Danse du loup et autres euphémismes

Chapitre 4 : Danse avec les le-matyas

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 03:34

 

Danse avec les le-matyas

 

« Jim Kirk, tu n’es qu’un trompe-la-mort irresponsable et stupide », rugit Léonard McCoy en pénétrant au pas de course dans la salle des transporteurs. « Et je jure que si tu recommences un coup du même genre, les terroristes seront le moindre de tes soucis ! Chapel ! », ajoute-t-il en se penchant sur Laurens, « Appelez une seconde civière pour le lieutenant Shrae et donnez-moi un pansement compressif HT3 pour celui-ci ! On ne peut pas lui injecter d’anticoagulant tant qu’on n’est pas sûr qu’il n’a rien dans le sang…

- Moi aussi, content de te voir, Bones », murmure Jim qui sent d’un coup son adrénaline refluer, en même temps que la rage larvée qui l’a porté pendant leur évasion le quitte.

Il doit se faire violence pour ne pas se laisser tomber comme un sac de patates auprès de Spock. « Ce n’est presque pas mon sang, pas d’inquiétude », ajoute-t-il quand un médic commence à le palper sous toutes les coutures. « Ow ! Doucement avec le visage, je me suis pris des gnons quand ils nous ont capturés, et je crois que le coup de boule ensuite n’a pas aidé… »

Avec une célérité des plus honorables, l’équipe médicale manœuvre son petit parti de rescapés hors des disques de transportation, pour laisser place à une équipe de la sécurité tout de rouge vêtue, armée jusqu’aux dents, qui s’apprête à descendre aux coordonnées d’où ils arrivent.

« Vous allez arriver dans un salon », prévient Jim en s’arrachant un instant à son infirmier. « Il y a deux hostiles armés dont l’un blessé, au sous-sol vous en trouverez trois autres hors de combat, pour le reste je ne sais pas. Soyez prudents et réglez les phaseurs sur ”assommer”, je veux pouvoir les interroger. Uhura », ajoute-t-il en se détourant de l’équipe en train de disparaître. « Notre enlèvement a été rendu publique, n’est-ce pas ? Depuis combien de temps et quelle est la situation ? »

La jeune femme se raidit avec professionnalisme. Le regard qu’elle pose sur la forme prostrée de Spock aux côtés de Jim est inquiet, mais elle est trop sérieuse pour laisser son anxiété passer avant son devoir.

« Nous avons réalisé que quelque chose n’allait pas il y a quatre heures, quand vous avez cessé de répondre, votre disparition a été confirmée un peu après. Le gouvernement Toârien s’est montré coopératif d’un point de vue matériel, mais malgré notre insistance, le Gralk a refusé de garder l’enlèvement secret pour les besoins de l’enquête. Les indices dont nous disposions pointaient sans certitude sur l’implication du Front de Libération Toârien, une milice illégale, mais avant même que nous ayons eu confirmation, le Gralk a tenu une conférence de presse les accusant ouvertement de votre enlèvement. Notre analyste pense qu’elle veut utiliser la situation comme une justification de ses positions radicales et de l’usage de la violence envers l’opposition. Elle a annoncé un durcissement des mesures anti-terroristes et un couvre-feu a été imposé sur la capitale ainsi que les villes de taille critique.

- Ho. Bon, génial », marmonne Jim tout en réfléchissant. « Faites-leur savoir que nous sommes entiers et au chaud, prévenez le Gralk que je la contacterai personnellement au plus tôt, et rappelez-lui que la Fédération réprouve l’usage de la violence envers les populations civiles quelle que soit la situation. Gardez un œil sur les communications locales, et n’hésitez pas à me prévenir au moindre signe que la situation dégénère.

- Absolument pas ! » McCoy se glisse entre Uhura et Jim, et soustrait ce dernier aux mains de son infirmier pour l’examiner lui-même avec attention. « Le Capitaine a un rendez-vous avec un lit de l’infirmerie et un hypospray. Quant à vous Monsieur Spock, laissez-moi vous examiner…

- Docteur McCoy…

- Bones, non ! » L’avertissement vient un instant trop tard et le mouvement de Léonard en direction du vulcain se trouve brutalement dévié par une prise de blocage instinctive et vigoureuse qui le repousse et lui fait faire deux pas trébuchants en arrière. Jim sert la main de Spock, qu’il tient toujours dans la sienne, d’une manière qu’il espère apaisante et s’efforce (avec une réussite questionnable) de penser des pensées relaxées, au cas où ça aurait un impact sur Spock. On ne sait jamais.

« Bones…

- Me toucher- dans les circonstances actuelles n’est pas recommandé, Docteur McCoy. Je m’excuse. Il semblerait… que mon équilibre émotionnel soit compromis. »

Léonard fronce les sourcils de sa manière “on ne me la fait pas à moi” et enfile une paire de gants en latex qu’il fait claquer sur ses poignets, sans quitter le vulcain des yeux.

« Vraiment. Dois-je m’attendre à ce que vous tentiez d’étrangler Jim ?

- Bones ! », proteste ledit Jim. « Il vaudrait mieux avoir cette discussion à l’infirmerie je pense », ajoute-t-il avec fermeté (en voilà une chose qu’il aurait cru ne jamais dire de son plein gré…) « Uhura, Spock va bien et tout est sous contrôle, ne vous inquiétez pas. Vous avez vos instructions.

