Le prix de la vie
CHAPITRE 1 : LEONARD
La première chose que les gens remarquent à propos du cadet James Tibérius Kirk, c'est à quel point il est en quelque sorte... tangible. C'est comme si sa seule présence rend le monde plus réel, plus palpable. Ce n'est pas du charisme, c'est autre chose. Le charisme, c'est quelque chose que Kirk ne posséderait qu'après la destruction de Vulcain, qu'après qu'il ait pris les reines de l'Entreprise et soit devenu le capitaine responsable et dévoué à ses gens, ses morts et à son navire dont on se souvient désormais.
La deuxième chose que les gens remarquent à propos de James Tibérius Kirk, c'est qu'il aime les gens. Bien sûr, comme tout le monde, il a des affinités avec certaines personnes plus qu'avec d'autres, il déteste quelques cadets et professeurs, en méprise quelques autres... Mais il aime les gens de manière générale, il s'intéresse à eux, aime parler, et davantage encore écouter. Après une semaine à l'académie Starfleet, il connaissait tous les élèves de sa classe par leur nom, leur prénom, et connaissait un peu leur histoire. Au bout d'un mois, tous les élèves de sa promotion s'adressaient à lui pour avoir un renseignement, nouer un contact, savoir à quelle personne s'adresser...
En le connaissant mieux, les gens remarquent d'autres choses. Qu'il est ambitieux, débrouillard, ouvert d'esprit, bagarreur, insolent, fidèle en amitié, volage en amours, intelligent, un peu vain, serviable, amusant et agaçant,... Qu'il possède en somme une flopée de qualités et de défauts.
Ce que les gens qui fréquentent régulièrement Kirk finissent par remarquer, c'est que, s'il écoute les autres parler de leur vie, lui même ne raconte rien de la sienne. Il les connaît tous ces gens, camarades, professeurs, compagnons de beuveries, amants et amantes, mais eux ne le connaissent pas. Même son meilleur ami, le bourru McCoy, qui le connaît pourtant depuis qu'ils sont entrés ensemble à l'académie Starfleet reste souvent figé de stupéfaction en découvrant quelque chose d’insoupçonné chez son ami.
La vérité, c'est que James Tibérius Kirk, cadet de Starfleet âgé de presque 25 ans et fils d'un de ses plus chers héros, est un être infiniment plus complexe et secret qu'il ne le laisse voir au monde, y compris à son ami le plus proche.
McCoy commence à le réaliser petit à petit, au bout d'un an à passer la plupart de son temps avec Jim. Son ami déteste les médecins, déteste être malade ou blessé et abhorre devoir rester allongé dans un lit d'hôpital, il le sait depuis le début. Il déteste aussi devoir prendre des médicaments, et McCoy doit se battre avec lui chaque fois que Jim « oublie » de prendre ses médicaments pour éviter une millième crise d'allergie. Garder le gamin en bonne santé est un combat de tous les instants pour McCoy.
C'est pourquoi il est tout étonné le jour où il découvre sur la table de la petite chambre d'étudiant de son ami une liste soigneusement écrite par la main de Jim. C'est une liste de courses, ce qui n'a rien inattendu chez Jim : celui-ci préfère faire la cuisine lui-même dans sa petite chambre que de goutter à la nourriture insipide que les cuisines de l'académie servent. McCoy est souvent surpris de ce talent caché chez son ami et de la variété des recettes qu'il connaît et qui sont toutes très réussies. Son ex-femme ne cuisinait pas aussi bien, et lui même est incapable de réussir une vinaigrette.
La liste de course en tant que telle ne surprend donc pas McCoy. Ce qui l'étonne, c'est que la liste détaille les apports en vitamines, en minéraux et en nutriments de chaque aliment, et chaque repas que compte préparer Jim cette semaine est également accompagné de calculs précis sur les apports de chaque repas. Les aliments contenant de la vitamine B1, C et du fer sont particulièrement soulignés. Aucun d'entre eux n'est inscrit dans la longue liste d’aliments auxquels Jim est allergique et que le médecin a mémorisé par cœur dès la première semaine de leur amitié. Pourtant, McCoy sait que Jim ne souffre pas de carences alimentaires, et cela lui ressemble peu de prendre à ce point souci de sa santé.
McCoy repose la liste là où il l'a trouvé. Il devine qu'il n'était pas censée la voir, et que Jim doit l'avoir oubliée là sans s'en rendre compte, trop pressé de se rendre en cours. Il a un examen aujourd'hui et le fait qu'il prenne ses études autant au sérieux, alors qu'il a tendance à se laisser aller dans tous les autres aspects de sa vie est une autre chose étonnante chez le cadet. Malgré tout, McCoy se promet d'aborder le sujet avec Jim, en essayant de ne pas le brusquer.
L'occasion se présente quelques jours plus tard, alors que les deux amis savourent une fricassée de poulet aux légumes préparée par Jim alors que le restaurant de l'académie propose ses habituels brocolis insipides et de la viande dont les étudiants refusent d'envisager qu'elle puisse être d'origine animale tant elle est cartonneuse et filandreuse à la fois. L'académie ne sert pas de plats synthétisés aux étudiants. Elle pense, à raison selon le docteur, que cette bande de jeunes gens est incapable de se concocter un menu équilibré de son plein gré et l'académie préfère donc leur imposer de la nourriture qui est peut être équilibrée, mais certainement pas bonne.
