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Chapitre 10 : Operation : obliterate !

4714 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/02/2021 15:22

Le titre de ce chapitre est la reprise de celui d'un épisode de Star Trek TOS (saison 1, épisode 29) : Operation : annihilate ! J'ai juste remplacé "annihiler" par "faire oublier"... puisqu'il va être ici question d'effacer les souvenirs de nos geeks préférés.



Chapitre 10 : Operation : obliterate !


Bien sûr, tout a toujours un prix. Leonard le savait. Mais à présent que le moment était venu de le payer, il n’était plus certain de l’accepter. Tout ce qui lui arrivait depuis la veille était si incroyable qu’il ne pouvait imaginer l’effacer de sa mémoire en trente secondes.

– Et si on refuse ?

Tous les regards convergèrent vers Howard, qui venait d’avoir le courage de dire tout haut ce que tous pensaient tout bas.

En face d’eux, le capitaine Kirk n’avait pas l’air amusé le moins du monde. Mais il fallait le comprendre : il venait d’apprendre qu’un humain du XXIème siècle se baladait depuis quarante ans avec un PADD branché sur les journaux de bord de son vaisseau, et qu’il en avait fait une série télévisée qui, pour des raisons mystérieuses, avait, en deux siècles, totalement disparu de tous les esprits et de toutes les archives. Cerise sur le gâteau, les réponses aux questions qu’il se posait à présent se trouvaient probablement sur Vulcain, une planète où il n’avait pas l’air d’avoir très envie de retourner, à en croire le regard désespéré qu’il avait échangé avec le docteur McCoy au moment où Spock avait affirmé que la seule chose logique à faire était de s’y rendre le plus tôt possible.

– Je vous rappelle qu’à cause de cet énergumène (il désignait Sheldon, qui n’eut même pas la décence de rougir), mon équipage est au bord de la mutinerie. Nous n’avons pas eu de permission digne de ce nom depuis des semaines…

A ces mots, Sheldon, qui s’était tenu étonnamment silencieux depuis son retour sur Terre, protesta avec véhémence.

– La faute n’était pas mienne, s’indigna-t-il. Monsieur Scott a honteusement profité de mon inexpérience pour me saouler…

– Avec deux demi-gorgées de liqueur cardassienne ! protesta Kirk.

– … puis des volatiles m’ont attaqué avec la plus extrême férocité…

McCoy ricana.

– Vous plaisantez ? Ils étaient à trois mètres de vous quand vous avez commencé à pousser des cris de putois !

– … et enfin, ce n’est tout de même pas de ma faute si vous laissez vos plus bas instincts vous dicter votre conduite 

Le capitaine pâlit, rougit, verdit, mais ne releva pas.

– Bref, nous allons rapidement avoir des comptes à rendre à Starfleet. Aller sur Vulcain ne fait pas vraiment partie de mes priorités.

– Capitaine, avait rétorqué le premier officier, plus hiératique que jamais, vos priorités ne comptent pas lorsque la Première Directive est en jeu.

– Merci de me le rappeler, Monsieur Spock. Bon, messieurs, avait soudainement déclaré Kirk en se levant, vous comprenez bien que nous ne pouvons pas vous laisser vous promener à votre époque avec des connaissances aussi précises sur le futur de la Terre. Aussi je compte sur votre pleine et entière collaboration pour la phase suivante.

– C’est-à-dire ? avait demandé Raj, une lueur d’appréhension dans les yeux.

Le médecin avait sorti de la petite boîte que Spock tenait à la main une capsule contenant une dizaine de comprimés légèrement bleutés.

– Voici des comprimés de Composant B67, autrement appelé Retcon. [1] Il s’agit d’un des amnésiants les plus puissants et les plus sûrs de la galaxie. Une seule gélule vous fera oublier toutes les interactions que vous avez eues avec nous et votre vie reprendra son cours normal.

