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Chapitre 11 : Ce qui se passe à Vegas... reste à Vegas

7684 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 06/03/2021 21:50

Chapitre 11 : Ce qui se passe à Vegas… reste à Vegas


En 2268 (et ce depuis plus d’un siècle et demie), Las Vegas était une ville fantôme. [1] Une bombe l’avait ravagée durant la Troisième Guerre Mondiale et ne subsistaient plus de cet ancien lieu de jeux et de plaisirs que des ruines impressionnantes, que McCoy, comme beaucoup d’humains, avait visitées avec une curiosité teintée d’appréhension. Imaginer à quoi ressemblait Vegas en plein XXIème siècle n’était pas compliqué – de nombreux films, anciens mais toujours considérés comme classiques, avaient montré, sous tous les angles, « la ville aux mille tentations » – mais voir les lieux « en vrai » dépassait tout ce que le médecin s’était représenté.

Il n’était pas certain d’aimer la ville, mais il n’était pas certain de la détester non plus. Tout ici était… trop. Les lumières, le bruit, les odeurs, les gens, l’excitation. Différent de tout ce qu’il connaissait et avait vu, et en même temps tellement semblable à ce qui se passait, probablement en ce moment même, sur des milliers de planètes situées à des milliers d’années-lumière de là…

Il trouvait toujours complètement dingue que le capitaine ait autorisé une permission aussi délirante, qui risquait de violer approximativement un trillion de paragraphes de la réglementation interne à Starfleet, mais Leonard Nimoy leur avait affirmé avoir entendu Kirk et lui-même parler, dans des années et des années, de leur virée à Vegas comme « ce qui leur avait permis d’éviter la mutinerie », et Jim, qui se sentait probablement coupable (à raison) de ce qui s’était passé sur Antarès, n’avait pas hésité bien longtemps.

Le vieil acteur leur avait fourni de précieuses indications sur la manière dont ils devraient se comporter une fois arrivés en bas. La présence proche du désert leur avait permis de téléporter les deux tiers de l’équipage non loin de la ville sans attirer l’attention et la « convention Star Truc » leur avait permis, ainsi que l’autre Leonard le leur avait assuré, de se fondre dans la foule sans attirer l’attention, ce que Bones trouvait proprement ahurissant – mais il avait vite constaté qu’ils n’étaient pas les seuls en uniforme, et que Spock n’était pas le seul à arborer des oreilles pointues. (Evidemment, les siennes étaient les seules vraies, mais ça, personne autour d’eux ne le savait.)

Après une heure de compréhensible méfiance (il s’attendait à tout moment à être repéré pour ce qu’il était : un voyageur du futur qui n’avait rien à faire là), McCoy finit par se détendre. Aucun des membres de l’équipage, dispersés sur divers casinos, bars, restaurants et autres lieux de plaisirs, n’avait appelé pour signaler le moindre problème, tout le monde semblait bien s’amuser, bref la prédiction de M. Nimoy, aussi fou que cela paraisse, était en train de se réaliser. Lorsque Kirk avait annoncé à travers tout le vaisseau qu’ils allaient rester en orbite pendant trois jours et que tout le monde pourrait en passer deux à Vegas, un silence incrédule avait accueilli le message, que Jim avait dû répéter trois fois pour que les officiers présents sur la passerelle finissent par admettre que le capitaine ne leur faisait pas une mauvaise blague.

L’argent n’avait pas été un problème non plus, car l’acteur leur en avait très généreusement prêté. Et comme Jim, gêné, hésitait, Leonard avait ajouté, avec un clin d’œil complice, qu’il ne doutait pas de leur capacité à le rembourser très rapidement. « Mettez Spock à une table de blackjack et dites-lui de compter les cartes discrètement, vous verrez », avait-il conclu en souriant.

De fait, le conseil s’était révélé bon. (Et McCoy comprenait mieux à présent pourquoi le vieil homme n’avait pas hésité à leur donner ce qui avait semblé au médecin une somme d’argent colossale. Il n’avait fallu qu’une petite heure au Vulcain pour récupérer l’intégralité de la somme, et encore, parce qu’il lui avait fallu une vingtaine de minutes pour mémoriser l’ordre des six jeux de cartes présents dans le sabot.)

Ils en étaient à leur troisième casino (l’acteur leur avait conseillé d’en changer dès que l’on commencerait à les regarder de travers, et ils avaient scrupuleusement respecté cette règle) lorsque McCoy, lassé de ce qui n’était après tout qu’un déploiement (impressionnant, certes, mais il avait été témoin de choses bien plus intéressantes au cours de son existence bien remplie) de logique vulcaine, décida de laisser Kirk surveiller seul les arrières de son premier officier, qui avait déjà été abordé par plusieurs joueurs. L’un d’entre eux, lui-même porteur d’un uniforme rouge fabriqué dans une matière immonde qui lui donnait l’air d’être en pyjama, lui avait même fichu une grande claque dans le dos avec un « Allons, M. Spock, depuis quand est-il logique de jouer aux cartes ? ». Le regard que lui avait lancé le premier officier avait gelé sur place le pauvre type, qui avait bredouillé deux ou trois mots d’excuse et s’était empressé de disparaître.

Bones quitta donc sans regret la table de blackjack où se pressait une foule de curieux, en quête d’un endroit un peu plus calme où il pourrait boire un verre tranquillement et réfléchir à tout ce qui leur était arrivé depuis l’avant-veille, et particulièrement à cette histoire de série télévisée qui le tarabustait. Ils passaient tellement inaperçus dans ce monde dont ils ignoraient tout que c’en devenait presque trop facile.

