La Geste des Chevaliers Jumeaux (co-auteur Rikimaru)

Chapitre 2 : Epées jumelles (co-auteur Rikimaru)

Chapitre final

7657 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 18 jours

Falaise du destin, 

Sanctuaire d’Athéna, Grèce,

 9 Elembuios 134 GRM.


— Tu as deux bras valides ! explosa un jeune garçon à la tignasse bouclée châtain clair et aux yeux vairons.

— Et alors ? Ça ne t’a jamais arrêté avant, surtout quand il s’agissait de grimper aux arbres ! rétorqua un second enfant dont les traits étaient une copie de ceux du précédent.

À ceci près que ses cheveux ondulaient simplement et que son regard était homochrome. Il arborait un physique un peu plus étoffé que son frère et l’on devinait, dans sa façon d’être, qu’il était l’aîné des jumeaux. Il se tenait sur une saillie rocheuse, environ quarante pieds au-dessus de son cadet toujours fermement ancré au sol.

Le soleil était en train de se lever, allongeant les ombres des éléments que chacun de ses rayons accrochaient et réchauffant la peau hâlée des enfants. Âgés désormais de douze hivers, ils étaient là depuis avant l’aube, s'exerçant à développer leurs corps, mais aussi leurs volontés.

— Aucun arbre ne ressemble à cette falaise, Druvan !

— Maître Brennos te dirait que le cosmos permet de créer des miracles, Cælorn.

— Lui aussi, il a deux bras ! Et… (Sa voix diminua en intensité, comme s’il avait honte de ce qu’il allait dire ensuite.) Et je ne le maîtrise pas aussi bien que toi.

— Tu es mon frère, répliqua Druvan. Tu es aussi capable que moi dans l’usage du cosmos. Tu te laisses trop influencer par toutes les piques que les autres apprentis te lancent. Au village, tu n’hésitais pas à leur rentrer dedans pour moins que ça.

— Oui, mais…

— Arrête avec ça ! s’emporta soudain l'aîné. Je serai toujours là pour toi, Cælorn. Je pourrais me jeter dans les bagarres qui t’opposent aux autres et les frapper jusqu’à ce qu’ils réclament grâce. Tu le sais, n’est-ce pas ? Seulement, si je fais ça, tu ne seras plus jamais capable de te relever par toi-même. Tu es déjà tombé et tu t’es redressé. Seul. Cette falaise n’est pas différente : c’est un obstacle comme ceux que tu as déjà surmontés.

Le cadet fixait Druvan avec intensité.

— Ici, nous ne sommes plus les fils du chef, nous ne sommes que des apprentis parmi tant d’autres. Je dois faire mes preuves et toi aussi, sinon nous serons séparés. C’est ce que tu souhaites ?

— Non, répondit Cælorn d’une voix enrouée.

— T’as dit quoi ? fit l’aîné en se penchant, mettant une main près de son oreille, comme s’il avait mal entendu.

— Non ! répéta le cadet.

— Alors, dépêche-toi de grimper sur ce gros caillou et de me rejoindre !

— J’arrive !

Cælorn ferma les yeux et expira doucement, vidant son esprit, chassant ses peurs, ses doutes et même sa faim, car il n’avait pas mangé avant de partir des dortoirs. Brennos leur avait parlé de leurs propres cieux intérieurs et de la manière dont ils devaient en ressentir la profondeur. Le jeune garçon s’imagina une toile céleste piquetée de milliers d’étoiles scintillantes. La majorité brillaient simplement, immobiles, d’autres commençaient à bouger, fonçant à vive allure, trait de feu blanc sur une voile noire.

Vous êtes chacune de ces étoiles et chacune d’entre elles est vous”, récita la voix de leur maître.

Tout était calme, mais ce n’était qu’apparence.

Maintenant, vous devez les faire bouger. Imaginez que vous agrippez les bords de cette toile comme si c’était un sac de billes et secouez-la avec force.”

Il se concentra pour les mettre en mouvement.

Elles s’agitent, s’entrechoquent et vous sentez que leur fracas crée une réaction. Une sensation de chaleur parcourt votre corps et vos membres, comme après un bon repas ou quand vous vous plongez dans un baquet d’eau chaude. Mais c’est bien plus intense.”