« Délicieux, déclare McCoy en finissant de saucer le plat. Si seulement les cuisiniers de l'académie savaient mitonner quelque chose de moitié moins bon.
-Il faudrait déjà qu'ils apprennent des choses plus simples, comme saler la nourriture, ou la laisser cuire juste assez longtemps, ricane Jim.
-Franchement, la nourriture synthétisée manque peut être de goût, mais au moins elle est mangeable et cuite à point. Alors que ce qu'ils nous servent... On préférerait presque sauter un repas parfois !
Il semble à McCoy que le corps de Jim se tend imperceptiblement. Mais c'est peut être lui qui cherche quelque chose d'inexistant chez son ami. Il fait mine de ne rien avoir remarqué et continue.
-Tout ça pour soi-disant nous fournir un repas équilibré, grommelle-t-il. »
Cette fois il en est certain. Ce sujet rend Jim mal à l'aise. Il s'empresse donc de changer de sujet et Jim éclate bientôt de rire en écoutant la mésaventure d'un cadet qui s'est retrouvé à l'infirmerie de l'académie après avoir bu du café sokad, une horreur surcafféinée. L'étudiant, avait passé grâce à cette boisson huit jours à travailler sur un projet scolaire sans boire, manger ni dormir avant de s'effondrer d'épuisement et de faire un choc cardiaque. L'imbécile croyait s'être servi une tasse de thé, et pris dans ses travaux, n'avait même pas réalisé qu'il était anormal qu'il soit capable de tenir autant de temps sans dormir. Jim raconte ensuite sa journée, mais McCoy en est sûr, son ami lui cache quelque chose en rapport à sa santé. Conscient de la gêne que Jim a ressenti dès qu'ils ont frôlé le sujet, il ne l'aborde pas davantage au cours des mois qui suivent. La santé de Jim semble bonne, McCoy ne remarque pas de signes de carences alimentaires chez lui, et se contente de s'étonner de ce souci constant du jeune homme pour son alimentation.
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Deux mois plus tard, peut être trois, McCoy a oublié cette histoire. Il est absorbé par ses études. Le programme de médecine de deuxième année de l'académie est une dureté extrême. Il a passé la première année à apprendre par cœur l'anatomie de toutes les races intelligentes connues par Starfleet, des os aux organes en passant pas les caractéristiques de l'épiderme. Il a du aussi assimiler tous les problèmes qui peuvent affecter un patient humain dans un vaisseau spatial. Cette année, il doit mémoriser les maladies connues des races extra-terrestres et la façon de les soigner. C'est un travail de mémorisation sans fin, d'autant plus que Starfleet demande à ses médecins d'être assez qualifiés en linguistique pour pouvoir poser les questions à un patient pour établir un diagnostic dans sa langue. Le soir, Jim le regarde avec pitié travailler sans repos sur ses notes et s'assure qu'il mange et dorme correctement.
Lui-même est pourtant écrasé de travail. Il a juré de terminer le cursus de Starfleet en trois ans et a pris une dizaine de cours avancés supplémentaires par rapport aux élèves de sa promotion. Jim étant Jim, ce jeune homme brillant qui surprend McCoy par son savoir encyclopédique et pratique dans tous les domaines, il arrive à suivre tous ses cours sans perdre la tête et le sommeil tout en restant tête de sa classe. McCoy sais que ces professeurs pensent le faire passer dans la classe supérieure d'ici quelques mois. Décidément, le gosse ne cessera de l'impressionner.
D'habitude, Jim et McCoy travaillent ensemble chacun de leur côté dans la chambre du second. Elle est plus grande et plus aérée que celle que Jim doit partager avec un colocataire bruyant et désagréable. Mais un soir de début d'hiver, Jim s'est absenté, probablement pour une histoire de femme. McCoy avait fermement informé son ami qu'il ne tenait pas à être mis au courant de ces histoires là. Le médecin profite tranquillement de l'absence de Jim pour travailler sans être perturbé quand son communicateur sonne. Il le prend et l'ouvre sans regarder qui est son interlocuteur. Il a bien trop l'habitude des appels survenant à n'importe quelle heure du jour et de la nuit de Jim. Celui-ci est sans doute trop saoul pour rentrer et l’appelle pour lui demander de l'aide, pense-t-il.
« Qu'est-ce qu'il y a ?, demande-t-il en bougonnant.
-Leonard ?
McCoy se raidit et regarde son communicateur avec incrédulité. La voix qu'il vient d'entendre n'est pas celle de Jim, mais celle de son ex-femme.
-Jocelyn ?, demande-t-il en essayant de cacher sa stupéfaction et sa colère.
Comment cette femme ose-t-elle l’appeler, se demande-t-il. Lui avoir pris tout ce qu'il avait, jusqu'à sa fille ne lui suffit-il donc pas ? Il faut encore qu'elle vienne le harceler alors que par sa faute, il n'a pas d'autre avenir que dans l'espace, lui qui a peur dès qu'il doit monter dans un engin s'élevant à plus de dix centimètres du sol.
