Danse du loup et autres euphémismes
3.
Deux mois, trois missions et dix parties d’échecs après ce que Jim a mentalement intitulé “la discussion dans la crevasse”, ils sont dans de beaux draps. Foi de James Tiberius Kirk, la première chose qu’il fera une fois sorti de là sera de retrouver le putain d’analyste de Starfleet ayant estimé la mission de risque minimal (mon cul oui !), imprimer les quatre-vingts pages de son rapport, puis les lui faire bouffer de force, couvertures cartonnées incluses.
Le lieutenant Laurens de la sécurité est au sol, pâle et fiévreux, le tissu rouge de son uniforme taché de pourpre par le sang répandu. L’enseigne Shrae de la section médicale est agenouillée à côté de lui, recroquevillée sur elle-même. Elle s’est admirablement conduite et s’est occupée de Laurens au mieux, a mis en place le pansement compressif avec le peu de matériel médical que leur ont laissé leurs geôliers avant de se laisser aller à l’état de choc.
Shrae est andorienne, et durant l’échauffourée qui a mené à leur capture un tir d’une arme primitive non identifiée à tranché net son antenne droite. Ses fins cheveux blancs sont encollés de sang bleu foncé qui a noirci en séchant et ses stries frontales sont plus marquées qu’à l’accoutumée. Avant de glisser dans une semi-inconscience, elle a assuré Jim que bien que hautement traumatisante, la perte d’une antenne n’est pas une blessure fatale.
Spock, qui était encore à peu près lucide à ce moment-là, a confirmé et ajouté que c’était une blessure handicapante et extrêmement humiliante à court terme, mais que les antennes repoussaient avec le temps et qu’il existait des thérapies pour accélérer la régénération. C’est d’un certain réconfort.
Toutefois Jim se sentirait encore plus réconforté si les boissons que leurs hôtes Toâriens leur avaient offert pour l’apéro n’avaient manifestement contenu l’une des rares toxines susceptibles d’avoir un effet sur les vulcains. D’après ce que Jim a compris, le mélange était censé assommer Spock pour le compte, retirant sa force vulcaine de l’équation et faisant de l’enlèvement de la délégation de l’Entrepriseune simple formalité.
Évidemment, parce que les choses ne sont jamais aussi simples et que la plupart des gens ignorent que Spock est à demi humain (bande d’incompétents, même pas capable de faire leurs recherches pour préparer un enlèvement correct), la drogue n’a pas eu l’effet escompté et Spock est, à défaut d’un terme plus adapté, totalement défoncé.
Cela aurait potentiellement pu être hilarant si a) ils n’avaient pas été enfermés au fin fond d’une cave avec, b) des membres blessés de son équipage et si, c) Spock avait sciemment choisi de prendre un peu de bon temps et non pas été drogué de force via sa limonade.
En l’état actuel des choses donc, Jim Kirk est aussi peu réconforté qu’il est possible de l’être. Ce qu’il est c’est : livide qu’une rage parfaitement maîtrisée, inquiet pour Laurens (dont aucun organe vital n’a a priori été touché mais qui a perdu beaucoup de sang), inquiet pour Shrae (qui est un bon officier et qui n’a pas mérité ce genre de traumatisme) et, peut-être plus étrange car le préjudice subit par ce dernier n’est pas d’ordre physique, terriblement inquiet pour Spock.
Ho, et aussi il est en train de réfléchir à une stratégie pour sortir ses trois membres d’équipage invalides de ce trou à rats.
