L'Eclosion du Mal
Je levai les yeux vers l'assemblée et scrutais les multiples visages de celle ci : les anxieux qui rongeaient férocement leurs ongles de mannière incontrolée, allant jusqu'à attaquer la chair de leurs doigts et en faire perler le sang.
Les nerveux, qui transpiraient abondamment, innondant leurs vêtements hors de prix d'une sueur citronnée. Par chance, les fenêtres étaient grandes ouvertes, ce qui nous protégeait au moins de l'odeur.
Les craintifs qui tendaient leurs muscles à l'extrème, rentrant la tête dans les épaules comme s'ils étaient une sorte de tortue qui cherchait à regagner la sécurité de sa carapace. Ceux qui tentaient de faire front, en conservant un visage calme malgré la veine qui battait clairement à leur tempe et leurs dents si serrées que je m'étonnais de ne pas voir des fragments d'ivoire projetés sur le grand bureau en bois de greel. Quoiqu'à la réflexion, du blanc aurait bien rendu sur l'écarlate sombre de la table de réunion.
Enfin, il y avait les nuancés. Ceux qui parmi ces différentes réactions passaient par l'une ou l'autre ou bien choisissaient une voie intermédiaire, se créant leur propre sentiment.
Des dizaines de réactions pour une seule et même cause. Amusant à quel point un même évènement pouvait être ressenti de façon variée selon les individus. Mes camarades d'université qui avaient étudié la psychologie se seraient régalés au sein de cette réunion exceptionnelle des très hauts-cadres du Comité.
Je laissais encore passer quelques secondes, pour que tout le monde comprenne bien ce que je venais d'annoncer. Que non, ce n'était définitivement pas une plaisanterie de mauvais goût de ma part et que oui, les rumeurs qui circulaient un peu partout dans la galaxie depuis quelques heures étaient vraies.
Tous les services secrets impériaux, de notre BSI aux Renseignements Impériaux en passant par nos informateurs le confirmaient. L'Etoile Noire, le summum de la technologie de guerre du régime n'était plus. Les rebelles avaient remporté la bataille de Yavin IV. Et nous laissions l'essentiel de l'Etat Major impérial en poussière d'étoile autour de la géante rouge.
Je vis nettement des boules se former dans les estomacs, les gorges se désécher comme si on avait fait avaler du sable de force aux responsables du COMPORN. Lentement, quelques langues se dénouèrent, répétant des mots comme "impossible" ou "ce doit être une erreur". Je secouai la tête en signe de négatation.
_Il n'y a pas d'erreur, expliquais-je d'une voix calme et posée, corrigeant au passage un mauvais pli sur ma manche de veston. L'Etoile Noire est bel et bien détruite.
_Sait-on s'il y a des survivants ? demanda un des hommes attablés.
_Probablement peu, pour ne pas dire aucun. Vous savez que Tarkin n'était pas du genre à envisager la retraite quand les choses se passaient mal. Nous devons donc envisager que l'Empire a perdu là plus d'un million deux cent cinquante mille hommes. Et je ne parle pas des quelques trente mille vaisseaux et véhicules, sans parler des kilotonnes de fret. Ca va faire un gros trou dans la comptabilité de Sa Majesté, ironisais-je.
_Comment pouvez vous plaisanter à ce sujet ! s'emporta un des responsables.
Je le fusillai du regard, ce qui le forca à se rassoir en silence et à grommeler quelques excuses. Je n'étais peut-être pas le numéro deux de l'organisation officiellement mais il était clair que je l'étais dans les faits. Et je ne tolérais pas l'insubordination dans mes rangs. Quand le délégué se calma, je repris la parole.
_Parce qu'au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, c'est l'Armée qui paye l'addition dans cette histoire. L'Etoile Noire a été développée sous sa responsabilité et c'était avant tout des militaires de l'armée régulière qui se trouvaient à bord. Le Comité se sort plutôt bien de ce désastre, non ?
_On a quand même perdu Yularen, fit remarquer un membre du département Justice.
_C'est vrai, admis-je, lui comme d'autres officiers du Bureau de Sécurité Impérial étaient à bord. Mais j'estime qu'une dizaine de morts qui nous manqueront au sein de plus d'un million amputés à l'armée, ce n'est pas Manaan à boire.
M'appuyant sur la table avec les mains à plat, je me levais et commencais lentement à déambuler dans la salle de réunion, tout en exposant mes idées.
_La confiance de l'Empereur envers l'armée sera un peu plus écornée. Ajoutez à cela le souvenir de la tentative du putsch de Trachta et de ses complices l'an dernier et je vous assure que Sa Majesté sera bien mieux disposée à notre égard qu'elle ne l'a été depuis bien longtemps.
Je marquai une pause devant une carafe d'eau claire et me servit un verre.
_Non, le seul problème que moi, je vois dans la défaite de Yavin, c'est comment expliquer ça au citoyen impérial de base. On a déja eu du mal à lui faire avaler la destruction d'Aldérande...
Je bus un peu d'eau, songeant à la planète pacifique détruite quelques jours plus tôt par la superarme de Tarkin. Un véritable gâchis. Cela annonçait clairement à l'univers tout entier que nous étions résolus à tuer deux milliards de civils désarmés en vaporisant leur planète par simple bravade. Officiellement, des rebelles avaient piraté le système de tir de l'Etoile Noire avant d'ouvrir le feu sur Aldérande, dans un acte de terrorisme à grande échelle mais bien peu de personnes au travers de la galaxie avaient cru à ce mensonge, malgré les efforts démesurés de la propagande. Ou de ma propagande, très techniquement.
_...alors la destruction de l'engin de guerre qui l'a réduite en poussière, ça sera encore plus dur. La Force a vraiment intérêt à être avec nous si vous voyez ce que je veux dire...
Les mâchoires se decrispèrent un peu et l'on entendit quelques rires forcés. La grande purge anti-Jedi s'était peut-être officiellement terminée l'année dernière mais dans l'inconscient collectif, l'Ordre restait le grand ennemi de l'Empire.
_On pourrait invoquer un problème technique ? hésita un des cadres de l'assemblée, un chef SA.
_Je suis pas convaincu que dire aux masses que l'Etoile Noire, la station de combat la plus avancée à ce jour a sauté à cause d'une surchauffe ou d'un boulon mal fixé. D'autres idées ?
On envisagea le fait de présenter la chose de but en blanc, de simplement expliquer que la superarme avait été détruite au combat.
_Le problème, soufflais-je en me déplaçant jusqu'à une grande fenêtre à croisillons qui donnait sur le parc en contrebas, c'est qu'à Yavin, les rebelles n'avaient rien. Pas de croiseurs de combat, pas de cuirassés...juste une flotille de chasseurs. Ca ne semblera pas logique au citoyen impérial ordinaire qu'un fixaran se fasse manger par un banc de faas.
_Et pourquoi ne pas ressortir l'histoire des hackers ? proposa un des membres du Comité.
_Deux piratages avec des effets aussi violents en quelques jours...notre réseau de sécurité va passer pour celui d'amateurs, fis-je remarquer en ouvrant la fenêtre et en m'appuyant contre la balustrade.
Je jettai un oeil à l'extérieur, fixant mon attention pendant quelques secondes sur un couple d'écureuils, un gris et un roux qui se disputaient ce qui semblait être une noisette.
Ils se battirent férocement et lorsque l'animal à la fourrure de fer l'emporta sur celui au pelage de feu, je ne pus m'empécher de songer au fait que le rongeur roux s'était admirablement bien battu et que même s'il avait au final perdu, il ressortait presque grandi de cette défaite. Pour un peu, on oubliait sa débâcle.
_Alors retournons cette catastrophe en victoire morale, m'exclamais-je en me retournant lentement vers l'assemblée. Nous n'avons qu'à prétendre que les techniciens de l'Etoile Noire, découvrant horrifiés que les immondes terroristes rebelles avaient réussi à infecter la station pour qu'elle quitte la zone de Yavin et ouvre le feu sur une planète innocente, ont in extremis retourné le superlaser contre l'Etoile Noire elle-même.
_Donc pour la masse, la défaite de Yavin IV...
_Ne sera au final, dis-je en complétant sa phrase, qu'un sacrifice ô combien héroïque de nos vaillants soldats qui ont préféré tous mourir que de s'attaquer à des civils innoncents, et cetera, et cetera, expliquais-je en effectuant un geste circulaire de la main afin de préciser ma pensée.
_Vous pensez que le peuple va avaler ça ? demanda un des cadres en se grattant l'arrête du nez.
_On lui a bien fait croire que c'étaient les rebelles qui avaient tiré en premier sur Rattada. C'est pas très différent. Que ça sorte de l'Holonet et ils jureront devant les étoiles-elles mêmes qu'ils ont vu en direct le jeune technicien rediriger le tir contre la station.
Les visages se détendirent quelque peu. C'était loin d'être la joie mais au moins, j'étais à peu près sûr qu'aucun cadre n'allait se jeter du skyhook quand ils quitteraient le château. Une pluie de hauts responsables du COMPORN n'aurait pas plu aux coruscantis. Je frappai dans mes mains pour mettre fin à la réunion :
_Bien, je pense que vous avez compris le message global à faire passer à vos subalternes. Le cominiqué officiel vous sera donné dans quelques heures. D'ici là comme d'habitude, pas un mot à quelqu'un de l'armée, comme d'habitude. Vive Palpatine ! conclus-je en effectuant le salut impérial.
Les cadres levèrent le bras à leur tour et quittèrent les uns après les autres la grande salle de réunion, me laissant seul dans la pièce de marbre blanc. Un de mes secrétaires attendit que le directeur de Commerce franchisse la porte pour entrer à son tour et m'informer que d'une, le Grand Amiral Ishin Il Raz était en ligne et souhaitait me parler sans attendre et que deux, mon neveu Pakn venait d'arriver sur le skyhook comme prévu.
J'ordonnais qu'on fisse patienter Pakn dans le parc où je le retrouverais après mon entretien avec Raz. J'attendis que le jeune homme referme soigneusement la porte derrière lui avant d'activer le système d'holocom de la pièce. Aussitôt, les lumières se tamisèrent et une image tridimensionnelle du Directeur Raz se matérialisa entre deux drapeaux impériaux et juste en dessous d'un portrait de Palpatine. J'effectuais le salut impérial avec application, sachant à quel point il était précieux au yeux de mon supérieur direct. Raz avait les traits fatigués et il semblait avoir brusquement gagné dix ou quinze ans.
A moins que ça ne soit un effet de l'holocom, je voyais clairement que ses cheveux commencaient à virer au gris et que des rides jusque là peu prononcées s'accuentaient violemment. Peut-être que le récent massacre de Myomar dont il avait été l'instingateur, lui pesait finalement sur la conscience.
_Alsh, lança Raz en guise de préambule, dites moi qu'on va s'en sortir, dites moi qu'on va trouver une solution pour nous sortir de ce merdier.
_A moins de trouver une unité astroméchano très compétante ça risque d'être difficile de repartir comme avant, Ishin.
Le Grand Amiral ne releva pas mon trait d'humour, trop paniqué pour comprendre le sens exact des mots que je venais de prononcer.
_L'Empereur vient de convoquer tous les Grands Amiraux au palais, poursuivit Raz. Vador était à bord de l'Etoile Noire. Avec un peu de chance, la place de Commandant Suprème des Armées est donc vacante.
Avec surprise, je decelais une note d'espoir dans les mots du militaire. Que croyait-il ? Que parce que Vador était mort avec Tarkin et le reste de l'Etat Major - ce qui techniquement, n'avait pas encore été confirmé par ailleurs -, Palpatine allait laisser la place de chef suprème des forces armées à l'un d'entre eux ?
A Raz lui-même peut-être ? Il fallait ouvrir les yeux : le Grand Amiral n'était pas un bon militaire. Un fanatique loyaliste à Palpatine oui, qui se tirerait une charge de particules laser en pleine tête si cela pouvait être utilie à l'Empereur. Mais c'était un très mauvais commandant, sans doute le plus incapable des douze Grands Amiraux. Son autorité n'avait vraiment de corps que sur le COMPORN et encore, sur les Subs-Adultes, alors que les cadres supérieurs préféraient me suivre moi.