En même temps que la colère, l'angoisse l'envahit en même temps. Jocelyn ne l'a pas contacté depuis le divorce, il y a un an et demi. Il ne voit pas d'autres raison pour Jocelyn de l'appeler que Joanna. C'est tout ce qu'il leur reste en commun. Et en une seconde, il l'imagine déjà malade ou blessée.
-J'espère que tu vas bien Leonard, reprend Josselyn sans lui laisser à McCoy le temps de se reprendre ou de formuler une question. J'ai appris que tu avais rejoint Starfleet bien sûr. Ce que tu fais te plaît-il ?
-Ne jouons pas à ça Josselyn, grogne McCoy. Tu me déteste, je te déteste, alors inutile de faire semblant de s'intéresser l'un à l'autre pour respecter tes chères conventions sociales. Qu'est-ce que tu me veux ?
Jocelyn se tait pendant quelques secondes. Elle se retient visiblement de l'insulter, ce qui signifie que ce qu'elle lui veut est très important. Au moins pour elle.
-Je reçoit des invités pour la semaine. Des gens importants. Ma famille désire nouer des contrats commerciaux hors planète, rien qui ne t’intéresse. Mais ce que tu dois savoir, c'est que pour garder le secret sur cette rencontre, le personnel de ma maison sera réduit au minimum le plus strict cette semaine. Et je n'aurais pas le temps de m'occuper de Joanna.
-Et cela ferait mauvais genre que tu te débarrasse de ta fille une semaine pour de stupides contrats, persifle McCoy. Pas après avoir autant insisté pour avoir sa garde exclusive.
-Si tu veux le voir comme ça, à ton aise, répond Jocelyn sans renier l'accusation de son ex-mari. Contre ton silence total, je suis donc prête à te confier Joanna une semaine. Appelons cela officiellement un « geste de conciliation » si on te le demande. Ta réponse ?
Comme si un père qui n'a pas vu plus de 24 heures sa fille en un an pouvait répondre non à une telle question. En bredouillant presque, tellement l'émotion est grande, McCoy accepte. Il écoute machinalement le reste des instructions de Jocelyn et les notes sur un papier en tremblant. Jocelyn lui souhaite finalement le bonsoir, avant de couper la communication. Sous les yeux encore incrédules de McCoy, une note s'affiche désormais sur une feuille de brouillon « aller chercher Jo demain à 13 h à l'entrée de l'académie ».
Toujours sous le choc, il se lève et va machinalement se servir un verre de whisky. Il le porte à ses lèvres sans le boire, fixant la boisson pendant une longue minute. Puis il vide le verre dans l'évier. Le contenu de la bouteille suit, suivit par deux autres.
Une heure, peut être deux heures plus tard, Jim pousse sans s'annoncer la porte de la chambre de son ami qui est resté assis immobile depuis qu'il a vidé les bouteilles, fixant les instructions de Jocelyn. Jim porte la trace d'un coup de poing sur sa pommette, mais a son air des jours heureux fixé sur son visage.
Dès qu'il entre, il se fige toutefois sur le pas de la porte et renifle.
-Bordel Bones, s'exclame-t-il en refermant derrière lui. Ça pue l'alcool ici ! Que s'est-il passé ?
-Jocelyn a appelé.
-Merde. Qu'est ce qu'elle te voulait la mégère ? Tu as bu ?
-Non, répond McCoy, un peu incrédule en le réalisant. J'ai tout jeté.
Le soulagement se peint sur le visage de Jim. Celui-ci peut parfois boire jusqu'à s'évanouir ou vomir, mais il n'a pas des problèmes d'alcoolisme, lui. McCoy sait que son ami surveille de très près le niveau de ses bouteilles d'alcool quand il passe le voir.
-Joanna vient demain, explique Bones en tendant la note qu'il a écrite à Jim. Je vais l'avoir toute la semaine.
McCoy ne s'est jamais demandé si Jim aimait les enfants. En y réfléchissant, il aurait probablement supposé qu'il était le genre à avoir peur d'être père et à ne pas savoir s'occuper d'un enfant. Il ne pense pas que l'intérêt que Jim montre envers Joanna et toutes les petites histoires que McCoy a besoin de partager sur elle soit feint. Mais il pense qu'il ne fait ça que pour lui faire plaisir.
Alors le grand sourire radieux de Jim, un sourire qu'il n'a jamais vu, ébahit McCoy.
-C'est merveilleux, déclare le jeune homme. Tu te rends compte ? Une semaine avec ta fille ? J'ai hâte de la rencontrer la petite Jo !
-Mais comment vais-je pouvoir m'occuper d'elle ? Entre les cours, les gardes à l'infirmerie, les appels de l'hôpital de Starfleet pour du renfort à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, j'ai à peine une minute à moi dans la journée. Et si je foire le moindre détail, Jocelyn va me le faire payer au prix fort.
-En te privant de Jo pour les dix années à venir, au moins. Mais ne t'inquiète pas, tu as un atout dans ta manche.
-Ah oui, ricane McCoy tristement. Et lequel ?
-Moi, répond très sérieusement Jim.
Et l'idée de Jim s'occupant d'une petite fille de sept ans est absolument hilarante. McCoy se retient d’éclater de rire.