« T’inquiètes pas Spock, » annonce-t-il à son Second tout en palpant les gonds de la porte blindée qui ferme leur cellule (il a renoncé au vouvoiement qui est normalement de règle quand ils sont en service, de toute manière ce n’était pas comme si Spock était en état de s’en offusquer). « On a toujours nos implants sous-cutanés. Si on arrive à remonter à la surface les traceurs de l’Entreprisenous localiserons et Scotty nous téléportera à la maison en moins de temps qu’il n’en faut pour dire ouf. Fais moi confiance…
- Hooo… » murmure le vulcain depuis le mur de la cellule contre lequel il s’est affaissé. Il cogne répétitivement l’arrière de son crâne contre la paroi, pas suffisamment fort pour risquer de se blesser, mais suffisamment pour faire courir un frisson d’inconfort dans la nuque de Jim. « Je vous fais confiance, ô Capitaine mon Capitaine, vous êtes bleu et vous allez nous ramener à ha-kel… » Il ajoute une phrase en vulcain, voix souple et traînante, les consonantes si mêlées entre elles que Jim est incapable de comprendre ce qu’il dit. C’est probablement mieux.
« Si seulement je pouvais ouvrir cette putain de porte, » marmonne-t-il pour lui-même. Les Toâriens leur ont retiré toute arme, et dans un élan de compétence ont même pensé à prendre les dagues que Laurens et Jim portaient dissimulées dans leurs bottes (il a pu récupérer ses chaussettes, c’est toujours ça de gagné).
Si Spock était dans son état normal ils pourraient peut-être essayer de l’enfoncer… Mais à part l’accès de violence du début, qui a mis deux hauts dignitaires Toâriens et au moins trois gardes à l’hôpital (dans leur gueule, ils l’ont bien cherché ces salauds…), Spock s’est pour l’instant montré un drogué plutôt calme, presque solennel, si ce n’est sa tendance à parler aux murs (ainsi qu’à rentrer dedans, à trébucher et plus généralement à perdre le contrôle de ses muscles), à voir les maths de l’univers (et à les réciter) ou à goûter les couleurs. Jim est soulagé d’une certaine manière. Ça pourrait être bien pire. Il n’est pas certain qu’il supporterait de voir Spock perdre tout contrôle de lui-même comme certains toxicos qu’il a connu, pleurer de manière hystérique ou révéler ses pires secrets à qui veut bien les entendre. Imaginer le vulcain dépouillé de sa dignité à ce point tord quelque chose de douloureux et de rageur dans son estomac, et pourtant la situation est bien assez mauvaise comme ça. À tout choisir il aurait presque préféré que la drogue agisse comme elle était censée le faire et endorme Spock.
Avec un souffle nerveux il passe une main dans ses cheveux, parcourt l’étroite cellule du regard à la recherche de quelque chose, n’importe quoi, auquel il n’aurait pas pensé. La seule lumière provient d’une ampoule laiteuse encastrée dans le plafond derrière une plaque de quelque chose qui ressemble à du permaglace. Malheureusement la dalle est parfaitement ajustée dans le plafond et Jim ne voit aucun moyen de la déloger. De toute manière elle est trop haute pour qu’il l’atteigne seul.
Une bouffée de colère impuissante l’envahit et il écrase son poing contre le métal de la porte avec un juron, provoquant un vacarme métallique et un sursaut paniqué de la part de Spock qui laisse échapper un feulement d’animal blessé.
« Ho merde, merde, merde ! Doucement Spock, je suis désolé ! » Il tente d’apaiser les mouvements de recul désordonnés de l’autre homme et se prend un coup de coude dans la mâchoire pour sa peine. Dans l’empoignade qui suit, sa main droite entre en contact avec celle de Spock, remontée contre son visage comme un geste dérisoire de protection, et le vulcain s’immobilise soudainement.
« Doucement, doucement… », murmure Jim. « Du calme, voilà ?
- Capitaine ?
- Je suis désolé, je vais te lâcher, c’était juste-
- Non ! » La main de Spock se referme comme un piège à loup sur le poignet de Jim qui serre les dents. « Pas lâcher, Jim…
- Spock ! Spock, tu m’entends, tu vas mieux ?
- Télépathie. De contact. », halète le vulcain. « Ça aide. À rester focalisé. Perce le brouillard, je me demande…
- Pas maintenant Spock. » Le futur est soudainement plus rose, avec Spock semi conscient, même si ses traits sont figés dans une grimace de douleur et de concentration, que sa tête ballote. Et… Ho. « Spock, j’ai une idée, d’accord ? Tu es toujours avec moi ?