_Il y a tout de même une bonne nouvelle dans tout ce fiasco Ishin : Sa Majesté à finalement dissout le Sénat. En d'autres termes, le département Justice n'aura plus à défendre nos projets de lois devant l'assemblée puisque nous sommes le pouvoir législatif désormais.
Raz me regarda sans réellement comprendre la situation. Le Comité pour la Préservation de l'Ordre Nouveau venait purement et simplement d'acquérir un pouvoir encore plus grand. Nous tenions déja le pouvoir judiciaire, le législatif venait de tomber entre nos mains. Sur les trois autorités qui régissaient l'Empire, nous en possédions deux. Sans oublier un pouvoir exécutif presque indépendant. Sans le Sénat, le COMPORN se renforcait irrémédiablement.
_Sans doute, sans doute, bredouilla mon supérieur. Mais est-ce que vous pensez que Sa Majesté va accorder le poste de Commandant Suprème à un des Grands Amiraux ?
Je dus me faire violence pour ne pas m'écraser la paume de la main sur le visage. La dévotion fanatique de Raz envers Palpatine faisait peut-être de lui la dernière personne qui penserait à le trahir mais à mes yeux, elle le rendait pathétique avant tout.
_Je vous avoue que je n'ai pas vraiment le coeur à penser aux promotions Ishin, formulais-je avec application. Il va falloir réformer le Comité plus en profondeur pour lui permettre de remplir sa nouvelle tâche d'assemblée législative.
Les yeux de l'amiral papillonnèrent comme s'il venait enfin de comprendre de quoi nous parlions depuis cinq minutes.
_Mais je croyais que Sa Majesté avait donné les pleins pouvoirs aux gouverneurs régionaux et aux Moffs ?
_Ils feront ce que l'Empereur et Justice ordonneront Ishin. Je n'ai jamais vu un Moff remettre en question une décision de Sa Majesté et si elle a décidé de dissoudre le Sénat Impérial pour nous confier les rènes législatives du régime, elle doit avoir une bonne raison de le faire, n'est-ce pas ?
Autant passer sous silence que Palpatine s'était en fait retrouvé le bec dans l'eau après la dissolution du Sénat puisque l'Etoile Noire ayant été détruite, la doctrine Tarkin ne tiendrait jamais la galaxie en laisse. Il avait donc toujours besoin d'un corps législatif et c'était le COMPORN qui avait hérité de la charge. Coup dur pour l'Armée et pour l'Empereur, bénédiction pour nous.
_Je vais devoir vous laisser Ishin. J'ai beaucoup de travail. Bonne chance pour le poste. Vive Palpatine ! conclus-je en coupant la communication.
Les lumières se rallumèrent tandis que je quittais la salle de réunion. Un sourire satisfait ne quittait pas mes lèvres alors que je sescendais le grand escalier de pierre gris qui conduisait directement au parc. Il faisait un soleil magnifique au dehors. Je foulais l'herbe verte et tendre non sans un certain plaisir. Après quelques pas, je me retournais pour observer le château couleur de pierre, bâti en triangle, reliant deux tours et un donjon entre eux.
Le manoir, comme le skyhook sur lequel il avait été bâti, était la propriété du COMPORN et c'était le lieu de réunion des très hauts cadres du Comité, en dehors du siège de l'organisation, à une dizaine de kilomètres plus bas à la verticale, sur Coruscant même. Je n'aimais pas vraiment le style archaïque du château mais le parc qui l'entourait était magnifique.
On se murmurait d'ailleurs que le seul autre skyhook plus luxueux de la planète capitale était celui de Palpatine lui-même.
Je retrouvai mon neveu près d'un petit cours d'eau dans lequel nageaient des poissons à l'air féroce. Dès qu'il me vit, Pakn sursauta, se raidit, tendit le bras et me salua d'un tonitruant "vive Palpatine !". Je lui rendis le salut impérial, plus pour la forme que pour autre chose et lui fis signe de se mettre au repos. Je n'étais pas un forcené du protocole de toute façon.
Pakn tenta de se donner un air plus détendu sans toutefois vraiment y parvenir. Il voyait toujours en moi le numéro deux du COMPORN et il était extrèmement rare qu'il m'appelle autrement que par mon grade ou ma fonction.
Je décidai de suivre le cours d'eau en marchant jusqu'à la petite mare qui se trouvait au bout. Pakn m'emboita le pas avec une rigueur toute militaire. Trouvant un carré d'herbe qui me plut, je m'y installais, me moquant bien des taches qui pourraient salir mon costume. Pakn resta debout, droit comme un I. Je me retins de soupirer. Mon neveu était d'une telle droiture...par les canyons de cristal de Chandrila.
Je l'observais plus attentivement. Il allait sur ses dix-huit ans et était l'archétype du Sub Adulte : un jeune impérial, au corps sculpté par l'exercice physique et l'esprit tout dévoué à la cause, d'un spécisme borné à vous en retourner l'estomac et le désir de servir la race humaine en obéissant aux ordres sans discuter.
_J'ai vu que tu as réussi à finir major de ta promotion SA, dis-je avec un petit sourire flatteur. C'est très bien.
_Je me suis efforcé de servir au mieux le Comité avec mes capacités monsieur le Délegué.
_Combien de fois devrais-je te le dire ? soupirais-je d'un petit air las. Tu peux m'appeler "oncle" ou "tonton" si tu veux. Ou même Alsh, pourquoi pas ?
_Mais je ne le veux pas, sauf votre respect monsieur le Délégué, me corrigea Pakn. Car les liens du sang sont naturellement effacés dans cette Grande Famille qu'est l'Empire.
Et voilà qu'il se mettait à réciter ma propagande. Ca me faisait mal au coeur de penser que c'était à ça que Palpatine voulait que ressemble l'impérial lambda. Un automate, qui ne pensait plus par lui-même.
_C'est l'anniversaire d'Eesla la semaine prochaine, fis-je remarquer à mon neveu pour tenter de détourner la conversation. Et elle aimerait beaucoup que son cousin soit là pour l'aider à couper le gâteau.
_Je risque de ne pas pouvoir être là monsieur, affirma le SA d'un petit signe de tête. J'anime un cours à l'école élementaire Palpatine sur le péril alien. Ce sont des valeurs de bases et il est nécéssaire que les enfants mesurent pleinement dès leur plus jeune âge, le danger du fléau non-humain.
Bon. A la reflexion, Pakn aurait peut-être plombé l'ambiance de la fête d'anniversaire.
_Tu as songé dans quelle branche du Comité tu voulais aller travailler ?
_La CompForce, me répondit-il de but en blanc. C'est dans le combat et la lutte qu'un humain digne de sa race et de son sang s'accomplit.
J'aurais dû la noter pour mon prochain discours de propagande celle-là.
_J'en parlerais au colonel Kraik, dis-je à mon neveu. Je suis sûr que nous pourrons te trouver une affectation qui...
_Si je pouvais être envoyé au combat dès maintenant, j'en serais reconnaissant, me dit Pakn, des étoiles dans les yeux.
_Dès maintenant ? m'étonnais-je. Tu n'a même pas encore passé les tests d'admission ! Et je te rappelle que presque neuf recrues sur dix échouent à l'entrainement...
_Ca ne compte pas, affirma Pakn avec ferveur. J'ai déja la Grappe de Palpatine, affirma l'adolescent en pointant la petite médaille obtenue pour sa distinction au sein des SA. Je veux la Médaille de la Valeur.
Rien de moins que la décoration la plus prestigieuse du régime après la Médaille de l'Honneur Impérial. Au moins, on ne pouvait pas dire qu'il n'avait pas d'ambition.
_Doucement, tentais-je de le tempérer. Tu es encore jeune, t'as le temps de...
_La guerre n'attend pas elle ! me coupa Pakn dans un brusque accès de colère. Au moment où nous parlons,les rebelles continuent à prendre les armes contre nous et menacent la paix et la sécurité de trilliards de citoyens impériaux. Je ne vais pas abandonner ma race au moment où elle a le plus besoin de moi !
Je ne savais pas si Pakn ferait un bon soldat mais en tout cas, il avait déja cet esprit jusqu'au boutiste cher à la CompForce. Le genre d'homme qui continurait à se battre jusqu'à la mort et même au delà s'il le pouvait.
Je plongeais quelques instants ma main droite dans l'eau fraiche. Le bacta avait merveilleusement bien fait son travail. On ne voyait plus aucune trace de la fracture. Comme si rien ne s'était passé sur Fyr. Comme si dix mille personnes n'avaient pas été tuées pour rien.
Un petit banc de poissons passa près de mes phalanges, les effleurant et tournant autour. Pour autant, je n'étais pas effrayé. Malgré les dents accérées qui me frôlaient les doigts, je savais qu'ils ne me mordraient pas. Pour la simple et bonne raison que je nourissais régulièrement ces animaux, qu'ils savaient jusqu'au tréfond de leur instinct que me faire du mal serait préjudiciable à eux. Au fond, la main dans l'eau glacée au milieu des prédateurs...c'était une assez bonne métaphore de ma situation dans le COMPORN.
Lassé de ce jeu, je retirai ma main de l'eau et l'essyuais à même sur l'herbe. Je me rendis compte que Pakn était toujours à mes côtés, immobile comme une statue. Je me relevais et lui posais la main paternellement sur l'épaule. Ou essayais puisque il avait une bonne vingtaine de centimètres de plus que moi.
_Ton dévoument envers Palpatine et l'Empire fait chaud au coeur, mentis-je avec scincérité à mon neveu. Si le régime comptait plus d'hommes comme toi, la Guerre Civile n'aurait jamais éclaté. J'ai une réunion avec Kraik demain. Je lui toucherais deux mots au sujet de ton incorporation dans la CompForce. On devrait bien pouvoir faire quelque chose...
_Si je réussis à entrer dans la CompForce, vous appeller "mon commandant" sera un grand honneur monsieur le Délégué, affirma l'adolescent d'une voix qui tremblait d'émotion.
Bon. Ca avait assez duré. Je prétextais devoir recevoir un invité important pour la politique de coopération de l'Empire et poussais ainsi Pakn à avancer son départ. Je le raccompagnai jusqu'à l'astroport du skyhook où il grimpa dans une navette non sans un dernier salut impérial. Un soupir de soulagement s'échappa de mes lèvres alors que le Sub-Adulte quittait la station pour rejoindre Coruscant. J'avais de plus en plus de mal à le supporter.
Sans doute parce que je me sentais responsable de son spécisme et de son fanatisme. Abrutir toute la jeunesse impériale par ma propagande ne me posait pas de réel problème moral dans la mesure où c'était mon travail, que cela devait être fait et qu'au final, je me moquais bien de comment un enfant devait voir le monde. Mais Pakn...il était de ma famille, c'était différent. Une chose était sûre, plus je voyais mon neveu, plus j'étais content de tenir ma fille loin de cette folie. Eesla représentait l'unique parcelle de l'univers que je refusais de voir souillée. Jamais ma fille ne succomberait aux idées relayées par ma propagande. C'était sans doute utopique, comme un dealer de Nar Shadaa qui voudrait éviter que sa famille ne touche aux bâtons de la mort mais c'était ainsi.
J'allais m'appuyer contre les barrières de sécurité pour contempler Coruscant. Ma Coruscant. Ma planète-capitale. Des milliards et des milliards d'êtres sensibles qui connaissaient mon nom et mon visage, des trilliards d'êtres qui enviaient ma position et qui m'admiraient. Mon sourire s'élargit en repensant aux récents évènements. Le Comité gagnait encore en puissance et j'étais quasiment son chef inconstesté tandis Raz était de plus en plus méprisé au sein de l'organisation. C'était l'animal famillier de Palpatine, trop dévoué à lécher les pieds de son maître pour comprendre que le COMPORN était à un tournant de son histoire. Il ne s'agissait plus d'une association de soutien du régime. Nous avions déja nos scientifiques, nos artistes, nos fonctionnaires, nos soldats.
Nous rendions la justice et désormais, nous pouvions faire passer n'importe quelle loi. Nous étions presque un Etat dans l'Etat. De plus, Palpatine, unique réel représentant du pouvoir exécutif était agé. Plus de quatre-vingt ans. Le jour où l'Empereur tomberait de son trône que ce soit littéralement, fauché par son grand âge ou au pied de la lettre lors d'une chute dans un escalier ou n'importe quoi d'autre, nous serions là. Qui d'autre pour s'opposer à nous ? D'autres avaient peut-être des soldats, des navires, des fonctionnaires, des miettes de pouvoir mais personne hormis le COMPORN n'avait tout cela à la fois. Et puis le Comité avait le peuple. La masse nous aimait. Elle nous suivrait. Et elle nous tiendrait la main le jour où nous nous asseyerions sur le trône de Palpatine.