-Et dit moi Jim, où-as tu appris à t'occuper d'enfants ? Parce que l'image est terrifiante tu sais !
Jim se détourne de Bones pour se mettre à éponger l'alcool qui s'est répandu dans l'évier.
-Quand j'étais ado, on m'a souvent chargé de garder mes cousins et cousines plus jeunes, répond-il tout en s'attelant à la vaisselle. Je t'assure, j'étais super bon pour m'occuper d'eux ! A nous deux on va bien s'en occuper de la puce. Je te la garderai quand je suis pas en cours, et je suis sûr que les infirmières seront aux petits soins avec elle si je suis pas disponible.
Il se retourne vers McCoy, une louche pleine de liquide vaisselle à la main, et s'en sert pour menacer son ami.
-Alors maintenant au travail papa ! Je m'occupe de la vaisselle, range la chambre que tout soit propre pour la petite princesse.
Jim a raison, et McCoy se lève pour ranger sa chambre, qui ne diffère guère de l'habituelle porcherie de tout étudiant célibataire accablé de travail. En même temps, Jim fait à voix haute la liste des personnes qui pourront s'occuper de Joanna, des endroits que McCoy pourra l'emmener voir, et d'autres idées en tout genre.
Le médecin sourit tout en déblayant la place sur sa table. Jim a raison, la semaine va être merveilleuse. Les deux amis s'organisent pour le lendemain. McCoy ne pourra pas s'occuper de Joanna après l'avoir récupéré, mais Jim promets d'occuper la fillette jusqu'à ce qu'il puisse les rejoindre vers une heure de l'après midi.
Ce n'est que lorsque que Jim est parti que McCoy réalise que c'est la première fois qu'il entend parler de ces cousins et cousines. En fait, Jim n'a jamais parlé que de son frère, rarement, mais avec beaucoup d'affection. Le nom de sa mère n'a du franchir qu'une fois ses lèvres, et à contrecœur. McCoy n'a jamais cherché à approfondir la question. Si Jim souhaite parler, il l'écoutera. En attendant, il se contente d'enregistrer le peu qu'il sait de la famille Kirk. Un père mort en héros, une mère dont le fils préfère ne pas parler, un grand frère qu'il ne voit pas souvent, des cousins et cousines maintenant. McCoy réalise qu'au fond, il ne sait rien de cette famille.
Le lendemain matin, Bones et Jim accueillent ensemble une petite Joanna radieuse à l'entrée de Starfleet. McCoy serre sa fille pendant de longues minutes, incapable de la lâcher. Quand enfin il s'éloigne un peu d'elle, c'est pour admirer à quel point elle a grandit, et combien elle est belle dans son manteau d'hiver. Un an, c'est long. Joanna a presque sept ans maintenant, et a pris plusieurs centimètres. Ses cheveux sont tressés et elle a un peu perdu de ses rondeurs enfantines. Bien sûr, McCoy est horrifié de tout ce qu'il a raté, mais elle est là et elle lui sourit.
La main de Jim se pose sur son épaule.
« Désolé de te presser Bones, mais l'heure passe et tu as une permanence à faire à l'infirmerie, puis un cours à suivre. »
Le médecin acquiesce à regret. Le regard peiné de Joanna est insoutenable.
« Je vais faire tout ce que je peux pour me libérer les prochains jours, promet son père. Mais là je n'ai pas le choix. Je te vois tout à l'heure, d'accord ?. Je t'ai parlé de Jim dans mes lettres, il va s'occuper de toi jusqu'à une heure. »
Il part à regret, en essayant de ne pas perdre courage en voyant les yeux pleins de larmes de Jo. Derrière lui, Jim tente de consoler la petite.
« Je sais que c'est nul de ne pas pouvoir être avec ton papa. Mais tiens, on va déposer tes affaires dans sa chambre, et ensuite on préparera à manger. On lui fait une surprise ?
-Papa déteste les choux, répond très sérieusement Joanna.
-Alors on n'en cuisinera pas, promet Jim. On va faire un gâteau, je vais te montrer comment faire. »
Joanna acquiesce avec joie, et son père parvient enfin à partir travailler, un peu moins triste de la laisser.
Quand il rentre dans sa chambre, deux heures plus tard, il est accueilli par deux figures barbouillées de mousse au chocolat.
« On a fait un gâteau !, s'écrie Joanna en courant embrasser son père, mettant des traces de chocolat partout sur son uniforme de cadet.
-Je peux voir ça, oui. Tu t'est bien amusée avec Jim ?
La petite fille s'empresse aussitôt de raconter sa matinée, tandis que Jim met une table rapide. McCoy et lui n'ont qu'une heure pour manger avant d'avoir cours toute l'après-midi. Le père et la fille se quittent à nouveau à regret, mais Joanna a promis de s'amuser tranquillement dans la chambre. Le soir, ils se retrouvent tous les deux seuls dans la petite chambre, à manger le gâteau de Jim et Jo et pour la première fois depuis plus d'un an, Bones est vraiment heureux.
Joanna l'aime toujours. Elle ne lui en veut pas du divorce, elle n'a pas laissé Jocelyn la retourner contre son père. C'est une petite fille intelligente qui refuse d'être un outil dans la querelle de ses parents.