- La surface, » balbutie Spock, « juste la surface, les vaguelettes et le clapot. Ainsi je n’entend pas. Le silence de la mer.
- Oh, bien. Parfait, » marmonne Jim en s’efforçant de clapoter de la manière la plus sereine possible. Ne manquerait plus qu’il contamine de ses propres émotions la contenance déjà vacillante de son ami via la télépathie.
Au terme d’une petite danse inconfortable, Jim parvient à échanger sa main gauche avec la droite dans la poigne de Spock, et se sert de sa bonne main pour cueillir sur le revers de l’uniforme de parade de ce dernier le symbole métallique de l’Idic qui y est épinglé.
« Regarde Spock. Si tout se passe bien, l’Infinie Diversité dans ses Infinies Combinaisons va nous sortir de là ! »
Il mord un coup dans la médaille, teste le métal.
« C’est du solide, parfait. Spock, il va falloir que tu me portes, tu peux faire ça ?
- Faire…
- Me porter, pour atteindre la lumière. Tu peux le faire ? Ça marchera encore si tu me touches ailleurs ?
- Mains, plus faciles. Mais je peux... Jim ! » Le vulcain se contracte soudainement, détourne le visage, son expression creusée par la détresse.
« Doucement, ça va aller. Tu es sûr que tu peux ?
- Oui. »
L’opération est périlleuse et chaotique. Elle serait déjà complexe en temps normal – le luminaire est à plus de trois mètres du sol- et elle est rendue plus difficile par le tremblement dans les épaules de Spock, qui ne dit plus rien dès l’instant où ses mains quittent celles de Jim pour ses chevilles (il a enlevé ses bottes et ses chaussettes).
Une fois perché Jim se met au travail, et au troisième essai, en se servant de la partie triangulaire de l’Idic comme d’un mini poinçon/levier qu’il parvient à insérer dans la rainure entre plafond et plaque protégeant la lumière, il parvient à donner du jeu puis à desceller celle-ci. Le permaglace est lourd, ses bords aiguisés et Jim le dépose soigneusement au sol avant de remonter une dernière fois afin d’examiner le câblage. Celui-ci est plutôt simple, mais il n’y a pas suffisamment de mou pour en faire quoique ce soit, et après réflexion il décide que créer un court-circuit qui risquerait de les priver de lumière ou d’attirer l’attention sur leur cellule ne vaut pas la peine.
De retour sur le plancher des vaches, il réexamine les éléments dont ils disposent. Son arsenal s’est enrichi d’une plaque de permaglace qui fera un merveilleux objet contondant à usage unique, d’un pin’s Idic et d’un Spock en petite forme qu’il ne peut littéralement pas lâcher s’il ne veut pas que celui-ci retombe dans le monde de la physique quantique et des oranges bleues. Et puis il y a lui-même, que leurs geôliers sous-estiment manifestement s’il faut se fier à l’expérience matinale.
Bon.
« Spock, je vais devoir te lâcher. Ça va aller ? Tu penses que tu peux le faire ? »
Avec une expression misérable et l’air d’un homme que l’on conduit au tripalium, Spock relâche sa prise de la main de Jim, et fait un pas en arrière.
Jim ne regardait pas son visage la fois précédente, mais cette fois-ci il est impossible de manquer le changement d’expression. Malgré la détresse lisible les traits de Spock étaient tendus, habités, et à la seconde où sa main quitte celle de Jim cette impression se dilue, les trais s’adoucissent, le regard perd de sa focalisation. C’est comme si quelqu'un d’autre, quelqu’un qui ne serait pas tout à fait lui, habitait sa peau. La relaxation visible lui va bien pourtant, mais Jim se dit qu’il l’aurait préférée si elle avait été réelle, et non pas arrachée comme un viol.
La pensée lui donne envie de frapper quelqu’un.
Ça tombe bien, c’est justement le plan.