- À vos ordres, Capitaine », s’incline la jeune femme avant de tourner les talons, avec un dernier regard vers eux. « Je vous tiendrai informé de la situation. »

 

Bones attend à peine qu’ils soient à l’abri d’une salle de consultation dans l’infirmerie pour repasser à l’attaque. Le panneau coulissant de la porte tout juste clôt derrière eux, il se tourne vers Spock, mains sur les hanches, regard intransigeant.

« Très bien », exige-t-il. « Maintenant tu vas me dire ce qui se passe et comment ça se fait que toi, –  il pointe un doigt accusateur sur Jim - tu tiens la main de Monsieur Vulcain ici présent, alors qu’il refuse de se laisser prendre le pouls et qu’il ne veut pas te lâcher. »

Jim soupire et se charge de résumer les évènements à la place de Spock qui, maintenant qu’il est assis sur le rebord d’une couchette, semble décidé à se transformer en statue de sel, toute son attention tendue vers l’intérieur. Seule la chaleur inhumaine de sa paume contre la sienne, la pression presque douloureuse de ses doigts qui enserrent des siens rappellent qu’il est bel et bien vivant.

« Il a été drogué un peu avant que vous ne soyez capturé ? », demande Bones, qui a laissé tomber son irascibilité naturelle pour un comportement plus proche de celui que l’on pourrait attendre d’un Chef Médical. « Ça fait donc plus de quatre heures. Hummm… C’est bien la première fois que je vois un sédatif avoir ce genre d’effet. Mais bon, c’est le problème des physiologies hybrides, on ne sait jamais ce qui va provoquer une réaction bizarre. Tu dis que l’effet est monté graduellement ? J’imagine que vos kidnappeurs n’ont pas poussé la prévenance jusqu’à te dire exactement ce qu’ils ont utilisé sur lui ? »

Ils ne l’ont pas fait et Bones prend des notes sur sa tablette tactile en marmonnant dans sa barbe, avant de faire un détour par l’intercom pour demander à la section Sécurité si quelqu’un a pensé à prendre des prélèvements du contenu des verres sur le lieu de l’enlèvement.

« On va faire sans si besoin est », dit-il en passant une machine médicale qui ressemble vaguement à un scanner à code barre le long du torse de Spock. « Hum, c’est sacrément contradictoire tout ça », ajoute-t-il en examinant avec attention l’écran de diagnostic. « Il va falloir faire ça à la manière barbare et arriérée de nos ancêtres : la  bonne vieille prise de sang. Spock, j’ai mis des gants, cela sera-t-il suffisant pour bloquer la télépathie ? Parce que sauf votre respect, ce qu’il y a dans ma tête ne regarde que moi. »

Le vulcain ne répond pas immédiatement et Jim serre de nouveau sa main pour attirer son attention : « Spock, c’est ok ? ».

Ce dernier s’arrache à son apparente catatonie pour hocher la tête. Ses sourcils sont froncés, ses lèvres entrouvertes dans une expression à mi-chemin entre détresse et concentration, et une teinte verte orne le haut de ses pommettes.

« Cela devrait être acceptable », murmure-t-il.

« Est-ce que quelqu’un peut remplacer Jim ? » demande Bones tout en préparant une seringue. « Un infirmier peut-être ? Vous êtes très mignons comme ça, à vous tenir la main comme des écolières, mais je dois encore l’ausculter et si je ne m’abuse tu as une situation de crise qui t’appelle, Capitaine. Il n’y a aucun moyen de savoir combien de temps cette saloperie va durer et je doute que Starfleet approuve que tu restes à tenir la main de son Second pendant qu’un bain de sang se prépare à terre…

- Les besoins du plus grand nombre l’emportent sur ceux d’un seul », murmure sentencieusement Spock en abandonnant son bras gauche à l’aiguille vengeresse de Bones. Puis : « Je n’aurai pas besoin d’un infirmier », ce qui selon l’angle sous lequel on le prend peut être ou ne pas être un mensonge éhonté.

 

Jim sait que Léonard a raison et que son devoir est sur le pont. Même Spock qui est à moitié dans les vapes est d’accord, c’est dire, et Jim n’ose imaginer sa réaction en revenant complètement à lui s’il découvrait que le Capitaine a négligé sa fonction pour rester à son chevet… (La réaction en question : peu flatteuse, potentiellement violente et certainement dévastatrice sous de nombreux aspects.)

Jim sait ce qu’il a à faire, mais le savoir ne le rend pas plus aisé. À moins que…

« Il n’y a pas moyen de l’endormir, le temps que ce qu’il a dans le sang se dissolve ?

- Tu veux dire rajouter des produits chimiques à un mélange initial dont on ne sait rien à part qu’il était censé endormir Spock et qu’il a eu des effets imprévisibles et négatifs qui le font planer plus haut que la Voie Lactée ? Brillante idée Jimmy, encore heureux que tu sois Capitaine et pas médecin.

- Ho, bon, c’était juste une suggestion. Alors on ne peut que le laisser comme ça et attendre que ça passe ?

- Ça dépendra de ce que révèlent les analyses sanguines, mais a priori, oui.