Le lendemain matin, il l'emmène à l'infirmerie où il doit prendre sa garde. Le nombre de cadets qui peuvent se blesser en une matinée est proprement effarant, et Jim n'est pas le plus casse-cou, même si Bones n'avait pas cru ça possible. En avançant avec Joanna le long des couloirs de l'académie, il se demande ce qu'il va pouvoir faire d'elle pendant ce temps. Avec un peu de chance, une infirmière de garde voudra bien l'occuper, espère-t-il.
Une cadette en uniforme d'infirmière les accueille à l'entrée de l'infirmerie. Carey est encore jeune et peu expérimentée, mais une infirmière compétente.
« Bonjour docteur McCoy, dit-elle en souriant. C'est votre petite fille ?
-Oui, répond Bones en réussissant à ne pas sourire comme un imbécile à la seule idée d'avoir amené Jo à son travail. C'était quelque chose qu'elle demandait beaucoup étant petite, mais Jocelyn avait toujours refusé. Alors Carey, qu'il y a-t-il pour moi aujourd'hui ?
-Pas grand chose docteur, répond Carey en consultant son padd. Le docteur Koshi veut que vous le rejoignez dès votre arrivée pour un examen pratique avec un étudiant andorien. Vous devez ensuite contrôler vos patients. Voilà tout. Comme convenu, je m'occupe de votre fille, et vous devriez être libre vers 10 heures.
McCoy est soufflé. C'est la première fois qu'il a aussi peu de travail à l'infirmerie en un nombre incalculable de semaine.
-Comment savez-vous que j'ai besoin de quelqu'un pour garder ma fille ? Et comment se fait-il que j'ai aussi peu de travail ?
L'infirmière fronce les sourcils.
-Votre ami, Kirk, il ne vous a pas dit que tout était réglé ? Il a appelé hier soir l'infirmière de garde, et nous nous sommes organisés pour travailler davantage cette semaine, et vous rattraperez vos heures ensuite.
Joanna claque dans ses mains, ravie de passer plus de temps avec lui. McCoy se promet de rendre un énorme service à Jim dès qu'il le pourra. Vraiment, il ne s'attendait pas à découvrir une telle prévenance chez son ami.
Lorsqu'ils se retrouvent brièvement le soir même et que Bones le remercie, Jim hausse les épaules.
-Hé, dit-il comme si ce qu'il avait fait n'était rien. J'allais pas laisser la petite Jo être toute triste sans son papa. Avoir une famille qui vous aime, c'est trop précieux pour le gâcher.
Jim a un petit sourire en disant cela, comme s'il se souvenait de quelque chose de très heureux. Puis il se ferme tout d'un coup et quitte la pièce, sans dire un mot de plus. Silencieusement, Joanna se glisse dans les bras de son père pour un câlin. Elle a l'air d'avoir besoin de réconfort.
-Hier oncle Jim a pleuré, dit-elle tout doucement, et McCoy la regarde avec stupéfaction. Il a cru que j'ai pas vu, mais j'ai vu. Je ne lui ai pas dit.
-C'est bien. Il n'avait sans doute pas envie que tu le voit pleurer. Les adultes n'aiment pas qu'on les voit pleurer. Tu sais sais pourquoi il a fait ça ?
-Je lui ai demandé si je pouvais l'appeler oncle Jim, et il a dit oui. Pourquoi ça l'a rendu triste ?
-Je ne sais pas mon cœur. Je ne sais pas.
Tout le reste du séjour de Joanna, Jim ne cesse d'étonner Bones par sa patience envers la petite fille. Il l'écoute parler, lui pose des questions sur sa journée, joue avec elle au parc, fait des farces à McCoy. Quand celui-ci les regarde, il a l'impression de voir un grand frère et une petite sœur.
Au bout de la semaine, Joanna repart, et c'est un déchirement pour McCoy. Elle laisse derrière elle des dessins d'enfants et une petite peluche qu'elle a fait exprès d'oublier pour que son père ait quelque chose d'elle. Lui, il l'a comblé de cadeaux, et il a vu Jim lui donner discrètement quelque chose avant son départ. Ils se promettent de s’appeler au moment des fêtes de Noël. Bones espère que Jocelyn le laissera parler à Jo et lui envoyer des cadeaux.
Quelques jours plus tard, en rendant visite à Jim dans sa chambre, il découvre deux holos sur sa table de chevets, alors qu'il n'y en avait jamais eu aucun. Le premier montre une Joanna souriante dans le parc. Le second montre un Jim adolescent, un air ennuyé sur le visage à côté d'un homme et d'une femme adultes, au physique sud américain, et de trois enfants souriants. Une semaine plus tard, Bones revient dans la chambre et ce second holo a disparut. Comme si Jim ne supportait pas de le voir.
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Le mois de décembre de leur deuxième année de cadet débute dans un froid glacial et inhabituel à San Francisco. On est en 2256, et la Terre s'apprête à commémorer un triste événement. Le 11 décembre 2246, le vaisseau USS Discovery de la flotte de la Starfleet a pénétré dans l'atmosphère de la planète coloniale Tarsus IV, après un voyage de trois semaines pour livrer la nourriture nécessaire à la survie de la colonie. Quelques heures plus tard, les mondes de la Fédération découvraient les images horribles de la population exsangue et des cadavres sans nombre. Le lendemain, ils apprenaient que la plupart n'étaient pas victimes de la famine, mais d'un massacre inhumain et froidement planifié.
