Le Meilleur des mondes possibles
— Première Partie —
Interaction forte
« Les grands esprits se rencontrent comme les ânes à l'abreuvoir. »
— Voltaire —
Il ne faut jamais sous-estimer le hasard. Ou plutôt, ce qui se cache derrière le hasard.
Le hasard est mystérieux. Indéfinissable. Personne ne sait ce qui se cache derrière le hasard.
Le premier dictionnaire venu servira de cobaye à tous les incrédules ; mais généralement, la longueur même de la définition témoigne de la complexité de ce mot. Car ce mot, comme certains autres, est un hypocrite. Il cache de nombreuses facettes dont l'on ignore parfois même jusqu'à l'existence. Parfois, derrière le hasard se cache la plus prévisible des logiques. Ce hasard est manipulable à souhait, tant que l'on est celui qui l'a créé et qui le contrôle sans même que quiconque ne le sache ; ce hasard est le plus prévisible pour le manipulateur, le plus imprévisible et surprenant pour les manipulés.
Le premier dictionnaire pris au hasard, donc, se démêlera avec ce mot capricieux comme il le peut :
hasard n. m.
I. 1. Élément fortuit ; concours de circonstances inattendu et inexplicable. è aléa.
Il est toujours intéressant de constater que lorsqu'un mot devient un peu trop complexe, et que le dictionnaire ne parvient pas à le définir exactement, il préfère s'arrêter et rediriger le lecteur curieux vers un autre mot qui lui ressemble. Parfois, il jouera lui-même au plus malin : la définition du mot être sera définie comme exister ; et la définition du verbe exister sera décrite comme être. Le dictionnaire est bien malicieux.
Heureusement, notre cher dictionnaire aura ici préféré rester honnête et donner à aléa une définition moins irrespectueuse : Événement imprévisible.
Il est toutefois notable qu'il l'est moins avec l'adjectif imprévisible, qu'il traduira comme Qui ne peut être prévu. Mais passons, nous lui accorderons ce petit ressort prouvant qu'il s'accroche toujours aux synonymes du mot comme d'une planche de survie au lieu d'avouer son incapacité à être suffisamment complet concernant la définition de ces mots.
2. littér. Risque. Les hasards de la guerre.
Il semblerait que certains auteurs utiliseraient ce mot pour désigner un quelconque danger ; on pourrait en effet qualifier ces dangers comme hasardeux, comme l'est tout coup de théâtre, surprenant le lecteur ou le spectateur par une révélation ou une action imprévue et imprévisible. Mais de là à les définir comme le hasard même, il s'agit de jouer avec des mots qui ne semblent a priori pas correspondre à une telle définition.
II. 1. LE HASARD : cause attribuée à des événements apparemment inexplicables. Les caprices du hasard. è destin, fatalité, sort.
Trois synonymes sont donnés, cette fois-ci, afin de parfaire l'étude que l'on veut faire de ce mot ; ces derniers sont tous synonymes, et pourtant... Tous trois sont connus pour définir une hypothétique unicité de la ligne temporelle, et un futur unique, précis, déjà écrit et qui est donc tout… sauf lié au hasard, ce fourbe mot qui se veut aussi libre et insaisissable qu'on le lui permet.
2. AU HASARD loc. adv. : n'importe où ; n'importe comment. ◊ AU HASARD DE loc. prép. : selon les hasards (I, 1) de. ◊ À TOUT HASARD loc. adv. : en prévision de tout ce qui pourrait arriver. ◊ PAR HASARD loc. adv. accidentellement, fortuitement. ◊ Comme par hasard : comme si c'était un hasard.
Comme si c'était un hasard. Ce qui signifie que ce n'est pas un hasard. Il est amusant de voir à quel point la langue française peut jouer avec des mots approximatifs, qui deviennent sources d'ambiguïtés. Jusque dans un dictionnaire, censé élucider toute ambivalence de ce type.
3. JEU DE HASARD, où le calcul, l'habileté n'ont aucune part (dés, loterie…).
Encore une fois, le hasard semble perdre sa valeur. Le moindre mathématicien lisant ceci ne pourrait s'empêcher de relier cette dernière définition aux probabilités. Probabilités qui, justement par les calculs, permettent de définir le hasard par les différentes configurations possibles ainsi que leur probabilité d'apparition. Des observations plus poussées de l'expérience, dans le cas où nous sortons du domaine de la simple théorie, définiront les probabilités expérimentales, qui au fur et à mesure que leur précision s'accroissent, donnent de plus en plus raison à l'une des configurations qui devient, au final, de plus en plus certaine. En fonction de facteurs environnementaux tels que le vent éventuel, le poids de l'objet, sa forme, la manière dont il sera lancé, le dé devient en réalité l'objet de quelque chose de parfaitement définissable, puisque sa trajectoire peut parfaitement être calculée avec précision à partir du moment où tous ces éléments sont en main.
Mais le hasard, lui, reste indéfinissable. Il semble ne plus exister à partir du moment où tout peut être prévisible, à l'aide de calculs et de connaissances diverses. Alors pourquoi ce mot continue-t-il de sortir de nos bouches à tort et à travers, dans un monde où les mathématiques deviennent de plus en plus complexes et maîtrisées, et de plus en plus précises, jusqu'à atteindre cette fameuse certitude…
Peut-être parce que l'ignorance tend à imposer ce mot à tout ce qu'elle ne peut expliquer.
Tiens donc ? Nous revenons à la définition II. 1. du dictionnaire. Peut-être n'est-il pas si inutile que cela, après tout.
NOTE DE L’AUTEURE
— À tous ceux qui me demanderont ce que ce “chapitre” a à faire là et autres choses —
À tous ceux qui me demanderont ce qu’est ce “chapitre”, ce qu’il a à faire là, et si je suis vraiment sérieuse quand je remets soi-disant le dictionnaire à sa place en jouant sur les mots, je ne pourrai répondre beaucoup sans vous spoiler. Dites-vous juste que non, je ne pense pas forcément ce que j’ai écrit ci-dessus, en tout cas pas de façon radicale (j’ai jamais dit que le dictionnaire était une nullité extrême et se fichait de nous, nan mais oh) ; mais ces “thèses” présentes devraient vous éclairer sur le véritable déroulement de la première partie de cette fiction, et vous donner une petite longueur d'avance sur les personnages qui entreront en scène dès le chapitre qui va suivre. Prenez cela comme un indice qui ne sera éclairci qu’à l’aboutissement de cette partie elle-même…
Enfin ; assez patienté. Je vais vous laisser lire la fiction que vous essayiez en vain de chercher dans tous ces chapitres inutiles depuis le début ; promis, l'histoire commence réellement dès que vous aurez cliqué sur ces mots magiques qui annoncent enfin le premier chapitre. Là où le décor doit être planté, et qu’on a enfin un peu d’action… d’un point de vue un peu moins externe, quand même. Après tout, j’adore la psychologie. Mais vous n’en aurez que trop bien la preuve plus tard. :p