Et tout ceci arriverait bientôt.
Très bientôt.
Placé sur le quai de l'astroport de Vax III, entourré d'une nuée de soldats et d'officiers du COMPORN, je tirais une longue bouffée de cigarette avant de pencher la tête en arrière et de recracher la fumée en fines volutes. La lueur indigo de Vax, la géante gaseuse autour de laquelle la lune sur laquelle nous nous trouvions était en orbite, donnait une teinte violacée aux volutes, malgré la nuit d'un noir d'encre qui courait sur toute la surface de Vax III.
A quelques mètres de moi, un lourd vaisseau-cargo venait d'atterir. On pouvait estimer son âge rien qu'au premier coup d'oeil, si on s'attardait un tant soit peu sur les traces de rouille qui dévoraient le duracier ou sur la peinture patinée, qui virait au vert-de-gris. L'odeur du carburant brulé avait beau se disperser rapidement dans l'air, il laissait néanmoins une fragrence désagréable dans l'atmosphère. Je tirais un peu plus sur ma cigarette rougoyante pour que les effluves du tabac hors de prix me protégent de cet empuantissement.
Le cargo, immobile depuis quelques minutes n'était pas silencieux pour autant. Même à cette distance, on percevait nettement le grattement des ongles et les murmures étouffés des "passagers" qui se trouvaient encore en son sein. Des heures de voyage dans des conditions pires que des bêtes, entassés comme des nerfs les uns contre les autres, sans souci d'ergonomie ou d'hygiène. Assurément, les captifs du monstre avaient dû le maudire.
Quoiqu'après en être sortis, quand ils découvriraient ce qui les attendait, ils n'auraient qu'une envie : regrimper dans le cargo aussi vite que possible.
Quand j'estimais le moment venu, je fis un geste de la main et un soldat de la CompForce alla pianoter sur le paneau d'ouverture. Dans un chuintement attroce, les lourdes portes du vaisseau cargo s'ouvrirent, découvrant une foule hétéroclite faite de twi'leks, de kel-dors ou encore de givin, n'ayant pour seul point de ressemblance que leur regard hagard et leur air fatigué.
Mes hommes ne perdirent pas de temps. On braqua des projecteurs sur l'entrée du cargo, aveuglant les aliens d'une lumière crue. Mes hommes se précipitèrent alors sur les prisonniers, les faisant descendre de force de leur geole de métal. Beaucoup d'aliens manquèrent de trébucher quand ils furent extirpés violement du ventre du navire. L'organisation était bien rodée. Chaque soldat savait ce qu'il avait à faire, de qui devait "aider" les captifs à descendre, à qui devait les intimider en exhibant fusil blaster ou vornskr rugissant tenu en laisse.
Quelques aliens commencèrent à lever les yeux autour d'eux, à découvrir le paysage qui s'offrait à eux, sur cette mesa quadrillée de soldats en uniformes, sous le regard imposant d'une géante violette. Des murmures circulèrent dans les rangs des aliens, vite reprimés par quelques coups de matraque électrique. Le SA avait toujours la rossée facile.
Fusil en main, on dirigea les aliens vers d'un côté ou l'autre du quai, les regroupant par espèce lorsque c'était possible, par sexe et par âge, quand on pouvait l'estimer. Des pleurs se firent entendre quand on sépara des familles et des couples.
Mais quelques coups de crosse dans le dos des protestataires enduigèrent bien vite ces mouvements d'humeur et incita le reste de la masse à se tenir tranquille.
Enfin, quand au bout de dix minutes, tout le monde fut sorti du cargo et dirigé de force vers son groupe respectif, le lourd navire s'ébranla dans un fracas du diable avant de s'arracher au sol rocailleux de la mesa et de monter dans le ciel jusqu'à disparaître. Satisfait, je finis ma cigarette avant de la jeter au sol et de fouler le mégot du pied.
Un autre signe de la main et encadrés par mes hommes, les colonnes de prisoniers quittèrent lentement l'astroport pour se diriger vers ce qui était la raison de leur présence sur Vax III : les travaux forcés.
On les conduirait tout d'abord dans nos locaux administratifs provisoires où après un examen médical sommaire, on leur donnerait une tenue de prisonnier rayée et un numéro, pour les indentifier plus aisèment.
Enfin, après avoir stocké leurs affaires actuelles dans un de nos entrepôts, on leur indiquerait leur baraquement, dans le camp de prisonniers à quelques klicks de là avant de les laisser se reposer pour la nuit. Leur travail commencerait dès l'aurore et ne s'arrêterait alors que quelques heures par jour, le temps de reprendre des forces et de dormir un peu.
Je grimpais à l'arrière de mon landspeeder et me fis conduire jusqu'à mon quartier général, traversant ainsi le chantier ou une équipe arrivée quelques jours plus tôt y travaillait d'arrache-pied. Quelques aliens me regardèrent passer, certains avec de l'accablement dans les yeux, d'autres, avec une pointe de fierté que les coups et les brimades n'avaient pas réduite à néant.
Sans doute se disaient-ils malgré tout, que cela avait été stupide de leur part de prendre fait contre l'Empire. Que la prison était encore préférable à ce qu'ils vivaient sur Vax III.
Ils auraient probablement dû se poser la question avant.
Le speeder passa tout d'abord au travers une gigantesque zone désertique, nue comme le dos d'une main avant de survoler des tranchées creusées par les captifs et des barbelés déroulés par les aliens, qui s'y blessaient les mains.
L'appareil gravit alors une pente douce, où l'on croisait ça et là des blockhaus en formation.
Après plusieurs minutes d'ascention et une nouvelle ligne de barbelés, la pente se transformait en plateau où l'on érrigeait de gigantesques immeubles en parabéton, renforcés par des tourelles et des nids à mitrailleuses.
Enfin, après un labyrinthe urbain où chaque allée cachait des angles de tirs vicieux, nous atteignimes une petite zone herbeuse flanquée de deux TB-TT à l'arrêt. Je quittais le confort des sièges en cuir pour faire quelques pas sur l'herbe.
Je m'avançais jusqu'à trouver une plaque de duracier qu'on aurait simplement cru posée sur le sol avant de presser une série de chiffres sur un paneau de commande non loin d'elle. Aussitôt, la plaque coulissa, revélant une volée de marche parfaitement entretenues dans laquelle je m'engageais sans perdre d'avantage de temps.
Je venais de pénétrer dans ce qui serait mon dernier carré en cas d'invasion rebelle : mon bunker personnel.
Tout Vax III d'ailleurs, pouvait d'ailleurs se réduire à cette simple fonction. Je n'avais pas eu autre chose en tête lorsque j'avais acquis et terraformé la lune.
La nécéssité pour le Comité de disposer d'une réelle base défensive avait fait son chemin au fil des années, avant de s'imposer définitivement après la défaite de Yavin IV. Le siège du COMPORN, sur Coruscant, disposait des défenses de base de tout bâtiment administratif impérial mais cela m'avait toujours semblé insuffisant. Et ne parlons même pas du skyhook qui flottait au dessus de Triple Zéro. L'édifice n'avait pas été bâti en prévision d'un siège, contrairement aux installations de Vax III.
Un long couloir s'offrit à moi alors que le talon de ma botte quittait la dernière marche de l'escalier. Je laissais mes mains gantées effleurer le parabéton des murs, comme pour m'assurer que rien ne pourrait les briser. Au terme de ce couloir, je bifurquais devant une nouvelle installation défensive, une tourelle E-Web, pointée sur les escaliers de l'entrée du bunker. Ainsi, si nos ennemis parvenaient malgré tout à pénétrer dans l'abri souterrain, ils auraient encore à déployer beaucoup d'efforts pour progresser dans l'édifice.
Arrivé dans le hall principal ou quelques Subs-Adultes s'employaient à mettre de l'ordre, j'allais sans attendre à la salle de commandement. Quelques portes en duracier poussées et renvoi de salut rapide aux soldats en poste, je pénétrais dans le centre névralgique du bunker.
La pièce était relativement grande malgré trois pans de mur sur quatre occupés par des ordinateurs et des moniteurs.
Des techniciens s'affairaient derrière les machines, vérifiant que les premières défenses étaient fonctionnelles.
Rekkon, mon ancien aide du temps où j'étais avocat général de la section Justice, tiré de ce départerment par mes soins quelques jours auparavant, prenait ses marques en tant que directeur principal du camp de travail de Vax III. Il me salua d'un respectueux signe de tête, sachant que j'avais vite horreur des saluts impériaux à outrance. Nous nous serrâmes la main.
_Alors Rekkon, dis-je en guise d'introduction. Est-ce que Vax III est à votre goût ?
_Pour être tout à fait honnête, répondit le nouveau directeur, la lune est absolument immonde. J'ai connu des planètes prisons qui avaient meilleure mine.
_Tant mieux, formulais-je avec un petit sourire. Vax n'est fait faite pour être belle. Nous serions tous restés sur le skyhook si l'esthétisme avait été notre priorité ici. J'ai l'impression que les travaux avancent plutôt bien.
_Plutôt oui, confirma Rekkon d'un signe de tête. Bien que je dois avouer ne pas encore avoir totalement englobé la totalité de mes charges, je pense que le chantier est en bonne voie. Les prisonniers fournissent une masse de travail considérable.
Je notai sans peine le ton gêné qui accompagnait sa dernière phrase. Je posai ma main sur l'épaule de mon subordonné.
_Je sais que l'emploi de déportés aliens est quelque chose de préocupant moralement mais avions-nous un autre choix ? Tous les crédits de l'Empereur ont été engloutis dans cette monstrueuse Etoile Noire et si les ouvriers travaillaient par patriotisme, ça se saurait.
J'eus un bref soupir.
_Utiliser des droïdes était exclu : les tempétes electromagnétiques qui balayent Vax III brouillent les senseurs de la plupart d'entre eux. Seuls les modèles les plus récents résisteraient et ils coûtent les yeux de la tête.
Je pivotai afin de regarder les moniteurs une seconde. Sur l'un d'eux on voyait un groupe de wookies en train de construire un blockhaus sous la direction d'un SA brandissant un fouet.
_Non, repris-je, l'utilisation des aliens était la seule chose logique à faire. Ils sont chassés de leurs planètes suite aux lois spécistes, personne n'en veut. Voilà une force de travail disponible dont il serait idiot de se passer, n'est-ce pas ?
Ôtant ma casquette d'officier, je passai ma main dans mes cheveux quelques secondes.
_Et puis, ils ne restent sur Vax III que quelques semaines avant de repartir vers leurs camps ou leurs vaisseaux prisons. Ils ne sont pas ici pour toute leur vie. Et que sont deux ou trois semaines dans la somme d'une vie, je vous le demande ?
La réalité était plus prosaïque - qui arrivait sur la lune ne la quittait plus - mais je me devais d'étouffer les remords de mes hommes. La décision avait été déja assez dure à prendre en elle-même, je n'allais pas en plus devoir combattre des réfractaires dans mes rangs !
Les prisonniers détenus sur Vax III étaient avant tout des détenus politiques et des aliens réfractaires à l'Empire.
Devenus apatrides, ils n'avaient plus aucune existence légale. Une bénédiction pour le camp de travail, qui n'apparaissait même pas dans les statistiques.
Les opérations de construction de Vax III devaient rester secrètes, pour éviter toute contestation des masses populaires. Le peuple serait sans doute peiné de savoir que les ennemis de l'Empire se tuaient à la tâche sur une lune de la Bordure Intérieure, quand bien même c'était lui qui les avait livrés aux autorités.
_Vous avez été informé de l'ampleur des travaux ? demandais-je à Rekkon pour tenter de changer en partie de sujet.
_J'ai pu jeter un oeil sur quelques plans. C'est assez colossal, commenta-t-il.
_Il faudra à moins ça pour se prémunir de toute attaque, soufflais-je en m'avançant jusqu'à une holocarte d'etat-major sur laquelle le chantier apparaissait.