S’il a bien compris, leurs geôliers sont une faction rebelle au gouvernement Toâriens qui réclament l’intervention de la Fédération comme médiateur pour une affaire interne. Toâr V n’est pas un membre de la Fédération, et la politique de non-intervention de cette dernière est très claire. À part dans les cas où un monde membre saisit le Haut Conseil, généralement pour des problèmes humanitaires, la politique est de laisser les sociétés évoluer seules, sans ingérence. Hors, le cas des Toâriens n’est qu’une lutte pour le pouvoir politique. Violente certes, et Jim comprendrait presque les membres de la faction progressiste qui veulent faire appel à l’arbitrage de la Fédération et qui en désespoir de cause ont enlevé une délégation fédérale comprenant deux des sauveurs de la Terre, espérant sans doute attirer l’attention sur leur cas. Mais ils ont irrémédiablement sabordé toute once de sympathie qu’il aurait pu avoir pour eux à l’instant où ils ont décidé que droguer Spock puis tirer sur ses hommes quand ces derniers ne se sont pas laissé capturer bien sagement était une stratégie viable. Enculés.
Mais donc, le point important est qu’ils ont un statut d’otages, du moins Jim et Spock, leurs hôtes n’ayant semblés que peu concernés par les chances de survie de Laurens et Shrae. Et que si Jim se met à tambouriner contre la porte tout en gueulant comme un porc qu’on égorge que Spock est devenu fou et qu’il est en train de l’attaquer, ils vont venir voir ce qui se passe. (Jim a vérifié, il n’y a pas de caméra dans la cellule. Ha, le plaisir des kidnappeurs technologiquement limités…)
De nouveau dans les limbes, Spock réagit au bruit en se mettant à son tour à crier, un hurlement rauque et inarticulé, douloureux, qui fait monter des frissons d’angoisse dans la nuque de Jim et lui donne envie d’attraper la main de son Second pour lui épargner cela.
Malheureusement il a besoin de ses deux mains et il ne peut que se féliciter que la participation de Spock renforce la vraisemblance de l’attaque. Bientôt un bruit de course se fait entendre de l’autre côté de la porte, des jurons murmurés et le bruit d’une clé qu’on introduit dans une serrure.
Les deux bras levés, mains crispées, Jim est prêt, et la tête du soldat qui a le malheur de pénétrer en premier dans la pièce rencontre la plaque de permaglace utilisée comme une batte de base-ball. Le choc abat l’homme comme un arbre, avec un craquement affreux, dans une fontaine de sang. Jim n’attend pas de voir la suite et plonge hors de la cellule, vers le second toârien qui est en train de lever son arme. Son poing rencontre le visage du soldat avant que ce dernier n’ait le temps de mettre Jim en joue, et il lui attrape le poignet, pivote dans le mouvement, et utilise la torsion pour lui faire lâcher son arme. Mais l’homme est massif, il lui en faut plus pour s’avouer vaincu, et un coup de tête vicieux fait reculer Jim de quelques pas, le mettant dans la ligne de tir du troisième soldat qui a reculé avec un cri d’alarme.
Un juron aux lèvres, le jeune homme replonge en avant contre son adversaire désarmé, utilise son élan pour faire basculer ce dernier devant lui. Juste à temps. Avec une détonation assourdissante le soldat fait feu et l’homme devant Jim tressaille puis s’affaisse lourdement, le sang chaud empoissant la prise qu’avait Jim sur son uniforme.
Il est trop lourd pour que Jim puisse le maintenir droit et continuer à s’en servir comme bouclier, le tireur est trop loin pour qu’il puisse l’atteindre avant qu’il ne fasse feu de nouveau, le couloir trop étroit, sans nul part où prendre couvert : l’empoignade les a éloigné de la porte de la cellule et l’homme se trouve maintenant entre elle et lui. (Non pas que le contraire l’eût beaucoup avancé cela dit : se mettre à l’abri dans la cellule ne lui aurait gagné que quelques secondes, et l’honneur douteux d’être abattu comme un renard coincé au fond d’un terrier plutôt que tiré comme un lapin.)
