Set phasers to fun
Voici quelques explications sur l’origine et la fonction de ce fameux PADD piqué par Sheldon chez Nimoy. Et, éventuellement, quelques considérations délirantes sur les vieilles séries télé que connaissent les membres de l’Enterprise…
Chapitre 4 : Conseils de guerre
– Ce type, un génie ? Spock, vous vous moquez de nous, c’est la seule explication possible !
Le Vulcain se raidit un peu plus (chose que McCoy n’aurait pas crue possible, car il était déjà aussi droit qu’un piquet) et leur asséna son regard-de-la-mort-qui-tue qui signifiait plus ou moins Surak-me-donne-la-force-de-supporter-ces-impossibles-humains :
– Capitaine, je croyais que vous aviez fini par comprendre que « me moquer de vous » n’entre pas dans les capacités de l’espèce à laquelle j’appartiens. Je me permettrai d’ajouter qu’une telle attitude de ma part serait parfaitement inconvenante, étant donné ma fonction au sein de ce vaisseau.
Le médecin ne put retenir un sourire en coin. La situation, pour critique qu’elle fût, comportait malgré tout un élément comique qu’il ne pouvait s’empêcher d’apprécier. Le fait que les Terriens du XXIème siècle aient connu l’équipage de l’Enterprise par le biais d’une « série télévisée » nommée Star Trek, qui n’apparaissait dans aucune des bases de données historiques dont ils disposaient, constituait en soi une énigme, mais cette nouvelle, une fois le premier moment de surprise passé, n’avait pas bouleversé Leonard comme elle semblait avoir bouleversé Jim. Il existait des ponts temporels mystérieux entre le présent, le passé et l’avenir, ils en avaient tous reçu la preuve à plusieurs reprises. L’arrivée de ce Sheldon Cooper n’était qu’une bizarrerie de plus. Certes, il leur fallait remédier au problème que posait sa présence sur l’Enterprise, mais il trouvait que ses deux amis réagissaient de façon légèrement disproportionnée.
L’intrus avait manqué se trouver mal lorsqu’il avait enfin compris que le nom de Star Trek n’éveillait strictement aucun souvenir, même lointain, dans l’esprit de son idole (car il fallait être idiot pour ne pas comprendre que Spock était l’idole de ce type – preuve suffisante en soi qu’il était complètement timbré). En effet, il n’était pas logique qu’une « série » populaire des années 1960 (selon les informations parcimonieuses que leur avait livrées le fameux Sheldon, du bout des lèvres et comme à regret) ait disparu corps et biens à un moment inconnu entre le XXIème et le XXIIIème siècle [1], mais enfin, ce mystère qui préoccupait tant Jim et semblait fasciner Spock ne passionnait pas outre mesure le médecin en chef. Il était davantage préoccupé par l’état général d’épuisement de l’équipage suite à leur rencontre avec l’amibe géante.
Le capitaine avait profité de la faiblesse momentanée du prisonnier pour lui soutirer des informations, notamment sur la façon dont il avait traversé les siècles et la date précise de son départ, mais l’autre avait refusé de lâcher quoi que ce soit, demeurant obstinément figé sur place, dans une attitude fixe et rigide qui n’était pas sans rappeler le premier officier.
– Je sais que vous pensez qu’il est de votre devoir de me renvoyer dans mon époque, avait-il fini par expliquer, mais j’ai fait à plusieurs reprises le vœu de ne pas quitter la passerelle de l’Enterprise si jamais je parvenais à m’y retrouver, et j’entends demeurer fidèle à ma promesse, bien que cette dernière ait été donnée en rêve à un jouet. [2]
Sans rebondir sur cette dernière remarque qui pouvait passer, au choix, pour sibylline ou complètement loufoque (McCoy, pour sa part, ne se posait même pas la question : ce Sheldon, tout « génie » qu’il fût, avait définitivement un grain), Kirk fit remarquer d’un ton sarcastique :
– Vous n’êtes pas sur la passerelle, mais dans les cachots de l’Enterprise, et vous n’êtes pas près de les quitter, c’est moi qui vous le dis !
Sur ce, il avait fait mine de s’en aller. Les deux autres l’avaient suivi, connaissant par cœur la tactique de leur supérieur. Qui n’avait pas manqué de fonctionner, bien évidemment.
– Capitaine Kirk !