- Merde. »

Jim mâchonne sa lèvre inférieure tout en réfléchissant, tandis que Léonard va et vient dans la salle étroite, labelle le flacon de sang vert et entre un échantillon dans la machine d’analyse. Spock est silencieux. Le sang sur leurs mains jointes est en passe de sécher totalement et la sensation de poisse sur ses doigts est remplacée par celle de la peau qui tire et colle partout où leurs épidermes se touchent. S’ils attendent trop longtemps, ils vont finir par être soudés ensemble.

Une prise de conscience soudaine lui fait relever la tête.

« Bones, dans quel quart sommes-nous ?

- Le quart Beta, pourquoi ?

- Uhura fait partie de l’équipe Alpha, comment se fait-il qu’elle soit encore aux communications ? Son service devrait être terminé depuis au moins trois heures…

- Moi aussi je suis dans l’équipe Alpha, Jim. Tu as le crâne encore plus dur que ce que je pensais si tu crois que je vais laisser mon poste parce que mon quart est terminé, alors que tu es dans la panade quelque part en bas. Et c’est Nyota qui a pris les rapports initiaux, la situation était suffisamment tendue pour que changer d’officier des Communications en plein milieu des procédures ne soit pas la meilleure des idées. » Il hausse les épaules. « De de toutemanière,il aurait probablement fallu l’arracher de force à son siège »

La fidélité sans faille de son équipage ne devrait plus surprendre Jim depuis le temps, mais elle le fait toujours malgré tout et il se sent immanquablement honteux d’avoir douté.

Il se redresse en entraînant Spock avec lui. Il ne lui faut que peu de temps pour se débarbouiller sommairement au lavabo le plus proche, et guère plus pour enfiler l’uniforme propre apporté par un yeoman qui vibre littéralement de bonne volonté. Le plus difficile est de faire admettre à Bones qu’il n’a pas le temps de se soumettre aux examens médicaux plus approfondis que ce dernier rêve visiblement de lui infliger. Il consent tout juste à laisser Leonard sceller la méchante coupure sur sa tempe.

 

Il s’immobilise finalement devant la porte de la salle de consultation, Spock toujours à ses côtés.

« Occupe toi de lui, Bones », demande-t-il avec sérieux. « Je te fais confiance. Garde-le dans une salle privée. Il ne voudrait pas être vu comme ça. » Il ne voudrait pas êtrecomme ça, mais à ce moment précis, offrir à son Second un semblant d’intimité est la seule chose qu’il puisse faire. « Spock, je suis désolé.

- Faites votre devoir, Capitaine. »

Et Jim lâche sa main, se détourne sans regarder le visage aux traits longs se défaire tandis que la raison le quitte, passe la porte.

Le devoir l’appelle.

 

---

 

Quand il parvient sur le pont, ce dernier est dans l’état de frénésie parfaitement organisé qui caractérise généralement les crises n’ayant pas encore dégénéré, mais qui ont néanmoins tous le potentiel et un début de bonne voie pour.

Les visages se tournent brièvement vers lui lorsqu’il fait son entrée. Sulu va jusqu’à faire volte-face et, quand Jim est à portée, à se lever pour une accolade fort peu professionnelle, accompagnée d’un : « Ravi de te revoir entier, Capitaine, on commençait à s’inquiéter ! »

Avoir fait le saut de l’ange en compagnie de Jim au-dessus d’une planète en perdition donne à Hikaru certaines prérogatives et les autres membres d’équipage sont plus réservés, mais leurs sourires sont tout aussi sincères. Assise à son poste, Uhura lui lance un regard interrogatif, auquel il répond par un hochement de tête qu’il espère rassurant.

 

Il se laisse tomber avec un soulagement certain dans les bras largement ouverts de son fauteuil et salut d’une caresse machinale le tissu synthétique blanc de l'accoudoir, avant de passer aux choses sérieuses.

« Statut ?

- L’Entreprise est opérationnelle et attend vos ordres, Capitaine.

- L’équipe d’intervention est remontée ?

- Trois prisonniers viennent d’être téléportés avec une escorte, le reste de l’équipe est encore à terre, Capitaine. Ils sont arrivés juste à temps, l’énergie de votre téléportation d’urgence a permis aux Forces Spéciales Toâriennes de localiser la maison où vous étiez retenus, ils viennent de prendre possession des lieux. Le Lieutenant Giotto a établi le contact avec les FSAT et a gagné du temps afin que les prisonniers soient évacués selon vos ordres.

- Trois ?

- Deux blessés dont l’un dans un état critique et un combattant valide. Ils se sont rendus sans résister. »

L’un des hommes qu’il a attaqué près de la cellule a donc survécu. Il prend la nouvelle avec une indifférence qui le laisse lui-même surpris ; il se sait parfois excessivement protecteur envers son équipage et il n’a jamais hésité à se salir les mains dans le feu de l’action, mais tuer un autre être intelligent de ses propres mains ne devrait pas pour autant être plus facile. Hors, même à présent, alors que ce n’est plus une question de vie ou de mort, il serait tout à fait prêt à presser la gâchette si l’occasion se présentait.

- Ok, j’irai les voir tout à l’heure. Dites à Giotto de- »

Uhura l’interrompt d’un signe de tête.