C'était dix ans plus tôt.
Personne sur Terre, Vulcain ou sur aucune autre planète de la fédération n'a oublié. Sur chacune d'elle, les drapeaux sont en berne et les gens en habit de deuil. Les cérémonies de commémoration se succèdent, les témoignages défilent dans tous les médias. La majorité des victimes étaient humaines, mais la plupart des races de la Fédération ont envoyé un représentant pour rendre hommage aux victimes.
La veille de la commémoration, une journée spéciale a été annoncée pour les étudiants. Le jour de la commémoration les cours seront tous centrés sur les événements de Tarsus IV. En médecine, la famine, les signes de malnutrition,les soins à apporter et les conséquences psychologiques seront étudiés. Les cours d'histoire de la Starfleet ne parlerons que de cela. Les leçons que suivent les futurs officiers, comme Jim, sur le commandement porterons sur la responsabilité, le devoir, la nécessité d'accepter l'échec. Personne n'a oublié le suicide du capitaine du USS Discovery un an après les événements. Il s'en voulait trop de n'être pas arrivé à temps. Personne ne serait capable de compter tous les gens qui se sont suicidés après être revenus de Tarsus, victimes ou simples secouristes.
Au centre de la Starfleet, à San Francisco, tout le monde, professeur, cadet, simple personnel ou officier porte un brassard noir en signe de deuil. L'ambiance est morose. Même les plus jeunes cadets de l'académie sont assez vieux pour se remémorer de l'horreur des images que les médias diffusaient en boucle. Aucun ne les oubliera jamais. Le matin, toute l'académie est réunie en uniforme pour assister au lever du drapeau et saluer les victimes. Aucun nom n'est prononcé.
Tout le monde s'est mis tacitement d'accord dix ans plus tôt pour épargner la souffrance de la médiatisation aux victimes de Kodos. La plupart des survivants n'ont jamais dit un mot de ce qui s'était passé là bas. D'autres, rares heureusement, s'en revendiquent pour obtenir de la pitié et de la reconnaissance. Quelques rares personnes ont écrit, composé ou peint sur ce qu'ils avaient vécu là bas, mais la plupart le font sous de faux noms, ou ont adopté une autre identité civile.
Toute la matinée, les étudiants et les professeurs vont de cours en cours d'un air grave. Chacun pleure les victimes en silence et avec respect. Jamais le restaurant de l'académie n'a été aussi calme.
« C'est que des conneries, s'exclame Jim à voix haute, et la moitié de la salle se retourne vers lui, outrée par ce manque de respect envers les morts.
Même McCoy le regarde horrifié.
-Quoi ?, lui demande Jim en grognant, et Bones voit soudain qu'il a bu. Je n'ai pas raison ?
-Je ne sais même pas de quoi tu parle.
Il a bu. McCoy ne comprend pas. Boire dès le matin, ce n'est pas Jim. C'est lui quand Jocelyn refuse qu'il parle à Joanna, qu'elle renvoie ses lettres. Jim n'est pas un alcoolique dépressif, même s'il peut boire jusqu'au coma éthylique si l'envie lui en prends. Puis, McCoy remarque son visage porte les signes d'une nuit blanche, si ce n'est deux. Comment a-t-il fait pour ne rien remarquer ?
-Toute cette commémoration, explique Jim d'une voix toujours trop forte. C'est qu'une gigantesque mascarade.
A la table derrière eux, Uhura se retourne et fixe Kirk d'un air colérique et dégoûté.
-Comment oses-tu te moquer ? Des gens sont morts !
-Oui, et en quoi ça va les faire revenir tous ces trucs ?, répond Jim en grimaçant. Ce n'est que de l'hypocrisie. Une façon de cacher la honte de n'être pas arrivé à temps. Un moyen de redorer le blason de la Starfleet et de la Fédération.
-Tu va un peu loin Jim, le coupe McCoy.
-Même pas assez, répond Jim. Et tous ces gens qui disent à quel point ils compatissent ? Vous voulez que je vous disent ce qu'ils pensent, ce qu'ils ont pensé en apprenant ce qui s'était passé ? Ils ont pensé « Dieu merci, je n'étais pas là-bas » et « ouf, personne que je connais n'y étais ». Et s'ils pleurent aujourd'hui, c'est qu'ils ont honte d'avoir eu une pensée égoïste il y a dix ans. »
Et personne ne répond à cela parce que c'est vrai. Bones avait vingt ans, et lui et Jocelyn s'étaient serrés l'un contre l'autre, soulagés d'être vivant et sur Terre. Sa mère l'avait appelé en larmes pour lui dire qu'elle l'aimait. Il regarde autour de lui, et voit le même air de culpabilité sur les visages des autres cadets, y compris d'Uhura. Jim ricane, et se lève en faisant racler bruyamment sa chaise. Il sort sous les yeux braqués vers lui de la moitié de la salle.