La voix de Sheldon Cooper était teintée d’angoisse (à l’idée de rester de nouveau seul dans sa cellule ? à celle de ne jamais monter sur la passerelle ? parce que Spock s’éloignait de lui ? comment savoir, avec un zozo pareil ?) et son visage, collé au champ de force, sembla au médecin en chef tristement juvénile. Comment ce garçon au visage rond et aux yeux globuleux avait-il réussi à plier à sa guise l’espace et le temps, cela dépassait l’entendement.
– Capitaine, je dois absolument respecter mon planning de salle de bains [3]. (McCoy ne put s’empêcher de soupirer, et même Spock eut du mal à réprimer un léger mouvement d’incompréhension.) Je vous propose donc un marché : vous me laissez sortir et aller aux toilettes, vous me faites visiter l’Enterprise, et je vous dirai comment je suis arrivé ici.
Inutile de dire que Kirk avait immédiatement tourné les talons sans écouter les supplications qui émanaient à présent de la cellule.
– Garnett, faites-vous relayer auprès du prisonnier et allez dormir. Pas un mot de ce que vous avez vu à qui que ce soit, entendu ?
– Bien, capitaine.
Sitôt sorti des quartiers de surveillance, Jim s’était tourné vers ses deux amis :
– Un marché ? fulmina-t-il. Ce type est complètement cinglé s’il croit que je vais le laisser libre de se balader dans mon vaisseau en échange d’informations qui ne m’intéressent après tout que très peu !
– Capitaine, si je puis me permettre…
Le regard peu amène que Kirk avait jeté au premier officier aurait dû le dissuader de parler, mais comme à son habitude, le Vulcain n’en avait pas tenu compte :
– Sheldon Cooper est un véritable génie à son époque, ou, étant donné son âge actuel, devrait bientôt le devenir.
Lorsque le capitaine, rouge et au bord de la crise de nerfs, eut fini d’exprimer, de manière relativement imagée, ce qu’il pensait du prétendu « génie » du gamin qu’ils retenaient à fond de cale, Spock revint à la charge :
– Quoi que vous en pensiez, le docteur Cooper est un brillant physicien, co-lauréat du prix Nobel en 2019. Il a établi en 2038 une théorie susceptible de résoudre le problème complexe des multivers.
McCoy, que la discussion amusait plus qu’autre chose, fronça les sourcils. Il ne s’attendait pas à cela. Lui-même n’avait jamais entendu parler de ce Sheldon Cooper (mais, après tout, la physique n’était pas son domaine de prédilection), et, en le voyant s’exciter sur la porte de l’ascenseur comme un demeuré, il n’aurait jamais parié sur son intelligence supérieure.
– Susceptible, Spock ? demanda le médecin. A-t-il, oui ou non, effectué une découverte majeure qui risque de bouleverser le cours de l’avenir et d’affecter notre existence ? Si ce n’est pas le cas, la question se pose : faut-il le renvoyer dans son époque ou bien le garder avec nous ?
– La théorie de Cooper demeure encore obscure par certains points, et aucune découverte majeure n’en a encore découlé, rectifia le Vulcain, mais il est fort possible que, d’ici quelques dizaines d’années, elle soit à la base d’une découverte bouleversante sur les multivers.
– Vous voulez baser notre décision sur une possibilité ? demanda Kirk. Ça ne vous ressemble pas vraiment. Si nous avons laissé le capitaine Christopher en 1969 au lieu de l’emmener avec nous à notre époque, c’est uniquement parce que la non-existence de son fils aurait entraîné un changement majeur dans notre propre temporalité. [4] Imaginez ce qui se passera si nous laissons ce… ce Cooper rentrer à son époque (chose dont, soit dit en passant, il n’a pas l’air de mourir d’envie) après ce qu’il a déjà vu ? Vous imaginez le paradoxe temporel ?
Spock hocha la tête.
– Vous avez raison sur un point, capitaine. Les découvertes de Cooper ne changeraient probablement pas notre existence, mais je demeure persuadé qu’en laissant ce jeune homme à notre époque, nous sommes en train de modifier le futur. D’ailleurs, capitaine, si cette théorie existe encore, du moins dans ma mémoire, cela signifie que le docteur Cooper l’a formulée au XXIème siècle, et que je l’ai par la suite assimilée. Cela signifie donc que nous l’avons renvoyé d’où il vient.
Kirk ouvrit la bouche pour protester, mais, incapable de trouver un argument valable, la referma avec un claquement mécontent. McCoy sourit de nouveau. Lutter avec Spock sur le terrain de la logique était pratiquement impossible.