Ce fut là, au fond d’une petite salle à la lumière tamisée, qu’il retrouva Leonard Nimoy, l’air fatigué et tout aussi désireux que lui de se retrouver seul. Le médecin hésita un instant à le déranger (le pauvre vieux avait déjà passé une sale journée, inutile d’en rajouter), mais lorsqu’il vit l’homme lui sourire et lui faire signe de s’approcher, il s’exécuta.

Il y avait un certain nombre de questions qu’il était curieux de lui poser. De préférence loin des oreilles indiscrètes, y compris de celles de James Tiberius Kirk et de son inséparable premier officier vulcain.

.

– Alors, quel effet ça fait de rencontrer son probable descendant ? s’enquit négligemment le médecin, comme s’il lui demandait l’heure.

Leonard haussa les épaules avec un petit sourire. Il était content d’avoir pu échapper à la foule des fans qui l’attendaient au Hilton pour l’ouverture de la convention. Avec toute cette histoire, il avait failli arriver en retard pour le discours d’ouverture et n’y avait peut-être pas mis tout l’enthousiasme que l’on attendait de sa part. Deux nuits quasiment blanches lui semblaient une excuse suffisante ; si l’on ajoutait à cette circonstance atténuante le fait d’avoir rencontré son double vulcain, il pensait qu’il méritait une médaille pour s’être quand même présenté à son poste aujourd’hui.

A son poste. Il ne pouvait s’empêcher d’utiliser un vocabulaire quasiment militaire lorsqu’il parlait de son travail d’acteur. Preuve que le premier officier avait déteint sur lui bien plus qu’il ne voulait l’admettre. Pourtant, il avait passé l’après-midi à signer des autographes en répétant qu’il n’était pas Spock… avec encore plus de conviction qu’à l’ordinaire, à présent qu’il avait pu comparer le rôle de composition qui avait été le sien avec l’original.

Lorsqu’il s’était éclipsé discrètement, dans le but de se trouver un coin tranquille où réfléchir aux événements incroyables des deux derniers jours, il n’avait certes pas prévu de partager un verre avec le docteur McCoy, mais l’occasion faisant le larron, il avait été ravi d’inviter le médecin à sa table. En suggérant aux officiers de l’Enterprise de descendre à Vegas, il devait avouer qu’une partie de lui-même espérait bien les croiser à nouveau.

– J’ai l’impression d’avoir attendu ce moment toute ma vie, répondit-il avec sincérité, et en même temps je n’arrive toujours pas à y croire. Je veux dire, entre savoir que des extra-terrestres existent quelque part dans la galaxie et le voir de mes propres yeux, il y a un gouffre.

Bones acquiesça pensivement.

– Oui, je comprends. C’est un peu pareil pour nous ici.

– J’imagine, répondit poliment Leonard, qui ne tenait pas spécialement à savoir ce qu’était devenu Las Vegas en 2268 (du peu qu’il savait de l’histoire future de la Terre, il se doutait qu’il n’aurait pas aimé la réponse). Est-ce que vous avez suivi mes conseils ? ajouta-t-il. Pour Spock et le blackjack.

En face de lui, McCoy ricana.

– Vous avez eu l’idée du siècle. En regardant des films de la grande époque, je n’aurais jamais pensé qu’on ferait un jour « sauter le casino » nous-mêmes, mais Spock est bien parti pour.

– Il a gagné combien ?

– Pour l’instant, deux millions.

L’acteur s’interdit d’écarquiller démesurément les yeux et d’ouvrir la bouche – après tout, des mois de tournage dans la peau d’un Vulcain lui avaient appris à contrôler ses réactions émotionnelles lorsqu’il le souhaitait. Il hocha la tête d’un air d’approbation.

– Vous savez ce que je trouve le plus dingue dans toute cette histoire de dingues ? reprit le médecin en chef.

Qu’un gamin taré ait réussi à transformer un PADD en portail temporel ? voulut proposer Nimoy, mais il savait bien que McCoy avait autre chose en tête et il se contenta de lever un sourcil poli, ce qui fit rire son interlocuteur.

– C’est cette histoire de série télé, reprit ce dernier. (Ah. Oui. Eh bien, pour être tout à fait honnête, ce point dérangeait également Leonard.) Vous n’imaginez pas le nombre de tarés que j’ai croisés déguisés en Klingons ou en Andoriens... (L’acteur imaginait très bien, mais il resta coi, attendant la suite.) Je n’arrive pas à comprendre ce qui s’est passé entre maintenant et notre époque. J’ai discuté un peu avec des gens à droite et à gauche… Je ne dirais pas que tout le monde sait ce qu’est Star Trek, mais Spock a évalué à 78% les gens qui avaient au moins entendu parler de la série ou d’un des personnages. D’ailleurs, dans la plupart des cas, il semblerait que ce soit lui qui ait marqué les esprits. Jim était presque jaloux. Bref, comment un divertissement aussi connu a-t-il pu se volatiliser complètement en cent cinquante ans seulement ?