Le regard de McCoy laissait entendre que « normal » était un terme parfaitement inapproprié à ce qui se passait dans cet appartement.

A la question d’Howard, délivrée avec une dose d’audace plutôt inhabituelle de sa part, Kirk le foudroya donc du regard.

– Monsieur Wolowitz, que croyez-vous qu’il vous arrivera si vous refusez ?

L’ingénieur leva vers le capitaine un regard intimidé.

– Vous… vous ne pouvez pas nous faire de mal, n’est-ce-pas ? demanda-t-il, visiblement peu sûr de ce qu’il avançait. Je veux dire, vous êtes du bon côté !

– Nous ne sommes pas dans un film, trancha sèchement Leonard Nimoy. Ces gens ont une mission à mener à bien.

– Vous voulez dire que vous êtes d’accord pour tout oublier ? demanda son homonyme, stupéfait. Après avoir vécu quarante ans avec Star Trek ?

– Croyez-moi, docteur Hofstadter, il y a certains jours où je préférerais avoir tout oublié.

Le jeune homme secoua la tête d’un air de doute avant de se tourner à nouveau vers leurs visiteurs du futur.

– Il y a une chose que je ne m’explique pas : comment se fait-il que vous n’ayez jamais entendu parler de Star Trek ? Il s’agit d’une franchise énorme ! Entre Next Gen, Voyager

– …Deep Space Nine

– … Enterprise

– … et ça ne va pas s’arrêter là ! conclut Raj plein d’espoir. [2]

Le capitaine poussa un soupir.

– Je n’en sais pas plus que vous, et je vous avoue que c’est presque ce qui m’inquiète le plus dans toute cette histoire. Dites donc, vous, qu’est-ce que vous faites ?

Cette dernière phrase s’adressait à Sheldon, qui, pendant que les trois autres énuméraient avec enthousiasme les différentes facettes de la richesse trekkienne, avait discrètement tiré son téléphone portable de sa poche et pianotait sur les touches avec une application un peu trop visible.

– Rien ! répondit-il de la voix haut perchée qu’il prenait lorsqu’il était pris en flagrant délit de mensonge.

Et il offrit à Kirk son plus beau sourire « innocent », en penchant la tête sur le côté. Le tout offrait un spectacle non seulement extrêmement suspect, mais également particulièrement flippant.

A ce moment, le téléphone portable de Leonard fit entendre le caractéristique « red alert – red alert » indiquant que Sheldon venait de lui envoyer un SMS. Presque au même instant retentissait sur celui d’Howard la marche de l’Empereur, tandis que la poche de Raj vibrait au son de la musique de Grease (ses deux amis avaient essayé de lui expliquer pourquoi ce choix était une double erreur, mais l’Indien avait persisté : il s’entêtait à affirmer qu’il s’agissait du plus grand film de tous les temps – première erreur – et il refusait de différencier ses amis par une sonnerie discriminante – deuxième erreur : savoir que Sheldon appelait permettait de se préparer psychologiquement).

Le vieil acteur poussa un soupir de résignation et se laissa aller contre le dossier du canapé tandis que les trois geeks, l’air un peu coupables, sortaient leur téléphone sur lequel le même message venait de s’afficher.

Le capitaine Kirk s’apprête à altérer notre mémoire. J’ai passé vingt-quatre heures sur l’Enterprise après avoir découvert la manière de créer un portail temporel à partir d’un PADD laissé par les Vulcains à Leonard Nimoy.

– Donnez-moi ça, ordonna Kirk en se pinçant l’arête du nez. Bon sang, on dirait un gosse de trois ans.

Sheldon, blessé par la remarque, tenta un fort peu convaincant « Mais je voulais juste dire à mes amis à quel point ils m’avaient manqué », ce à quoi Howard répondit par un « Rien de réciproque ». Le capitaine alla se planter devant Sheldon et tendit la main.

– Votre communicateur, exigea-t-il sur un ton d’autorité telle que le jeune homme s’exécuta.

