Le prix de la vie
Chapitre 3 : Janice, Christopher, Christine
11294 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 15/09/2018 17:52
CHAPITRE 2 : JANICE, CHRISTOPHER, CHRISTINE
JANICE
Les femmes aiment James Tibérius Kirk. Pour être exact, la majorité des femmes l'aiment. Les autres le haïssent avec constance. Quand il deviendra capitaine, cela deviendra sujet de plaisanterie parmi les membres de la Starfleet. On parlera de Jim Kirk, le capitaine qui laisse une femme en pleurs en quittant chaque planète sur laquelle il pose le pied même une minute. On racontera cette fois où il séduisit un bosquet de femmes arbres et passa la nuit avec elles. On éclatera de rire en racontant comment sur une autre planète une femme vautour s'empara du capitaine et refusa de le rendre car elle voulait en faire son compagnon et comment il fallu à l'équipage escalader nuitamment un pic de plus de cent mètres de haut pour le récupérer. Ce genre de choses n'arrive que sur l'Enterprise, et uniquement au capitaine Kirk.
Mais dès l'époque où il n'est qu'un étudiant à l'académie Jim Kirk se fait remarquer par les femmes, étudiantes ou professeurs. Le règlement est strict en matière d'interactions sexuelles entre les membres de l'académie. La Starfleet réprouve le fait que des futurs officiers et subordonnés entament une relation sexuelle. Le mariage et le concubinage sont eux aussi désapprouvés, mais pas empêchés.
Malgré tout, ces réglementations vieillottes issues des siècles passés n'empêchent pas le flirt et les relations secrètes d'avoir lieu. Elles n'empêchent pas l'amitié, l'admiration et le désir de s’entremêler. Et d'ailleurs, comme la Fédération entière l'apprendra quelques années plus tard, rien ne peut empêcher James Tibérius Kirk de se faire remarquer.
Dès ses premiers jours à l'académie Jim envoie ses grands sourires à toutes les filles qu'il croise. Elles se retournent quand il passe et rient de son assurance. Un garçon qui agit ainsi est ridicule à leurs yeux.
Janice ne pense pas comme elles. Dès la première fois où elle voit Jim, elle sait qu'elle est face à une personne exceptionnelle. Elle est dans la promotion au-dessus de celle de Jim. Plusieurs fois dans l'année, les nouveaux élèves et ceux de sa classe sont réunis pour des activités où ils doivent collaborer et échanger leurs expériences et connaissances. Souvent, on leur demande de mener des simulations d'état de crise sur le pont d'un vaisseau, où les secondes années jouent le rôle d'officiers et les premières années ceux des sous-officiers et des membres d'équipage. Le but est de jauger de la capacité à être un bon officier, tout autant qu'à obéir aux ordres. La première fois, Janice est absente car malade, mais ses amis lui ont parlé de ce jeune cadet insolent qui n'en a fait qu'à sa tête la plupart du temps. Selon la meilleure amie de Janice, on aurait dû infliger un blâme au jeune homme.
Trois mois après, Janice a presque oublié cette histoire quand a lieu la seconde opération de ce genre. Le professeur lui attribue le rôle de capitaine, à sa grande panique. Elle veut devenir capitaine, bien sûr, mais elle sait qu'elle n'en a pas les capacités, pas encore. Elle pense passer d'abord par plusieurs autres postes, acquérir de l'expérience, et dans quinze, vingt ans peut être elle pourra être capitaine. Mais à l'heure d'aujourd'hui, elle est tétanisée par la peur de faire des erreurs.
On lui donne comme yeomen une jeune femme noire de première année. Celle-ci se présente à elle en souriant.
« Je suis Uhura. Ravie de travailler avec vous miss Rand.
-Ravie également, répond Janice. Vous vous préparez à être yeoman ?
-Pas du tout. Ma spécialité ce sont les langues et les communications. Je me demande pourquoi ils m'ont mis à ce poste.
-Justement parce que ce n'est pas ta spécialité, répond un jeune homme blond assis nonchalamment sur la console des communications.
Janice regarde le jeune homme et le reconnaît immédiatement. Elle a vu sa photo dans les journaux quand il a rejoint l'académie. Elle se souvient des gros titres, « le fils du héros rejoint la Starfleet », « James Kirk sur les traces paternelles », « Kirk, futur de la Stafleet ? » et autres annonces fracassantes. Le James Kirk qu'elle a devant elle est différent des photos, plus souriant, mais avec une dureté quelque part au fond des yeux. Non, rectifia mentalement Janice. Pas de la dureté, mais une détermination sans faille. Le sourire gouailleur cache presque parfaitement cette détermination, mais Janice est très forte pour voir qui étaient réellement les gens derrière leurs masques. Et ce qu'elle voit l'intimidait presque.
-Et à quelle place vous a-t-on mis cadet ?, finit-elle par demander pour rompre le silence qui s'installait entre eux.
-Oh, ils m'ont mis au poste des communication. Certaines personnes aimeraient que je m'y casse le nez, c'est sûr, ricane le jeune homme. Et c'est « tu » et pas « vous » et « Jim », pas « cadet ».
En disant ça à Janice, il lui offre un sourire séducteur et insolent qui la fit rougir. Uhura lève les yeux au ciel. Immédiatement, le sourire de Jim s’agrandit et il fait un clin d’œil à Janice qui ne peut s'empêcher de laisser passer un petit rire devant son jeu.
-Moi c'est Janice Rand, future yeoman normalement. Vous êtes prêts à commencer ?
-Toujours, répond Jim. On se tient à vos ordres !
Janice sourit nerveusement en réponse et va se présenter au dernier élève de première année interprétant un des officiers de pont de la simulation. Elle leur présente à tous ses deux camarades de promotion qui participent à l'exercice. Quelques mots sont échangés puis l'attente commence. Les professeurs font toujours patienter les élèves, pour que leur stress augmente et qu'ils commettent des erreurs. C'est logique bien sûr, comme cela les futurs officiers apprennent à gérer en situation de crise, mais la tension psychologique est rude. A chaque seconde qui passe, l'incertitude de Janice augmente. Elle n'est pas prête, elle ne va jamais réussir à diriger le test.
La voix d'un professeur interrompt ses pensées.
« La simulation va commencer, déclare-t-elle, invisible. Vous êtes l'USS Odysseus, en route vers la colonie Béta IV dans le cadre d'une mission médicale. Vous convoyez des médicaments en provenance de la Terre pour répondre aux besoins de la population locale qui subit une épidémie. La situation n'est pas critique, mais ces médicaments doivent arriver à bon port dans le plus court délai. Vous êtes actuellement à trois jours de votre objectif. Début de la simulation. »
Les six cadets saluent et rejoignent leurs postes respectifs. Janice examine les informations qui s'affichent sur son écran, des données supplémentaires sur l'état du vaisseau et la cargaison. Les autres étudiants font de même. La jeune femme est plus calme maintenant, elle sait comment commence une simulation de ce genre. Elle observe l'écran, l'espace intersidéral est vide. Elle se tourne vers la « yeomen », Uhura. Celle-ci est toujours plongée dans sa lecture des données. Janice interpelle alors le pilote.
« Comment se déroule notre course Karteny ?
-Dans des conditions optimales capitaine, répond le jeune homme. Notre vitesse est constance et nous devrions arriver à destination dans trois jours.
-Parfait. Kirk, contactez la salle des moteurs. Je veux un rapport sur la situation et savoir s'il est possible d'augmenter la vitesse.
Kirk acquiesce et transmet l'appel. Une voix d'étudiant qu'elle ne connaît pas confirme que tout va bien et qu'ils peuvent augmenter la vitesse si nécessaire. Janice hésite un instant, puis en donne l'ordre. Puis elle écoute les rapports de tous les membres de l'équipe. C'est le calme plat, il n'y a aucun malade ni blessé, des réserves en suffisance, ils traversent un coin de la galaxie tranquille... Tout est tellement parfait que Janice se demande ce que les professeurs leur réservent comme scénario catastrophe. Elle essaie de ne pas paniquer, mais c'est difficile.