– Les Vulcains ? suggéra l’acteur. Après tout, aucun humain n’est capable de manipuler les esprits à une si grande échelle…

Il s’interrompit. Il avait voulu dire « et si un humain avait inventé dans l’avenir une machine susceptible de modifier les souvenirs de plusieurs millions d’individus sans laisser de trace, vous l’auriez mentionné dans vos journaux de bord » - mais après tout, qu’en savait-il ?

En face de lui, le médecin se passait distraitement le pouce sur les lèvres.

– Peut-être, soupira-t-il.

– Vous n’avez pas l’air pressé d’aller vérifier par vous-même, fit remarquer Leonard.

Les lèvres de McCoy se pincèrent.

– On voit bien que vous n’y êtes pas allé en vrai. Je ne parle même pas de la chaleur à crever qu’il fait sur cette fichue planète – non, ce qui est vraiment déstabilisant, c’est… c’est leur façon de vous mettre mal à l’aise. Sans le vouloir, notez. J’avais l’impression de devoir contrôler le moindre de mes gestes, le moindre de mes mots, et d’échouer pitoyablement à maîtriser quoi que ce soit, d’être jugé défavorablement au premier soupçon d’émotion qui pointe vaguement son nez. C’est épuisant. Mais bon, s’il faut y aller, il faut y aller. Les besoins du plus grand nombre, blablabla, vous connaissez la suite, j’imagine. [2]

Un silence confortable s’installa entre les deux hommes. Leonard Nimoy leva son verre.

– A l’avenir, proposa-t-il.

– Au présent, sourit McCoy.

Le vieil acteur hésita un instant avant de poser la question suivante – après tout, si elle était par trop indiscrète, son interlocuteur l’enverrait probablement promener sans états d’âme.

– Dites, je me demandais… à propos de Spock et du capitaine…

Il s’arrêta, incertain de la manière dont il pourrait terminer cette phrase. Il ne s’attendait certainement pas à l’éclat de rire accueillant le sous-entendu qu’il avait mis sans le vouloir dans son intonation.

– Des rumeurs à ce sujet, déjà ? soupira McCoy, l’air blasé. Pourquoi est-ce que ça ne m’étonne même pas ? [3]

.

Un attroupement s’était formé autour de la table de blackjack et Spock, devenu le point de mire de tous les regards, commençait à se sentir légèrement mal à l’aise. Jusqu’ici, Jim avait adroitement détourné les curieux (et probables membres de la sécurité) qui s’étaient mis en tête de lui poser des questions, mais la foule se faisait de plus en plus pressante.

Le jeu lui semblait d’une facilité presque ridicule (il était plus que capable de compter les cartes dans un sabot de trois cent douze cartes et les opérations mathématiques à effectuer pour opérer les meilleures combinaisons possibles étaient d’une simplicité indécente) et il s’interrogeait même sur son intérêt, mais la manière admirative, légèrement incrédule, dont le regardaient le capitaine, le lieutenant Uhura et M. Scott l’avaient incité à continuer. (Et non, cela n’avait absolument rien à voir avec une quelconque forme de vanité. Les Vulcains étaient évidemment au-dessus de ce genre d’émotions.) En face de lui, s’il savait correctement interpréter l’expression de son visage, le croupier était de plus en plus inquiet.

Spock se retourna vers Jim pour lui demander à combien exactement il était supposé s’arrêter (ils avaient fait trois casinos, sur les conseils de l’acteur, et avaient déjà gagné plus de deux millions de dollars – de quoi rembourser largement leur créditeur et permettre à l’équipage de profiter tout aussi largement de ces deux jours de congé imprévus), mais son supérieur était en grande conversation avec une jeune femme blonde d’une vingtaine d’années, à qui il souriait de toutes ses dents dans un déploiement de séduction qui ne laissait aucun doute sur la suite des événements.

Le Vulcain retint un soupir. Lui ne voyait absolument pas la nécessité de « se reposer », « se détendre », « s’amuser » et autres concepts typiquement humains, mais l’équipage, composé à 96,1% d’humains et d’humaines, ne concevait malheureusement pas les choses de cette manière. Le capitaine, le docteur McCoy et les autres officiers supérieurs avaient estimé cruciale une pause d’au moins trois jours (pour permettre la rotation de l’équipage par tiers, afin que chacun obtienne deux jours pleins de congé), et Spock n’avait pu que s’incliner. Maintenant, il se demandait si ses coéquipiers n’avaient pas exagéré les risques de mutinerie afin de pouvoir eux-mêmes descendre sur Terre et voir Las Vegas de leurs propres yeux. Il soupçonnait tout particulièrement M. Scott, mais également le capitaine, qui n’avait récemment pas répugné à endosser le costume d’un gangster des années 30, et fait part à plusieurs reprises de son regret de n’avoir pas vu un « authentique casino » (« dans un but purement culturel et documentaire, Monsieur Spock, bien évidemment »).

Le premier officier avait vu, et maintenant qu’il avait constaté qu’il n’y avait pas grand-chose d’intéressant à voir, il serait volontiers remonté à bord du vaisseau et aurait été personnellement ravi (d’une façon toute vulcaine, bien évidemment) que leur permission fût légèrement raccourcie. Cependant, il s’y connaissait suffisamment en psychologie humaine pour savoir qu’une nouvelle interruption de ces trois jours de repos dûment mérités pourrait, cette fois, provoquer la mutinerie évoquée par le capitaine.