Tandis que Kirk allait vers Raj, Leonard aperçut du coin de l’œil que la tentative avortée de Sheldon avait donné une idée à Howard. Il ne la comprit que lorsqu’il le vit porter le téléphone à son oreille.

– Allô, Maman ? Le capitaine Kirk est sur le point de nous flashouiller ! Appelle immédiatement toute la famille pour leur passer le message, c’est une question de vie et de mort…

Il ne put en dire davantage, car le docteur McCoy s’était précipité sur lui pour lui arracher son « communicateur », qu’il porta à son oreille dans le but évident de limiter les dégâts causés par le jeune ingénieur.

Les quatre jeunes humains rentrèrent instinctivement la tête dans les épaules dans l’attente de l’ouragan qui n’allait pas manquer de se déchaîner sur le pauvre médecin.

– QUOI ? QU’EST-CE QUE TU RACONTES ?

La voix éraillée de Mme Wolowitz retentit dans tout le salon, et McCoy retira précipitamment l’appareil, le tenant à bout de bras avec une grimace.

– HOWARD, JE N’AI RIEN COMPRIS À CE QUE TU M’AS DIT ! QU’EST-CE QUE TU AS MACHOUILLÉ ??? NE RENTRE PAS TROP TARD, J’AI FAIT DE LA POITRINE DE BŒUF ! ET N’OUBLIE PAS D’ACHETER DE LA CRÈME POUR MES HÉMORROÏDES A LA PHARMACIE DE GARDE !

Le médecin, effaré, appuya d’instinct sur le bon bouton pour éteindre le téléphone, et tout le monde put savourer le silence, uniquement rompu par le rire incontrôlable de Leonard Nimoy.

Fascinant, commenta-t-il brièvement, amenant un sourire sur les lèvres de Kirk et de McCoy. [3]

Spock, bien évidemment, resta impassible.

.

– Non mais vous êtes sérieux ?

Spock jeta à peine un coup d’œil en direction du docteur McCoy, qui venait de découvrir ce que Rajesh Koothrapali essayait de faire subrepticement en se tortillant de manière relativement peu discrète : noter quelque chose dans sa main avec le marqueur posé à côté du tableau blanc rempli d’équations, pour la plupart justes et même inspirées. (Les équations, pas les gribouillis du jeune astronome.) Le médecin s’empara de sa main et loucha dessus.

– Vous pensez vraiment que vous allez réussir à vous relire ? J’arrive à peine à distinguer un « f » et un « s »…

L’Indien eut un petit haussement d’épaules enfantin.

– Il fallait bien essayer, répondit-il timidement.

McCoy leva les yeux au ciel, sortit de sa trousse de secours un carré de gaze imbibé de désinfectant et le passa sur la main de son interlocuteur avant de lui tendre une capsule de Retcon.

– Maintenant, ça suffit, avalez ça !

Le Vulcain était curieux de voir si les quatre jeunes gens allaient s’exécuter ou continuer à se donner en spectacle. D’une certaine façon, il trouvait presque touchante leur résistance puérile – ou du moins l’aurait-il trouvée telle s’il avait été humain, bien évidemment.

Leonard Hofstadter, qui tenait dans la main une autre capsule, se tourna alors vers le capitaine avec une pointe d’obséquiosité presque suspecte.

– Nous allons obéir, bien évidemment. Nous comprenons que la première directive passe avant tout et qu’un tel secret doive être protégé. N’est-ce pas, Sheldon ?

Le principal intéressé croisa les bras sur sa poitrine avec une expression déterminée.

– Il n’en est pas question. Si je dois vraiment oublier les vingt-quatre heures que j’ai passées à bord de l’Enterprise, j’exige de pouvoir au moins choisir le mode d’amnésie que je préfère.

Un silence perplexe accueillit ces paroles. Spock échangea avec le capitaine un discret coup d’œil. Visiblement, Jim ne comprenait pas non plus quelle était cette nouvelle lubie de leur étrange visiteur. McCoy fronça les sourcils.