Il ne se passe rien pendant quelques minutes. A sa console, Kirk fredonne un air paillard et Uhura le regarde comme si elle hésitait sur la manière de le tuer.
Enfin, quelque chose se passe et Janice en est presque soulagée.
« Je reçoit un appel de détresse déclare Kirk d'un air très professionnel, mais en roulant des yeux. Des négociations commerciales qui se déroulent mal sur Candar et les deux partis réclament l'arbitrage de la Fédération. Il y a eu une émeute et trois blessés grave.
-A combien de distance en sommes nous ?
-Une dizaine d'heure seulement, répond le navigateur.
Uhura tape déjà frénétiquement sur son padd pour rechercher des informations sur la planète en question avant de le tendre silencieusement à Janice. Celle-ci hésite un long moment. Puis elle se tourne vers Kirk, et lui demande, hésitante, de voir si d'autres vaisseaux de la Fédération sont plus proches. Le jeune homme lui sourit avec approbation. Il pense qu'elle a fait le bon choix, comprend Janice, mais elle doute. Ce ne serait qu'un détour de quelques heures si tout va bien mais au pire ils pourraient arriver avec un retard de trois ou quatre jours si la situation s'enlisait sur la planète.
-Deux vaisseaux peuvent répondre à la demande, finit par dire Kirk. Ils peuvent y être dans respectivement 24 et 32 heures.
-Alors nous poursuivons notre route, décide Janice qui luttait contre son angoisse de plus en plus présente.
Elle allait tout rater. Il allait se passer quelque chose, elle a pris la mauvaise décision, elle en est sûre.
C'est à peu près à ce moment-là qu'une alarme résonne.
-Que se passe-t-il Badger ?, demande Janice au navigateur.
Celui-ci se retourne vers elle, l'air perturbé.
-Il n'y a rien sur mes détecteurs ni sur mes écrans.
-Je ne détecte rien non plus, déclare l'officier scientifique.
-Tout est normal, confirme le pilote.
-Rien ne va plus, déclare alors Kirk d'une voix presque ennuyée.
Tous les étudiants se retournent vers lui. En faisant tourner son siège comme un gamin, Kirk explique qu'ils ont perdu tout contact avec la salle des moteurs il y a deux minutes et avec tout le département d’ingénierie depuis une minute.
-Et c'est maintenant que vous le signalez ?, s'étrangle Janice.
-Je voulais voir combien de temps l'alarme mettrait à se déclencher, répond le jeune homme en haussant les épaules. Normalement la console reçoit un signal toutes les trente secondes indiquant si tout va bien. Une alerte retentit immédiatement dans le cas contraire.
-C'est exact, confirme Uhura, et Janice se souvient qu'elle se spécialise dans les communications. Si la console n'a rien reçu...
-C'est que quelqu'un a fait en sorte que nous ne recevions rien. L'alarme a été déclenchée à l'entrée du département d’ingénierie au niveau 15 et de l'intérieur de celui-ci, mais manuellement, pas par l'ordinateur.
Un grand sourire totalement inapproprié illumine le visage de Kirk.
-Nous avons des mutins à bord.
Les autres cadets le regardent, abasourdis. Janice hésite, se demande si c'est une blague. Elle se tourne vers Uhura pour lui demander si son camarade est sérieux et voix celle-ci froncer les sourcils. Elle se penche sur la console de communications et observe les informations que leur ont envoyé les professeurs.
-Ce ne peut pas être une panne informatique, déclare-t-elle le réseau de secours aurait prit le relais. Il a été débranché. Quand à l'alarme...
-Ils ont voulu nous avertir qu'ils étaient là, poursuit Kirk en souriant. Nos mutins ont un message à nous faire passer. La bonne nouvelle c'est que le vaisseau ne devrait pas exploser, mais la mauvaise c'est que nos examinateurs nous ont concoctés un scénario-négociations.
-On est censé faire comme si c'était réel Kirk, marmonne Badger.
-Assez, déclare Janice en sentant Badger prêt à agresser Kirk.
Il faut qu'elle reprenne la situation en main avant que tout ne dégénère. Elle prend une grande goulée d'air et commence à donner des ordres à son pseudo équipage.
-On reprend. Kirk, examinez les communications internes du vaisseau, isolez les mutins et tenez nous informés. Uhura, je veux un bilan complet de la situation. Pour le moment, nous poursuivons notre route. »
Alors qu'elle se rassoit au poste de commandement, elle surprend le sourire approbateur et le clin d'oeil que Kirk lui adresse. Elle ne le comprend pas sur le moment. A partir de cet instant, le reste de la simulation se passe parfaitement bien. Contrairement à ce qu'elle aurait pu craindre, Kirk ne cause pas le moindre incident par la suite. Au contraire, il apporte des renseignements clairs, propose des solutions efficaces et deux heures plus tard, Janice et les autres cadets quittent la salle de simulation en ayant résolu le scénario de négociation préparé par les professeurs.
Janice réalise parfaitement que sa note ne sera pas mirobolante, elle ne l'escomptait même pas. Elle est une étudiante attentive, intelligente, mais elle commencera au bas de l'échelle du commandement pour se former. Ce n'est pas grave, et cela lui convient.
Sa note lui parvient une semaine plus tard. À sa grande surprise, elle est bien plus haute qu'elle ne l'escomptait. Le commentaire des examinateurs parle d'une confiance grandissante tout au long de l'épreuve, d'une bonne prise en main de son équipe malgré un léger incident au début de l'épreuve. Elle repense alors au comportement du cadet Kirk, et elle réalise qu'il a agit ainsi, non pas par dédain envers l'épreuve, mais pour elle. Il lui a fournit une distraction pour qu'elle surmonte son stress. Son comportement l'a forcée a se concentrer sur l'immédiat au lieu de paniquer à l'idée de l'échec.
C'est là le genre de chose que fait un ami, pas un inconnu. Janice est surprise par ce cadet et se renseigne un peu autour d'elle. De ce qui ressort des conversations qu'elle a avec d'autres cadets, Jim Kirk est un élève brillant, qui a réussi à passer une partie du cursus de première et de deuxième année en même temps et qui devrait finir le cursus en trois ans. Il semble être aussi quelqu'un ayant du mal à répondre à l'autorité. Le jeune homme intrigue Janice, et après quelques jours, elle se décide à aller lui demander une explication sur son comportement.
Elle le croise au détour d'un couloir, chargé de livres. Avant même qu'elle ne tente de l'aborder, il la reconnaît et lui adresse un sourire incroyable. Physiquement, il n'est pas son genre. Mais ce sourire fait flageoler ses jambes. Elle imagine que ce genre de réaction doit être fréquent devant ce sourire.
« Cadet Rand, c'est ça ?, demande-t-il en lui tendant la main.
Elle lui rend sa poignée de main.
-Janice Rand, répond-elle. J'avais quelque chose à vous demander, si vous avez le temps ?
-Tout à fait ! J'allais à la bibliothèque. On peut parler en marchand si ça ne vous dérange pas ? J'ai une pause de deux heures et une dissertation à terminer.
-Oh, je ne vous retiendrais pas longtemps !, répond Janice en calant son pas sur le sien.
Le silence s'installe pendant quelques secondes inconfortables. Janice cherche ses mots, mais l'autre cadet prend ses devants.
-Comment s'est passé le test de l'autre jour ?
-Pas mal. Je veux dire, j'ai la moyenne de justesse, mais je ne m'attendait pas à avoir autant !
-Ils ne vous ont pas donné le poste le plus facile à assumer.
-C'est le but du jeu, reconnaît Janice. Nous placer là où on est confronté à nos faiblesses. Moi c'est le commandement. Je ne suis pas faite pour commander.
-Hé, vous vous êtes pas mal débrouillée, répond Kirk en souriant à nouveau.
-J'ai l'impression que c'est parce qu'un cadet a tenté de me faire sortir de mes gongs pour que je prenne sur moi et que je surmonte mon stress, osa Janice.
