Who you gonna call?

Chapitre 1

1657 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/02/2023 20:04

Confins d’Amérique Centrale, 1973.


           La lune ronde et opalescente effleurait la canopée de la jungle dans un ciel sans étoile. La vie nocturne battait son plein parmi la faune et la flore, au sol, dans la végétation et dans le cours d’eau attenant. Les stridulations des insectes cessèrent dans un craquement de branchages, sec et brut. Puis, le silence s’étendit aux animaux, éteignant les cris aigus des singes et des oiseaux comme une flamme que l’on étouffe. Le silence rampa jusqu’à l’orée d’un village de cahutes aux fenêtres parfois éclairées de la lumière chancelante des lampes à pétrole ou d’un feu mourant dans l’âtre. La brise qui agitait les branches se fit de plus en plus forte et sonore.

Une vieille femme se hasarda à sortir et tournant son visage ridé vers la forêt, vit des ombres immenses émerger des arbres et avaler la nuit jusqu’à masquer la clarté lunaire. La personne âgée poussa un cri d’alarme strident et courut frapper à toutes les portes sur son chemin. Une agitation prit sa source autour de son cri et bientôt des silhouettes occupèrent les allées du village. Des hommes, des femmes, des enfants, jeunes et vieux, tous hypnotisés par le spectacle des ombres spectrales gigantesques. Le sol se mit à trembler et des émanations rosâtres suintèrent de la terre, provoquant la panique parmi les habitants. Des hurlements, des plaintes s’élevèrent parmi la foule qui s’agglutinait massivement au pied des ruines d’un temple en escaliers. Un homme très âgé, surplombant la foule depuis les premières marches, essayait d’attirer les regards avec de grands gestes d’apaisement. Un groupe d’hommes se rassembla, cria des injonctions à la foule qui répondit par des glapissements terrifiés. L’escouade d’hommes dut s’arracher à ceux qui voulaient les retenir. Des implorations furent lancées et le groupe d’hommes se précipita vers la jungle. Ils portaient des torches, des lances, des dagues et des gourdins. Certains d’entre eux commencèrent à faire tourner leurs frondes et des projectiles passèrent en sifflant entre les troncs des arbres, s’écrasant avec fracas dans le vide. La terre se mit à vibrer et les hommes s’éparpillèrent dans les hautes fougères et les buissons, propulsés à l’aveugle dans un combat invisible. Un homme d’une quarantaine d’années de type caucasien, aux cheveux châtains et courts, le visage mangé par une barbe de plusieurs jours, se trouva seul dans une clairière. Ses yeux bleu-gris scrutaient nerveusement les alentours.


 Il entendit des animaux s’enfuir au ras du sol, passant contre ses mollets nus. Une nouvelle secousse, plus forte cette fois, le fit chanceler. Le son des ricochets des frondes répercutés dans l’immensité végétale lui parvint avant qu’un chaos de cris ne rende encore plus pesant l’air moite de la jungle. L’homme haletait, il savait qu’il ne pouvait pas faire confiance à ses sens. Des flashs de lumières fluorescentes l’éblouirent un court instant, il se sentit traverser par un froid intense. Quelque chose de lourd plana juste au-dessus de lui, effleurant le sommet de son crâne et froid comme le givre. Le sol craquela et un liquide visqueux en suinta. L’homme n’avait jamais vu cela, pas plus que les émanations rosées qui s’abattaient sur la jungle telle une brume nocive. Il lui sembla que des nuées d’oiseaux tournaient autour de lui. Ce fut alors qu’il vit dans la noirceur de cette nuit apocalyptique deux yeux jaunes luisants qui le fixaient. Ils appartenaient à une silhouette humaine plus grande qu’un homme du village, une silhouette décharnée qui s’avançait vers lui en faisant cliqueter les coquillages qui ornaient les jambières à peine couverte par un pagne de fourrure mitée fleurant la viande avariée. L’homme aux yeux jaunes émanait d’une luminescence surnaturelle. Les os de sa cage thoracique imposante tiraillaient sa peau de parchemin couverte de volutes tatouées. Son plastron d’os, d’or et de lapis-lazuli pendait lâche d’un côté. Il avait une tête en forme d’ananas allongé agrémentée d’un nez crochu, de deux oreilles longues, cornées et pendantes comme sa mâchoire inférieure décalée de celle du dessus. Son crâne allongé se terminait par un long enchevêtrement de plumes moisies couleur de jade. La créature se dirigeait vers le village et elle semblait décidée à ce que personne ne l’arrêtât. Les deux êtres se regardaient en silence jusqu’à ce que la créature ne se jette sur l’homme d’un bond prodigieux. L’homme fut agrippé par la chemise qu’il portait et jeté dans les fourrés. Il fut un peu étourdi mais se releva bien vite, conscient qu’il ne fallait pas que cette chose n’atteignit le village. Il se mit à interpeller la chose qui entreprit de le pourchasser avec des grognements rocailleux. L’homme se dit qu’il avait toutes ses chances en l’attirant vers le cours d’eau mais il trébucha à quelques mètres de la rive et la créature fut bientôt au-dessus de lui, de toute sa hauteur. Ce fut alors que l’homme vit que la créature tenait dans sa main décharnée munie d’ongles longs et recourbés un gourdin au manche long terminé par une demi-lune de bois dans laquelle était enchâssée un énorme fragment d’obsidienne noire qui capta un fragment de lune quand la créature leva le bras au-dessus de sa tête et l’abattit lourdement dans un craquement mouillé.