– Qu’est-ce que vous voulez dire ? Vous connaissez d’autres amnésiants que le Retcon ? J’aimerais bien savoir quoi !

Le jeune homme lança alors vers le Vulcain un regard appuyé et Spock se figea en comprenant les implications de ce regard. Visiblement, ses amis comprirent au même moment, car son colocataire secoua frénétiquement la tête de gauche à droite :

– Ça ne va pas, non ? Tu ne peux pas vraiment vouloir faire ça ! C’est complètement dingue !

Sheldon continuait à fixer le premier officier, avec une calme détermination qui indiquait qu’il ne reviendrait pas sur sa décision.

– Spock… commença McCoy à voix basse. Qu’est-ce qui se passe ?

– Il se passe que Monsieur Cooper « exige » une fusion mentale, répondit Jim, poings serrés.

Spock se retint pour ne pas soupirer. Beaucoup de choses lui semblaient déplaisantes dans cette requête. Premièrement, elle signifiait que ces humains en savaient bien plus sur lui, par le biais de leur « série », que ce qu’il lui semblait acceptable. Deuxièmement, elle rappelait au capitaine l’épisode Edith Keeler, durant lequel Spock lui avait exposé sa capacité à faire oublier certains événements, ou à en atténuer la souffrance. Troisièmement, elle attirait l’attention du docteur McCoy sur cette particularité télépathique qu’il ignorait et qui n’allait évidemment pas lui plaire, ce qui risquait de générer une de ces discussions houleuses dont le praticien semblait avoir le secret. [4]

Malgré tout…

– Je vais le faire, déclara-t-il tranquillement, sans rien laisser paraître de son malaise.

– Vous êtes certain… ? demanda le capitaine avec hésitation.

– Vous pouvez effacer les souvenirs ? s’écria le médecin en chef presque au même moment.

– Oui, docteur, et je suis prêt à en discuter avec vous, mais pas maintenant. Oui, capitaine, je suis certain. Il s’agit d’une fusion mentale consentie (Sheldon Cooper, qui avait bondi en entendant le Vulcain accepter sa demande, hocha vigoureusement la tête avec l’air d’un jeune chien à qui son maître accorde une croquette inattendue) et d’une ablation relativement facile à pratiquer.

– Oh, merci ! s’extasia le jeune homme.

Ses trois amis le regardaient avec une fascination mêlée d’épouvante. Le vieil homme, pour sa part, n’avait pas bougé, mais il fixait Spock avec une intensité qui indiquait qu’il comprenait, peut-être mieux même que les deux officiers de Starfleet, les raisons qui le poussaient à accepter. Il lui fit même un imperceptible signe de tête, comme pour lui dire « j’aurais fait pareil ».

Spock devait avouer qu’une partie de lui brûlait de curiosité d’avoir un aperçu de l’esprit de Sheldon Cooper. Comment un humain aussi brillant (le premier officier avait lu tous ses travaux sur la super-asymétrie ainsi que ses nombreux articles sur les univers multiples) pouvait-il se révéler en même temps aussi puéril, égoïste et, il fallait bien le dire, par certains aspects, stupide ? Mais, au-delà de cette tentation, le Vulcain pensait que l’esprit du jeune homme pourrait lui révéler certaines choses sur ce que le XXIème siècle connaissait du futur, et peut-être l’éclairer sur certains points de leur mission improvisée qui demeuraient obscurs.

Votre esprit est mon esprit. Vos pensées sont mes pensées.

Un frisson parcourut le jeune scientifique lorsque les doigts de Spock effleurèrent sa joue. Le Vulcain fut accueilli dans l’esprit de son vis-à-vis sans la moindre réticence, et même avec une certaine avidité qui le laissa perplexe.

L’esprit de Sheldon Cooper était régi par trois maîtres mots : abstraction, rigueur, précision. Les qualités essentielles nécessaires à un scientifique de qualité, et même brillant.