– Allons, Jim, ne faites pas cette tête ! Vous teniez tant que ça à le garder ? Rien qu’à le voir, je peux vous prédire que ce type ne va nous attirer que des ennuis. Autant le renvoyer le plus tôt possible d’où il vient !
– A condition qu’il accepte de nous dire de quelle époque il vient, précisément, répondit le capitaine sur un ton lugubre. Ce qui veut dire que je vais devoir accepter son marché et le laisser visiter mon vaisseau…
.
– Vous avez une idée de ce que nous veut le capitaine ? demanda Chekov à son voisin de droite avec un bâillement à peine réprimé.
– Pas la moindre, répondit Sulu avec un haussement d’épaules.
Le jeune Russe jeta un coup d’œil circulaire à la petite assemblée que leur supérieur avait réunie dans la salle de conférence numéro 2 : il y avait là les trois membres les plus gradés de l’équipage, à savoir le commandant Spock, le lieutenant-commandant Scott et le docteur McCoy. Uhura représentait le département des communications, Giotto la sécurité, Sulu le pilotage. Seuls le premier officier et le médecin en chef semblaient peu surpris de la convocation, mais ils gardaient tous deux le silence, si bien que personne n’osa les interroger. Chekov se demandait pour quelle raison lui-même avait été convoqué. Il n’avait qu’un grade peu élevé, ne représentait aucun département, et d’ailleurs n’était arrivé que récemment sur l’Enterprise, sa première affectation… Peut-être le capitaine avait-il décelé en lui le formidable potentiel de réflexion et de décision caractéristique de son peuple ? Discrètement, il se pencha vers son voisin immédiat (en l’occurrence le docteur McCoy, qui se mordillait nerveusement le pouce) et murmura :
– Docteur, c’est la première fois que je suis invité à participer à ce genre d’assemblées et je me demandais pour quelle raison… Peut-être le capitaine a-t-il reconnu mes qualités… ?
Le médecin lança au jeune homme un regard à la fois peu amène et empreint de compassion avant de grommeler :
– Attendez de voir ce qui vous attend…
Chekov, alarmé, n’eut cependant pas le temps d’interroger davantage son voisin, car le capitaine entra dans la salle à grandes enjambées et vint se placer entre Spock et McCoy. Tout en faisant signe à la petite assemblée de rester assise, lui-même demeura debout, les deux poings appuyés sur la table de conférence :
– Je vous remercie d’avoir répondu à mon appel malgré la tension à laquelle vous avez tous été récemment soumis.
Chekov se redressa légèrement, imité par le reste de l’assistance (Sauf Spock, qui était déjà droit comme un i).
– Nous avons un problème, continua le capitaine avec une petite grimace, et j’ai besoin de votre avis sur le sujet. Un individu s’est téléporté sur le vaisseau hier, au plus fort de la crise. Nous ignorons comment et pourquoi. Le commandant Spock a formellement identifié cet homme comme le docteur Sheldon Cooper, humain et éminent physicien du XXIème siècle.
– Humain, humain… c’est vite dit, grommela le docteur McCoy, mais sa remarque fut vite noyée sous le brouhaha des réactions des officiers.
Chekov, ébahi, incapable de commenter, n’en revenait pas. Un voyage dans le temps ? Depuis le XXIème siècle ? Ce Sheldon Cooper devait vraiment être un génie.
– Nous devons donc décider ensemble, reprit Kirk un peu plus fort (les voix se turent aussitôt), de la conduite à adopter. La situation l’exige : nous devons renvoyer le docteur Cooper dans son époque, pour éviter un paradoxe temporel. L’Enterprise a déjà fait face à un voyage dans le temps, et ce n’est pas ce qui m’effraye. Le commandant Spock juge préférable de l’accomplir dès maintenant, afin d’éviter tout risque. (Murmures unanimes de désapprobation.) Le docteur McCoy, pour sa part, estime préférable, pour des raisons médicales, que nous prenions une semaine de repos sur Antares II, comme prévu, avant de nous lancer dans cette nouvelle mission. Qu’en pensez-vous ?
Chekov, pour sa part, aurait donné dix ans de sa vie pour les sept jours de permission que venait de lui faire miroiter le capitaine. Aussi, lorsqu’il fallut participer au vote, il s’empressa de lever la main en même temps que tous les autres membres de l’assistance, Spock excepté (ce dernier les fixait de son habituel regard neutre, légèrement angoissant, au fond duquel le jeune Russe avait l’impression de percevoir un reproche qui le fit presque changer d’avis).