C'est seulement à ce moment là que Bones remarque que l'assiette de Jim est toujours pleine. Son ami a trop bu et n'a rien mangé, et il n'est que midi. Il passe les quatre heures suivantes à s'inquiéter pour lui, et n'écoute même pas ce que raconte le professeur sur les désordres alimentaires post-traumatiques chez les humanoïdes.
Il sait que Jim a cours en amphithéâtre jusqu'à quatre heure avant de devoir se rendre au gymnase pour étudier le combat au corps à corps. A l'heure fixe, il est devant la salle de cours avec un sac plein de barres nutritionnelles et d'un médicament contre la gueule de bois auquel Jim n'est pas allergique. Il regarde les étudiants sortir un à un, mais son ami n'apparaît pas. Bones s'inquiète de plus en plus et saisit un des cadets au passage.
« Je cherche Kirk, où est-il ?
-Kirk ?, répond le jeune homme. On ne l'a pas vu de la journée. Enfin, sauf au déjeuner, mais il était avec vous non ?
-Il était aussi là ce matin, interrompt un autre cadet. Enfin c'est beaucoup dire... Il s'est installé tout au fond de la salle, et dès que Archer – c'est lui qui faisait ce cours sur l'eugénisme-, a commencé à parler, Kirk s'est levé et est parti. Archer est un sale bâtard qui ne laisse rien passer à personne, mais là il n'a rien dit et a continué son cours comme si rien ne s'était passé. »
C'est la première fois que Jim rate un cours sans être alité. Il n'a jamais séché depuis qu'il est rentré à l'académie, son but d'être diplômé en trois ans est trop important pour lui. Il a bu, et il n'a rien mangé de la journée.
Plus tard, bien plus tard, McCoy s'en voudra. Il se dira qu'il aurait dû comprendre, que c'était évident. La vérité, c'est qu'il n'a pas voulu comprendre. Trop concentré sur ses propres malheurs, son auto-apitoiement. Un coup de téléphone de Jocelyn la veille l'a chamboulé, c'est vrai, mais c'est juste une excuse.
Et puis, en venant voir Jim à la sortie de son cours, il s'est mis en retard pour sa garde à l’hôpital. Il arrête donc d'écouter la conversation -les ragots- entre les cadets, et se précipite à vive jambes vers l'autre bâtiment.
En chemin, il croise le général Archer qui discute avec une femme en uniforme que McCoy n'a jamais vu, mais qu'il reconnaît quand même, tellement elle ressemble, dans ses gestes et dans sa posture, à son fils. Curieux, Bones ralentit légèrement en les approchant. Winona Kirk est une femme de peut être quarante, quarante cinq ans, très belle, mais terriblement dure. Elle rappelle un peu Jocelyn à McCoy : comme son ex-femme, la mère de Jim interdit à quiconque de lui marcher sur les pieds. S'il se souvient bien, elle est lieutenant. Pourtant elle parle à Archer comme à un égal, et celui-ci n'a pas l'air de s'en offusquer. Pire encore, comprend McCoy en passant à côté d'eux, elle l'engueule copieusement.
« Je me contrefiche de ce que vous pensez Archer, vous et Pike, dit elle en grondant, tout ce je veux... »
Elle s’interrompt quand McCoy arrive trop près d'elle à son goût et le suis d'un œil colérique jusqu'à ce qu'il se soit suffisamment éloigné avant de continuer sur un ton plus bas, inaudible pour le docteur.
Bien sûr, il s'interroge sur cette scène, mais il est quatre heure vingt, et il va avoir une demi-heure de retard alors qu'il était censé aider à une opération. Alors il met de côté ses réflexions, accélère, et ne pense plus à Jim jusqu'au soir.
Mais en arrivant à la cantine de l'académie, il a beau scanner la foule des yeux, il ne voit Jim nul part. Son inquiétude augmente encore, et il fait demi-tout sans se servir pour rejoindre la chambre de Jim. Celle-ci est vide. McCoy rebrousse chemin sans s'attarder. A cette heure-ci, il sait que Jim est souvent à la cafétéria de l'académie, où on laisse les étudiants boire de l'alcool plutôt que de les voir semer la pagaille dans les bars de la ville. Malheureusement, le jeune cadet n'est pas là non plus.
Cette fois, l’inquiétude laisse place à de la panique. En rentrant vers le bâtiment où loge son ami, Bones consulte son padd, guettant un message de Jim. Mais il n'y a rien. Pas un mot. Heureusement, en tant que docteur affilié à la Starfleet, McCoy a accès à d'autres informations. Il ouvre un accès aux dossiers de l'infirmerie et de l’hôpital, puis des autres hôpitaux de San Francisco et scrute la liste des admissions. Mais aucun James T. Kirk n'a été admis ces dernières 24 heures, ni aucun individu non identifié de son sexe et de son âge.
C'est un soulagement. Mais cela n'explique pas la disparition et le silence de Jim. McCoy revient à sa chambre et retape le code d'entrée. Il se place en plein milieu de la chambre et regarde autour de lui. Le lit de Jim est fait, la table et la minuscule cuisine sont propres. Il en est de même du côté de son colocataire.