Le sourire du cadet s'élargit et soudain il à l'air de perdre dix ans et d'être un adolescent qui vient de réussir la meilleure blague de sa vie. Il hausse les épaules en la regardant droit dans les yeux.
-Qui sait ?, demande-t-il.
-Pourquoi avoir fait ça ?
-Vous aviez l'air d'en avoir besoin. Et je ne peux pas résister à une jolie fille qui a besoin d'aide, répond Kirk de la voix de quelqu'un qui veut se tirer d'une sale situation par une plaisanterie.
Elle pourrait continuer à essayer d'obtenir une réponse précise, mais Janice est suffisamment intelligente pour savoir quand s'arrêter. Et vraiment, d'une certaine manière, elle a sa réponse. James Kirk est tout simplement le genre d'homme à aider les autres à donner le meilleur d'eux-même et à s'accrocher. Mieux encore, il est de ceux qui ne font pas ça par désir de reconnaissance, juste parce que c'est sa nature. Les deux cadets continuent leur chemin vers la bibliothèque, et pendant tout le trajet, Kirk détaille tous les pièges du test dans lesquels elle est tombée et ceux qu'elle a évité. Un camarade de Janice l'a traité de « petit génie » d'un air méprisant. Maintenant elle voit l'étendue de cette intelligence. James Kirk est un individu qu'elle a du mal à cerner, intelligent, attentif, réfractaire à l'autorité, mais doté d'un certain charisme.
Lui, pense Janice, c'est quelqu'un que je voudrais avoir comme capitaine. Quelqu'un en qui j'aurais confiance, qui me pousserait à donner le meilleur de moi-même.
Lorsqu'elle quitte le cadet à l'entrée de la bibliothèque, elle est décidée à donner le meilleur d'elle même, et à suivre la carrière du jeune homme.
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CHRISTOPHER
Le capitaine Pike passe une semaine dans le coma et sur plusieurs tables d'opérations avant de se réveiller. Durant les premières minutes après son réveil, les médicaments qu'on lui a injectés le laissent dans une semi-inconscience. Il y a de la lumière, et il entend quelqu'un tenter de lui parler, mais il est incapable de se concentrer suffisamment sur son environnement. La vie d'un capitaine étant ce qu'elle est, il est hélas habitué à ce genre de réveil. La médecine de son temps, malgré toutes ses découvertes depuis le XXIe siècle, est toujours incapable de rendre facile le réveil d'un patient après un coma ou une anesthésie. Plutôt que de lutter pour rester éveillé, Pike décide donc de sombrer dans un sommeil bien plus réparateur que le coma dont il vient de surgir. Le sommeil vient à lui presque instantanément malgré l'agitation qu'il sent autour de lui.
Quand il se réveille à nouveau, c'est en douceur et avec la sensation d'être en bien meilleure forme physique et mentale. Sans ouvrir les yeux, il essaye de se redresser sur son lit, mais se découvre trop faible pour le faire. Une lumière naturelle chauffe doucement son visage, lui indiquant qu'il est sur Terre, ou une planète de la Fédération similaire à celle-ci.
En ouvrant les yeux, il découvre une chambre d’hôpital comme il en a vu des dizaines : claire, aérée, avec une table surchargée d'hypospays et de compte-rendus. Les murs sont blancs et vides de vie. Le capitaine Pike est laissé là comme à l'abandon en attendant qu'un docteur ne vienne l'examiner. Entre temps, il est libre de paniquer tout son content sur l'état de son navire et de ses hommes.
Il rêve de se réveiller un jour face un message déclarant quelque chose comme « votre vaisseau est intact, vos hommes sont vivants, inutile de vous inquiéter ». Les médecins s'imaginent toujours que la santé d'un patient passe avant son devoir de capitaine envers ceux qu'ils commande et son amour pour le pont qu'il arpente.
En soupirant, Pike tend la main vers un bouton d'alerte situé sur le bord du lit pour signaler qu'il est éveillé. Le bruit qu'il fait en bougeant tire un grognement à une figure assise sur un fauteuil près de son lit. Il ne l'a pas vu en faisant un rapide tour d'horizon de la pièce, trop habitué à se réveiller seul dans ce genre de situation. Aucune femme, aucun parent quelconque ne reste depuis longtemps pour se soucier de lui.
La personne qui occupe le fauteuil s'est recroquevillée dans celui-ci pour dormir dans une position des plus inconfortables. Le bruit qu'a fait Pike l'a réveillé et le jeune homme endormi commençe à s'étirer pour se réveiller, révélant au capitaine la figure légèrement tannée par le soleil et les cheveux blonds de Jim Kirk. En clignant des yeux pour les forcer à rester ouverts, le jeune homme se tourne vers le lit pour voir quel bruit l'avait réveillé. Il a un grand sourire en voyant Pike l'observer tout en se redressant sur ses coudes.
« Capitaine !, s'exclame-t-il, ça fait plaisir de vous voir réveillé !
-Croyez-moi cadet, je partage ce plaisir, répond Pike d'un air imperturbable. Et maintenant dites moi comment va l'Enterprise. Vous et Spock me la rendez en bon état j'espère ?
Le regard du jeune homme se remplit de culpabilité.
-Scotty dis qu'il faudra bien trois à six mois pour la remettre en état.
Le cœur de Pike se fige d'horreur. Est-ce que la bande de gamins qu'il avait sous ses ordres avait réussi à endommager à ce point son vaisseau en quelques heures ? Il fallait à tout prix qu'il mette la main sur un rapport.
-Bon sang cadet !, s'écrie-t-il, qu'avez vous pu faire pour la mettre dans un tel état ?
Kirk est incapable de soutenir son regard et marmonne une réponse dans laquelle Pike ne réussit à saisir que les mots ''trous noir''. Il s'apprête à demander des éclaircissements – il n'arrive pas à imaginer une seule raison valable d'approcher son vaisseau d'un trou noir – quand un docteur et deux infirmières pénétrèrent dans la pièce. Le jeune cadet en profite pour s’éclipser. Au moment de passer le pas de la porte, il se retourne toutefois et se mettant au garde à vous déclare au capitaine :
-Je prends toute la responsabilité de ce qui est arrivé à l'Enterprise et à son équipage, monsieur. »
Pike n'a pas le temps de s'interroger plus en avant sur ces paroles. Il passe les heures qui suivirent à tenter de faire avouer aux médecins qui viennent l'examiner ce qui ne va pas chez lui. Le premier médecin arapidement froncé les sourcils en l'examinant et appelé deux collègues à sa rescousse. Ils ont alors examiné en chuchotant chaque feuillet qu'ils avaient devant eux ainsi que le tableau indiquant son état au dessus de son lit sans daigner répondre à ses questions. Pike finit par s'endormir à nouveau, épuisé et toujours un peu assommé par les médicaments.
Il se réveille à nouveau en pleine nuit. Le fauteuil à ses côtés est vide, mais, de l'autre côté du lit, une silhouette est assise très droite sur une chaise à l'air inconfortable. Dans la semi-obscurité, Pike ne distingue pas les traits de l'homme. Il est légèrement plus grand et moins large d'épaules que Kirk, et sa tête repose sur sa poitrine qui se soulève légèrement au rythme de sa respiration.
En s'accoutumant à l'obscurité, Pike reconnaît Spock. Une bouffée de colère l'envahit. Était-il donc en si mauvais état que ces deux gamins qui avaient abîmé son navire se sentent obligés de le veiller toutes les nuits ?
Le capitaine se retient toutefois de réveiller le jeune homme pour lui ordonner d'aller coucher ailleurs. Il l'a chargé de commander l'Enterprise, et le semi-vulcain devait être submergé de travail. Il pourrait toujours lui demander des explications à son réveil. Pike essaye de se rendormir, en vain. Il tente de bouger sans faire de bruit pour essayer d'estomper la douleur qu'il ressent dans ses jambes, mais en est incapable. Il doit donc se contenter de regarder les ténèbres de la pièce s'éclaircir tandis que le soleil se lève. Finalement, il sent le sommeil venir et ferme les yeux.
