiette, pour découvrir qu'il n'y avait plus que de la sauce.
_C'est fini mon vieux, lui déclara Eesla d'un ton étrangement détaché. Y a plus rien.
Oui, il n'y avait plus rien.
Et le Comité serait prêt à égorger la galaxie entière pour mettre la main dessus.