« Capitaine, le Gralk demande à vous parler. »

Jim hésite un instant. Il aurait préféré avoir plus de temps pour se mettre à jour de la situation, mais...

« Transmettez la communication sur la console principale. »

 

Il se laisse aller en arrière sur son fauteuil avec une décontraction qu’il ne ressent pas tandis que l’écran en face de lui prend vie.

Le Gralk Toârien est une grande femme à la peau cuivrée, sanglée dans un uniforme brun et noir aux lignes austères. Ses cheveux sombres sont tirés en arrière dans un chignon strict et son long visage aux traits acérés est soigneusement composé en une expression de chaleur superficielle. Alir Ir Tashan est Gralk depuis presque dix ans, femme de fer à la tête de la Junte militaire qui a unifié la population de Toâr sous un régime stable à défaut d'être très démocratique, celui-là même qui a permis à la planète de finalement mettre en place les programmes de recherche scientifiques et spatiaux qui l’ont menée au Premier Contact il y a maintenant cinq ans, il Depuis, les rapports avec la Fédération ont été réguliers, bien que peu nombreux. Le type de gouvernement en place sur Toâr ne répond pas aux exigences démocratiques de la Fédération (euphémisme !), mais si la politique de non-intervention de cette dernière lui interdit toute ingérence avec les affaires internes de la planète, elle n’a pas empêché de timides flux commerciaux de se mettre en place. 

À vrai dire, si la seconde lune du système, Tria’Ir, n’avait pas abrité d’importants gisements de Dilidium lourd, la mission qui les a menés dans les cachots d’une bande de révolutionnaires n’aurait pas eu lieu. Mais il suppose que le Haut Commandement de Starfleet n’est pas non plus sans blâme : Dieu sait pourquoi les Amiraux se sont mis en tête que l’Entreprise et son désormais célèbre équipage étaient parfaits pour un premier contact et l’ouverture des discussions. Pike au moins aurait dû savoir qu’associer Jim Kirk et une mission diplomatique ne pouvait que mal finir... (Et encore, cette fois ce n’est même pas la faute de Jim, il est blanc comme neige et se fera un plaisir de le faire remarquer le moment venu...)

« Capitaine James Tiberius Kirk. Je suis heureuse de vous voir sain et sauf. Comment vont les membres de votre équipage qui vous accompagnaient ?

- Ils survivront.

- Vous m’en voyez soulagée. Je regrette profondément que vous ayez été mêlé à nos problèmes de politique intérieure. Vous avez bien entendu les excuses les plus sincères du  gouvernement Tôarien et soyez assuré que nous mettrons tous les moyens en oeuvre pour retrouver et châtier les coupables.

 - Je vous en remercie, Toâr Gralk Alir Ir Tashan », répond Jim avec les formules de courtoisie qu’Uhura lui a péniblement fait apprendre lors de la phase de la préparation de la mission. La rencontre avec le Gralk n’était prévue que pour le surlendemain, mais il subodore que l’emploi du temps des jours à venir est définitivement bouleversé.

Adieu veaux, vaches, cochons et accords d’exportation... Après un coup comme celui-là, il est à peu près certain que la Fédération hésitera à deux fois avant d’envoyer l’équipe diplomatique qui devait venir le mois prochain à leur suite pour entamer les négociations.

« Vos excuses sont entendues », mais pas forcément acceptées, « et je m’exprime au nom de Starfleet en espérant que la situation trouvera une résolution pacifique dans le respect des principes fondamentaux de la Fédération. » Pouah, Jim peut presque sentir sa bouche se lignifier sous l’usage intensif de la langue de bois.

L’expression du Gralk ne laisse pas filtrer grand chose et les parasites qui marbrent la transmission n’aident pas à se faire une idée de son état d’esprit, mais il semble à Jim que son expression s’assombrit une fraction de seconde, que la ligne de sa bouche s’affine en un trait sans concession.

« La solution pacifique est bien entendu un idéal vers lequel nous ne pouvons que tendre, et je peux vous assurer que cette affaire sera traitée dans le plus grand respect de nos lois », temporise-t-elle, avec une pirouette sémantique que seul un imbécile prendrait pour un accord. « L’investigation est en cours sur les lieux de votre captivité et nous espérons très bientôt remonter jusqu’aux commanditaires. On me dit que vos forces de sécurité sont encore sur place...

- En effet.

-  Vous êtes un soldat, Capitaine Kirk, je suis sûre que vous comprendrez que pour une efficacité maximale dans l’enquête, mes hommes doivent pouvoir travailler sans interférences.

- Bien entendu », concède Jim, bien qu’en vérité ce soit exactement ce qu’il avait prévu d’ordonner de toute manière. « Mes équipes vont se retirer...

- Mes hommes ont trouvé sur place deux corps. J’imagine que c’est votre oeuvre ?

- Ils étaient entre nous et la sortie », réplique Jim avec une désinvolture qu’il n’a pas besoin de beaucoup forcer. Le Gralk incline la tête dans ce qui est peut-être un signe d’approbation.

« Mais pas trace du reste des terroristes. Savez-vous où ils se trouvent ? »

Et voilà, la question directe que craignait Jim. Si les Tôariens ont analysé les signatures énergétiques des téléportations, un simple calcul leur a déjà donné la réponse et il ne peut guère mentir ou feindre l’ignorance sans créer un incident diplomatique.