C'est à ce moment là que la porte s'ouvre le plus doucement possible. Entrouvrant un œil, Pike voit Kirk entrer. Il prend la décision de faire semblant de dormir. D'expérience, il sait qu'on en apprend parfois bien plus quand les gens ne savent pas que vous les écoutez. Il voit Kirk s'approcher de la chaise de Spock et lui secouer légèrement l'épaule pour le réveiller. Celui-ci redresse aussitôt la tête et retrouva une posture droite et éveillée digne d'un vulcain.
« Hey Spock, le salue Kirk en chuchotant. Vous avez rattrapé votre quota ?
Le demi-vulcain le regarda en fronçant les sourcils.
-Je crains de ne pas comprendre cette expression, répond Spock en chuchotant également. Et je pense avoir plus urgent à faire que d'essayer de comprendre vos circonvolutions de langage.
-Quelqu'un s'est levé du pied gauche aujourd'hui. Et oui, c'est une expression aussi, je vous ferais un dictionnaire un de ces quatre, entre une rédaction de rapport et une réunion de crise. Comment va Pike ?
-Toujours endormi.
-J'ai fait promettre à Bones de passer tout à l'heure. Il pourra peut-être faire plus.
-Toute la compétence du docteur McCoy ne sera peut être pas suffisante. Il n'est pas logique de mettre trop d'espoir en lui.
-Allez dire ça à un terrien, répond Kirk avec un sourire à moitié amusé.
Pike doit s'avouer surpris. Même s'il avait pensé en leur confiant son vaisseau qu'ils pouvaient faire une bonne équipe, il est étonné de ne pas les voir encore se contempler comme deux chiens s’apprêtant à égorger l'autre.
« Je prend la relève, poursuit Kirk. Je veux parler à McCoy de toute façon. Allez dormir ou méditer, ou ce que font les vulcains.
-Un peu de repos supplémentaire me feras du bien, reconnait Spock en se levant. Je dois toutefois finir mon rapport d'abord.
Kirk l'arrête alors qu'il s’apprête à sortir de la chambre en saisissant son bras. À la grande surprise du capitaine, Spock ne rejette pas ce contact physique, lui qui en a horreur la plupart du temps comme tous les vulcains.
-Je vous ai envoyé mon rapport sur... tout ce qui s'est passé. Vous l'avez...
-Lu avec la plus grande attention. Il doit encore être complété toutefois, vous avez omis des détails.
-Vous étiez émotionellement compromis Spock. Savoir ça devrait suffir à l'amirauté. Sinon, ils n'auront qu'à vous demander des précisions. Mais croyez-moi, étant donné les circonstances, ils ne vous demanderont rien.
La posture de Spock trahit ses doutes face à la proposition de Kirk. Celui-ci soupire.
-Il y a une distinction entre mensonge et préservation de sa vie privée Spock. Je le sais, et l'amirauté aussi. Il est hors de question que je rajoute une ligne à ce sujet à mon rapport. Restez avec Pike une minute d'accord ? Je sens que je vais avoir besoin d'un café bien corsé pour commencer ma journée. »
Spock reste figé au milieu de la pièce, un air d'incertitude sur le visage. Son capitaine n'a jamais vu pareille incompréhension chez son subordonné. Il envisage quelques secondes de montrer qu'il est éveillé et de parler avec le jeune demi-vulcain. Mais il sent le sommeil venir, et il remet sa conversation avec Spock pour plus tard.
Les jours suivants, il n'a guère l'occasion de parler avec Spock, pas plus qu'avec Kirk. L'essentiel de ses visiteurs sont des médecins venant voir comment se remettaent ses jambes et sa colonne vertébrale. McCoy lui a annoncé tout de go dès sa première visite qu'il ne marcherait plus jamais sans une cane ou un fauteuil roulant et que sans lui il serait probablement resté paralysé à vie. Pike ne peut que se féliciter d'avoir eu l'un des meilleurs chirurgiens de la Fédération à bord de l'Enterprise. Une fois le docteur McCoy rassuré sur son état, il lui accorde la permission de recevoir du monde. À ses grommellements, Pike comprend qu'il avait pu réussir à empêcher l'amirauté de troubler son repos mais que Spock et Kirk avaient été une toute autre paire de manches.
Entre deux séances de rééducations, Pike reçoit la visite d'une bonne partie de l'amirauté demandant à écouter son rapport. C'est en analysant leurs questions qu'il comprend peu à peu ce qui c'était passé à bord de l’Enterprise après son départ : l'échec à sauver Vulcain, l'abandon de Kirk pour insubordination, son retour à bord par un usage jamais tenté de la téléportation, la reconnaissance par Spock de la détresse émotionnelle dans laquelle la perte de Vulcain l'avait plongé et enfin la réussite par les deux jeunes hommes d'un plan voué à l'échec pour empêcher la destruction de la Terre.
Tout cela laissait beaucoup à penser au convalescent. Il peine à associer l'image des héros qu'on lui présentait aux deux hommes qu'il avait laissé sur le pont de l'Enterprise. Bien sûr, il a toujours vu un énorme potentiel chez Kirk, mais c'était différent d'imaginer l'avenir d'un homme et de le voir accompli. À vingt-cinq ans, Kirk a montré plus de sang-froid et d'humanité dans le rôle de capitaine que bien des hommes à la fin de leur carrière. L'amirauté, les officiers de la Starfleet, les médias, le personnel de l'Enterprise, la Fédération entière semblent patauger à chercher la bonne façon de les traiter. Pike a l'impression que plusieurs amiraux désiraient rendre responsables Spock et Kirk de tout ce qui avait mal tourné dans la mission de sauvetage de Vulcain, sans croire vraiment à pouvoir rendre ce désir possible. À vrai dire, Pike lui-même ne sait plus trop comment percevoir les deux jeunes gens.
Il a sa réponse la fois suivante où il les voit, deux semaines après son réveil alors qu'il profite du soleil des jardins de l’hôpital dans son fauteuil roulant. Les deux jeunes gens, vêtus de leurs habits de cadets, s'approchent de lui d'un pas imperturbable pour le vulcain et reluctant pour l'humain. Ils ont l'air fatigué, amaigri même dans le cas de Kirk. Le manque de sommeil marque le visage du jeune homme qui doit suivre ses derniers cours à l'académie en plus de remplir des rapports et de répondre aux questions des commissions d'enquête.
Tout dans leur posture trahit pour Pike à quel point ils sont gênés face à lui. Il a l'impression de se retrouver face à deux gamins retrouvés la main dans un pot de confiture et le visage tout barbouillé. Pour la première fois depuis la destruction de Vulcain il a envie d'éclater de rire. Il fronce pourtant les sourcils d'un air sévère.
« Et bien messieurs, commence-t-il, j'ai cru comprendre que vous en avez fait subir de belles à mon vaisseau.
La honte face au reproche se lit sur la figure de Kirk tout entière et dans les yeux de Spock. Cette fois, Pike ne contient pas son sourire.
-Je suis très fier de vous deux. Vous avez dû affronter un véritable Kobayashi Maru et l'avez battu avec les pires cartes en main. Vous pouvez être fiers de vous.
À ces mots, la posture de Kirk se fait plus droite, comme s'il accepte enfin les honneurs qu'on lui faisait. Spock ne montre aucune émotion, mais Pike imagine qu'il ressentait la même chose.
-Soyez fiers de ce que vous avez accompli, du nombre de personnes que vous avez sauvé, poursuit-il d'une voix sévère. Ne vous dites pas que vous n'en avez pas fait assez, que vous auriez dû sauvé plus de monde. On peut battre un scénario sans victoire, mais jamais sans pertes. C'est une vérité difficile qu'il vous faudra accepter si vous voulez devenir de bons officiers. Votre travail d'équipe a sauvé une planète entière, même si nous sommes hélas arrivé trop tard pour en sauver une autre. Et ne vous sentez pas coupable pour moi non plus. J'étais déjà officier quand vous traîniez dans les jupes de vos mères, je suis capable de prendre mes décisions et d'en assumer les conséquences.
Un petit sourire se dessine sur les lèvres de Kirk.