_Comme vous pouvez le voir ici, dis-je au directeur en pointant du doigt la zone en question, Vax III n'est rien d'autre au final qu'une succession de positions défensives. La lune n'est accessible à des vaissaux un tant soit peu importants qu'ici, sur la mesa, l'astroport. Les premiers canons DCA devraient arriver dans les jours à venir. Si l'ennemi réussit néanmoins un débarquement, il devra franchir tout le no man's land complètement à découvert, s'exposant au feu de nos hommes repliés dans les tranchées. Si les tranchées cèdent, l'adversaire devra gravir cette grande zone en pente, sous les tirs de nos blockhaus et se dépétrer des barbelés. Puis, la zone urbaine dont la construction empêche par sa nature même l'avancée de chars ou de véhicules lourds où il devra faire face à nos snipers et notre arrière garde. Enfin, s'il atteint l'entrée du bunker et bien, il lui restera encore à entrer. Et à y survivre s'il met un pied dedans.
_Le bunker lui-même dispose de défenses ? demanda Rekkon.
_Vous avez déja dû voir la tourelle pointée sur l'escalier, fis-je remarquer. L'abri se compose de trois niveaux et chacun est plus puissament défendu à chaque fois. D'après nos premières simulations, un assaut de dix mille hommes sur Vax III se briserait dans la zone urbaine. Aux portes du bunker s'ils ont de la chance. Et nous ne sommes qu'au début du chantier. Dans quelques mois, quand la lune sera opérationnelle, les rebelles peuvent venir avec autant d'hommes, d'armes et de munitions qu'ils le souhaitent. Je leur souhaite bien du plaisir...
_Vous avez l'air de connaître les défenses de Vax III sur le bout des doigts, nota Rekkon.
_Vax est mon projet, comme celui de l'Etoile Noire était celui de Tarkin. A la différence que ma lune, elle, ne sautera pas suite à une escarmouche contre de pitoyables chasseurs rebelles.
Il y avait une part de fierté dans le chantier de Vax III. C'était ce que je voulais laisser en legs comme preuve de mon passage dans la galaxie. Mon nom ne serait pas seulement cité dans les hololivres d'histoire comme cadre du COMPORN ou instigateur des Zones de Protection Alien mais également comme le bâtisseur de la plus formidable installation défensive de toute l'histoire de l'univers. Qui aurait immaginé un petit fils de fermier accomplir cela ?
_Et admettons que l'ennemi dispose de ressources en hommes très importantes, hésita Rekkon, m'arrachant à mes rêveries, et qu'au prix de milliers de morts, il atteigne le bunker. Est-ce qu'il ne pourrait pas en faire le siège ?
_Qu'il le fasse si ça lui chante, dis-je en haussant les épaules. Nous n'aurions qu'à contacter notre flotte de renfort qui se cachera dans la face cachée de Vax. Ou bien de demander de l'aide à nos amis d'Arkania ou d'autres régimes coopératifs. Entre le marteau et l'enclume, ils seront réduits en poussière stellaire.
_Le plan m'a l'air bien rôdé.
_Il l'est. Je le peaufine depuis des années. Aujourd'hui, j'ai enfin la chance de pouvoir le mettre en place. J'en serais presque à implorer les rebelles de tenter une attaque pour tester ma machine de guerre.
Je passais déja pour un habile stratège avec ma redoutable oraguerre, vite adoptée par d'autres officiers impériaux mais si les défenses de Vax III faisaient leurs preuves, ma renomée jouxterait celle des plus grands tacticiens de notre temps.
M'adressant à un technicien, je lui demandais la date et l'heure qu'il était sur Coruscant. Après que l'employé m'ait répondu, je fronçai les sourcils une minute avant de déclarer :
_Qu'on ammène ma navette sur l'astroport. Si je me dépèche, je peux encore arriver à temps à l'anniversaire de ma fille.
_Votre fille ne le fêtait pas il y a deux mois ? demanda Rekkon.
_Si mais Dakcen n'était pas là et elle tenait absolument à avoir son oncle auprès d'elle. Sans parler des trous dans mon emploi du temps qui se font de plus en plus rares...
Je quittai alors la salle de commandement avant de revenir sur mes pas pour remonter à la surface, Rekkon sur mes talons. Alors que nous gravissions les escaliers, je m'adressai à lui, sans me retourner.
_J'ai demandé à Kessel et aux autres planètes prisons de nous envoyer d'avantage de prisonniers. De même, les régimes coopératifs devraient accentuer le flux de déportés vers Vax III. Les travaux iront d'autant plus vite.
_Si nous subissons de nouveaux arrivages, il va falloir aggrandir le camp, fit remarquer le directeur.
_Vous avez les pleins pouvoirs sur cette lune, rappelais-je à Rekkon. Prenez-y comme vous voulez, par la menace, les coups, les récompenses...tout ce que je veux, c'est que dans trois mois au maximum, toutes les lignes de défense soient opérationnelles. Il sera toujours temps de les renforcer plus tard, dis-je en regagnant l'air libre.
_A vos ordres, dit simplement Rekkon. Nous allons essayer de faire au mieux.
_Il ne s'agit pas d'essayer mais de faire, corrigeais-je en grimpant à l'arrière de mon speeder. Le COMPORN est à l'orée de grandes choses mon ami. Vax III est un rendez-vous avec l'Histoire. On ne doit pas le manquer.
_Compris, affirma Rekkon en effectuant un salut impérial parfait. Comptez sur moi. Vive le Comité !
Je notai le changement de la formule dans sa bouche et m'en rejouis. En voilà un au moins qui comprenait ce qui attendait notre organisation.
_Vive le Comité, répondis-je en saluant à mon tour.
Le landspeeder s'arracha alors à la zone herbeuse pour retraverser toute la zone des chantiers et regagner la mesa. A l'astroport, je grimpai dans ma navette personnelle qui quitta rapidement le plancher des banthas pour rejoindre l'orbite de Vax III et passer en hyperespace. Une seconde avant que le pilote n'actionne la vitesse lumière, j'eus un bref regard sur la lune prison où des milliers d'aliens étaient réduits en esclavage par ma faute dans l'indifférence la plus totale. Mais une fois Vax III achevée et bien, qui se soucirait de savoir comment les bâtiments avaient étés errigés ? On glorifiait les pyramides de Yavin IV et on oubliait que des centaines d'esclaves massassis avaient payé le chantier de leur vie. La même chose se passerait ici.
Et puis après tout, personne n'en saura rien, soufflais-je entre mes dents alors que le décor de Vax et de ses lunes disparaissait dans un tourbillon multicolore, et quand ça sera le cas, ça sera trop tard. Ils seront tous mouillés jusqu'au cou.
_Joyeux anniversaire ma chérie !
Eesla s'empara du paquet que je lui tendais en un éclair et en un tournemain elle déchira le papier cadeau pour réveler ce qu'il dissimulait. Ses yeux d'un bleu azur s'aggrandirent quand elle découvrit une petite boite en métal, entourée d'un ruban de couleur vive et percée de trous gros comme un pièce de décicred. Elle dénoua le noeud avec application et ouvrit avec précaution la boite, avant de pousser un petit cri de surprise quand une minuscule boule de poil couleur châtaigne lui sauta littéralement dessus, avant de se blottir dans ses bras et de ronronner. Ma fille eut un second cri mais de ravissement cette fois.
_C'est un vrai voorpak ? demanda t-elle, effleurant la fourrure du petit animal de ses doigts.
_Un authentique spécimen des plaines de Naboo, confirmais-je à Eesla. L'animal préféré des jeunes filles de cette planète. Tu verras, nourris-le bien en câlins, donne lui quelques lézards à manger de temps en temps et tu auras sa loyauté pour toujours. Et en plus, les voorpaks vivent longtemps. Il grandira avec toi.
Ma fille gazouilla un remerciment avant de partir ventre à terre en direction de sa chambre, serrant son nouvel ami contre ses habits de fête.
Dakcen assis à côté de moi à la table du salon eut un rire de gorge en reprenant une part du gâteau d'anniversaire.
_Tu lui as surtout pris un voorpak pour que les garçons la laissent tranquille dans quelques années, hein ?
Le voorpak était connu pour s'attacher fortement à ses maîtresses et malheur à ceux qui les importunaient s'ils ne voulaient pas faire une rencontre douloureuse avec les crocs et les huits longues pattes effilées de l'animal !
_Pas que, ajoutais-je dans un sourire. Boldni commence à se faire vieux, il a un peu de mal à suivre les frasques d'Eesla...
Comme pour confirmer mes dires, mon spukama sortit la tête de son panier, miaula un court instant avant de se calfeutrer dans les coussins. Il avait assez mal vécu la période où ma fille s'était prise pour une styliste de mode et lui avait fait essayer différents ensembles, maquillage en prime.
Je laissai aller ma tête contre le dossier de ma chaise et m'accordai un soupir d'aise. Ca faisait du bien de faire une pause, surtout pour quelque chose d'aussi important que l'anniversaire de ma gamine. Même si nous le fêtions techniquement, avec deux mois de retard.
_La vie se passe bien sur les colonies ? demandais-je à mon ami en me servant une généreuse rasade de jus de pallie dans un verre de cristal finement ciselé, une autre richesse que j'avais "réquisitionné" auprès d'une riche famille alien.
_On commence à peine à s'installer. Mais au moins, y a du travail là bas.
_Tu bosses dans quoi ?
_J'essaye d'être marchand, gloussa t-il. J'importe des trucs, j'en exporte d'autres. Ca marche pas encore très fort pour l'instant mais ça devrait décoller dans quelques mois.
_Tu veux que je mette des gars de Commerce sur le coup ? Ils ont des contacts, ils pourraient t'aider.
Dakcen eut un geste de dénégation.
_Non, c'est pas la peine, je t'assure. J'aime bien me débrouiller sans le Comité. Ca me change, pouffa t-il.
Il finit sa part de gâteau et devint soudain plus sérieux.
_Il semblerait que je me sois cassé avant que tout se mette à craquer de partout.
_C'est l'Armée qui craque, pas nous, précisais-je. On a même plus de pouvoir qu'avant. Tu vas voir que dans quelques temps, on sera bien placés pour damer le pion aux autres imbéciles de l'armée régulière ou de l'Inquisitorius.
_Ca m'inquiète tout ça, souffla mon ami en se grattant le menton. On devrait pas essayer de faire bloc commun plutôt que de se tirer dans les pattes ? On est quand même en guerre. Les rebelles, c'est une sérieuse menace.
_Oh, je t'en prie. Oui, ils ont détruit l'Etoile Noire et alors ? La CSI a aussi gagné des batailles pendant la Guerre des Clones et jusqu'à preuve du contraire, c'est nous qui en sommes sortis vainqueurs. Yavin IV c'était une belle victoire pour eux, d'accord. Mais tant qu'on a le peuple avec nous, l'Alliance pourra exploser toutes les stations de combat qu'elle veut, elle ne gagnera pas la guerre civile.
_Et même s'il y avait pas les rebelles, fit remarquer Dakcen. Le but de l'Empire, c'est d'apporter la paix et la sécurité dans la galaxie, non ? Pas que ses administrés soient toujours en train de se disputer les miettes du pouvoir comme des charognards.
_C'est exactement ce que je m'efforce de faire, rétorquais-je d'un ton qui se durcissait. Le jour où l'Empereur disparaîtra, le COMPORN devra s'assurer que les institutions restent bien en place, que ça ne tourne pas au chaos. Et pour ça, le Comité a besoin de d'avantage d'appuis. Les militaires voient les choses en soldats. Nous, on a une vision politique, scientifique, artistique...le jour où l'Armée se rendra compte de notre véritable force, ça sera trop tard pour elle. Elle devra se mettre au pas où bien...
_Ou bien ?
_Purge. Ca ne sera pas la dernière fois.
Un blanc passa dans la conversation. Je dois avouer que je n'aimais pas le ton que prenait la discussion.
_Alsh, lança franchement Dakcen, j'ai entendu des choses. Ce ne sont sûrement que des rumeurs mais elles me mettent mal à l'aise. Je me disais qu'en tant que numéro deux du COMPORN, tu devais pourvoir me rassurer.
_Vas-y, lui dis-je, bien que je me doutais déja de ce qu'il allait dire.