Il ne tenait donc pas à ce que James Kirk « drague », pour reprendre un terme parfaitement humain, une jeune femme qui aurait pu être son arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère. Tout d’abord car, bien qu’extrêmement faible (moins de 0,000067%), le risque qu’elle fût réellement son arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère existait bel et bien. Le capitaine avait prononcé devant l’équipage un discours à ce sujet afin de les mettre en garde contre certaines tentations (« faites ce que je dis, pas ce que je fais », avait murmuré le docteur McCoy à l’oreille de son voisin – et, pour une fois, Spock n’avait pas jugé bon de demander des précisions sur la signification de l’expression, ni de prendre la défense de son supérieur hiérarchique contre les insinuations du médecin). Ensuite, parce qu’il était de notoriété publique à bord de l’Enterprise (et probablement jusqu’au haut commandement de Starfleet) que lorsque James Kirk se laissait séduire, il déclenchait généralement, sans le vouloir, une série d’actions peu agréables pour lui-même et son équipage. Preuve récente à l’appui, Antarès II.

Spock jeta un coup d’œil circulaire dans l’espoir d’apercevoir le docteur McCoy, mais le médecin en chef s’était éclipsé 23,76 minutes auparavant, probablement pour s’isoler – il s’agissait là de l’une des nombreuses contradictions (et non la moindre) qui façonnaient cet humain fascinant et incompréhensible : il accueillait avec enthousiasme la moindre occasion de se rendre dans un lieu festif, de préférence noir de monde, et après une ou deux heures d’intense sociabilité, il disparaissait pour aller « marcher un peu dans la nature » ou s’installait dans un coin, seul, un verre à la main, pour « observer », comme il l’avait un jour expliqué au Vulcain. Cette particularité, que Spock jugeait curieuse mais jusqu’ici totalement inoffensive, lui apparaissait aujourd’hui comme un véritable problème, dans la mesure où McCoy était l’une des rares personnes capables de raisonner le capitaine (et, pour dire les choses crûment, de « ruiner un rencard » en moins de trois minutes).

La foule était toujours aussi dense et Jim avait à présent disparu à son tour de son champ de vision.

– J’aimerais retirer mes gains à présent, déclara le Vulcain avec une soudaineté qui surprit – et peut-être déçut – les badauds groupés autour de lui et amena un soupir de soulagement sur les lèvres du croupier.

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– Eh, connard ! Tire tes sales paluches de là où je me fâche ! [4]

Kirk mit un certain temps à comprendre que ces paroles grossières, peu amènes et prononcées avec un certain énervement lui étaient destinées.

Et lorsqu’il le comprit, il était trop tard : l’homme, non content de l’insulter, s’était visiblement mis en tête de le frapper. Fort heureusement, pour cela, il dut d’abord le séparer de la ravissante jeune femme qu’il était en train d’embrasser (en fermant les yeux, ce qui expliquait son absence de réaction aux injures précédemment rapportées), permettant ainsi au capitaine de l’Enterprise de se reprendre et d’esquiver le coup qui aurait dû lui arriver directement dans la figure. L’homme était lent et probablement pas très bien entraîné au combat rapproché.

Le poing de l’intrus, emporté par le mouvement, entra brusquement et violemment en contact avec le mur, entraînant une nouvelle bordée de jurons de la part de son propriétaire. Jim hésitait entre profiter de l’étonnement douloureux de l’homme pour lui coller un pain à son tour, et se contenter de reculer prudemment afin d’analyser la situation.

Il n’avait pas prévu que la jeune femme qui l’avait abordée un quart d’heure auparavant à la table de blackjack interviendrait dans l’équation en frappant de toutes ses forces l’épaule du type qui se massait à présent les phalanges de la main droite avec une grimace de douleur.

– Kurt ! T’es malade ! Ça va pas de frapper les gens comme ça !

Le dénommé Kurt lança à la jeune femme un regard passablement bovin.

– Mais… protesta-t-il. Mais il t’embrassait…

– Parce que la semaine dernière, tu n’embrassais pas Vanessa, peut-être ?

Jim vit les rouages de l’esprit de son agresseur se mettre laborieusement en marche pour essayer d’élaborer un mensonge convenable. Il éprouvait presque de la pitié pour ce pauvre gars qui avait visiblement quelque chose à se reprocher et qui, de toute évidence, peinerait à convaincre qui que ce soit de son innocence. Se concentrer sur les difficultés que rencontrait Kurt permettait en outre à Kirk de ne pas trop penser à la triste réalité de sa propre situation : si cette ravissante blonde l’avait abordé puis attiré loin de la table de jeu, ce n’était pas pour ses beaux yeux, mais pour rendre un autre jaloux et lui rendre la monnaie de sa pièce…

Le capitaine James Kirk avait dans toute la flotte, il le savait, une réputation de séducteur invétéré. Rien, cependant, n’était moins vrai. La vérité était bien plus tristement banale : il ne savait pas dire non. Et, apparemment, son physique avait tendance à plaire aux dames (et à des hommes aussi, et à de nombreuses et nombreux extra-terrestres, mais ce n’était pas le sujet). Tout ce qu’il avait à faire était les regarder et leur sourire. Et comme il était quelqu’un d’éminemment social, il souriait à quasiment tout le monde.

Cela ne l’empêchait pas d’être tout aussi peu heureux que n’importe qui dans le domaine amoureux. Quand il ne devait pas abandonner volontairement l’objet de ses désirs en raison de la réglementation très stricte de Starfleet, il plaisait à des aliènes dont il serait bientôt séparé par des années-lumière, retrouvait d’anciennes conquêtes qui, éphémèrement séduites, n’avaient pas l’intention de rester longtemps dans ses bras, ou encore tombait amoureux de femmes promises à mourir rapidement sans qu’il puisse l’empêcher.