-Pourtant on dirait que vous avez encore besoin d'une nourrice pour vous surveiller. McCoy vous couve des yeux comme le chaton le plus faible de sa portée. N'est ce pas Spock ?
-Je crois me souvenir d'avoir vu le docteur agir de la même manière envers vous quand vous avez réussi à vous foulez la cheville la semaine dernière en examinant l'avancement des réparations, répond Spock imperturbable.
-Cet homme a un problème, grommelle Kirk. On ne devrait pas le laisser s'approcher d'un patient si c'est pour qu'il le traite de la sorte.
-Fascinant. Vous faites tout pour éviter le moindre contact avec le docteur alors que vous en avez besoin, et pourtant vous êtes si peu soucieux de votre sécurité que vous finissez par aboutir chez lui de toute manière. Les contradictions humaines sont fascinantes. »
Kirk répond par un reniflement moqueur et un sourire en coin. Après cela, sans laisser à Pike le temps d'essayer d'analyser le dialogue dont il venait d'être témoin, le cadet commence à énumérer les dégâts faits à l'Enterprise, les réparations déjà effectuées et celles à venir. Chaque fois qu'il semble hésiter, Spock complète les données. À eux deux, ils fournissent de mémoire au capitaine un rapport plus détaillé que tout ce que l'ordinateur avait pu lui fournir.
La conversation toute entière lui parait après coup hilarante, sans qu'il comprenne très bien pourquoi. Il y avait quelque chose de presque comique à les voir finir la phrase l'un de l'autre par moment avant de s'écharper verbalement car leurs vues sur un point du rapport était diamétralement opposé. Comme un vieux couple murmure une pensée insidieuse dans le cerveau de Pike. Il ne prend pas le temps de s'attarder sur cette pensée, son esprit se dirigeant à nouveau vers l'Enterprise et son équipage.
De voir le navire entre les mains attentives de Kirk et Spock, il peut désormais accepter la réalité. Il ne remontera pas sur le pont d'un navire spatial avant au moins un an, plus probablement cinq. De longues années de thérapie et de travail de bureau l'attendent. On ne peut cependant pas laisser un navire neuf et moderne sans capitaine pendant tout ce temps, surtout après les pertes que vient de subir Starfleet. En tant que capitaine de l'Enterprise, Pike pouvait proposer un remplaçant à l'amirauté. La veille encore, il était arrivée à la conclusion que Spock ne pouvait pas diriger l'Enteprise – trop inexpérimenté, trop rigide – et il s'était à moitié résolu à laisser la belle dame entre des mains étrangères.
D'un coup une nouvelle solution apparaît devant ses yeux. Le capitaine Kirk, héros, fils de héros et âme intrépide et instinctive, secondé par le vice-capitaine Spock, héros, esprit analytique et froid. Un duo improbable mais qui, à sa grande surprise en le redécouvrant après la destruction du Nerada, semblait fonctionner. Il comprend maintenant qu'une partie de l'amirauté avait probablement cette idée en tête quand les dirigeants de la Starfleet l'avaient interrogé sur les deux jeunes gens. Ce serait une mesure désespérée, mais peut être la plus inspirée que la Starfleet pouvait prendre.
Le lendemain, quand il commence à émettre la suggestion à l'amiral Archer, celui-ci soupire. Il hésite, puis se montre terriblement sincère avec le capitaine.
« Je préférerai personnellement avoir quelqu'un sur qui me débarrasser de tout cet embrouillamini. Nous avons besoin d'un responsable mais Nero est mort et vous avez été incapacité trop tôt dans l'action pour être le bouc émissaire qu'il nous faut. Spock est vulcain, et le sentiment général de pitié pour les Vulcains ces temps-ci le protège également. Kirk est le responsable idéal : trop jeune, tête brûlée, insolent...
-Je m'étonne alors de ne pas encore avoir reçu son avis d'arrestation, répond Pike d'un ton pince sans rire.
Archer grimace et le fusille du regard.
-Ce serait fait depuis plus d'une semaine si ça ne tenait qu'à moi. Mais quelqu'un l'a offert à la presse sur un plateau d'argent. Vous n'avez pas suivi les médias depuis votre réveil ?
-J'évite autant que possible, amiral. La vérité est rarement telle que les médias la proclame et je n'ai pas très envie de voir comment ces vautours utilisent l'incident du Nerada.
-Et bien la prochaine fois tenez-vous mieux informé. Un petit malin a jugé bon de déclarer à un journaliste que Kirk et Spock avaient sauvé la situation. Maintenant tous les médias encensent Kirk comme le, et je cite « le héros dont Starfleet avait besoin ».
Pike retient un sourire amusé.
-Je vois en effet en quoi cela gêne vos plans. Qui a vendu la mèche ?
-Nous n'en avons pas la moindre foutue idée, reconnait Archer en laissant sa colère percer. Nous avons fait interroger l'équipage au grand complet, mais ils ont tous l'air sincère quand ils disent qu'ils n'ont rien dévoilé. Comme leurs communications étaient sous surveillance pour empêcher que la presse soit informée et qu'eux même sont soumis au silence jusqu'à la fin de l'enquête, j'ai tendance à les croire. Mais alors qui ?
-Qu'allez vous faire alors ?
-Nommer Kirk capitaine de l'Enterprise avec Spock pour second s'il ne quitte par la Starfleet pour aider les Vulcains à se reconstruire un foyer et une civilisation. Dans ce cas nous trouverons un vieux briscard pour le surveiller et l'empêcher d'accumuler les bêtises. Si Spock reste... Et bien, en six mois maximum ils auront prouvé qu'ils sont loin d'être prêt pour le commandement et on leur donne un poste de lieutenant sur un vaisseau moins important de la flotte. Quand à vous, vous serez nommé amiral. On ne peut pas promouvoir ces deux là sans leur chef. De toute façon, vous l'auriez probablement été d'ici quelques années. »
Le capitaine Pike approuve les décisions de l'amirauté, puis remercie et salue le départ d'Archer. Quand il est parti, il se laisse retomber dans son fauteuil et se prend la tête entre les mains. Son instinct lui dit que les choses ne seront pas tout à fait conforme aux souhaits de l'amiral. Il se demande toutefois qui a bien pu contacter les médias – un geste osé, mais intelligent selon lui – et si l'on découvrirait son identité. Ses pensées dérivent vers Kirk et Spock et il sourit. Ces deux là allaient être un phénomène très intéressant à surveiller de loin, il le sentait. Il ne peut pourtant s'empêcher de s'inquiéter pour eux. Assister à une telle catastrophe que la destruction de Vulcain – et Pike a lu le dossier de Kirk, il sait que le jeune homme a déjà vu des choses qu'aucun homme ne devrait voir ou vivre – ne peut hélas que laisser des traces terribles.
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CHRISTINE
La cérémonie de graduation des cadets qui a lieu six semaines après la destruction de Vulcain est la plus sinistre à laquelle Christine ai jamais assistée. Les cadets sont désespérément peu nombreux à se tenir au garde à vous sur la pelouse de l'académie, devant le drapeau en berne. Chacun d'eux porte un brassard noir en commémoration de leurs camarades de promotion décédés.
Ce n'est pas normal, ne peut-elle s'empêcher de penser. Sa propre graduation l'année précédente a été un moment joyeux. Mais là, la moitié de la promotion a les yeux baisés, manque de sommeil, ou porte les cicatrices des combats. Christine se rappelle un livre qu'elle a lu longtemps auparavant, qui parlait de générations sacrifiées. Ces gens-là étaient partis enfants et étaient revenus adultes. Ils avaient des rêves, mais désormais des cauchemars les hanteront longtemps.
Christine n'a pas toujours voulu aller dans les étoiles. La vie sur Terre lui plaît. Elle est peut-être moins excitante, mais Christine est une fille qui a les pieds sur Terre. Elle sait que l'on a autant besoin de médecins sur Terre que dans l'espace, que les gens se blessent et tombent malade aussi facilement et bêtement ici que là bas. Alors, même si des aventures peuvent perturber le quotidien quand on travaille dans un vaisseau ou une base spatiale, la vie d'une infirmière ne change pas vraiment. Elle reste faite de bandages, de patients récalcitrants, de fatigue, de pertes également.