Ces caractéristiques étaient tempérées par :

1) Une absence totale de hiérarchisation des données : la question des voyages dans le temps se situait, dans son esprit, exactement au même niveau que le plan détaillé des lignes de chemin de fer des Etats-Unis, le dernier jeu vidéo qu’il avait testé, le code civil et la comparaison de quarante-quatre restaurants chinois. Aucune priorité ne permettait d’ordonner tout ce qui encombrait son esprit, en outre surchargé par une mémoire eidétique.

2) Un refus total du changement qui empêchait toute adaptation et, partant, toute interaction sociale, les autres parvenant difficilement à supporter cette rigidité qui se transformait rapidement en obsession incontrôlable. Sheldon Cooper suivait du début à la fin un enchaînement logique et parfaitement rationnel de cause à effet, sans jamais s’arrêter ni accepter la moindre entorse au règlement qu’il s’était fixé.

3) Une incapacité profonde à discipliner son esprit. Les deux points précédents conjugués faisaient du jeune homme un humain d’une intelligence bien au-dessus de la norme, qui cherchait à rationaliser même l’irrationnel, sans y parvenir, puisque les émotions humaines, Spock était bien placé pour le savoir, ne pouvaient être réduites à une série d’équations mathématiques. Le pendant de l’amour de Sheldon pour la science était, d’une certaine façon, un rejet quasi total de son humanité.

De fait, le Vulcain se sentait des similitudes très marquées avec le jeune homme. Son esprit était lui aussi mû par l’abstraction, la rigueur et la précision, il respectait fidèlement les règles et faisait preuve d’une curiosité scientifique quasiment infinie. Cependant, à la différence de Sheldon Cooper, le Vulcain avait depuis longtemps érigé en devise le précepte de son peuple « le changement est le processus essentiel de toute chose ». Lui aussi avait, des années durant, tenté de mettre à distance son humanité, mais il avait finalement choisi, envers et contre tout, de fréquenter des humains et de s’adapter autant qu’il le pouvait à leur mode de vie.

Il se retint de faire sauter un ou deux verrous dans l’esprit du jeune homme. Lui seul devait trouver sa voie. Spock se contenta donc d’extraire délicatement de sa mémoire le souvenir des trente-deux dernières heures, depuis le moment où il avait conçu l’idée que le vieil acteur pût avoir en sa possession un PADD donnant accès aux journaux de bord de l’Enterprise (conclusion obtenue avec une logique que n’importe qui eût qualifiée de biaisée, mais qui avait fourni des résultats étonnamment probants) jusqu’à la minute où les doigts du Vulcain s’étaient posés sur sa joue.

Les références à Star Trek (et à lui-même, ou plutôt le personnage qui lui correspondait) étaient trop nombreuses pour que le premier officier sût où et comment chercher des informations utiles. Il risquait, en fouillant davantage la question, de tomber sur des révélations embarrassantes. Ne jamais connaître l’avenir était une règle d’or dans un univers où le temps avait été prouvé relatif.

Et s’il effleura légèrement, très légèrement, le tout petit rayon de lumière qui filtrait à peine dans cet esprit replié sur lui-même, le seul contact humain qui lui fût agréable, la présence quotidienne et rassurante de son colocataire, il décida qu’il ne s’agissait pas vraiment d’une entorse à ses principes.

.

Leonard Nimoy regarda un instant les quatre geeks qui dormaient du sommeil du juste, pressés les uns contre les autres sur le grand canapé, Sheldon Cooper à « sa place » (et probablement beaucoup trop près d’Howard Wolowitz à son goût). Le Retcon, quoi que fût cette substance, avait le mérite d’être efficace. Une bonne idée, bien pratique, pour une future série de SF. A retenir.

– Vous dites qu’ils ne se souviendront de rien lorsqu’ils se réveilleront ?

– De rien qui nous concerne, en tout cas, répondit McCoy.