« Ce sont de prisonniers de la Fédération, et ils seront traités comme tels, Toâr Gralk Alir Ir Tashan.

- Ce sont des terroristes et il nous appartient de les châtier.

- Ce sont des hommes capturés par des troupes de la Fédération dans le cadre d’une offense envers des membres de la Fédération. En l'absence accords préalables entre Tôar et la Fédération des Planètes, vous comprendrez que je ne peux pas vous les remettre. »

Et la conversation continue comme ça, guindée et méfiante, Jim parant au mieux et le Gralk insistant, jusqu’à ce qu’elle ne se lasse et que la communication soit finalement interrompue, le laissant enfin libre de se laisser basculer en arrière et de masser ses tempes douloureuses pendant un temps record de dix seconde, avant de devoir se remettre au boulot

 

---

 

Les courts cheveux roux du lieutenant Laurens se détachant sur l’oreiller sont la seule tache de couleur parmi le camaïeu de gris et blanc de l’infirmerie.

Après sa discussion avec le Gralk, Jim est très brièvement descendu aux cellules pour voir comment se portaient leurs prisonniers - l'interrogation viendra plus tard, autant les faire mariner pour l'instant - puis il s’est lancé dans la rédaction de son rapport complet de la situation, avant de contacter le Haut Commandement de Starfleet et de le leur transmettre, accompagné des derniers papiers de ses analystes. Vu la distance, il sait qu’il ne recevra pas d’ordres avant au moins deux jours, peut-être plus s’ils tardent à choisir une ligne de conduite. En attendant il lui appartient de tenir le fort et de prendre les décisions qui s’imposent.

Après ça il a dû gérer tous les problèmes  et la paperasserie sans fin posée par le kidnapping de non pas un, mais deuxofficiers supérieurs et éconduire avec diplomatie les demandes d’extradition répétées du gouvernement Toârien. Le Gralk n’est apparemment pas femme à prendre un “non” pour une réponse définitive.

Jim a envoyé Uhura se coucher, et délégué à son remplaçant la charge de trouver des manières diplomatiques de temporiser, mais la pression insistante s’est faite malgré tout ressentir et n’a fait que rendre encore plus interminable un quart qui l’était déjà.

 

« Comment vont-ils ? », demande Jim à Léonard quand ce dernier le rejoint dans la chambre où est étendu le jeune lieutenant.

« Comme tu peux le voir, Laurens est toujours inconscient : il a perdu pas mal de sang, mais c’est un gars solide, ce n’est rien que quelques transfusions ne puisse régler. Il est difficile pour l’instant de dire s’il y aura des séquelles, mais le pronostique est plutôt bon.

- Et Shrae ?

- Va aussi bien que peut aller une andorienne qui a perdu une antenne. Je l’ai renvoyée dans ses quartiers, avec ordre de revenir me voir demain matin, et elle a au moins une bonne dizaine de séances avec Erwan - c’est notre psychiatre - qui l’attendent. »

Jim sait parfaitement qui est Erwan Tra’ma, comme il connaît les grandes lignes des dossiers de tous ses hommes, mais il acquiesce malgré tout.

« J’irais voir Shrae demain, et je veux que tu me préviennes quand Laurens se réveillera.

- Évidemment », réplique Bones, comme si Jim était un imbécile de penser qu’il y a une chance qu’il ne le fasse pas. Puis, abruptement, quand le silence s’étend entre eux : « Bon, tu poses la question, ou tu prétends ne pas te faire un sang d’encre ?

- Spock est mon Second, Len, c’est normal que je m’inquiète.

- À la bonne heure ! Le demi-gobelin va bien Jim. Il a eu une mauvaise période et a failli démettre l’épaule d’un de mes infirmiers quand Rham a essayé de le toucher pour l'apaiser, mais après ça il s’est calmé. Il ne pète pas le feu, mais il est de nouveau lucide et il m’a laissé faire une nouvelle prise de sang. Les toxines sont redescendues à des niveaux moins inquiétants et je ne vais pas tarder à lui laisser regagner sa cabine. Il est réveillé, si tu veux aller le voir. »

 

Jim se laisse conduire jusqu’à la chambre isolée du reste de l’infirmerie. Le regard de Spock est de nouveau clair, les traits durs de son visage de nouveau agencés dans une expression de ferme retenue, qui étouffe dans l’oeuf la vague impulsion qu’avait Jim de se rendre à son chevet et de lui offrir sa main s’il la voulait.

Il incline la tête et évade quand Jim s’enquiert de son état, répond par une question de son cru sur la santé des blessés, la situation, et à partir de là, la conversation dérive naturellement sur des considérations professionnelles. Jim ne sait pas vraiment s'il se sent soulagé ou déçu.

« Le Gralk à raison, tu sais », annonce-t-il  finalement, appuyé dans l’embrasure de la porte, bras croisés.
Il y a quelque chose de détaché et défiant, de presque implacable dans le fond de sa gorge, qui l’étouffe. Ça a commencé lorsqu’ils se sont évadés, et au fil des heures qui se sont écoulées depuis ça n’a fait que grandir, s’est propagé comme une irritation que l’on ne peut s'empêcher de toucher, qui finit par s’ouvrir et s’envenime progressivement.