« Vous ne voulez pas me tuer ! », rappelle-t-il frénétiquement, avec l’espoir mince que son statut d’otage potentiel retienne la main de l’homme. Malheureusement le fait de voir deux de ses compagnons éliminés devant ses yeux semble avoir réduit sa capacité à entretenir des considérations stratégiques aussi développées.
Jim voit dans ses yeux l’instant où il décide qu’il va faire feu malgré tout… Et également l’instant où la conscience le quitte, quand Spock s’abat sur lui sans aucune finesse, aucune coordination, mais avec une brutalité qui compense largement.
Le vulcain est agenouillé sur le corps immobile de l’homme et continue de le frapper aveuglément… Jim lâche son cadavre sans plus de manière pour se précipiter vers lui, évite un coup de poing instinctif dans sa direction et attrape la main de Spock au vol.
« Doucement Spock, c’est moi… »
Comme précédemment le changement est immédiat, la raideur dans le corps de son Second fait sa réapparition et Spock se fige comme un animal pris dans les phares d’une voiture, respiration rapide et irrégulière.
« Capitaine… » Son regard se pose sur les mains de Jim serrées autour de la sienne, le sang encore chaud qui les barbouille, remonte le long de ses bras…
« Je vais bien Spock, tu l’as eu avant qu’il ne me tire dessus. C’était bien joué. » En guise de réponse l’expression de Spock se creuse de désapprobation, quelque chose comme du dégoût impuissant, et Jim décide que c’est le bon moment pour se mettre en mouvement. Il tire Spock debout, dégrafe et passe le baudrier du soldat le plus proche de sa taille, (le tout avec une seule main, galère, mais hé, qui aurait cru que toute cette expérience durement acquise dans le déshabillage d’autres personnes pouvait être utile au combat ?), empoche son arme. Après une brève hésitation, il renonce à laisser un des pistolets à Spock. Dans son état il ne tirerait sans doute pas juste, et de toute manière Jim va avoir besoin de lui pour autre chose.
Après un dernier regard dans le couloir toujours vide ils retournent dans la cellule, où Jim s’agenouille auprès de Shrae et secoue doucement son épaule. S’il faut en croire les ouvrages de xénobiologie qu’il a lu sur le sujet, les Andoriens peuvent fonctionner de manière automatique même en cas de grave choc… Si seulement il arrivait à la mettre debout…
« Lieutenant Shrae, au rapport ! »
La jeune femme se raidit un peu, se redresse. Sa peau bleue claire à une teinte maladive et ses pupilles sont si dilatées que ses yeux sont presque noirs.
« Capitaine Kirk ?
- C’est ça, » l’encourage Jim en l’attrapant par un bras. Spock fait de même et ensemble ils la hissent sur ses pieds. Elle vacille un peu, mais reste debout. « Très bien. Lieutenant Shrae, je vais vous donner un ordre, ce sera très simple. On va sortir d’ici, mais pour ça j’ai besoin que vous marchiez. C’est tout ce que je vous demande, que vous restiez debout, d’accord ? Restez debout, suivez le Commandant Spock et tout ira bien.
- A- A vos ordres.
- Capitaine, » murmure Spock, « ce n’est-
- Je sais ce que tu vas dire, » prévient Jim, « et il est hors de question que je laisse quiconque derrière moi, oublie ça. On va sortir tous les quatre.
- Irrationnel, Jim, » proteste le vulcain, et Jim lui adresse un sourire féroce en réponse.
« Depuis le temps je pensais que tu le savais… James Irrationnel Tiberius Kirk, c’est moi ! Spock, il faut que tu portes Laurens. Tu peux le faire avec une seule main libre ? Je ne te lâcherais pas, promis… »
Spock a une expression qui signifie qu’en temps normal il aurait moult objections très détaillées, mais qu’a cet instant précis, il concentre toutes ses capacités pour ne pas perdre le fil des évènements et de ce que lui dit Jim. Il acquiesce.