_Il paraît que le Comité serait en train de bâtir une base imprenable quelque part sur la Bordure Intérieure. Un endroit où se réfugier en cas de crise grave ou si la guerre tourne mal pour nous.
Je lui fis signe de continuer.
_On dit que le COMPORN utilise des prisoniers pour les travaux de construction. Officiellement, des détenus politique mais ça serait principalement des aliens, victimes des lois spécistes. On les parquerait dans des gigantesques vaisseaux cargos, les transportant pire que du bétail, les marquant à l'arrivée, les faisant travailler jusqu'à épuisement. Je me doute qu'il n'y doit rien y avoir là dedans de vrai...sinon, tu serais intervenu, non ? Je veux dire, tu ne laisserais pas faire une chose pareille. N'est-ce pas ?
Ma langue me parut attrocement sèche. Je bus un peu de jus de pallie pour me réhydrater et réflechir à la façon dont j'allais répondre. Devais-je être honnête et lui dire que le camp de travail de Vax III était entièrement mon idée ?
_Bien sûr que si quelque chose d'aussi atroce se passait au sein du Comité, je ferais quelque chose, tu penses. Mettre ces aliens en prison est une chose mais les déporter pour les forcer à travailler pour nous, tu imagines...non, si quelque chose de ce genre arrivait dans mon organisation, je peux te promettre que les coupables passeraient directement en cour martiale.
Un air de soulagement éclaira le visage de mon ami.
_Tu me rassure, m'affirma t-il. Je me disais bien que les rebelles inventent n'importe quoi pour nous discréditer mais là...
_On peut pas leur en vouloir, hein ? dis-je avec un petit sourire forcé. Après tout, c'est la guerre...
Dakcen opina du chef et quitta le salon pour aller voir sa nièce de coeur jouer avec le voorpak, me laissant seul autour de la table avec un cruel dilemme. J'avais l'impression de me retrouver dix ans en arrière, lors de la nuit de la première purge du Comité, quand j'avais dénoncé Eleiza.
Aujourd'hui encore, les choix étaient clairs. Je pouvais ne rien faire et dans ce cas, laisser Dakcen libre de ses mouvements, ce qui me prodiguerait un terrible retour de flamme quand il apprendrait la vérité. Il avait encore des appuis au sein de l'organisation. Je ne pouvais risquer une fragilisation du COMPORN à l'heure de son appogée. La vérité sur Vax III devait encore rester secrète. J'en étais donc contraint de faire mon second choix.
Eliminer Dakcen.
Je ne pouvais pas le livrer au BSI comme ça. Sans compter qu'il ne fallait pas qu'il parle. Le mieux était de l'éliminer physiquement. Sans compter que je pouvais en tirer avantage : les colonies étaient faiblement défendues. Une attaque sur celle où résidait mon ami était tout à fait probable. On maquillerait l'assaut en un raid des rebelles, désireux d'éliminer un proche du pouvoir impérial. Et accusant l'Alliance Rebelle, je pourrais encore accroître le pouvoir du COMPORN.
C'était la seule chose logique à faire. Même si ça ne me faisait pas plaisir pour autant, bien au contraire. Soupirant, je quittai à mon tour le salon pour rejoindre ma fille et mon meilleur ami, condamné à mort.
Sauf qu'à ce moment, j'étais le seul de nous trois à le savoir.
Les portes du turboélévateur s'ouvrirent silencieusement sur un hall marbré de blanc et de noir.
A quelques mètres des ascenseurs, des réceptionnistes, confortablement installées derrière un grand bureau en pierre noire, devaient renseigner les visiteurs. Occupées à répondre à des appels, elles ne remarquèrent pas la véritable armée qui surgit alors des turboélévateurs, faite d'hommes en costume et de soldats en arme. Amusé, je fis signe à mes hommes d'attendre encore un peu avant de s'avancer plus dans le hall. Les hôtesses d'accueil ne levèrent les yeux que lorsque je décidai de glisser une cigarette entre mes lèvres et de l'allumer, par pure provocation devant l'inscription "Interdit de fumer", apposée un peu partout dans la pièce. Une des jeunes femmes dressa la tête avec un air plein de reproche avant de se décomposer en découvrant qu'une bonne vingtaine d'hommes du COMPORN patientaient dans le hall. La surprise se mêla à la peur quand elle me reconnut. La célébrité avait ses avantages.
Elle poussa du coude sa collègue qui ne tarda pas elle aussi, à arborer rapidement la même expression. Je m'avançai doucement jusqu'au bureau, coinçais la cigarette entre mes doigts et crachai presque la bouffée de fumée sur le visage des jeunes femmes. Je me moquai bien de paraître sans-gène car aujourd'hui était une journée toute particulière.
_Monsieur Nexhrn...balbutia une des réceptionnistes. Je...est-ce que vous aviez rendez-vous ?
_Délégué Nexhrn, la repris-je. Et non, je n'avais pas de rendez-vous. Mais je pense qu'étant donné la raison de ma présence, je n'en avais pas besoin.
Comme elle m'interrogeait du regard, je lui répondis en tirant à nouveau sur ma cigarette.
_Redressement total du cabinet Krane. A effet immédiat.
Je vis nettement les réceptionnistes déglutir avec difficulté. Un coin de leur cerveau venait de se mettre en alerte, comprenant plus ou moins la situation. L'une d'entre elles saisit son casque comlink, pianota sur un clavier et annonça d'une voix terne.
_Maître Krane ? Des messieurs du Comité pour la Préservation de l'Ordre Nouveau sont ici, avec monsieur le Délégué Nexhrn. Ils demandent à vous voir à propos du redressement du cabinet.
A l'autre bout du fil, ce fut une voix étranglée par la peur qui répondit :
_Conduisez le Délégué jusqu'à mon bureau s'il vous plaît.
La jeune femme hocha la tête, coupa la communication et se leva de sa chaise. Alors qu'elle quittait le bureau pour ouvrir une porte vitrée adjacente, je pus noter qu'elle tremblait comme une feuille. Mes hommes m'interrogèrent du regard pour savoir s'ils devaient m'accompagner.
Je choisis d'être escorté par deux soldats de la CompForce, au cas où. Les autres pouvaient rester dans le hall pour l'instant.
Je fumais toujours alors que je foulais du pied la moquette argentée qui recouvrait le sol de l'open space que nous traversions. Une sorte d'excitation infantile m'agitait intérieurement, doublé d'une certaine jubilation. J'étais dans le siège du cabinet Krane ! Mon rêve d'enfance !
Mais le plus beau, c'est que je n'y étais pas un habitué, c'était la première fois que je pénétrais dans ce magnifique immeuble du district financier et c'était en tant que ponte du COMPORN, pour mettre le cabinet à genoux.
Marchant d'un pas énergique, je posais rapidement les yeux sur la meute de jeunes avocats et de juristes qui relevaient la tête de leurs dossiers ou de leurs ordinateurs, surpris de voir des soldats dans leur lieu de travail. Dire que pour un peu, j'aurais pu être des leurs, à plaider avant tout en fonction de la commission que je toucherais sur chaque affaire.
Un être égoïste, dévoré par l'appétit financier, ne vivant que pour gagner encore plus d'argent et le dépenser de la façon la plus extravagante qui soit.
Mais les choses avaient tourné autrement. Pour une fois, Krane allait regretter de ne jamais s'intéresser au second d'une promotion d'université de droit. Je menais personnellement l'opération de redressement avec la sensation de partir au combat détruire un être immonde, une monstruosité qui m'avait attiré autrefois.
Mon regard se perdit un moment dans la richesse des lieux où si l'on grattait un peu du marbre des murs, on aurait pu en le vendant faire vivre des familles entières jusqu'à la fin de leurs vies. Dire que j'avais eu l'espoir, plus jeune, de changer le cabinet Krane de l'intérieur. Maintenant que mes pieds foulaient enfin le sol du gratte-ciel hors de prix, je me rendais compte à quel point je fantasmais. On ne pouvait reconstruire sans briser au préalable. Et c'était exactement ce qu'allait faire le redressement que j'avais ordonné sur le cabinet Krane.
J'aurais parfaitement pu désigner un de mes sous-fifres pour s’acquitter de cette besogne mais je tenais à régler le cas de Krane moi-même.
Moi et mes hommes suivirent la réceptionniste pendant près de cinq minutes avant qu'elle ne s'arrête devant une majestueuse porte en bois et frappe doucement. On lui répondit d'entrer. Entrouvrant la porte et passant la tête par l'interstice, elle annonça notre présence et fit un pas en arrière avant de nous ouvrit tout à fait.
Dépassant la jeune femme, je fus le premier à poser le pied sur la moquette angora du bureau de Krane en me demandant s'il serait le même que dans mes souvenirs. Je me remémorai le visage de Krane avec celui qui s'était gravé dans ma mémoire quand j'étais un enfant, lorsque j'essayais de regarder quelque chose sur l'Holonet, m'enfermant dans cette bulle virtuelle pour échapper à l’existence de misère que j'avais là-bas.
Je me souvenais très bien de la première fois que j'y avais vu Krane. Un jeune et beau jeune homme aux cheveux châtains, drapé à merveille dans une robe d'avocat qui pourfendait inlassablement tous ceux que le procureur général lui présentaient. J'avais eu à ce moment là, un respect presque religieux pour cet homme et au moment où je dus éteindre le moniteur, je sus que je voulais faire comme lui.
C'était pour lui ressembler que j'avais tant travaillé, à l'école puis à la faculté de droit. Assurément, Vonar Krane avait été mon idole et l'étoile que j'avais choisie pour me guider pendant de longues années d'études.
Et maintenant que j'avais enfin mon idole devant moi et bien...je devais dire qu'il me faisait horreur. Il m’évoquait une sorte de sculpture ancienne, marqué par les années mais toujours présent, comme un vieux prédateur qui refuserait de quitter l'arène, gonflant le dos et crachant pour éloigner ses rivaux de lui avant qu'ils ne se rendent compte qu'il n'était plus que l'ombre de lui-même.
Ce n'était pas seulement les rides, la chirurgie esthétique, la mauvaise teinture ou le dos qui se voûtait qui brisait l'image que j'avais eu de lui mais quelque chose dans son attitude, dans son aura qui m'inspirait le dégoût.
Peut-être parce que en l'approchant pour de vrai, des années après avoir rêvé de cette rencontre, je le voyais enfin pour ce qu'il était : un charognard formé à se battre pour les droits des plus faibles mais ayant retourné sa veste à la première occasion en entendant le chant des crédits. A la lumière de cette réflexion, je revoyais ses plaidoiries dans mon esprit et les décortiquai, les analysai pour enfin me rendre compte de la vérité nue : Krane était un minable.
C'était peut-être le patron du cabinet d'avocats le plus prestigieux de Coruscant mais c'était un minable.
Il était peut-être plus riche que la plupart des cadres du COMPORN mais c'était un minable. Il avait peut-être eu son nom dans les holojourneaux, les gens le reconnaissaient peut-être dans la rue mais tous le voyaient comme ce qu'il était en réalité : un minable doublé d'une crapule.
Et dire que...dire que j'avais failli rejoindre son cabinet. Dire que j'avais manqué de travailler pour cet homme, de mettre mes compétences au service de son appétit vorace pour les commissions. Décidément, plus j'y repensais, plus j'étais content de n'être arrivé que deuxième à l'école de droit.
Vonar Krane me tendit une main assurée et un sourire qu'il voulait franc mais je savais que tout n'était que façade. Que le vernis craque et il se montrerait dans toute sa vanité.
_Monsieur le Délégué...c'est un honneur.
La voix était posée et il prenait la peine de regarder dans les yeux. Des dizaines d'années de métier lui avaient enseigné comment paraître sûr de soi mais on sentait bien qu'il était mal à l'aise. Il était un habitué de l'atmosphère feutrée des tribunaux, des règlements à l'amiable autour d'un repas de luxe. Malgré son bagage en plaidoirie, rien ne l'avait préparé à s'entretenir avec le numéro deux d'une des organisations les plus puissantes de l'Empire.
_Je n'irais pas par quatre chemins, dis-je de but en blanc au vieil avocat. Votre cabinet est à compter d'aujourd'hui, en situation de redressement. Des administrateurs provisoires sont déja sur place et prendront le contrôle de Krane & Associés, retirant du cabinet toutes les parts détenues par les aliens, qui seront confiées à des êtres dignes de leur race, les humains.