Sur le bureau, un livre ouvert et un padd traînent. McCoy essaie d'allumer celui-ci, mais il est à court d'énergie, comme si Jim l'avait simplement laissé là à décharger en plein travail. Un bout de papier déchiré est coincé dessous, il le saisit. La main de Jim y a écrit une adresse, d'une main peu sûre pour ceux qui connaissent son écriture. Sans hésiter, Bones place le papier dans sa poche. Il le regarda plus tard, quand il aura fini de chercher des indices sur l'absence de son ami dans la pièce vide.
En reculant, il sent qu'il marche sur quelque chose et regarde à ses pieds. C'est une manche d'uniforme de cadet qui dépasse de sous le lit de Jim. En se baissant, le docteur peut voir que le reste de l'uniforme est roulé en boule là-dessous. Ce qui signifie que Jim est quelque part dehors, en civil.
Des bruits de pas résonnent dans le couloir, et instinctivement, McCoy se relève et du bout du pied fait disparaître à nouveau l'uniforme sous le lit. Au cas où le colocataire de Jim rentrerait, il sort son padd et commence à envoyer un message à Jim pour se donner une contenance.
La porte s'ouvre, mais à sa grande surprise, ce n'est pas le colocataire de Jim qui entre dans la pièce, mais sa mère. Tous deux se fixent quelques secondes, étonnés, puis la femme fronce les sourcils.
« Qui êtes vous et que faites vous ici, cadet ?, demande-t-elle d'une voix dure.
-Cadet Leonard McCoy, lieutenant. Je suis ici pour voir un ami, mais il est absent.
Par mesure de précaution, il ajoute un salut réglementaire. Winona Kirk n'est pas une femme a qui on manque de respect, il peut le voir du premier coup d’œil.
-Le nom de votre ami ?
-James Kirk, lieutenant. Mais il n'est pas là, j'essayai de le contacter.
Winona le regarde de travers, et McCoy se demande ce que ce regard signifie. Puis elle se détourne et commence à fouiller la pièce. Bones fronce les sourcils. Elle est peut être la mère de Jim, mais elle n'a pas le droit de faire ça. Il fait un pas en avant et ouvre la bouche, mais elle se retourne vers lui l'air furieux.
-N'avez-vous pas autre chose à faire, cadet ? Le couvre-feu est proche je crois.
C'est un ordre sans appel. McCoy préfère ne pas s'attirer d'ennuis et quitte la pièce. Tout en rejoignant sa chambre, il envoie un dernier message à Jim.
« Savais-tu que ta mère est à San Francisco? »
Si les demandes répétées de l'assurer de sa santé ne suffisent pas, ce message devrait attirer son attention se dit-il. A raison, puisque trois minutes plus tard, son communicateur sonne.
« Comment sait-tu que ma mère est là ?, demande Jim aussi sec.
Sa voix est tendue, rauque.
-Bonsoir à toi aussi Jim, persifle McCoy, soulagé en fait d'entendre son ami. Je le sais parce que je l'ai vu parler avec Archer tout à l'heure. S'engueuler avec lui en fait. Et j'étais dans ta chambre pouvoir voir si tu étais là, je t'ai cherché toute la soirée.
-Désolé, j'étais...
-Ta mère m'y a rejoint, le coupe McCoy. Elle m'a viré et a commencé à fouiller ta chambre.
-Merde !, jure Jim.
-Une idée de pourquoi elle a fait ça ?
-Deux ou trois. Elle doit chercher à savoir où je suis. Et je crois que j'ai laissé l'adresse sur mon bureau.
-Non, c'est moi qui l'ai.
Le soulagement est palpable à l'autre bout de la communication.
-Jim..., commence Bones.
-Ne commence pas à me faire la leçon.
-Je n'en ai pas l’intention. Pas tout de suite du moins. Dis-moi juste que tu n'as pas quitté le campus sans autorisation.
-J'en ai une. Signée par Pike et Archer.
-Alors c'est de ça dont ta mère parlait avec Archer. Il refusait de lui dire ou donner quelque chose. Sans doute l'adresse où tu est.
-Sans doute, répond Jim avant de s'interrompre, puis de reprendre avec hésitation. Désolé de ne t'avoir pas tenu au courant. C'est juste que... C'est quelqu'un que je connais. Connaissais. Elle s'est suicidée ce matin.
Il n'y a rien à répondre à cela. Un silence gêné s'installe, puis Jim reprend.
-Elle m'était très proche. Pas de la famille, mais c'était pas important. C'était presque ma sœur. Pike m'a accordé trois jours de congé. Elle n'a pas de famille, c'est moi qui me charge de tout. On se voit jeudi Bones.
-Pas de problème Jim. Juste... Préviens moi la prochaine fois, d'accord. Et si tu veux de la compagnie, appelle-moi.
-Merci. »
Jim raccroche. Cette nuit-là, Bones a du mal à trouver le sommeil. Trois jours plus tard, Jim revient, l'air exténué. Bones ne lui posera pas de questions sur ce qui s'est passé. Il faudra quelques années avant que Jim en parle.
Pour McCoy, l'amie que Jim venait de perdre devait être une survivante ou avoir perdu quelqu'un sur Tarsus IV. C'est suffisant pour ne pas chercher plus loin.
Il se reprocherait longtemps, en tant que médecin et ami, de ne pas l'avoir fait.