Dans cette dernière catégorie, le pluriel était pour l’instant superflu, mais il était certain que le destin lui réservait encore deux ou trois vachetés du même genre.

Il n’était bien évidemment pas amoureux de la jolie blonde, qu’il connaissait à peine, mais force était de constater qu’encore une fois, il se retrouvait le dindon de la farce.

Il fut tiré de ces peu agréables réflexions par la pitoyable tentative de défense du dénommé Kurt, qui n’avait pas l’air d’avoir inventé le fil à couper le beurre (Kirk se demanda comment, le cas échéant, il parviendrait à expliquer cette expression typiquement humaine à Spock, et l’idée le fit sourire) :

– Mais ce n’était pas pareil…

Mauvaise réponse, mon gars, songea Jim.

Les yeux de la jeune femme prirent une expression meurtrière.

– Mets-toi bien dans la tête que si j’ai un jour le moindre soupçon que tu as fait plus qu’embrasser une autre fille que moi, je te quitte immédiatement ! Après t’avoir arraché la tête ! Est-ce que c’est clair ?

Le type hocha vigoureusement la tête de haut en bas, visiblement heureux de s’en tirer à si bon compte. Kirk poussa un soupir, navré pour la pauvre jeune femme qui, visiblement, le croyait, alors qu’il était évident que Kurt avait fait bien plus qu’embrasser ladite Vanessa.

Il se sentait un peu triste pour elle. Lui n’aurait pas demandé mieux que d’être fidèle, mais la vie semblait prendre un malin plaisir à déjouer toutes ses tentatives allant dans ce sens.

– Et maintenant, je vais finir ma conversation avec James et je te conseille de ne pas nous déranger !

Elle se retourna vers lui avec un sourire qu’il lui rendit. Elle était véritablement charmante, avec ses fossettes et ses yeux d’un vert lumineux…

– Capitaine ?

La voix réprobatrice de Spock le coupa net dans son élan. Lorsqu’il leva les yeux vers son premier officier et qu’il constata que non seulement Bones l’accompagnait, mais également Leonard Nimoy, il ne put retenir un soupir de frustration.

– Sérieusement, vous n’avez rien de mieux à faire de votre soirée ?

Le regard du Vulcain disait clairement que non, celui de McCoy indiquait que Spock l’avait dérangé dans son programme éthylique de la soirée et qu’il allait reporter son agacement sur le capitaine, et celui de l’acteur ressemblait assez au coup d’œil intéressé du naturaliste qui met en présence trois bestioles quelconques pour voir quelles vont être leurs interactions sociales.

Ce n’était pas exactement ainsi qu’il avait imaginé la soirée.

.

Pour être honnête, Penny s’en voulait un peu.

Elle n’avait pas joué franc jeu, ni avec Kurt, ni avec James, et maintenant qu’elle devait s’expliquer avec le deuxième, elle se sentait un peu embarrassée. [5]

D’abord, elle avait un peu bu. Juste un peu. De quoi se donner du courage pour mettre son plan à exécution et oublier un peu le reste de sa vie. Cela faisait trois ans qu’elle était arrivée à Los Angeles, trois ans qu’elle était avec Kurt, trois ans qu’elle était serveuse au Cheesecake Factory, trois ans qu’elle ne parvenait pas à décrocher le moindre rôle dans le moindre navet, trois ans que sa vie était au point mort, et trois jours qu’elle soupçonnait Kurt de la tromper.

Elle ne pouvait pas se résoudre à le quitter. Ça lui faisait trop peur de se retrouver seule alors que le reste de sa vie ne décollait pas d’un pouce. Alors elle avait profité d’une virée à Vegas prévue depuis longtemps pour se venger à sa manière, en se jetant au cou d’un de ces types en costume bizarre qui avaient envahi le casino environ une heure auparavant. Certains d’entre eux étaient même déguisés en extra-terrestres (des geeks, avait dit Kurt avec un haussement d’épaules et un petit rictus méprisant). Elle savait bien que rien n’énerverait plus son copain que de la voir discuter avec un de ces geeks, aussi s’était-elle rapprochée d’un groupe qui gagnait gros à une table de blackjack, et avait jeté son dévolu sur l’un d’entre eux. Kurt n’avait rien à dire, elle avait le droit de boire, de danser et de flirter avec qui elle voulait.

Le problème étant qu’elle s’était retrouvée très rapidement à avoir envie d’un peu plus qu’un flirt.

– Alors, tout ça c’était uniquement pour vous venger de votre petit ami ?

Penny leva timidement les yeux vers James, un peu gênée par la présence beaucoup trop proche de deux autres geeks (dont un avec d’étranges oreilles pointues) et d’un autre homme, plus âgé, vêtu d’un costume sombre et sobre. Le plus petit d’entre eux avait l’air passablement énervé.

– Non, protesta-t-elle, la voix légèrement tremblante, pas seulement.