On meurt dans l'espace aussi bien que sur Terre.
Si Christine a décidé de rejoindre Starfleet, c'est que l'homme qu'elle aime y est depuis plusieurs années et qu'elle refuse que l'espace les sépare. Elle avait déjà plusieurs années d'études d'infirmière derrière elle et la Starfleet avait accepté sa candidature. Quatre ans de mise à niveau et elle avait été envoyée sur une base spatiale. Roger était sur un vaisseau d'exploration, elle ne le voyait donc pas davantage, mais elle se préparait à demander sa mutation dès que possible pour le rejoindre. Un an après avoir rejoint le service actif de la Starfleet, elle pouvait voir qu'elle avait eu raison d'un bout à l'autre : être infirmière dans l'espace était absolument identique au même métier sur Terre.
Aujourd'hui, pour la première fois, elle était heureuse d'avoir choisi cette carrière. Enfin, heureuse n'était pas le terme exact. Mais avec ce qui c'était passé sur Vulcain, ce qui avait failli se passer sur Terre, sa vision du monde avait changée. L'espace était un lieu dangereux. Ceux qui y partaient avaient besoin de personnel qualifié pour protéger leurs vies. Christine était compétente, ne paniquait pas sous le stress et plus important encore savait comment réagir face à des malades et blessés aliens. Sans être xénophobes, de nombreux médecins terriens étaient incapables de présager les réactions psychologiques d'aliens face à des blessures ou en détresse mentale. Elle en était capable. Et maintenant que la Fédération venait de perdre une partie de son personnel médical, elle avait d'autant plus besoin de personnel qualifié comme Christine. Si elle n'avait pas déjà été membre de la Starfleet au moment de la destruction de Vulcain, la jeune femme était quasi-certaine qu'elle se serait engagée immédiatement après.
Et aujourd'hui elle se tient droite dans son uniforme officiel, à écouter pour la seconde fois en deux mois la liste interminable des cadets de dernière année morts dans l'exercice de leur devoir. Christine se dit que si elle s'était engagé un an plus tard, si elle avait été assignée à un vaisseau au lieu d'une station, son nom serait peut être parmi les morts. Cette connaissance lui donne un devoir envers les morts : celui de protéger ceux qui restent.
La voix de l'officiel récitant la liste s'est tue, et un silence respectueux se fait dans l'assemblée. Après de longues minutes, la voix entame une nouvelle liste, celle des cadets diplômés. Contrairement à l'an passé, il n'y a aucun discours de félicitation, pas de logorrhée interminable sur l'espoir que portent ces nouveaux officiers. Ce seraient des discours vides de sens aujourd'hui.
Certains des nouveaux officiers présents au premier rang portent une médaille, mais la cérémonie a eu lieu en privée, sans caméra ni témoins, avec pudeur. Christine se souvient des cérémonies après les massacres de Tarsus IV. Un même silence respectueux s'était fait. Une cérémonie de remise publique de médaille pour le héros du jour est toutefois prévue plus tard dans la journée.
Quand l'énumération des diplômés se termine, tout le personnel de la Starfleet présent se met au garde à vous. Enfin, l'interminable cérémonie s'achève. Christine quitte les gradins avec un soulagement certain. Se tenir en plein soleil à midi n'est guère agréable.
Les étudiants, anciens et nouveaux, se répartissent en petits groupes sur la pelouse du campus. Christine reconnaît une coiffure blonde familière et bientôt Janice Rand lui tombe dans les bras.
« Pas trop déçue ? Lui demande-t-elle en lui rendant son étreinte.
-Non, répond Janice. Je m'y attendais. Mes résultats ont toujours été trop justes pour que j'espère devenir sous-officier. Je vais avoir un poste de yeoman troisième classe et je m'élèverai dans la hiérarchie à force d'expérience, voilà tout. »
Christine sourit à son amie. Elle aime cette confiance à toute épreuve que manifeste Janice envers l'avenir. La jeune femme n'est peut être pas brillante – elle avait mis cinq ans à finir le cursus de la Starfleet pour devenir sous officier –, mais travailleuse et déterminée et aux yeux de Christine, elle vaut en cela beaucoup mieux que la plupart de ces génies nouvellement diplômés. Elle n'a pas de doute qu'un jour elle deviendra un bon officier. Mais sa cadette doit encore progresser.
« Il faut que je te présente à quelqu'un, continue Janice.
-Encore un garçon dont tu est tombée amoureuse ?
-Non, pas du tout, répond Janice en rougissant. Pourquoi est-ce que les gens s'imaginent de suite...
-Parce que quand tu as cette tête c'est que tu est tombée amoureuse.
Janice s'arrête et fait face à son amie, l'air terriblement sérieuse.
-Je n'en suis pas amoureuse. Je suis beaucoup de chose, mais pas idiote au point de tomber amoureuse de cet homme. D'accord, il me fait de l'effet, mais je n'ai pas encore rencontré une seule fille à qui il ne fasse pas ça.
-Qui est-il alors ?
-C'est l'homme qui sera mon capitaine, déclare Janice d'une voix solennelle.
-Tu as déjà eu ton affectation ? Il faut quelques jours d'habitude.
-On est déjà plusieurs à l'avoir reçu depuis ce matin. Avec ce qui c'est passé, le commandement a accéléré le processus. Ils ont besoin qu'un maximum de nouveaux officiers et sous-officiers soit capable de remplacer des officiers plus chevronnés le plus rapidement possible.
C'était logique. La fédération devait montrer sa force à ses adversaires pour qu'ils ne soient pas tentés d'envahir ses frontières. Elle avait donc besoin d'officiers expérimentés pour prendre en main les vaisseaux qui lui restait. Les officiers nouvellement promus, comme Janice, allaient combler les trous. Christine elle même risquait de recevoir des propositions de mutation pour pallier aux besoins les plus urgents. Même si cela éloignait encore ses espoirs de rejoindre son fiancé sur son vaisseau, elle accepterait. La situation était trop grave.
-Mais non, ça ne va pas être mon capitaine. J'ai reçu mon affectation ce matin en même temps que mes résultats. Je suis affectée sur l'USS Asimov. Je ne connais même pas le capitaine de nom. Non, celui que je vais te présenter c'est l'homme qui sera un jour mon capitaine. Je ferais tout ce qu'il faut pour !
Christine éclate de rire.
-Et bien, on peut dire qu'il t'a fait de l'effet ! Donc, tu n'est pas amoureuse, mais tu veux servir à tout prix sous ses ordres. Qui est-ce donc pour que tu ai déjà une telle dévotion envers lui ?
-Je l'ai rencontré l'an dernier durant un exercice commun, confie Janice en souriant. C'est quelqu'un... J'ai tout de suite qu'il deviendrait quelqu'un d’exceptionnel. Il y avait quelque chose, tu sais... dans son regard. Et bon, la suite a prouvé que je ne me trompais pas. Même si j'aurai préféré que rien de tout ça n'arrive. »
Christine est soudain prit d'un affreux soupçon. Avec sa veine, Janice doit forcément être en train de parler de la dernière personne à qui Christine souhaite s'adresser aujourd'hui, ou même tout autre jour. Il lui faut à tout prix savoir le nom de cet homme.
Tout en parlant, les deux jeunes femmes se sont frayées un chemin à travers la foule tout en parlant. Janice tape sur l'épaule d'un jeune homme blond qui parle avec animation avec une jeune femme noire très belle. Il se retourne et Christine réprime un mouvement de recul et un froncement de sourcil.
Bien sûr, son instinct était juste. Le crush monumental que Janice avait développé sans le lui dire durant l'année écoulée au cours de leurs conversations longue distance était Jim Kirk. Celui-ci leur offrit le sourire éclatant qu'il affichait en permanence quand Christine l'avait rencontré. Janice le salue joyeusement et son aînée voudrait la prendre par le bras et la forcer à reculer. Son sourire sonne faux. Il n'atteint pas ses yeux.