« Ce sont des problèmes internes dans lesquels ni la Fédération ni Starfleet n’ont la moindre raison d’interférer et c’est au gouvernement Toârien de les régler. Sans compter que si la Fédération veut toujours traiter avec Toâr, leur rendre leurs apprentis terroristes est un gage de bonne volonté non négligeable. Autant leur donner les prisonniers et les laisser gérer leur bourbier. Qu’en ferions-nous, sinon ? Nous les déporterions, en ferions des apatrides et les condamnerions tirer leur peine sur une planète de la Fédération? C’est ridicule. »
Assis dans son lit d'hôpital, droit malgré sa fatigue perceptible à qui sait la voir, Spock le fixe en silence, jusqu’à ce que l’impulsion de détourner le regard devienne trop forte et que Jim ne s’ébroue, sur la défensive.
« Quoi ! », proteste-t-il avec une hargne qui le prend par surprise. « C’est ce que nous devrions faire.
- Vous êtes conscient, Capitaine, qu’une telle ligne de conduite signifierait sans nul doute l’arrêt de mort des individus que nous avons capturés, ainsi qu’une acceptation tacite des actions du gouvernement Toârien, actions qui sont globalement répréhensibles sur les plans moraux comme sociaux-politiques. »
Ce n’est même pas formulé comme une question et Jim se retrouve à arpenter la chambre étroite sous le regard impavide de son second.
« Ils l’auraient bien mérité », crache-t-il finalement. « Ce ne serait que justice après ce qu’ils ont fait. » Spock lève un sourcil, ne dit rien. « Ils savaient quels risques ils prenaient en enlevant une délégation de Starfleet.
- Cette adhésion soudaine à la loi du Talion ne vous ressemble pas », murmure finalement Spock, qui l’observe avec attention, expression fermée et indéchiffrable. « Vous êtes émotionnellement compromis... Capitaine, avez-vous laissé le Docteur McCoy vous examiner ? »
Il faut une poignée de secondes à Jim pour intégrer la question incongrue...

« Bien sûr que oui, comme si je pouvais espérer lui échapper comme ça... Mais ce n’est pas-  », et presque autant pour réaliser d’où elle vient. Il se fige. « Tu penses que je suis en colère parce qu’ils m’ont un peu bousculé et filé un oeil au beurre noir ? » Il illustre la question d’un geste en direction dudit oeil qui, la dernière fois qu’il a entrevu son reflet, prenait les couleurs flamboyantes et maladives d’un morceau de barbaque abandonné trop longtemps au soleil. « Franchement, c’est rien, tu m’as déjà tabassé deux fois pire que ça... »
A l’instant où les paroles quittent sa bouche, avant même que Spock ne se raidisse brutalement d’une manière qui semble improbable, même pour un vulcain, il les regrette : rappeler à son Second la perte de contrôle qui a suivi la destruction de Vulcain et ses circonstances atroces est la dernière chose qu’il aurait voulu faire, alors qu’il émerge tout juste d’un trip infligé qui lui a arraché son contrôle comme sa raison… Bien joué, Jim, c’était une belle démonstration de mise des pieds dans le plat.
« … Ce que je veux dire c’est que ce n’est rien, des dégâts cosmétiques.
- Et pourtant, vous êtes en colère au point de la compromission émotionnelle. Vous conviendrez avec moi que c’est une réaction inusuelle. Je sais que vous êtes... attachéà la survie de votre équipage, Capitaine, mais vous ne pouvez pas laisser cela dicter votre comportement. Les lieutenants Laurens et Shrae sont des membres de Starfleet, ils sont entraînés et conscients des risques qu’impliquent les missions. Laisser vos émotions influencer votre devoir est un manque de professionnalisme. »
Jim s’est immobilisé, bouche ouverte dans un début de protestation indignée qu’il ravale Dieu merci avant de répondre quelque chose sur le fait qu’au moins lui se soucie de leur équipage, ou pire, encore bien pire, sur le fait que ce n’est pas vraiment ce qui est arrivé à Laurens et Shrae qui le met dans un tel état de rage qu’il est prêt à envisager le meurtre de sang froid.
La prise de conscience le laisse muet. Il n’est pas homme à se trouver à court de mots pourtant, mais tout son sens de la répartie semble l’avoir déserté et le regard froid, composé, de Spock lui donne la sensation d’être disséqué, analysé et jugé déficient.
« Tu es... plus magnanime que je ne puis l’être pour l’instant », dit-il finalement, gorge serrée. Sa voix doit trahir quelque chose, parce que Spock se contente de le scruter un peu plus, jusqu’à ce que Jim sente la chair de poule éclore dans sa nuque, remonter le long de son cou, jusqu’à ce que la tentation de prendre la fuite soit suffisamment forte pour qu’il n’ait d’autre choix qu’admettre son existence, avant de la bannir avec férocité.
Au terme d’une brève hésitation, Spock penche la tête.
« Je confesse que ma position sur la question n’est pas non plus dénuée de considérations émotionnelles. »
Il dit cela comme s’il s’agissait de la plus humiliante des révélations et surprise comme curiosité sont suffisantes pour tirer Jim de sa confusion momentanée.
« Vraiment ?
- La réponse à la violence est plus de démocratie, plus d’humanité », et même s’il n’en reconnaît pas la source, Jim peut sentir la citation dans l’inflexion de la voix de Spock, la manière dont il prononce les mots.
« Ce n’est pas une considération que je qualifierais d’émotionnelle », fait remarquer Jim avec prudence en venant finalement s'asseoir sur la chaise dépliée à droite du lit de son Second. « Idéologique, peut-être, mais pas émotionnelle... »
Spock fait ce qui correspond chez lui à une grimace, une crispation infime et peinée des muscles de son visage.
« En effet.
- Tu veux en parler ? Ou on peut, tu sais, enterrer définitivement le sujet et ne l’aborder que par des métaphores fleuries et des périphrases obscures quand on doit vraiment, si tu préfères. »
La tentative d’humour porte ses fruits et Spock semble se détendre, enfin. Son visage reste peut-être de marbre, mais sa posture perd une fraction de sa rigidité si peu naturelle, son dos repose finalement contre les oreillers.
« Le silence est difficile à justifier lorsque les choses sont présentées de cette manière », convient-il, et Jim est à peut près certain qu’il y a au moins une pointe de sarcasme dans sa voix. « Vous avez manqué votre vocation en tant que rhétoricien, Capitaine.
- Tu n’es pas obligé », murmure Jim, soudain pris d'inhabituels scrupules.
Le vulcain a déjà révélé bien plus qu’il ne l’aurait voulu et il sent confusément que la demande peut ressembler à son petit jeu “poussons Spock hors de ses gonds”. Il ne veut pas que Spock pense que ça en fait partie, qu’il prend la chose avec sa légèreté habituelle.
Mais le vulcain se contente de lui adresser un regard indéchiffrable, et d’ouvrir les mains sur ses genoux, paumes tournées vers le haut.
« Se voir dépouiller de sa conscience de soi, de tout maîtrise, réduit à une poignée d’instincts sur lesquels on ne désire ni ne peut exercer aucun contrôle... c’est abhorrant... Et à présent que je suis de nouveau maître de moi-même, mon inclinaison est de me comporter de la manière la plus civiliséepossible, pas pour des raisons idéologiques, pas même pour des raisons rationnelles, mais parce qu’une part de moi espère de manière infondée que peut-être cela pourrait compenser mes manquements passés, comme s’il s’agissait unités mesurables à ajouter ou soustraire... 