Hisser Laurens sur son dos leur demande un peu d’inventivité, mais finalement ils parviennent à le caler de manière à ce que sa peau n’entre pas en contact avec celle de Spock, et Jim béni silencieusement les dieux pour la force vulcaine si supérieure à celle d’un humain.
C’est ainsi qu’ils se mettent en route, Jim menant la marche, un pistolet toârien dans une main et l’autre refermée sur celle de Spock, qui porte Laurens. Shrae marche derrière eux.
Ils doivent former un tableau plutôt ridicule, songe Jim en passant prudemment la tête à un angle du couloir pour vérifier que la voie est libre... La prise de Spock sur sa main est convulsive et passablement douloureuse, mais il ne protesterait pour rien au monde. S’assurer que Spock reste conscient et maître de lui-même est une priorité.
Clopin-clopant ils traversent la salle de garde où devaient être installé les soldats qu’ils ont éliminés. Les murs sont gris et froids, le plafond haut. Mis à part l’écran posé sur une étagère et les trois chaises et la table pliante sur laquelle sont abandonnées les cartes d’une partie en cours, la salle ressemble trait pour trait à leur cellule, en à peine plus large. Jim se demande ce qu’était cet endroit avant de devenir la geôle d’une faction terroriste.
La télé est allumée mais muette, branchée sur ce qui semble être une chaîne d’informations s’il faut se fier aux bandeaux défiants (malheureusement dans un alphabet qu’il ne sait pas lire), ou au visage de la présentatrice parlant dans un micro qui occupe la moitié de l’écran. Sur l’autre moitié défilent des images du Gralk, l’équivalent local d’un dirigeant planétaire, en train de faire un discours, intercalées avec des images d’archive de l’Entrepriseet des photos de Jim et Spock tirées de leurs dossiers Starfleet.
Hu, on dirait que leur disparition n’est pas passé inaperçue…
Un instant Jim cherche une télécommande pour remettre le son et entendre ce qui se dit sur la situation, mais il renonce vite. Il n’y a pas de temps à perdre, et il doute que de nouvelles informations (surtout probablement tronquées comme celles d’une chaîne locale) le poussent à revoir son plan qui est, il faut le dire, fort simple.
« Viens Spock », incite-t-il en tirant légèrement sur la main de vulcain, avec la vague impression d’être un gamin en sortie scolaire ou une adolescente de treize ans lors de son premier rendez-vous.
Ils s’engagent dans un escalier en colimaçon bétonné et Jim se demande à combien d’étages sous terre ils se trouvent, pour que les détecteurs de l’Entreprisen’arrivent pas à localiser leurs puces (en espérant que ce ne soit que cela, et non pas un champ de brouillage quelconque…) Un coup d’œil en arrière lui assure que le lieutenant Shrae les suit toujours et Spock répond « Je vais bien, » avant même que la question n’ait franchi les lèvres de Jim.
« Parfait, parfait. » Au sommet de la volée d’escaliers il s’immobilise de nouveau, regarde dans le couloir désert en essayant de se souvenir si la sortie est vers la droite ou la gauche. Il s’est montré plutôt réticent quand ils l’ont amené et il a passé une bonne partie du trajet la tête dans un sac.
« Gauche, » murmure Spock, et à présent la tension est audible dans sa voix en plus d’être visible sur son visage. « Il y a des hommes dans la pièce du bout, trois au minimum, peut-être plus s’ils sont silencieux.
- D’accord, » répond Jim. On va se rapprocher et tu vas rester en arrière avec Laurens et le lieutenant Shrae. Je vais être obligé de te lâcher de nouveau, tu penses que ça va aller ?
- Je peux aider, » répond Spock. « Si je me concentre. Suffisamment de décalage avant que la drogue reprenne le dessus pour que je puisse…
- C’est trop dangereux, » coupe Jim.