« Content de te voir Janice, salue Kirk en faisant rougir la jeune blonde. Alors ? Diplômée ?
-Avec le rang de Yeoman de troisième classe. Je ne pouvais pas espérer mieux, alors je suis contente.
-Fantastique ! Tu me présente ton amie ? »
Christine ne se sent même pas capable d'un mouvement outragé. Elle est à peu près certaine que la question est sincère, que le cadet – l'ancien cadet plutôt – ne se souvient pas d'elle. Son manque de réaction quand Janice prononce son nom le confirme.
Tout en serrant la main du nouvel officier et en prononçant les félicitations d'usage, Christine scrute attentivement le jeune homme des yeux. Le fait qu'il ne se souvienne pas d'elle rend la situation pire encore.
La jeune infirmière aime profondément son fiancé. Ils ne se sont pas vu face à face depuis cinq ans, parlant uniquement via l'intercom, quand le vaisseau de Roger est à portée de transmission. Malgré la distance, son amour est aussi intact qu'à leur rencontre lorsqu'elle avait été séduite par son brillant intellect. Le physique ne l'a jamais intéressé chez un homme, elle préfère l'intelligence posée des hommes murs.
Pourtant, trois ans plus tôt, alors qu'elle était infirmière de garde à l’hôpital de l'académie, elle avait accepté la proposition d'un cadet blessé et légèrement euphorique sous l'effet des sédatifs d'aller boire un verre le lendemain. Elle ne faisait jamais ça. Elle était trop occupée par ses études pour perdre du temps à flirter alors qu'elle était engagée ailleurs.
Mais le jeune homme avait de beaux yeux bleus, un grand sourire charmeur et beaucoup d'humour. Même si il était plus jeune qu'elle de quelques années et un peu trop grande gueule pour vraiment lui plaire, elle avait accepté. Christine aurait du se douter dès le départ que c'était une erreur mais, d'après les rumeurs du campus, elle croyait le jeune homme en couple. Le terme de « couple » se dit-elle plus tard était peut-être un peu exagéré pour un garçon qui ne désirait pas que ses amours durent plus de quelques jours.
Une fois qu'elle avait accepté d'aller boire un verre avec Jim Kirk, Christine n'avait pas pu empêcher la suite. Elle s'était amusée, avait trop bu, s'était laissé reconduire chez elle, avait invité le jeune homme à monter... Le matin venu, il était parti et la jeune femme était restée seule pour regretter son acte et maudire le séducteur qui ne l'a jamais recontactée et aujourd'hui ne se souvient même plus d'elle. Durant les deux années suivantes, avant que Christine ne soit diplomée et ne rejoigne les étoiles, elle l'a croisé une fois ou deux tandis qu'il rejoignait son ami le docteur McCoy. Il ne lui a jamais prêté la moindre attention. Il s'est conduit en tout point comme un mufle songe Christine, pas pour la première fois.
En vérité, elle était tout aussi coupable que Kirk. Même si elle avait trop bu, elle était consciente de ses actes et consentante. Lorsqu'il avait commencé à l'embrasser, la première pensée de Christine avait été pour son fiancé, mais elle l'avait volontairement mise de côté. Consciemment ou non, elle en voulait à Roger d'avoir toujours mis sa carrière avant leur couple, la forçant à courir pour le rattraper. Ce soir-là, elle avait voulu lui faire du mal. Par la suite, elle avait pourtant été incapable de lui avouer qu'elle l'avait trompé. Elle avait honte d'elle, et trop peur de le perdre en lui disant la vérité.
Christine se l'avoue tout en faisant semblant de suivre la conversation entre Janice et le héros du moment, elle voudrait pouvoir porter toute la faute sur le jeune homme. Mais il n'y a pas eu de vil séducteur, seulement un acte consenti mutuellement entre deux adultes consentants. Elle a juste été l'une des premières sur la longue liste des femmes auprès desquelles Kirk a papillonné au cours de ses études. En deux ans, Christine a du réconforter beaucoup trop d'amies persuadées qu'elles seraient celle qu'il aimerait vraiment. Elle en était venue à l'accabler de tous les maux parce qu'il était plus facile de haïr et mépriser quelqu'un d'autre que soi-même.
Tandis que Janice explique par le détail et avec beaucoup d'enthousiasme ses résultats au jeune homme, Christine se mit à scruter le visage de ce dernier avec attention. Elle avait du mal à réunir l'image du jeune homme insouciant avec qui elle avait eu une aventure d'une nuit trois ans plus tôt et celle du héros que la Fédération encensait depuis six semaines.
Le sourire qu'il adresse à Janice manque décidément de spontanéité et de chaleur songe Christine. Cependant, la façon dont il se tient, bien droit, le regard attentif qu'il affiche tout en écoutant la jeune fille dénotent un sérieux qui était absent chez lui lorsque Christine l'a rencontré. Elle ne peut qu'espérer que ce sérieux nouvellement acquis l'empêche de jouer avec les sentiments de Janice. Celle-ci quoi qu'elle en dise, est désespérément amourachée du jeune héros. Elle ne sait pas si cet amour remonte plus loin que l'assaut du Narada sur la Fédération mais elle serait soulagée d'apprendre que les deux jeunes gens sont affectés à des bâtiments différents de la flotte.
« Christine Chapel ?
En entendant son nom, Christine détourne son regard de Kirk et de Janice et se retrouve quasiment nez à nez avec le docteur McCoy.
-Bonjour docteur.
-J'ignorais que vous étiez sur Terre, s'étonne celui-ci en lui serrant la main d'un geste plein de son affection bourrue coutumière.
-Je suis rentrée pour voir ma famille il y a quelques jours. Je me suis dit qu'avant de repartir je pouvais consacrer une journée à venir féliciter quelques amis pour leur promotion.
-C'est un plaisir de vous revoir en tout cas. Tout se passe bien pour vous dans votre boite de conserve spatiale ? »
Christine entreprend de raconter au docteur quelques anecdotes sur la vie d'une infirmière dans une station spatiale. Ils dévient rapidement sur les maladies qu'elle a pu observer là-haut et ce qu'elle pense de son travail. L'infirmière est ravie de pouvoir partager son opinion avec le docteur McCoy. De tous les docteurs avec qui elle a pu travailler, c'est un de ceux qu'elle respecte le plus pour son intelligence, son dévouement pour ses patients et son éthique.
« Avez-vous déjà reçu votre affectation docteur ?, finit-elle par demander quand la conversation finit par s'épuiser.
-Pas encore. Je n'arrive pas à décider ce qui serait le pire. Se retrouver coincer dans une station spatiale ou dans un vaisseau. J'imagine que c'est trop demander que de rester ici à effrayer les nouvelles recrues. Bon sang, je préférerais même donner des cours plutôt que de me retrouver dans l'espace !
-Mensonges Bones, s'exclame Kirk d'un ton joyeux en se joignant à la conversation. On sait bien que tu t'injecterai la peste bubonique plutôt que d'enseigner à des cadets « ignares et dangereusement incompétents », je te cite !
-J'ai été obligé de participer à ta folle aventure depuis, grommelle McCoy. Rien ne peut être pire que ces quelques minutes à échapper à un damné trou noir en formation. »
Christine ne peut retenir un frisson. Il ne circulait que des rumeurs sur ce qui s'était passé à bord de l'USS Enterprise, des rumeurs souvent abracadabrantesques mais la réalité semblait être plus incroyable encore. Elle n'aurait voulu vivre ça pour rien au monde.
Janice semble hésiter à presser les deux hommes de questions. Mais elle se retient, réalisant que l'amirauté leur a sans doute ordonné de garder le silence sur la plupart des détails, au moins le temps que les amiraux aient épluché tous les rapports. Un silence gêné s'installe entre les quatre participants à la discussion.