Penny ne mentait pas. Elle n’aurait probablement pas remarqué l’homme s’il n’avait pas souri à l’instant où elle tournait la tête dans sa direction, mais voilà, il avait souri, et elle était restée subjuguée. Le fait qu’il soit en train de regarder un homme au moment où il souriait comme ça aurait d’ailleurs dû la décourager de tenter sa chance, mais elle n’avait pas vraiment réfléchi. (C’était ça son problème dans la vie : elle ne réfléchissait pas assez, surtout quand un type beau – et même très beau malgré son costume un peu ridicule jaune et or – souriait comme ça.)

Il était penché vers un grand type brun, genre échalas qui a avalé une demi-douzaine de balais et qui rit quand il se brûle, et lui prodiguait à voix basse des conseils dont l’autre ne semblait pas avoir besoin, étant donné le nombre impressionnant de jetons qui s’accumulaient devant lui. Son sourire était lumineux, très enfantin et en même temps plein d’assurance, le genre de sourire que vous avez envie de retrouver le soir quand vous rentrez chez vous après une journée de merde au Cheesecake Factory, à la place d’un copain en caleçon planté devant la télé qui vous dit à peine bonsoir. Du sourire, elle avait commencé à penser à ses lèvres, pleines et sensuelles, et de là elle était remontée vers les yeux noisette, pétillant, espiègles, tentateurs, qui s’étaient posés sur elle.

Alors, elle s’était jetée à l’eau, tant pis pour Kurt qui avait qu’à ne pas embrasser Vanessa, et elle s’était avancée vers l’inconnu en plaquant son sourire le plus enjôleur sur son visage. Il était très rare qu’elle fasse le premier pas – généralement, elle apparaissait et les mecs tombaient comme des mouches. Alors pourquoi n’était-elle pas heureuse ? Pourquoi n’avait-elle pas rencontré le grand amour (elle n’était pas stupide au point de croire que Kurt était son grand amour) ? L’heure n’était pas aux questions philosophiques, et elle avait un peu bu, alors elle avait souri et fait un petit signe de la main.

L’homme avait détourné son attention du jeu de son ami et s’était avancé vers elle à son tour, ce qui avait permis à Penny d’admirer ses épaules carrées, son torse musclé et ses mains à la fois fortes et douces. Les imaginer se posant avec tendresse sur ses épaules, lui caressant la nuque, avait achevé de la convaincre…

Et en plus, James – il s’appelait James – s’était montré avec elle tellement prévenant qu’elle s’était rendu compte du fossé qui existait entre des types comme lui et des types comme Kurt. Ce qui était, elle s’en apercevait bien, très mauvais pour son couple. Elle voulait juste défier son copain, et voilà qu’elle se retrouvait subjuguée par le premier venu…

Mais cet homme n’était pas le premier venu.

– Je dois y aller, déclara James comme à regret, en jetant un coup d’œil nerveux vers ses compagnons qui semblaient ne l’attendre que pour l’engueuler.

Penny, tirée de sa rêverie, le regarda un instant encore et hocha la tête.

– Sans rancune ?

Il lui prit doucement la main et déposa sur ses doigts un léger baiser qui la fit tressaillir.

– Sans rancune. Je vous souhaite beaucoup de bonheur, Penny.

Puis il se détourna, et elle ne put s’empêcher d’être déçue.

Ce ne fut qu’après, plus tard dans la soirée, qu’elle se demanda pourquoi le plus grand des trois hommes qui l’accompagnaient l’avait appelé capitaine.

.

Lorsqu’ils émergèrent, vaseux, les paupières lourdes, il était sept heures du matin, et ils avaient tous mal à la tête.

Aucun d’entre eux ne se rappelait ce qui leur était arrivé durant ces dernières vingt-quatre heures.

Ni pourquoi ils s’étaient endormis dans le salon, sur le canapé, par ordre croissant de taille, comme les Daltons.

Et ils ne pouvaient pas non plus expliquer l’état calamiteux de l’appartement.

Ni la disparition de leurs téléphones portables.

– On a peut-être été drogués…

– Ou enlevés par des extra-terrestres…

– Ou transportés dans un univers parallèle…

Les trois scientifiques se retournèrent vers Sheldon, qui était resté inexplicablement silencieux depuis leur réveil, comme s’il fouillait le fond de sa mémoire eidétique pour se raccrocher en vain à une bribe de souvenir. Mis à part le mouvement (quasiment inhumain, tant il était rapide) de ses lèvres, qui ne laissaient pourtant filtrer aucun son, il était resté immobile, assis à « sa place », les deux pieds solidement plantés dans le sol, les mains à plat sur ses genoux, droit, raide, le regard fixe. Pour être tout à fait honnête, il commençait à leur faire un peu peur.

Soudain, il poussa un hurlement qui les fit sursauter tous les trois.

– Qu’est-ce qui se passe ? s’écria Leonard en se précipitant vers son colocataire.

Le jeune physicien, les yeux exorbités, la bouche grande ouverte, tendit un doigt tremblant vers son bureau, où gisaient les restes de ce qui avait un jour été son ordinateur : une masse informe de composants électroniques, de touches de clavier et autres viscères technologiques.

Qui a fait ça ?

La voix de Sheldon, altérée, avait dangereusement monté dans les aigus. Howard et Raj reculèrent prudemment vers la porte d’entrée…

… qui s’ouvrit soudain dans leur dos, à la volée, avec un craquement sinistre.

Nouveau cri de Sheldon. Et de Raj. Et d’Howard. Et de Leonard.