Il semblait particulièrement soulagé d’être enfin débarrassé du problème Sheldon Cooper.

– Monsieur Nimoy, enchaîna le capitaine Kirk, vous êtes certain que vous n’avez pas d’autre information sur ce PADD ? Pour être honnête, votre histoire ne tient pas la route. Je ne remets pas en doute votre bonne foi, mais reconnaissez que ce n’est pas le genre des Vulcains de perturber l’histoire de tout un peuple de cette manière !

Le vieil acteur le reconnaissait bien volontiers, mais les faits n’en demeuraient pas moins les mêmes.

– Je ne sais que ce que je vous ai dit. Je n’ai jamais personnellement rencontré de Vulcain… jusqu’à aujourd’hui. Je n’ai jamais douté de ce que m’a raconté Gene, car il m’a semblé que mentir sur ce genre de sujets aurait été stupide. A partir du moment où vous partagez un secret de cette importance avec quelqu’un, vous respectez scrupuleusement la vérité, sinon, ça n’a aucun sens.

– Les Vulcains voulaient… « préparer le premier contact avec les humains » ? C’est bien ça ?

Leonard hocha la tête. Lui aussi avait trouvé cette raison très étrange, mais il ne se targuait pas de comprendre une autre espèce humanoïde, même logique et rationnelle.

– Votre ami vous aurait-il par hasard décrit ces Vulcains ? intervint Spock. Un détail pourrait peut-être nous mettre sur la voie…

Entendre parler son « double » faisait à chaque fois tressaillir le vieil homme. Savoir que tout ce qui constituait l’univers de Star Trek était vrai et le constater de ses propres yeux et de ses propres oreilles très humaines étaient deux choses très différentes. Cependant, la question avait son importance. Il ferma les yeux pour mieux se remémorer les discussions qu’il avait eues avec Gene Roddenberry à ce sujet – discussions qui remontaient à près de quarante ans, ce qui ne lui facilitait pas la tâche.

– Je me souviens qu’il avait parlé d’une sorte de collier, ou de médaillon ressemblant à nos propres sphères armillaires, que nous n’avons par la suite jamais revu sur les photos trouvées dans les archives de l’Enterprise. Voilà pourquoi nous n’avons pas intégré ce bijou aux costumes vulcains de la série.

– Parce que vous avez eu accès aux images aussi ? s’étrangla Kirk.

Nimoy ne put qu’acquiescer.

– C’est ce qui m’a valu d’être choisi pour l’un des rôles principaux, admit-il avec un sourire.

– Cette sphère armillaire, Spock, ça vous dit quelque chose ? demanda le médecin en se tournant vers son acolyte.

– Négatif.

Le silence retomba sur le salon – un silence que l’acteur mit à profit pour se demander pour quelle raison il ne s’était pas vu offrir, comme les autres, une capsule de Retcon.

– Monsieur Nimoy… commença McCoy, répondant à sa question muette, nous nous trouvons face à un problème. Il nous est facile d’effacer, chimiquement ou télépathiquement (il jeta à Spock un coup d’œil en coin signifiant qu’il n’allait pas le lâcher avec cette histoire), vingt-quatre ou quarante-huit heures de la vie d’un être humain, mais en ce qui vous concerne, il s’agit de près de quarante ans. Nous ne pouvons pas faire le tri des souvenirs qui nous concernent sur une si longue période.

Le vieil homme acquiesça.

– Que comptez-vous faire de moi ? demanda-t-il en essayant de ne pas laisser paraître sa nervosité.

Le médecin en chef se tourna vers le capitaine, qui le regardait pensivement.

– Docteur, monsieur Spock, ordonna Kirk, faites le tour de l’appartement et détruisez ou prenez tout ce qui pourrait remettre Sheldon Cooper et ses amis sur la piste d’un portail temporel ou trahir notre présence ici.