– Je crois que la situation est claire, décréta le capitaine en jetant vers le premier officier un regard qui oscillait entre amusement et excuse. Chekov, ajouta-t-il en se tournant vers le pilote, qui se raidit sur son siège, j’avais pensé que vous pourriez nous aider en faisant visiter le vaisseau à notre… hôte impromptu. Tout renseignement que vous pourrez lui soutirer est bon à prendre, afin que nous puissions par la suite le renvoyer d’où il vient.
L’unique enseigne de l’assistance sentit se poser sur lui tous les regards, certains compatissants, d’autres franchement moqueurs. Il était évident qu’aucun d’entre eux n’aurait voulu être à sa place… Cependant, la requête du capitaine ne le dérangeait pas. Il était curieux d’en apprendre plus sur le nouveau venu, de l’interroger sur le XXIème siècle, sur la façon dont il avait réussi à voyager dans le temps. Il ne doutait pas d’être à la hauteur de la confiance que le capitaine plaçait en lui et de réussir à obtenir les informations demandées.
– Bien sûr, capitaine, avec plaisir.
– Merci, monsieur Chekov. Une dernière question avant que nous ne retournions tous à notre poste : avez-vous entendu parler d’une série télévisée du XXème siècle appelée… Star Trek ?
Une fois le premier moment de surprise passé, Sulu fronça les sourcils :
– Vous ne confondriez pas avec Stargate ? Parce que je suis à peu près sûr que ça a existé.
– Non, non, M. Cooper a bien dit « Star Trek ».
– Pas très accrocheur comme titre, commenta Giotto. X-Files, ça se retient mieux ! Pas que j’aie regardé cette vieillerie, hein ! Mais… le titre m’a marqué.
– Moi, je me souviens de… Buffy contre les vampires ? Un nom comme ça, déclara Uhura.
– Plus jeune, ajouta l’ingénieur Scott d’un air rêveur, je regardais les aventures d’un type qui bricolait tout le temps… Je ne sais plus comment il s’appelait mais ça me fascinait. Bien sûr, les supports audiovisuels de l’époque étaient pitoyables, mais ils ont… comment dire… un certain charme désuet.
Le capitaine, dont les yeux s’étaient agrandis face au tour qu’avait pris la conversation, toussota pour la faire cesser.
– Bones, ne me dites pas que vous êtes un fan de Dr House ou… ou d’Urgences ?
– Non, capitaine, rétorqua le médecin assez sèchement, je ne connais rien de tout cela, et même si je voulais regarder de vieilles séries télévisées, je n’en choisirais pas une qui ait un rapport avec mon travail ! J’ai bien assez à faire comme ça sur cette boîte à sardines, merci ! Par contre, je me demande comment vous pouvez bien avoir autant de connaissances sur les séries du XXème siècle…
Le teint de Kirk vira soudainement au rouge soutenu et il marmonna quelque chose qui ressemblait furieusement à « quand on fait des études d’histoire, il faut bien se documenter », avant de quitter la salle précipitamment.
Chekov se leva à son tour en soupirant. Il n’avait pas eu l’opportunité de dire que, pour sa part, il était absolument fan d’une vieille série (malheureusement pas tournée en Russie) appelée Beverly Hills. [5]
***
– HOWARD ! HOWARD, TÉLÉPHONE !!!
Le jeune homme se réveilla en sursaut, frappé de plein fouet par la voix peu mélodieuse de sa mère.
– Qu’est-ce que tu racontes ? hurla-t-il à son tour.
– C’EST TON AMI LE NAIN À LUNETTES AU TÉLÉPHONE ! IL NE FAIT PAS SES NUITS OU QUOI ?
Howard se sentit tiraillé entre une furieuse envie de rire (il était impossible que Leonard, à l’autre bout du fil, n’ait pas entendu la périphrase imagée dont venait de le gratifier sa mère) et une furieuse envie de râler (il était quatre heures du matin). Puis il se souvint qu’il n’avait pas rallumé son téléphone portable avant d’aller se coucher, pour éviter de subir le harcèlement sheldonien qui mettait à mal, depuis quelques jours, sa patience et ses tympans. Pour que Leonard l’appelle sur le fixe et ose donc braver les hurlements de sa mère, il avait dû se passer quelque chose de grave.