- Ce n’était pas ta faute Spock. Tu as été drogué.
- Mais c’est néanmoins moi qui ai brisé à mains nues la nuque d’un toârien et me suis acharné sur son corps. Et je saisintellectuellement que mon comportement maintenant que je suis de nouveau conscient ne peut changer cela, ou le rendre moins grave, en réduire la violation fondamentale... Mais... 

- C’est normal de rechercher l’absolution, Spock. Humain ou vulcain, les mécanismes psychologiques sont les mêmes... »
La détresse de Spock est invisible et pourtant Jim peut la sentir s’ajouter à la boule dans le creux de sa gorge, à sa peau qui tiraille comme s’il était soudain trop grand pour elle. Il se sent impuissant et démuni, et si l'honnêteté, l’intimité de leurs précédentes discussions le mettaient mal à l’aise, celle-ci à aussi une urgence supplémentaire, une immédiateté de la douleur qui fait naître chez lui une fébrilité inhabituelle.

Simplement insister qu’il n’a pas à se sentir responsable ne serait pas seulement inutile, mais aussi un mensonge d'une certaine manière, parce que Spock dit vrai, c'est lui qui a brisé le cou du terroriste. Mais dans ce cas-
« Je suis tout aussi coupable que toi Spock. D'avantage, parce que j'étais conscient et que j'ai agi de manière parfaitement délibérée. Et en tant que ton supérieur, c'est moi qui t'ai mis dans la position d'avoir à combattre alors que tu étais sous l'emprise de ce truc.»
Spock étudie un instant l'argument.
« Votre remarque n'est pas dénuée de fondement. On pourrait amender le "coupable" par "responsable", mais dans ce cas précis la différence sémantique n'est pas essentielle, vous avez fait votre devoir et effectué un choix tactique, je n'ai fait ni l'un ni l'autre. »
Il n’y a pas de bonne réponse, réalise Jim avec un pincement de cœur irrité. Pas de solution de facilité ou d’argument miracle qui arrangerait les choses s’il était prononcé avec assez d’éloquence, d’autant plus qu’il n’est pas certain de comprendre exactement l’origine du dégoût des vulcains pour la perte de contrôle de soi.
Ses discussions avec Spock lui en ont fait comprendre la gravité, la violation fondamentale et socialement inacceptable que cela constitue, mais cela reste abstrait. Malgré tout ses efforts de compréhension, ce n’est pas quelque chose qu’il partage, qu’il ressent. Il a déjà de la chance que Spock accepte de lui parler, plutôt que de se murer dans un silence buté et traumatisé.
De manière incongrue, il songe à leur discussion sur les tabous et les périphrases et se demande si les vulcains ont des euphémismes pour désigner la perte de contrôle tant redoutée. Ils partent en vrille ? en quenouille ? en couille ? Ils pètent un câble ? passent du côté obscur de la Force ? Ou les expressions sont elles encore plus énigmatiques, tant est honteuse la condition… peut-être vont-ils courir dans le désert, ou danser avec les le-matyas ?
La question est intrigante, mais elle attendra plus tard. Pour l’instant il y a la position intenable dans laquelle ils se trouvent maintenant qu’ils ont des prisonniers qu’ils ne peuvent garder mais qu’ils ne veulent pas rendre, il y a Spock et sa détresse… Et il n’a pas de réponse, que des platitudes que le vulcain est suffisamment intelligent et cultivé pour trouver tout seul.
Pas de réponses, mais une vérité, peut-être.
« Spock, je suis désolé que nous nous soyons retrouvés dans cette situation et que tu ais été drogué.” Spock ouvre la bouche, sans doute pour faire remarquer l’inutilité fondamentale du sentiment de regret à propos d’un évènement passé et sur lequel le Capitaine n’avait aucun impact, mais Jim l'interrompt d’une main levée. “Mais pour ce que ça vaut, j’ai été soulagé que tu sois là, parce que même hors de toi je savais que je pouvais te faire confiance. Il est évident que nous n'aurions jamais pu nous échapper si j’avais été seul avec Laurens et Shrae. J’imagine que ce n’est pas d’un grand réconfort, mais si tu n’avais pas été là nous serions encore dans cette cellule, Laurens serait probablement dans un état critique et le gouvernement Toârien serait sur le sentier de la guerre sans que personne ne puisse le modérer...”