_C'est de la folie ! persifla Krane, la colère brisant en un instant son masque d'amabilité feinte. Le cabinet ne peut pas fonctionner correctement si tous mes collaborateurs...
Je le coupai en levant la main.
_Vous m'avez mal compris. Maintenant que le cabinet est en redressement, l'important n'est plus que Krane & Associés fasse du chiffre, cette politique est révolue. Nous allons réformer le cabinet en profondeur, le remettre à la place qu'il n'aurait jamais dû quitter : la défense des citoyens impériaux.
_Des citoyens impériaux humains vous voulez dire, précisa le vieil homme en grommelant.
J'eus un haussement d'épaules fataliste.
_Défendre un humain parce que l'on souhaite sincèrement l'aider vaut toujours mieux que tendre la main à un riche industriel alien parce qu'il nous fera un gros chèque à la fin du procès, n'est-ce pas ?
_Et pourquoi nous ? demanda Krane en grimaçant. Il doit bien y avoir d'autres cabinets d'avocats sur Coruscant, non ? Qui engagent aussi des non-humains...
_Mais tous ne sont pas Krane & Associés, dis-je en faisant tomber un peu de cendre rougeoyante sur la moquette de luxe. Vous êtes les avocats les plus riches et les plus célèbres de Coruscant. Si vous n'êtes pas un exemple d'intégrité, personne ne le sera.
En vérité tous les cabinets d'avocats ne m'étaient pas si intimement liés. Et tous ne devaient pas disparaître à quelques années de ma plus grande gloire pour me laisser un triomphe immaculé. Même si c'était avant tout une affaire personnelle.
_Estimez-vous heureux que le Commissariat aux Questions Aliens ait été clément. Vous gardez votre poste, du moins, à titre honoraire. A vous de voir avec les administrateurs quelle marge de manœuvre ils vont vous laisser, si ils vous en laissent une.
_C'est de la folie, répéta énergiquement Krane, j'ai fondé ce cabinet ! J'en suis le patron !
_Plus maintenant, affirmais-je en écrasant ma cigarette directement sur le bureau métallique de Krane.
Le vieil homme fit un pas menaçant dans ma direction mais se calma bien vite quand mes gardes du corps m'entourèrent et pointèrent leurs fusils blasters sur lui. Il baissa le poing et maugréa.
_Faites entrer le reste de mes hommes, je vous prie, commandais-je à la réceptionniste qui se trouvait toujours derrière nous. Ils verront directement avec monsieur Krane pour les histoires de documents officiels concernant le redressement.
Satisfait, je tournai les talons et flanqué des deux soldats de la CompForce, je quittai le bureau du maître des lieux. J'aurais pu quitter les lieux sans attendre, principalement parce qu'une masse de travail importante m'attendait au bureau mais il me restait encore quelque chose à faire. Ou plus précisément, quelqu'un à voir.
Je ne mis pas très longtemps à trouver ce que je cherchais, après une rapide consultation des plans du bâtiment. Je stoppai devant une porte bardée d'une petite plaque de cuivre que je lus rapidement, dis à mes hommes d'attendre mon signal pour me rejoindre et sans frapper, j'entrai.
L'occupant du bureau dans lequel je venais de pénétrer leva les yeux du dossier qu'il consultait pour les braquer sur moi. Un faible sourire éclaira son visage quand il me reconnut.
_Alsh. Ca faisait longtemps. Tu vas bien ?
Je clignai des yeux, stupéfait par l'attitude de Kolba'ra. Il était là, en train de s'adresser poliment à moi, comme si l'uniforme que je portais n'avait aucune importance et que j'étais toujours son vieux camarade de promotion. Il n'avait pas beaucoup changé physiquement. Il avait vieilli bien sûr mais on retrouvait toujours en lui ce petit quelque chose qui l'avait tant caractérisé à l'école de droit, ce mélange d'intelligence et de nonchalance, comme si tout était facile pour lui.
Il lissa le pli de sa cravate et d'un geste de la main, m'invita à m'assoir. Par bravade, je refusai, préférant rester debout.
_Je suis content que tu viennes enfin me voir. Mais j'aurais quand même préféré que ça se fasse dans d'autres circonstances.
Et voilà qu'il se mettait à plaisanter ! Toujours la même capacité à ne jamais rien prendre au sérieux.
_Tu sais pourquoi je suis là ?
_Je ne suis pas un idiot Alsh. Quand ton vieux rival entre dans ta boite en uniforme, flanqué d'une armée de types en costumes et de soldats, c'est rarement pour participer au pot de départ.
Kolba'ra avait dit tout cela d'un ton badin, griffonnant sur son dossier. Pour un peu, il se serait mis à siffloter.
_C'est drôle, me dit-il en jouant à faire tourner son stylo entre ses doigts, ça me rappelle notre troisième année à la faculté, tu te souviens ? On avait eu cet examen sur l'affaire Sunry, ce héros de guerre, accusé de meurtre sur Manaan. Histoire de changer, on était arrivés premiers. Et je crois que cette fois-ci, t'étais devant moi. Enfin bref, on reçoit nos notes, on se charrie comme d'habitude et le soir même, on va à une fête, sur le campus. Et on décide de participer à un de ces concours de boisson idiots des fraternités. Et là encore, égalité presque parfaite, j'ai dû te battre d'un verre de jus de juma.
_Ouais, je me souviens aussi, dis-je laconiquement. Mais on a pas toujours étés au même niveau.
_Tu parles de l'examen final ? demanda le twi'lek en remettant en place un de ses lek. Fallait bien un major de promo. Et je t'ai pas battu de tant que ça.
_Cinq points, lui rappelais-je alors que je sentais une vieille rage monter en moi à l'évocation de cet évènement.
_J'aurais dis plus, murmura le twi'lek en se prenant le menton un instant. Mais j'ai quand même gagné, dit-il en refermant le dossier qu'il consultait. Et donc, c'est moi que Krane a voulu engager.
_Ouais. Et moi j'ai fini numéro deux, dis-je d'un ton amer.
_ Et maintenant, t'es à la tête d'une organisation de fêlés, responsable de je sais pas combien de morts à travers toute la galaxie et t'as été à la base de la toute première grande loi spéciste. Tu t'es pas si mal débrouillé compte tenu de la situation.
_Je fais mon travail. C'est tout.
Malgré moi, je sentais que ma voix tremblait.
_Oui, oui, ton travail. Qui consiste à opprimer des trilliards et des trilliards de non-humains pour qu'une seule race possède tout. Un beau job. Ta copine zabrak le vit bien j'espère ?
_Moi et Dontika, c'est fini depuis un bon moment. Tu le saurais si tu levais la tête des commissions que tu touches ici.
Rejetant la tête en arrière, il eut un petit rire et battit des mains :
_Ah...les attaques contre les méchants aliens ploutocrates. Je dois dire que ça faisait au moins une heure que j'avais pas eu droit à ce genre de remarque de la part d'un humain. Mais c'est quand même drôle que tu critique Krane & Associés alors que c'était ton rêve d'y bosser quand on était à l'école.
_C'était avant que je me rende compte qu'ils pensaient plus à l'argent qu'à...
Il m'interrompit en levant la main :
_C'est surtout quand je t'ai battu et que moi, je suis allé travailler ici. Va pas me faire croire que t'as découvert la réalité sur les motivations des grands cabinets le jour de la remise des diplômes.
Foutu Kolba'ra à avoir toujours raison !
_Tu m'as pas battu. T'as triché, murmurais-je alors que le tremblement dans ma voix gagnait en puissance, de même que le feu qui me dévorait les entrailles.
_J'ai quoi ? Répète, j'ai pas bien entendu.
_T'AS TRICHÉ ! explosais-je. T'as forcément triché ! Toi et ton clan vous étiez dans les magouilles jusqu'aux lekkus ! Vous avez soudoyé le jury pour que ce soit toi le major de promo !
Un silence pesant suivit ma déclaration après que je lui ai enfin craché au visage ce que je voulais lui dire depuis quinze ans. Kolba'ra se mit alors à esquisser un petit sourire navré et à se passer plusieurs fois la main sur le visage.
_Si tu crois ça, t'es complètement à côté de la plaque mon vieux. T'as quand même raison sur un point : ma famille a effectivement fait des choses pas nettes pour gagner sa fortune. En fait, mon clan était tellement crapuleux qu'ils ont rompu les ponts avec moi quand je suis entré à la faculté de droit. Un Ra qui devenait avocat, c'était un peu le mouton noir de la famille.
_Tu mens, fulminais-je. Ton oncle était sénateur ! Je sais qu'il avait vu Zionz avant la remise des diplômes. Pourquoi faire si c'était pas pour appuyer ton passage comme major ?
_Pour essayer de convaincre le professeur Zionz de m'exclure de la faculté. Lui non plus a jamais supporté que je marche droit. A l'université, je me suis fait tout seul. Exactement comme toi.
Non, c'était impossible, il essayait de m'embrouiller, il était en train de mentir ! Il avait forcément eu une aide occulte sinon, comment expliquer qu'il ait pu me battre à l'époque ? Comment moi, j'aurais pu perdre si le jeu n'était pas truqué à la base ? Décidément, par moments, j'adhérais véritablement à la Haute Culture Humaine. Les aliens n'étaient pas dignes de confiance ! Ou en tout cas, pas Kolba'ra.
_Ne me dis pas que t'es rentré dans ton organisation de cinglés à cause de ça ? me demanda le twi'lek.
_C'est pas une organisation de cinglés !
Il appuya son menton contre la paume de sa main et prit l'air contemplatif :
_Le pire, c'est que je suis sûr que tu le sais, que tu bosses pour des dingues. C'est juste que t'es tellement arrogant et sûr de toi que tu te remettras jamais en question.
_LA FERME ! m'époumonais-je, le rouge me montant aux joues alors que je n'avais qu'une envie, c'était bondir sur Kolba'ra et lui écraser le visage contre quelque chose de dur jusqu'à ce que son crâne éclate.
Je pointai un index rageur et tremblant de fureur sur mon rival tandis que de l'autre main, je fis signe aux deux soldats d'entrer dans la pièce et de se saisir de l'avocat.
_Tu vas avouer ta tricherie. Publiquement, exultais-je, dans un grand procès qui sera retransmis en direct sur l'Holonet. Et là, tous les citoyens impériaux pourront voir que personne, personne ne m'a jamais battu et que le seul à avoir jamais réussi, c'est en magouillant.
Kolba'ra jeta un coup d’œil rapide par la fenêtre, comme s'il pensait pouvoir sauter afin d'échapper aux soldats qui s’avançaient vers lui, exhibant une paire de menottes. Puis, il eut une sorte de soupir fataliste et tendit ses poignets aux hommes de la CompForce.
_Je pourrais difficilement avouer ce que je n'ai pas fait, dit-il laconiquement.
_Crois-moi qu'après un séjour dans les salles d'interrogatoires du BSI, tu seras beaucoup plus loquace. Tu signeras tout ce que je voudrai, simplement pour que la douleur s'arrête. Amenez-le au Commandant Sollaine, ordonnais-je à mes hommes. Je veux qu'il mette ses meilleurs bourreaux sur le coup. Je veux que ce déchet souffre jusqu'à en pleurer des larmes de sang...mais qu'il ne l'abîme pas trop non plus. Monsieur Kolba'ra devra être présentable pour son procès.
Étonnamment, le twi'lek se laissa embarquer sans rien faire. J'avais vu des prévenus se débattre, lutter contre leurs geoliers jusqu'à s'en arracher la peau des poignets pour se libérer des menottes mais l'avocat était incroyablement calme. Il s'arrêta néanmoins une seconde pour me parler en arrivant à ma hauteur.
_Profite de ta position de petit chef mon vieux, m'avertit-il. Ca durera pas toujours. Un jour, l'Empire tombera et alors toi et tous les autres dingues du Comité, vous serez jugés pour crime contre les civilisations.
Je me dressai sur la pointe des pieds pour le regarder droit dans les yeux :
_Peut-être bien que oui. Ou alors, peut-être bien que ce sera le COMPORN qui amènera l'Empire à ses dix mille ans de gloire. En tout cas, tu seras plus là pour le voir, tête de ver...