                       Des feux avaient été allumés partout dans les allées du village. L’air vibrait, assourdissant de lamentations et de cris. Partout, on gémissait, on poussait des cris de désespoir. Une fillette d’une huitaine d’années avançait à pas de loup entre les cabanes, ses longs cheveux foncés sur ses petites épaules. Elle portait une camisole de tissu chamarré qui lui arrivait jusque sous les genoux. Prudemment, elle s’approcha d’une maisonnette un peu à l’écart et grimpa lentement sur un tas de bois pour arriver à hauteur d’un orifice faisant office de fenêtre. Le logement se composait d’une seule pièce de forme carrée. Deux hommes soufflaient sur de longs bâtons d’encens qui exhalaient une fumée bleu ciel. On préparait un rituel autour de formes humaines enveloppées dans des couvertures colorées tissées par les femmes du village. Le chaman finissait de nouer d’un coup sec les lanières de cuir autour d’une couverture ensanglantée au niveau de la tête. La fillette se faisait discrète et fixait la scène avec peur et curiosité. Elle se retint de tousser quand la fumée de l’encens frappa ses narines. Le chaman en grand costume d’apparat fit se resserrer le groupe d’hommes qui l’assistaient. Certains sanglotaient, l’un d’entre eux plus fort que les autres. Le grand prêtre entama sa mélopée d’une voix sourde reprise en écho par les hommes chargés de l’encens puis répétée par l’assistance.

La fillette sursauta quand une main se referma sur sa cheville.

« -Ollín, Ollín… »

Une adolescente aux yeux rougis par le chagrin l’exhortait de descendre. Elle avait elle aussi une longue chevelure brune et était vêtue elle aussi d’une camisole complétée par un long jupon de coton amarante. La fillette ne pouvait se retenir de regarder ce qui se passait à l’intérieur de la maison du chaman. Secouant la tête, elle allait se tourner de nouveau vers la fenêtre quand un cri retentit :

« - Au secours !!! Aidez-moi !!! Je vous en supplie !!! »

Les deux enfants laissèrent échapper en même temps une exclamation de stupeur incrédule. L’adolescente sauta lestement aux côtés de sa cadette et se risqua également à regarder. Les nuages d’encens se mélangeaient aux émanations vertes irradiant des corps à même le sol, ces corps se dandinaient comme les chenilles sur les branches des arbres. Des supplications étouffées leur parvenaient. Les filles scrutaient éperdues au travers les brumes vertes et bleues où tourbillonnaient des formes indistinctes. Une substance rosâtre suinta des murs de l’habitation, dégoulinant lourdement sur le sol. Un visage oblong émacié, aride, aux orbites et à la bouche grande ouverte leur sauta au visage avec un graillement sauvage et des griffes acérées émergèrent de la fumée pour les saisir. L’adolescente et la fillette hurlèrent de terreur, leurs appels couverts par les psalmodies rituelles et les cris des figures encerclant les hommes. Quand le brouillard s’évapora et que le silence revint, les hommes sortirent en petits groupes de la maison. Les premiers découvrirent l’adolescente étendue sur le dos, serrant contre sa poitrine la tête de la fillette. La jeune fille avait de très longs et fins cheveux d’un blanc étincelant étalés autour de sa tête ainsi qu’une auréole lunaire. La fillette tremblait dans ses bras. Quand l’adolescente ouvrit les yeux, ses pupilles étaient laiteuses et écarquillées. Elle hurla…


[ « GHOSTBUSTERS » - Ray Parker Junior]

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