« Plus qu’attaquer seul trois hommes armés ? Illogique, » gronde Spock en avançant de quelques pas avant de déposer soigneusement le corps inanimé du lieutenant Laurens au sol. « Restez là lieutenant Shrae. Le plus proche de la porte est pour moi. Les autres, toi. »
Sans plus écouter les protestations à mi-voix de Jim, il l’entraîne à sa suite avant de s’arrêter à quelques mètres du coude formé par le couloir. A présent même lui peut entendre les voix des hommes, qui discutent entre eux dans un dialecte local. La lumière du jour striée par l’ombre de stores vénitiens vient toucher le mur à cet endroit là, et Jim peut presque humer la douce odeur de la liberté. S’ils sont au niveau de la surface il y a une chance que les capteurs de l’Entreprise puisse intercepter les balises de leurs implants pour les téléporter hors de là, mais ce n’est pas garanti et le plan de Jim implique d’atteindre l’air libre. Il aurait aimé avoir un phaser plutôt qu’une arme à projectiles sans autre réglage que “destructeur”, mais entre sortir ses hommes de là et la vie de trois kidnappeurs, le choix est tout fait.
« Léonard a bien raison quand il dit que les vulcains ont la tête comme du bois, » marmonne-t-il de manière quasi inaudible, mais avant de se lancer dans salle il serre une fois la main de Spock, et juste avant qu’il ne le lâche, il sent ce dernier répondre de manière similaire.
Si le corps à corps reste une des prédilections (et un des indéniables points forts, merci n’en jetez plus) de Jim, il est par nécessité et à force d’entraînement devenu un tireur plus que correct. Il a la main sûre, la capacité de se focaliser rapidement sur la cible, mais surtout celle -d’après son instructeur Starfleet- de voir une situation et en une fraction de seconde de l’analyser, d’en tirer une stratégie de tir optimale.
Quand il pénètre dans la pièce où se trouvent leurs kidnappeurs il ignore l’homme le plus proche de lui, sachant que Spock va s’en occuper, localise les deux autres, leur position, leur accès à des armes potentielles. Il fait feu, une première fois, et la femme qui plongeait vers le pistolet posé sur la table roule à terre avec un cri de douleur, sa jambe droite fauchée sous elle, « Stop ! » ordonne-t-il en mettant en joue son compagnon qui fait mine de se lever. « Donnez moi une seule raison de tirer et je me ferais un plaisir de vous descendre comme un chien. »
Derrière lui un ahanement doublé du bruit familier d’une empoignade se fait entendre et il résiste à la tentation de quitter des yeux ses cibles pour regarder en arrière quand il est violement bousculé. Le coup le prend dans le milieu de dos et il bascule en avant, tombe à genoux sans lâcher son arme, juste à l’instant où son corps entier se met à picoter, comme pris d’une désintégration latente et où l’éblouit une lumière jaune familière. Il a tout juste le temps de voir l’un des terroriste se saisir d’une arme avant que la scène ne disparaisse.
Le disque froid de la salle des transporteurs sous ses mains, la vibration intime, les murs blancs de son vaisseau. Derrière la vitre Pavel aux commandes du transporteur, en train de se lever. Du coin de l’œil, sur les autres cercles de transportation, il peut voir le lieutenant Shrae tituber, la forme prostré de Laurens et le sol qui rougit déjà sous lui, Spock poser un genoux en terre sans lâcher l’homme qu’il affrontait et qui a été téléporté avec lui, avant d’être secoué par un spasme visible, de se retourner, regard fou.
« Jim !
- Amenez-moi le Docteur McCoy ! » rugit Jim en direction l’officier de la sécurité sanglé de rouge qui se précipite vers lui. « Maintenant ! Envoyez une équipe au sol pour arrêter les terroristes et mettez-moi ce type aux fers ! » En deux pas il est de nouveau aux côtés de Spock et sa main se referme sur la sienne à l’instant où Uhura arrive au pas de course dans la salle, se fige. « Bones, bordel ! Amenez-moi Bones ! »