– HOWARD, TU TE DÉCIDES, OUI OU NON ?
– C’est bon, j’arrive !
Il se leva en traînant des pieds, s’empara du téléphone dans le couloir et l’alluma.
– Maintenant raccroche et fiche-nous la paix, Maman ! s’égosilla-t-il.
– Howard ?
La voix de Leonard charriait une certaine panique qui le réveilla tout à fait et lui ôta de la bouche la remarque acerbe qu’il s’apprêtait à lui envoyer dans les gencives.
– Non, c’est le grand rabbin de Los Angeles, se contenta-t-il de répondre.
– Oh, et bien, monsieur le rabbin, le nain à lunettes est vraiment désolé de vous réveiller au milieu de la nuit, toi et ta mère, mais c’est un cas d’alerte rouge.
Alerte rouge. Selon le code qu’ils avaient mis en place l’année précédente, ça signifiait que Sheldon avait fait une connerie irréparable. Howard gémit.
– Non, je vais passer mon tour, cette fois. Je ne me sens pas la force d’affronter Sheldon à cette heure.
– Sheldon n’est pas là et c’est justement le problème !
– Je ne vois pas en quoi l’absence de Sheldon pourrait être un problème. Au contraire, c’est plutôt un miracle…
– Il est parti dans le futur.
Le jeune ingénieur, qui ne s’attendait pas à une sortie aussi fracassante, ne sut que répondre. Soit Leonard avait consommé des substances illicites, soit…
– Howard ? J’ai besoin de toi pour le ramener, il faut que tu viennes tout de suite à l’appartement !
– Ecoute, j’ai envie de te répondre que c’est bien dommage pour les pauvres gars du futur que Sheldon va emmerder, mais personnellement, j’espère qu’il est parti assez loin pour être témoin de la fin de l’univers. Qui sait, c’est peut-être même lui qui va le provoquer ?
Howard ne plaisantait qu’à moitié. Il savait de quoi Sheldon était capable. Son départ dans le futur (mais qu’est-ce que c’était que cette histoire tordue ?) ne pouvait être qu’une bonne nouvelle pour la sécurité du XXIème siècle.
– J’en appelle à la solidarité de la Communauté de l’Anneau, déclara solennellement Leonard. Raj est en route.
Derrière lui, une voix grave et atterrée se fit entendre :
– Vraiment ? Vous êtes sérieux ?
Howard se demanda brièvement qui pouvait bien se trouver chez son ami à cette heure indue, mais il ne s’arrêta pas sur la question. Le fait d’avoir mentionné la Communauté de l’Anneau indiquait que Leonard était désespéré et avait besoin d’aide.
– J’arrive, dit l’ingénieur avec un soupir.
– Merci, Howard, tu es un vrai ami.
– Un vrai ami qui meurt d’envie de balancer Sheldon au fin fond de la Montagne du Destin, ne l’oublie pas, marmonna-t-il entre ses dents.
Sur ces mots, il raccrocha. Sheldon lui avait toujours fait penser à l’Anneau Unique : responsable de terribles calamités, il avait le don de vous rendre invisible par sa façon de vous ignorer, de vous rabaisser, de vous humilier. De plus, il faisait ressortir en vous, comme chez Gollum, toutes vos pulsions belliqueuses et meurtrières. Enfin, fort heureusement, comme l’Anneau, Sheldon était absolument unique en son genre. La nature, effrayée de la terrible erreur qu’elle avait commise en le créant, avait immédiatement brisé le moule dans lequel elle l’avait jeté. La seule différence notable était que tout le monde convoitait l’Anneau, alors que personne n’avait envie de passer plus de cinq secondes en compagnie de Sheldon.
Lorsque le jeune homme arriva dans le hall d’entrée du 2311 Los Robles, il se trouva nez à nez avec Raj qui, mal réveillé, mal coiffé et mal habillé, bâillait à s’en décrocher la mâchoire.
– A toi aussi il t’a fait le coup de la Communauté de l’Anneau ?
– Oui, mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de Sheldon dans le futur ?