Spock absorbe l’argument en silence et pour une fois dans sa vie Jim se tait, n’en dit pas plus et se contente de rester assis à côté du lit, une main posée sur la fine couverture à distance prudente de la jambe de son Second. Il est habituellement impossible de suivre les pensées de ce dernier sur son visage, mais il est fatigué et Jim repère la fine ligne d’expression sur son front, le frémissement d’un muscle au coin de sa bouche.
Quand suffisamment de temps à passé, il se redresse, tire sur sa veste d’uniforme dans une tentative vouée à l’échec d’en aplatir les plis, demande :
« Est-ce que ce qui s'est passé à terre va t'empêcher de tenir ton rang, Spock ? Je veux une réponse honnête.
- Non, Capitaine.
- Est-ce que tu vas aller aux rendez-vous avec le psy que Bones t'a prescrit ?
- J'obéis aux ordres, Capitaine.
- Et parler avec Tra'ma », amende Jim, conscient que le vulcain est occasionnellement capable d'obéir à la lettre tout en violant allègrement l'esprit. « Pas simplement rester assis dans son bureau pendant une heure à le regarder dans le blanc des yeux.
- Les tellarites n’ont pas de blanc des yeux, Capitaine.
- Spock.
- … Les vulcains gèrent ce genre de problème par la méditation.
- Ce qui veut dire non. Au moins tu es franc.
- Capitaine... »
Jim ne s’était jamais vraiment rendu compte à quel point Spock tend à se retrancher derrière la formalité de son titre quand il est mal à l’aise. Quatre “Capitaines“ en autant de phrases c’est un recors, même pour lui.


« Je veux bien croire que tu es tout à fait capable de faire la paix avec toi-même sans intervention extérieure, Spock. Mais ça ne m'empêche pas de m’inquiéter. Comme tu l’as justement fait remarquer, je suisCapitaine : c’est mon devoir de m’inquiéter de ça.
- Capitaine, je vous assure qu’après un cycle nocturne et une transe méditative je serai parfaitement apte à reprendre mon poste. »
Jim soupire, mais en vérité il est parfaitement conscient de l’inutilité de forcer Spock à aller voir le psy s’il s’y refuse, et plutôt soulagé de l’entendre dire qu’il ira bien.
Le règlement stipule que dans ce genre de cas on ne doit pas s’en tenir à la parole des membres d’équipage mis en cause, mais hé, ce n’est pas comme si Jim était du genre à suivre les règlements à la lettre lorsqu’il estime qu’ils font plus de mal que de bien.
« Très bien », cède-t-il. « Tu as une journée pour méditer et te reposer tranquillement dans tes quartiers, après ça tu laisseras Bo- le Docteur McCoy t’examiner, tu répondras à ses questions et s’il estime que tout va bien, il te dispensera des visites au psy. Ça te va ?
- Capitaine...
- En fait non, tout bien réfléchi ce n’est pas négociable. »
Jim se lève et avant d’avoir le temps d’y penser à deux fois, il accorde à Spock le genre d’accolade qu’il partagerait sans arrières pensés avec Bones : sa main sur son épaule et une pression ferme, qui s’attarde à peine. Spock ne réagit pas, mais sous sa main Jim sent le début d’un frémissement aussitôt réprimé, comme la réaction à une décharge électrique.

« C’est convenu alors », conclut-il avant de rejoindre la porte.

 

Et alors qu’il remonte les couloirs désertés pour rejoindre ses propres quartiers, il se fait la réflexion qu’il s’est vraiment mis dans de beaux draps. Heureusement qu’il ne croit pas aux situations sans issues favorables, parce que sinon il serait sans doute temps de s’inquiéter.

 

 

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