Alors que les deux hommes disparaissaient dans le couloir qui menait aux chambres, le capitaine se retourna vers son interlocuteur :

– Nous n’allons rien faire du tout, monsieur Nimoy. Si vous avez si bien gardé ce secret pendant quarante ans, vous n’allez pas le divulguer maintenant. Vous allez donc pouvoir rentrer chez vous et continuer à vivre comme vous l’entendez.

– Et vous, qu’allez-vous faire ? ne put s’empêcher de demander l’acteur.

Kirk soupira.

– Aller sur Vulcain chercher le fin mot de cette histoire incompréhensible. Si j’avais le moyen d’offrir au moins une journée de permission à mon équipage avant, je le ferais, mais…

Un souvenir traversa brusquement l’esprit de Leonard Nimoy, celui du journal de bord personnel de James Kirk écouté un beau jour – le tout dernier enregistrement effectué par le capitaine, peu de temps avant que l’Enterprise ne soit retirée du service actif. Probablement légèrement éméché, il énumérait les infractions qu’il était fier d’avoir commises pour le bien de son équipage, lorsque la voix de McCoy (pas beaucoup plus fraiche) avait retenti à son tour :

« Et Vegas, Jim ! Vous oubliez Vegas ! »

« Je n’oublie pas, Bones. Leonard nous avait donné un très bon conseil. Il nous a sauvés de la mutinerie et je bois à sa santé. »

Deux phrases qui n’impliquaient pas un voyage dans le temps, qui n’étaient en rien compromettantes, mais que le vieil acteur comprenait à présent.

– Si je peux me permettre, capitaine…

– Je vous en prie, répondit Kirk courtoisement.

– Nous sommes à Los Angeles. Si vous voulez offrir une distraction à vos hommes, proposez-leur de passer une journée et peut-être une nuit à Las Vegas. Ce n’est vraiment pas loin.

Le capitaine le regarda comme s’il venait de lui pousser une deuxième tête.

– Quatre cent trente personnes en uniforme de Starfleet, dont dix-sept extra-terrestres, à Las Vegas ? hoqueta-t-il.

Leonard Nimoy ne put s’empêcher de sourire.

– Ce n’est vraiment pas un problème, capitaine.

– Ah bon ?

– Non. Voyez-vous, en ce moment, se tient à Las Vegas la convention du quarantième anniversaire de Star Trek. [5] Vous n’aurez aucun problème à vous fondre dans le décor. D’ailleurs, je sais que vous allez y aller.

Kirk ouvrit la bouche pour répondre quelque chose, et l’aurait sûrement fait si McCoy n’avait à ce moment fait irruption dans la pièce, totalement hilare, brandissant dans sa main ce qui ressemblait à une poupée vêtue de bleu.

– Jim ! Regardez ce que nous avons trouvé sur la table de nuit de Sheldon Cooper !

Le premier officier apparut derrière le médecin, toujours droit et irréprochable, mais les lèvres pincées. Kirk s’empara de l’objet en question, que Leonard reconnut immédiatement : une figurine représentant Spock.

– Sérieusement, capitaine, vous ne le trouvez pas beaucoup plus mignon que l’original ?



[1] Piqué de manière éhontée à Torchwood. Oui, j’assume le crossover sans intérêt.


[2] Je confirme : ça ne s’est pas arrêté là. Entre le reboot et Discovery


[3] Il faut quand même que je le dise à un moment pour les non-trekkies : « fascinating » est LA réplique culte de Spock dans toute la série.


[4] Spock, qui possède des pouvoirs télépathiques propres à son espèce, peut entre autres modifier les souvenirs, ou à tout le moins les faire oublier. A ce stade de la time-line, Kirk le sait, mais je ne suis pas certaine que McCoy, qui est toujours très réticent face aux pouvoirs de Spock (il faut dire qu’il en a été la victime dans Mirror, mirror), soit au courant.


[5] Véridique (été 2006). C’était trop beau pour être vrai… il fallait que je me serve de cette coïncidence !


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