Howard haussa les épaules. Leonard avait l’air vraiment paniqué, et après tout, Sheldon était bien capable d’avoir inventé une machine à voyager dans le temps. Qui, de préférence, créerait un paradoxe temporel dont l’issue engendrerait une réaction en chaîne qui pourrait déchirer le tissu même du continuum espace-temps, provoquant la destruction totale de l’univers… Parce qu’il ne fallait pas être optimiste, on parlait de Sheldon, quand même. Aucune chance pour que les répercussions se limite à leur seule galaxie. [6]
Les deux amis franchirent la porte de l’appartement de Leonard, prêts à éclater en récriminations, mais les mots moururent sur leurs lèvres lorsqu’ils aperçurent, assis dans le canapé (à la place de Sheldon, ne put s’empêcher de remarquer stupidement Howard), un Leonard Nimoy parfaitement réveillé, et qui semblait les attendre. Les yeux de Raj s’écarquillèrent, sa bouche s’arrondit, et il sembla un instant sur le point de s’évanouir, avant d’articuler avec un accent indien d’autant plus prononcé qu’il était ému un « oh mon Dieu » qu’il réservait pour les grandes circonstances. Pour une fois, Howard, qui pour sa part hésitait à esquisser un salut judéo-vulcain [7], était parfaitement d’accord avec son ami : ils vivaient un moment historique.
L’acteur ne leur laissa pas le temps d’articuler un mot :
– Avant de me poser la moindre question, laissez-moi vous exposer brièvement les faits : votre ami Sheldon Cooper m’a volé un objet qui m’a été confié par le peuple vulcain il y a de cela cinquante ans. Il s’agit, pour simplifier, d’une fenêtre sur le futur. Votre ami a réussi à transformer le PADD qu’il m’a dérobé en portail temporel et il est parti en 2268. Il est impératif que nous le ramenions à notre époque, quelque envie que j’aie de le laisser se faire tuer par un Gorn ou, plus probablement, par l’équipage de l’Enterprise. Et oui, tout ce qui se passe dans Star Trek est réel, et s’inspire des véritables journaux de bord de Starfleet. M. Hofstadter semble penser qu’à vous trois, vous pourriez être capable de comprendre les formules de votre ami et de tout faire rentrer dans l’ordre. Acceptez-vous de nous aider ?
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[1] Je vous jure qu’il y aura une explication logique à ce fait. Elle ne sera donnée que dans très longtemps (genre à la fin de cette fic), mais je vous promets que la « disparition » de Star Trek des bases de données de la Fédération a une justification parfaitement cohérente.
[2] Dans « The transporter malfunction » (TBBT saison 5 épisode 20), Sheldon dialogue avec une figurine de Spock (Leonard Nimoy fait la voix de Spock dans le rêve de Sheldon ; il s’agit malheureusement de sa seule contribution directe à la série). Cette dernière, après que Sheldon a obéi à un de ses ordres sans réfléchir, lui demande « Et si je te demandais de te jeter du haut de la passerelle de l’Enterprise, tu le ferais ? ». Et Sheldon de répondre, des étoiles dans les yeux : « Si j’arrivais sur la passerelle de l’Enterprise, je ne la quitterais plus jamais… ». Je sais que cette scène est postérieure au moment de la time-line où j’ai situé cette fic (à savoir au tout tout début de la série), mais on peut imaginer que Sheldon rêve de Spock assez souvent et a déjà juré de ne jamais quitter le vaisseau s’il parvenait à y monter…
[3] Pour celles et ceux qui ne seraient pas habitués aux excentricités de Sheldon, sachez que ce dernier ne va aux toilettes qu’à certaines heures précises, et qu’il a mis en ligne son planning pour que tout le monde en profite… Eh ouais.
[4] Dans l’épisode TOS « Tomorrow is yesterday », l’Enterprise, revenue dans le passé (dans les années 60) récupère à son bord un pilote d’avion, le capitaine Christopher, dont les enfants auront un rôle à jouer dans la colonisation de Saturne ; il est impératif de le ramener sur Terre pour ne pas interférer avec le futur de l’humanité…
[5] Pardonnez-moi pour ce délire complet sur les séries du XXème siècle. Il est très, très, très peu probable que celles que je cite aient traversé les siècles, mais je trouvais marrant de donner aux personnages une connaissance approximative des divertissements de notre époque – et d’associer une série à leur caractère…
[6] Citation de Retour vers le futur. Doc ajoute que « le cataclysme pourrait être plus localisé et affecter seulement notre galaxie »… Mais avec Sheldon, pas possible ! :-D
[7] Le salut vulcain a été inventé par Leonard Nimoy à partir d’un geste rituel juif. Si Howard le fait remarquer, c’est parce qu’il est Juif lui-même.