C'est un jeune vulcain en qui Christine reconnaît Spock, l'autre grand héros du jour, qui vient clore ce silence. Il est accompagné des autres protagonistes de la défaite de Nero, tous portant sur leur torse la médaille des actes de bravoure exceptionnel. De fait, seul Kirk ne la porte pas. Christine est épouvantée par leur jeunesse qu'elle avait déjà réalisée en voyant leurs visages aux informations. À l'exception du docteur et d'un autre homme, aucun de ces hommes et femmes n'a plus de vingt cinq ou vingt six ans.
Pourquoi, se demande-t-elle, a-t-il fallu qu'un destin si lourd se pose sur les épaules de ces jeunes gens ? Elle même du haut de ses presque vingt huit ans se sent encore terriblement jeune et inexpérimentée. Ces héros félicités par tous ressemblent à des enfants qu'on a forcé trop vite à devenir adultes. Tout, de leur façon de bouger à leur regard trahissaient cette incertitude face à ce qui leur était arrivé.
« Déjà l'heure ? Et bien j'imagine qu'il est tant d'y aller. Ravie de vous avoir vu, Janice, miss Chapel. »
Après un rapide salut, Kirk s'éloigne, suivi de près par ses compagnons. Christine les suis du regard et comprend rapidement que les jeunes gens circulent en groupe serré tout en faisant mine de discuter pour éviter les quelques journalistes acceptés sur le campus pour retranscrire la cérémonie. Depuis qu'ils ont posé le pied sur Terre après la destruction du Nerada ils doivent sans nul doute être la proie des journalistes en quête de l'interview choc des héros.
De dos, protégé des importuns par McCoy et les autres, Kirk parut soudain fragile à Christine. S'il s'était tenu fier et droit en parlant avec Janice, donnant l'image du parfait héros à tous, lui et Spock semblent maintenant profiter de cet écran protecteur pour s'effondrer un instant. Christine n'a pas envie d'apprécier Kirk, mais elle ressent soudain de la pitié pour lui.
Janice la détourne de ses pensées en s'excusant de la quitter. Comme toute sa promotion, elle est conviée à assister à la remise de médaille malgré le fait qu'elle n'a pas participé aux événements. La jeune femme était malade ce jour-là, ce qui lui a probablement sauvé la vie. En dehors de cette maigre promotion de survivants, seuls quelques officiels de la Fédération et journalistes ont reçu une invitation.
Christine embrasse donc son amie au front soudain voilé de tristesse et part à la recherche d'autres connaissances présente dans la foule.
Traditionnellement, la cérémonie de graduation se termine par un buffet auquel la presque totalité des officiers de la Starfleet présents sur Terre assistaient. C'est l'occasion pour eux de « faire leur marché » comme en plaisantent les cadets. Les meilleurs cadets de la promotion se font aborder par des capitaines et chefs de départements à la recherche de la perle rare pour servir sous leurs ordres.
Tout en se faufilant entre quelques groupes pour se procurer un verre au buffet le plus proche, Christine surprend quelques potins auquel elle ne prête pas attention. Mais tandis qu'elle se sert, le nom de Kirk lui fait dresser l'oreille.
« Après ce qu'il a fait pour arrêter le Narada je m'attendais à ce qu'il soit récompensé bien sûr, déclarait un homme qui tournait le dos à Christine. Mais de là à ce qu'ils le nomment capitaine, et de l'Enterprise en plus ! Le fleuron de la flotte !
-Tout le monde s'attendait à ce qu'il soit nommé directement second d'un vaisseau. Sincèrement, après le talent qu'il a montré là-haut j'aurais compris et approuvé. Mais là, c'est aller trop loin. Il y a quand même assez d'officiers expérimentés dans la Starfleet pour ne pas nommer un gamin de vingt-cinq ans capitaine. J’attends une promotion depuis trois ans pour devenir lieutenant et lui est propulsé directement capitaine. C'est incroyable. »
Christine s'éloigne, tout aussi estomaquée que l'officier. Trois ans plus tôt Kirk lui a laissé l'impression d'un électron libre incapable d'accepter des responsabilités et avec plus de culot et de je-m'en-foutisme qu'un troupeau d'adolescents. Que l'amirauté lui fasse assez confiance pour lui confier l'Enterprise dans la situation actuelle est incroyable. Autour de la jeune femme, la promotion de Kirk est désormais sur toutes les lèvres. Elle capte des bribes de conversations tout en marchant à grands pas vers les porte-fenêtres donnant sur les jardins de l'académie.
« … Sera jamais à la hauteur.
-Trop jeune !
-Le plus jeune de l'histoire ! Que croyez-vous...
-... Triché au Kobayashi Maru. J'imagine qu'ils ont préféré oublié...
-Pourquoi lui et pas moi ?
-... chouchou de Pike.
-Il craquera sous la pression. Je lui donne pas six mois. »
D'autres voix s’élèvent pour encenser la promotion de Kirk, mais Christine ne les entends pas. Elle est suffisamment dégoûtée des critiques. Certes, elle n'est pas sûre que le jeune héros soit à la hauteur de la situation mais entendre les loups déchirer leur victime par pure jalousie mesquine est quelque chose qu'elle n'a jamais supporté.
Dehors, loin de la foule étouffante, Christine recommence à respirer. Bientôt les invités se répandront sur la pelouse pour profiter de la fraîcheur de cette soirée de début d'été. Pour le moment, elle est seule et profite du silence après une journée à converser avec de vieux amis. Tout en sirotant son verre, la jeune femme se penche à la rambarde de l'escalier.
Contrairement à ce qu'elle pensait, elle n'est pas seule. Au-dessous d'elle, assis sur un banc une personne est assise. À la lumière qui s'échappe par les baies vitrées elle reconnaît Kirk. Il est penché, le dos voûté comme écrasé par une charge trop lourde.
Le premier réflexe de Christine est de partir le plus discrètement possible. Mais la peur qu'il l'entende et voit qu'elle l'avait surpris dans son moment d'abandon la retient. Une curiosité mal appropriée la pousse à se pencher davantage.
Un verre est posé à côté de Kirk, de même qu'une assiette sur laquelle repose une petite pyramide de toasts et d'amuse-gueules. Tous deux sont visiblement intacts. Le jeune homme prend l'un des toast mais est saisi d'un haut le cœur avant même de le mettre en bouche et il le repose avec un dégoût visible même dans l'obscurité. Sa main tremble en le faisant. Kirk l'attrape brutalement et la plaque sur sa jambe, mais le tremblement persiste visiblement.
Christine est infirmière. Elle est entraînée à reconnaître les signes de traumatismes émotionnels et de stress post-traumatique. À quel point, se demande-t-elle, un humain est-il capable de supporter le chaos et les responsabilités quand rien ne l'y a préparé ? Kirk peut être un héros, mais il reste un homme et dresser un piédestal aux gens n'est jamais bon pour eux.
Un bruit de pas fait lever les yeux de Kirk et de Christine. C'est le docteur McCoy, un verre à la main qui se dirige vers son ami. Sous le regard de Christine, Kirk se métamorphose, se redressant d'un coup, ses yeux brillant à nouveau d'une étincelle résolue.
Couverte par la voix de McCoy, Christine s'éclipse le plus discrètement qu'elle le peut. Le lendemain, elle envoie un message au docteur McCoy, autant par conscience médicale que par inquiétude sincère.
« Je sais que ce n'est pas vraiment ma place, mais certains membres de l'équipage de l'Enterprise m'ont paru abattu. Un suivi psychologique a-t-il été mis en place ? »
Le docteur répond rapidement par un laconique « Je contrôle la situation ». Une réponse qui n'est guère rassurante. Aux yeux de Christine
Le feu du combat renforce certaines personnes mais il en brise d'autres. La compassion envahit Christine qui se prend à prier pour que Kirk soit de la première catégorie. Elle n'a peut être aucune amitié pour lui mais à le revoir ainsi, luttant pour montrer à ses amis l'image d'un homme fort dont ils ont besoin tandis qu'il hurle de peur intérieurement, elle se sent prise d'un soudain respect pour lui, et de l'espoir qu'il s'en sorte. S'il ne se pose pas un phaser sur la tempe dans les prochains mois, celui-là est amené à faire de grandes choses songe Christine.