D'un ordre sec, je fis sortir mes hommes et le prisonnier, restant seul dans le bureau de l'avocat. Je sentis une douce chaleur m'envahir. Je l'avais fait. J'avais enfin pris ma revanche sur Kolba'ra. J'avais promis qu'il maudirait mon nom jusqu'à la fin de ses jours et il allait le faire. Beaucoup plus calme et détendu, j'allais observer plus en détail le bureau de mon vieux rival. Des dossiers, des feuilles bien ordonnées...il avait toujours été du genre organisé.
Mon regard s'arrêta sur une holophoto encadrée, représentant Kolba'ra en beau costume au bras d'une mirialanne en robe blanche, portant un bouquet de fleurs. Une photo de mariage. C'était étonnant comment les choses s'étaient inversées : Le plus grand séducteur de l'Université s'était finalement posé et c'était moi qui aujourd'hui, multipliais les histoires sans lendemain.
Pendant un bref moment, peut-être à cause de la fatigue qui me minait continuellement ou d'un jeu de lumière, je crus me voir à la place de Kolba'ra, en photo de mariage avec Dontika. Je secouai rapidement la tête et l'illusion se dissipa me laissant pourtant troublé alors que je reposai l'holophoto.
Qu'était-il arrivé à mon ancienne petite amie ? Est-ce qu'elle était retournée vivre sur Iridonia, avec sa famille ?
Est-ce qu'elle avait suivi son rêve et s'était installée sur Anaxes ?
Ou bien...mon regard plongea dans les profondeurs obscures de Coruscant. Est-ce qu'elle était là ?
Quelque part, dans une Zone de Protection Alien, à se terrer dans un ghetto sous la menace des soldats du COMPORN ?
Je me sentis étrangement coupable. Coupable d'avoir rompu aussi brutalement avec elle, coupable de ne pas avoir suivi ce qu'elle avait fait après la fin de notre histoire. De retour au bureau, je ferrai effectuer des recherches sur elle. Je devais savoir ce qu'il lui était arrivé.
Avant de quitter la pièce pour regagner l'extérieur et le convoi qui me ramènerait au QG du Comité, j'eus un dernier regard pour la photo de mariage de mon vieux rival et décidai de prendre une autre décision, quand je serais de retour à mon bureau, celle de faire également arrêter la femme de Kolba'ra.
Séparer un couple si uni aurait été un véritable crime de ma part...
Un baiser déposé sur ma tempe me réveilla en douceur.
Je papillonnais des yeux, l'esprit encore embrumé par mon trop court sommeil et la bouche légèrement pâteuse.
Je ne repris que lentement conscience de mon corps et de ce qui m'entourait, avec toujours en moi cette pointe de nostalgie pour le monde fantasmagorique que je venais de quitter, dans lequel tout était si calme, si apaisant, comme une ondée pure loin des torrents des eaux nauséabondes de la politique. L'espace d'un battement de cœur, je tentais de fermer les yeux pour de bon, de me laisser aspirer dans cette contrée de paix et d'enfin dormir sans me réveiller en sursaut, l'esprit secoué de terribles cauchemars. Quoique pouvais-je réellement considérer des souvenirs comme des cauchemars ?
Je revoyais le massacre des jeunes enfants Jedi sur Fejor, la frondaison de Fyr dévorée par les flammes et les partisans tués à la mitrailleuse au dessus des gigantesques fosses communes et bien d'autres choses que j'avais faites faire pour le bien de l'Empire et la sécurité de ses citoyens. Et avant tout parce que ça avait été mon devoir, aussi pénible soit-il.
Mais ces visions n'étaient en définitive rien comparé au camp de Vax III et à ces milliers d'aliens qui étaient détenus dans des conditions pire que des bêtes, à trimer jusqu'à la mort sur mon ordre plein et entier.
Rekkon avait rempli ses objectifs à temps au prix d'une dégradation encore supérieure des conditions de détention.
Je me retrouvais donc avec la base de Vax III opérationnelle, du moins théoriquement. Je ne pouvais pas installer la moindre défense efficace tant que la lune était encore occupée par les prisonniers désormais désœuvrés. Au delà des simples question de logistique, il n'était pas question qu'ils reprennent un jour le contact avec le reste de la galaxie.
Le grand public ne devait pas savoir comment j'avais fait bâtir la base. Et bien évidemment, je ne pouvais pas garder les détenus sur Vax III indéfiniment. J'avais bien trouvé la solution idéale mais elle était si terrible qu'elle ridiculisait en horreur tout ce que j'avais fait jusqu'alors. Elle me donnait des nausées rien que d'y penser. Et malgré ma répulsion, j'avais organisé cette soirée à l'Etoile de Coruscant dans un seul but : voir sa mise en œuvre effective.
L'Etoile de Coruscant était le casino doublé de la maison close le plus huppé de la planète capitale. Pas nécessairement le plus extravaguant mais assurément le plus couru auprès des dignitaires impériaux.
Le GSA Récréation avait en sous-main, le contrôle total de l'établissement et y injectait des sommes faramineuses chaque mois.
Ainsi, les divertissements proposés aux invités, officiers supérieurs ou citoyens impériaux de haut-rang étaient tous gratuits, à l'exception de la partie casino, qui si elle n'impliquait pas d'argent, deviendrait par essence absurde.
Mis en confiance, les invités étaient ainsi très enclins à profiter des charmes des lieux ainsi qu'à se faire holophotographier dans des positions plus que compromettantes, à leur insu, évidemment. Ainsi, le Comité disposait d'un moyen de pression supplémentaire à chaque holophoto prise ou holofilm tourné. Le COMPORN gagnait des alliés et écartait ses ennemis. En bref, nous nous renforcions pour notre future prise de pouvoir.
_Vous vous êtes endormi monsieur le Délégué, gloussa la sublime jeune femme aux cheveux acajous, calfeutrée sur la banquette en taffetas de soie rouge que nous occupions. Vous ne tenez pas très bien le champagne on dirait, me souffla t-elle à l'oreille avant de m'embrasser dans le cou et de glisser sa main aux longs ongles manucurés sous le tissu hors de prix de ma chemise de smoking.
Encore un peu hagard, je dus faire un effort pour tenter de me souvenir si elle était une des professionnelles de l'Etoile de Coruscant, une jolie jeune femme que j'avais réussi à séduire lors de la soirée ou encore les deux à la fois.
Je décidai finalement que ça n'avait aucune espèce d'importance et que je ferais aussi bien de profiter du moment présent.
Rejetant la tête en arrière, j'allais fermer les paupières et tenter de m'endormir à nouveau quand un jeune officier Sub Adulte se planta devant moi, l'air embarrassé de me déranger dans la situation présente. Je lui fis signe de parler, pendant que j'avais encore un minimum de concentration à lui accorder.
_Monsieur le Délégué, expliqua t-il, votre invité vient d'arriver.
Bon. Et ben cela voulait dire que les caresses seraient pour plus tard. J'écartai avec une certaine vigueur la tête de la jeune femme qui cherchait mes lèvres, me dégageai de son étreinte et m'arrachai au confort moelleux de la banquette de soie.
Une fois bien campé sur mes deux pieds je m'étirais le dos un court instant, avant de quitter le petit recoin dans lequel j'avais pris mes aises quelques heures auparavant. Tandis que je traversai la pièce , une sorte de grand bar lounge garni de canapés et de sofas écarlates sur lesquels des couples buvaient et s'embrassaient, je laissais mon regard se perdre dans les tentures couleur rubis ou les holotapisseries érotiques.
Je refermai rapidement les boutons de mon col de chemise, renouai mon nœud papillon avec plus ou moins de facilité et remis un peu d'ordre dans mon costume. Ce n'était pas parce que j'étais dans une maison close que j'allais me présenter dépareillé à mes invités. Ou a mon invité, très techniquement. Après tout, avant d'être un lieu de plaisir, l'Etoile de Coruscant était une antichambre du pouvoir.
Organisé comme le voulait la logique impériale, les deux parties du club étaient clairement séparées : les jeux d'argent occupaient l'ensemble du rez de chaussé avec des tables de sabbac, de pazzak, de dés et bien d'autres tandis que tout l'espace maison close trônait en hauteur avec une multitude de chambres et de salons privés.
L'entresol où je me trouvais, servait de lieu de transition avec bar, fumoir et bibliothèque. Les serviteurs avaient leurs quartiers au sous-sol où les cuisines tournaient perpétuellement à plein régime et étaient toujours prêts à se mettre en quatre pour le bien-être des membres du club, qui, puisque ils ne payaient pas un centime les plaisirs des lieux avaient toujours le pourboire facile.
On se murmurait parfois qu'une nuit de service bien exécutée à l'Etoile pouvait rapporter plus qu'une vie de labeur.
Quittant le bar, j'arrivais devant un escalier en colimaçon dont la moquette cerise était mouchetée de touches couleur saffran. M'avançant, je m'appuyais contre la rambarde en fer forgé et jetai un œil sur le hall d'entrée, ses statues de marbre blanc et ses lustres de cristal.
Une joyeuse cacophonie traversait l'air enfumé, recouvrant la b'ssa nuuvu diffusée un peu partout dans l'Etoile, à l'aide d'enceintes élégamment grimées en vases ou cachées derrière une tenture.
Il devait y avoir une cinquantaine de personnes dans le hall, toutes tirées à quatre épingles, hommes comme femmes. D'aucuns arboraient, comme moi des smokings, coupés par les plus grands couturiers impériaux, d'autres préféraient des vêtements plus fonctionnels mais tout aussi élégants. Je cherchais des yeux mon invité et ne fus pas long à le trouver.
Peu de personnes arboraient l'uniforme blanc de Grand Amiral, même au sein d'une foule aussi haut de gamme que les habitués du club.
Je descendis rapidement les escaliers, saluant de la tête les couples qui gagnaient l'entresol ou la maison close et me plongeai au beau milieu de cette masse de gens de pouvoir, partisans d'un régime conservateur mais toujours désireux d'accomplir quelques fantasmes inavouables ou de prendre du bon temps.
Je fendis la foule et me guidant toujours à l'uniforme blanc, fus sur mon hôte en quelques dizaines de secondes.
Avant qu'il n'ait eut le temps de pleinement réaliser que j'étais là, je lui serrai la main :
_Grand Amiral Pitta. C'est une joie de vous voir ici !
Pitta me rendit une poignée de main sans entrain. Honnêtement, je n'aurais pas pu lui en vouloir.
Personne ne se haïssait tant que le Comité et Danetta Pitta. Au delà de la rivalité traditionnelle contre l'armée et à fortiori, contre un de ses douze plus grands officiers d'Etat Major, le COMPORN portait encore en lui le souvenir de sa première purge, provoquée par le zèle du Grand Amiral. Il était de bon ton pour les officiers du Comité, d'éviter de croiser les partisans de Pitta car il n'était pas rare qu'on en vienne rapidement aux mains après les insultes, dans le meilleur des cas. De plus, ne trouvant de joie que dans le travail, Pitta n'était que très rarement présent dans le Noyau, préférant partir en mission sur la Bordure Extérieure.
Mon invitation sur Coruscant, dans une maison de plaisir sous le contrôle de son organisation rivale avait sûrement dû le désarçonner.
_Ca a intérêt à être important Nexhrn. J'ai dû annuler un dîner avec le capitaine Soontir Fel et sa compagne pour être ici ce soir.
Alors comme ça le héros de la 181° frayait avec le Grand Amiral Pitta ? Apparemment, on était peut-être capable de remporter une brillante victoire pendant le désastre de Yavin - quoique Ord Biniir n'aurait sans toute pas été victoire aussi éclatante sans ma propagande - mais absolument incapable de choisir des hommes de goût avec qui partager un repas.
_C'est très important, assurais-je à Pitta avec un geste pour lui signifier de me suivre. A propos puisque vous me parlez d'eux, j'espère que mademoiselle Starflare va bien ?
_Elle se porte comme un charme, grommela le militaire, si ce n'est qu'elle est accrochée à Fel comme un mynock a un câble d'alimentation de vaisseau spatial. A se demander où elle trouve encore le temps de tourner dans des holofilms.
Bon et bien j'éviterais de parler mondanités avec le Grand Amiral à l'avenir, me voilà au moins prévenu. J'entraînais le militaire à grimper l'escalier de fer forgé pour rejoindre l'étage supérieur.