Trois policiers entrèrent, un revolver à la main, et pendant un instant, le temps s’arrêta. Ils dévisagèrent les jeunes gens avec une expression qui, de déterminée, devint rapidement perplexe, puis soulagée. L’un d’entre eux baissa son arme et porta la main à la radio accrochée à sa ceinture, tandis qu’une autre repartait dans le couloir.

– Allo, chef ? Les quatre gars sont là, tout semble normal.

Pendant ce temps, le deuxième policier avançait vers les occupants de l’appartement comme s’il s’était agi de bêtes sauvages qu’il aurait cherché à apprivoiser.

– Tout va bien ?

Sheldon, l’air encore plus halluciné que précédemment, fixait avec horreur la porte fracturée (les policiers l’avaient ouverte d’un coup de pied, sans même sonner auparavant, ni essayer d’utiliser la poignée). Les trois autres, incapables d’articuler un seul mot, hochèrent la tête de haut en bas.

– Ils ont peut-être pris de la drogue, suggéra l’un des intrus face au mutisme de leurs interlocuteurs (et à la tête de Sheldon).

Son collègue fit une petite grimace d’incrédulité.

– Pas vraiment le genre, marmonna-t-il. L’un d’entre vous s’appelle-t-il Howard Wolowitz ?

– Euh, oui, c’est moi, répondit l’intéressé avec un regard de lapin pris au piège.

– Et vous allez bien ? Vous n’avez pas été enlevé, frappé, torturé, menacé de mort, forcé à vous convertir au catholicisme ?

– Pas que je me souvienne. Pourquoi ces questions ?

Le policier reprit sa radio.

– Chef ? Vous pouvez rassurer la vieille dame, son fils est indemne. Vous aviez bien ces vêtements-là lorsque vous avez quitté votre domicile ? ajouta l’homme sur une impulsion soudaine, comme s’il n’était pas envisageable qu’un homme sain d’esprit ait pu choisir un tel accoutrement.

– Oui, oui.

– Alors tout va bien, il ne vous est rien arrivé ? insista-t-il. Votre mère a signalé votre disparition et celle de vos amis.

Le ton de l’homme suggérait que Mme Wolowitz avait harcelé le commissariat du quartier. Les jeunes gens étaient bien placés pour savoir que sa difficulté à se déplacer (et, fort heureusement, son incapacité à monter les quatre étages qui séparaient l’appartement de la rue) l’avaient amenée à développer tout un éventail de stratégies, allant des hurlements au chantage, pour obliger les autres à faire à sa place ce qu’elle ne pouvait pas faire. Les policiers devaient être pressés de se débarrasser d’elle, d’où leur entrée fracassante. L’un d’entre eux avait déjà à deux reprises porté la main à son oreille droite avec une petite grimace : Leonard en déduisit qu’il avait dû se dévouer pour les besoins du plus grand nombre et prendre l’appel, sacrifiant au passage une partie de sa capacité d’audition.

– Monsieur l’agent, je souhaite porter plainte, s’écria brusquement Sheldon en poussant Howard pour se précipiter vers les trois intrus. Premièrement, contre X, pour destruction aveugle et acharnée de mon ordinateur. Deuxièmement, toujours contre X, pour le vol de mon téléphone portable…

– … de nos téléphones portables à tous, précisa Leonard.

– Oh mon Dieu, s’exclama Raj, et mes photos de…

Il s’interrompit brusquement et Howard haussa les épaules.

– Les photos de toi portant le costume complet d’Uhura ? T’inquiète, je les ai déjà mises sur Internet.

L’Indien écarquilla les yeux et ouvrit la bouche mais le retour du troisième policier, qui était une policière, le fit efficacement taire. Sa protestation se mua en une espèce de petit bruit plaintif et il baissa les yeux. [6]

– … et troisièmement, enchaîna Sheldon avec un regard meurtrier à son colocataire, puis à Raj, puis à Howard, puis aux policiers, contre vous, pour destruction de la porte d’entrée de mon appartement.

Leonard soupira pendant que les policiers, haussant les épaules, faisaient demi-tour en suggérant à Sheldon de remplir un formulaire prévu à cet effet au commissariat du quartier. Les pauvres ne savaient pas ce qui les attendait. Proposer à Sheldon de remplir un formulaire administratif était bien plus dangereux que répondre au téléphone lorsque Mme Wolowitz vous appelait. Avec Mme Wolowitz, au moins, vous aviez toujours la possibilité de raccrocher. Un jour, un employé au service des réclamations postales avait dû faire appel à la police pour déloger Sheldon de son bureau, auquel il s’était attaché avec des menottes pour être certain d’avoir le temps de remplir tous les formulaires possibles et imaginables. Comme il avait avalé la clef (et failli s’étouffer par la même occasion), il avait fait perdre beaucoup de temps à beaucoup de gens, Leonard compris.

La porte se referma à demi sur les trois hommes, et les quatre amis se retrouvèrent de nouveau seuls.

– Je vais aller rassurer ma mère, marmonna Howard, qui n’avait pas l’air pressé de partir. Raj, tu m’accompagnes ?

L’Indien ouvrit de grands yeux d’un air de dire « t’es pas un peu fou, non ? ».

– Donc, on ne dit pas à la police ce qui s’est vraiment passé ? demanda Leonard. On ne va pas voir un médecin pour lui expliquer qu’il nous manque vingt-quatre heures de notre vie et qu’on ne se souvient de rien ? En gros, on fait comme si rien ne s’était passé ?

Si Howard ou Rajesh avaient l’intention de répondre quelque chose, ils n’en eurent pas le temps. Sheldon, qui avait repris place sur le canapé, prostré, anéanti par la perte de son ordinateur, s’agita comme si quelque chose lui brûlait les fesses, se leva d’un bond et souleva le coussin sur lequel il était assis.

– Quelque chose a été caché là, puis enlevé.

– Quoi ?

– Je ne sais pas. Quelque chose d’un peu plus grand que mon ordinateur (il poussa un gémissement au souvenir de son fidèle compagnon), environ cinquante-trois centimètres sur trente-six, plat, pas plus de deux centimètres d’épaisseur.

Les trois autres le regardèrent bouche bée.

– Comment sais-tu cela ?

– C’est ma place, répondit le jeune scientifique comme si cette explication suffisait.

Howard et Raj choisirent ce moment pour effectuer une retraite prudente, avec un petit signe de la main vers Leonard, comme pour lui souhaiter bonne chance. Sheldon les ignora complètement.

– Leonard, c’est le moment de mettre en action le protocole B65.

Le principal intéressé ne put s’empêcher de frémir intérieurement.

– Euh… c’est-à-dire ?

Sheldon lui lança un regard meurtrier.

– Tu as signé le contrat de colocation, lui rappela-t-il. Le protocole B65 stipule qu’en cas de potentielle invasion extra-terrestre, l’intégralité de l’appartement doit être nettoyé de fond en comble et stérilisé, à commencer par nous-mêmes. Déshabille-toi et va prendre une douche à 75°C avant d’aller laver nos vêtements.

– 75°C ? s’étrangla le jeune homme. Tu es malade ?

– Tu as signé.

Leonard jeta autour de lui un regard désespéré, cherchant une porte de sortie. Oui, il avait probablement signé tout un tas de trucs absolument invraisemblables, précisément parce qu’ils étaient invraisemblables. Il avait même donné son accord pour revenir en septembre 2003 au cas où il inventerait une machine à voyager dans le temps. Ridicule ! [7]

– Il y a eu un autre vol, balbutia-t-il pour essayer de détourner l’attention de son colocataire.

– Quoi ?

– La première saison de Star Trek TOS, déclara le jeune homme en désignant l’étagère où béait un trou au début de la rangée. Dédicacée par Leonard Nimoy lui-même à la convention de l’année dernière.

Le hurlement de Sheldon, cette fois, fut probablement entendu depuis Vegas.

Leonard ne coupa cependant pas au protocole B65. Il dut prendre une douche brûlante et descendre laver les vêtements à 90°C pendant que son colocataire désinfectait au Purell chaque objet de l’appartement. (Seule consolation dans cette histoire : cette opération l’occuperait pendant une trentaine d’heures, ce qui permettrait à son colocataire de dormir.)

S’il n’avait pas été de si mauvaise humeur, et s’il n’avait pas eu l’esprit si préoccupé par ce qui venait de lui arriver (ce n’est pas tous les jours que l’on oublie totalement ce qui s’est passé durant une journée entière, mais il se sentait incapable d’en parler à la police ou à un médecin, comme si quelque chose à l’intérieur de sa tête le persuadait que c’était inutile et que ces vingt-quatre heures perdues n’avaient aucune importance), il aurait probablement remarqué la feuille de papier grossièrement pliée en quatre et fourrée maladroitement dans la poche arrière de son jean – le morceau de carnet arraché à la va-vite, où il avait eu le temps de griffonner quelques mots à l’insu de tous :

Star Trek existe, Sheldon est allé sur l’Enterprise, Kirk et Spock nous ont amnésiés et il y a un portail temporel caché sous le coussin du canapé.

Mais au lieu de cela, il roula le jean en boule, le jeta dans le tambour de la machine, et la boulette de papier s’empressa d’aller boucher le tuyau d’évacuation d’eau, provoquant une inondation au sous-sol, et emportant avec elle son incroyable secret.



[1] Idée piquée à Blade Runner 2049 (incroyables images !).

[2] « The need of the many outweight the need of the few – or the one ». Un des leitmotivs vulcains, que Spock mettra en application brutale dans The wrath of Khan en se sacrifiant pour le vaisseau.

[3] Je n’écris pas de slash (ni de romance en général) et je ne crois absolument pas à une quelconque histoire d’amour entre Spock et Kirk, bien qu’il s’agisse d’un couple iconique dans la fanfiction. Mais j’aime flirter avec l’ambiguïté car, en effet, ces deux personnages ont une relation… spéciale. Je préfère penser qu’il s’agit d’une lien à demi alien (puisque Spock est Vulcain) que nous autres humains avons du mal à comprendre. Ce qui n’empêche pas les spectateurs de se poser des questions lorsque Kirk affirme à Spock qu’il lui procure « une sécurité émotionnelle ». :-D

[4] Je n’ai pas pu résister… Il s’agit d’une réplique culte de Retour vers le futur.

[5] A ce stade de la time-line de TBBT, Penny est avec Kurt, l’imbécile à qui elle a laissé sa télévision dans le premier épisode de la série. Elle le quittera un an plus tard environ, lorsqu’elle emménage en face de chez Leonard et Sheldon, car Kurt l’a trompée. J’anticipe juste un peu…

[6] Je précise qu’à ce stade de l’histoire, Raj ne peut pas parler aux femmes…

[7] Toujours la même référence à l’épisode « The staircase implementation ».


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