Le visage de Pitta prit un air encore plus fermé alors que nous arrivions dans l'espace maison close de l'Etoile de Coruscant. Connaissant la xénophobie ahurissante de l'Amiral, j'avais donné ordre que toutes les filles qui ne ressemblaient pas, de près ou de loin à des humaines pures à cent pour cent soient mises à l'écart quelques heures. Le club comptait plusieurs prostituées twi'leks ou zeltronnes, très apréciées pour leur plastique mais qui auraient mis Pitta dans un état de rage tel qu'il aurait pu se jeter sur elles pour les dépecer à mains nues.
La haine de Pitta envers les non-humains ne connaissait aucune limite, terrifiant même les plus spécistes du COMPORN.
Nous arrivâmes dans un enchevêtrement de corridors, au milieu de froufrous de dentelles et de femmes à moitié nues. Certaines discutaient entre amies tandis que d'autres prenaient un client un peu hésitant par la main pour l'entrainer derrière une porte close. Je me dirigeai vers un salon privé, laissé vacant pour l'occasion et refermais soigneusement la porte derrière l'Amiral. La pièce était plus petite que la plupart des pièces de la maison close et était décorée dans des tons plus sobres que l'ensemble de l'Etoile de Coruscant.
Ici, pas de statues de marbre ou de lustres de cristal, juste de quoi s'assoir, une table basse et un minibar bien rempli. Je m'assis sur un sofa vert d'eau et invitai Pitta à prendre place en face de moi, dans un fauteuil de velours couleur bouteille. Le Grand Amiral jeta des coups d’œils suspicieux aux murs et aux lampes, comme s'il se méfiait de quelque chose.
_Il n'y a pas d'enregistreur monsieur l'Amiral, le rassurais-je.
_Et comment je pourrais en être sûr ? C'est bien le propre de l'Etoile d'avoir des micros et des caméras un peu partout, hein ?
J'esquissais une ombre de sourire :
_En temps normal vous auriez eu raison. Mais croyez-moi quand je vous dis que dans la conversation qui va suivre, j'ai tellement plus à perdre que vous si des preuves de notre entretien circulent...
Ma franchise plut au militaire et une fossette se forma sur ses joues. Sans doute essayait-il de sourire.
_On va aller au fait Nexhrn. Qu'est-ce que vous voulez de moi ?
_Votre aide, répondis-je laconiquement. Je suis face à un grave problème et bien que ça me désole, vous êtes la seule personne dans cette foutue galaxie à pouvoir m'aider.
La fossette de Pitta se creusa :
_Et pourquoi est-ce que j'aiderais le numéro deux d'une organisation qui me hait ?
_Premièrement, parce que sinon je peux faire dévoiler certaines choses, affirmais-je en tirant de ma poche intérieure intérieure une fine feuille de filmplast que je dépliais et tendis à Pitta.
Ce dernier posa les yeux dessus qui s’écarquillèrent aussitôt sous l'effet de la colère :
_Espèce de salopard ! Comment osez-vous prétendre que...
_...que vous avez des ancêtres etti et bornecks ? le coupais-je en finissant sa phrase. C'est pas moi, c'est votre arbre généalogique. On dirait que vous n'avez pas pu effacer toutes les preuves...
_C'est de la pure diffamation ! s'emporta Pitta. Oser m'accuser moi, d'avoir du sang proche-humain ! Vous marchez sur la tête, je devrais vous tuer ! beugla t-il en brandissant le poing.
_C'est justement parce que vous ne supportez pas votre héritage alien que vous êtes aussi spéciste, poursuivis-je calmement, sourd à ses hurlements de colère. J'ai lu quelques essais intéressants de psychologie à propos de ça mais là n'est pas le sujet. Je crois que ça serait assez drôle si une copie de cette feuille se mettait à circuler sur l'Holonet.
_Faites ça et vous êtes mort, me menaça t-il.
_Mais il ne tient qu'à vous que je ne diffuse pas ceci, lui dis-je en lui reprenant la feuille des mains et en la déchirant en petits morceaux. Pour vous prouver ma bonne foi, je vais détruire la feuille.
Et joignant l'acte à la parole, je me levai et jetai les débris dans l'incinérateur domestique de la chambre, faisant fondre toute preuve de l’ascendance de l'Amiral.
Ce dernier me regarda d'un air perplexe.
_Je suppose que c'était pas la seule feuille, n'est-ce pas ?
_Évidemment, avouais-je. Je ne suis pas assez stupide pour ne pas prendre de précautions. Mais encore une fois, si vous acceptez de m'aider, je jure sur la tête de ma fille d'emporter votre secret dans ma tombe.
Pitta eut un grognement, se gratta l'arrête du nez et se cala plus en arrière sur son fauteuil.
_Vous voulez quoi ?
J'eus une ombre de sourire. La partie s'engageait mieux que prévu.
_J'ai un trop plein d'aliens, tentais-je d'expliquer d'un ton badin alors qu'en réalité, ma voix n'était guère assurée. Pour l'instant, ils sont détenus en lieu sûr mais je ne peux plus les garder.
_Envoyez-les sur Kessel, proposa Pitta en haussant les épaules. Les mines d'épice et les araignées se chargeront du travail pour vous.
_Sauf qu'il ne faut pas qu'ils parlent, formulais-je du bout des lèvres. Ils savent des choses et ils ne doivent plus jamais retourner à la vie publique, même en prison.
_Servez-vous de vos services. Vous êtes le vrai chef du Comité, tout le monde le sait, Ishin est trop occupé à faire les quatre volontés de l'Empereur pour diriger son organisation. Votre police politique sait faire disparaître les gens sans trace. Ca sera pas la première fois.
_Une personne peut disparaître sans laisser de trace mais pas cinquante-mille unités.
Par les canyons de cristal...avais-bien dit "unités" ? Je me sentis brusquement nauséeux.
Pitta émit une sorte de sifflement :
_Ouais, quand même, ça fait du monde...mais en quoi je peux vous aider moi ?
_Je sais ce que vous faites sur la Bordure Extérieure avec vos trois vaisseaux, l'Apocahx, l'Angrix et l'Azgoghk...ou plutôt, non, j'en sais rien et c'est très bien comme ça. Je sais juste que vous repérez une population alien sans défense, que vous les embarquez avec vos hommes et que c'est comme si elle n'avait jamais existé.
_Les navires que vous venez de nommer n'ont pas d'autre vocation que l'exploration, m'assura t-il avec un aplomb digne des meilleurs holofilms de Starflare.
_Avec des fous comme Tork et Murthé aux commandes ? A d'autres monsieur l'Amiral.
_Et quand bien même ça serait vrai toutes ces allégations ? Ca nous amène à quoi ?
_Je veux...
Ma bouche devint pâteuse et ma langue de plomb au fur et à mesure que je parlais :
_Je veux que vous vous occupiez de mes aliens. Je ferai affréter un convoi jusqu'à la Bordure Extérieure où vous vous chargerez de les récupérer. A partir de là, ils seront votre problème. Faites-en ce que vous voulez, je veux juste qu'ils ne soient plus là pour parler.
Mes yeux s'embuèrent à la fin de ma phrase et ma voix se cassait, sans compter ma nausée qui gagnait en puissance. Quand je trouvais la force de lever les yeux vers Pitta, il m'abasourdit par son calme et son attitude détachée, absolument dénuée de toute forme d'émotion.
_Admettons que je fasse ça pour vous. Hormis le silence sur mes ancêtres, j'y gagne quoi ?
_Premièrement, exposais-je avec difficulté alors qu'une véritable douleur s'insinuait dans ma bouche, vous êtes un immonde salopard doublé d'un sadique et du pire spéciste que j'ai jamais connu. Cinquante-mille aliens qui vous sont livrés sur un plateau d'aurodium, c'est le Jour de l'Empire avant l'heure pour vous.
Pitta pouffa en hochant la tête et me fit signe de continuer :
_Vos soi-disant scientifiques, poursuivis-je en grimaçant, comme le professeur Murthé auront tout loisir de réaliser leurs "expériences"...quelles qu'elles soient.
_Sans compter que cela nous engage l'un envers l'autre, conclut Pitta de lui-même. Donc à une forme d'alliance entre l'Armée et le Comité. Ou du moins, entre mes hommes et les vôtres.
Incapable d'ajouter un mot de plus, je me bornais à hocher la tête.
_Plutôt malin, souffla Pitta entre ses dents. Toujours bon de s'assurer de l'appui d'un des Grands Amiraux, même si on le porte pas dans son cœur, hein ?
L'homme était peut-être l'individu le plus spéciste de toute l'armée, voire de la galaxie toute entière mais au moins, il avait un esprit on ne peut plus vif. L'accord que nous étions en train de passer aboutissait bien à une forme d'alliance.
_Soyons clairs, articulais-je en me reprenant lentement. Une fois que cette affaire sera traitée par vos soins, nous n'en reparlerons plus jamais. La conversation que nous avons dans cette pièce n'aura jamais existé.
_Vous ne voulez pas d'ennuis avec le futur, nota le militaire. Que quelqu'un vous ressorte à la gueule les saloperies que vous avez faites. Moi, j'ai pas la même approche : je me moque bien de ce qu'un historien à lunettes dira de ma vie dans une centaines de cycles parce que j'aurais eu la satisfaction de partir de cette galaxie en accomplissant jusqu'à mon dernier souffle la chose que me donne le plus de joie au monde : broyer de l'alien.
J'écoutais avec attention sa voix, espérant y trouver une pointe d'ironie. Hélas, Pitta parlait définitivement au premier degré. Le Grand Amiral se leva de son fauteuil, marcha jusqu'à moi et me tendit la main :
_Je marche, déclara t-il simplement, comme si nous venions de passer un simple accord sans réelle importance. Soyez réglo de votre côté et je le serais moi-même. Je vous ferais parvenir dans les jours à venir les coordonnées où dropper les nuisibles. Mes gars se chargeront de tout à partir de là.
Je dus me faire violence pour lui serrer la main en ayant l'air le moins dégoûté possible. Pitta nota mon air nauséeux et eut un petit rire :
_Les scrupules hein ? Vous inquiétez pas, m'affirma t-il en gloussant et en me donnant une tape virile sur l'épaule, c'est comme le pucelage. Ca fait mal la première fois que ça s'en va mais après ça va tout seul et on se sent vachement mieux sans !
Pour lui faire plaisir, j'esquissais une ombre de sourire. Je détestais l'humour des militaires. Pitta eut une sorte de grognement de satisfaction et m'annonça que si nous en avions terminé, il devait repartir sur l'heure dans la Bordure Extérieure, pour préparer les détails de notre opération. Je le libérai de bon cœur. Une seconde de plus avec lui et je ne répondais plus de rien.
Je restai seul et abattu dans le luxueux salon privé, l'esprit entravé par ce que je venais d'autoriser. Pourtant, avais-je le choix ? C'était l'unique moyen de rendre Vax III opérationnelle.
La base permettrait l'avènement du COMPORN, j'en étais persuadé et la prise du contrôle de l'Empire par le Comité signifiait qu'aucune guerre intestine n'éclaterait au sein du régime.
Nous pourrions ainsi nous concentrer sur la guerre civile, écraser l'Alliance Rebelle et apporter à la galaxie une fois pour toute la pax imperia dont elle avait tant besoin.
En définitive, c'était faire le bien du plus grand nombre.
Je redescendis jusqu'au bar, me martelant ce laïus comme une litanie jusqu'à m'en convaincre moi-même. Je bus énormément et fis beaucoup l'amour à cette soirée, comme pour évacuer de mon esprit par la force l'horreur que je venais de déchaîner.
Etre un monstre un jour pour bâtir un monde de paix pour toujours. Ca me paraissait logiquement acceptable.
L'alcool fut excellent et les femmes, toutes plus belles les unes que les autres.
Pourtant, quelles que soient le nombre de coupes de champagne avalées ou la beauté des femmes que j'étreignais, un sentiment de dégoût et de déplaisir profond refusa de me quitter, enchaîné à mon esprit aussi sûrement qu'une veine de cortose restait incrustée dans la roche, m'accompagnant encore au réveil une fois la gueule de bois dissipée jusqu'au soir, où, harassé de fatigue, je fermais les yeux et c'étaient alors les cauchemars qui prenaient le relais.
C'était probablement ça qu'on appelait le remords.
Si je voulais continuer à avancer, il faudrait m'apprendre à m'en passer.