Les étoiles se percutaient les unes les autres, acquérant davantage de vélocité après chaque impact, le grondement de leur collision semblable bientôt à des coups de tonnerre. Une onde de feu et de pouvoir jaillit de cette turbulente source, inondant chaque parcelle de l’être de l’enfant.

À l’extérieur de son corps, des particules lumineuses dansaient timidement autour de lui.

Druvan, qui avait suivi le processus silencieux à travers ses propres perceptions, sourit.

— J’attends, aiguillonna-t-il son cadet.

Cælorn retira ses brogues abîmées, vestiges des affaires encore utilisables de sa vie précédente, finissant pieds nus. D’une main, il s’agrippa à une aspérité de la paroi, tira un peu sur son bras pour se hisser et cala ensuite ses orteils.

Cælorn lança son bras plus haut, ses jambes suivant le mouvement. Tantôt grâce à une torsion du buste, tantôt en s’appuyant sur la roche après s’y être collé, il progressait coudée après coudée.

Focalisé sur l’instant présent, à désormais vingt pieds de hauteur, il ne vit pas la petite troupe qui s’était rassemblée en contrebas. Pas plus qu’il n’entendit leurs murmures, parfois admiratifs, parfois curieux du moment où l’infirme finirait par tomber. La cruauté infantile dans toute sa splendeur.

Allez, continue, l’encouragea mentalement son frère aîné. Continue.

Bientôt, Cælorn parvint à l’endroit le plus problématique de la voie empruntée : un dévers. Ce dernier était peu prononcé, mais même pour un individu pourvu de ses deux bras, cela demeurait toujours une étape difficile.

Le front trempé de sueur, l’obligeant à cligner des yeux face à l’insidieuse brûlure, le jeune garçon rassembla les forces de son bras tremblant et son courage à parts égales.

Impulsant un mouvement qui engageait tout son corps, il bondit et se projeta vers le haut. Se découpant dans la chiche lumière matinale, sa silhouette parut chatoyer à cet instant.

Sa main accrocha la roche, ses doigts s’y enfonçant comme dans de la glaise sous la formidable pression qu’il y exerçait. Dans un dernier effort, il tira avec son épaule, sentant ses ligaments sur le point de se déchirer. Son menton calé sur le bord de la saillie, il contempla Druvan qui l’observait, toujours silencieusement, de son regard bienveillant.

Quelques instants et contorsions plus tard, il se tenait aux côtés de son jumeau. Pas une seule fois, ce dernier ne lui avait tendu la main.

Tout en bas, des clameurs montaient jusqu’à eux.

— Druvan, j’ai réfléchi, déclara tout à trac Cælorn, le souffle encore court. Je veux être reconnu comme Chevalier d’Or !

L'aîné haussa les sourcils, arborant un sourire qui n’avait rien de charmeur à cet âge-là, la faute au dernier trou marquant la fin de sa dentition infantile.

— Pour nous, mon frère, je ne visais pas moins que ça.

Une bourrasque s’empara de cette déclaration et alimenta le meltem de réminiscence qui guida les jeunes âmes vers leur sacrement.


**


Domaine sacré, 

Sanctuaire d’Athéna, Grèce, 

11 Anagantios 140 GRM.


Des murmures surpris s’élevèrent jusqu’au haut plafond. 

Le Palais du Grand Pope était un trésor d’architecture avec ses colonnes aussi larges que des troncs, ses murs de pierre rendus aussi lisses que du verre à force de polissage et ses grandioses fresques colorées finement sculptées, narrant nombre de récits mythologiques et d’exploits guerriers.

Pourtant, ce n’était pas face à sa magnificence que fleurissaient les commentaires des occupants des lieux.

Pas plus qu’ils ne s'attardaient sur la promotion au rang de Saint d’Or, honneur tout juste proclamé et tant attendu, du jeune homme d’origine gauloise que tous connaissaient pour sa force, sa rigueur et son équité.

Non, la cause de ces chuchotis qui donnaient l’impression de se trouver à l’intérieur d’une ruche bourdonnante, se trouvait être un autre jeune homme, aux traits similaires au précédent. Plus que similaires même. Presque identiques. À la différence près, qu’au lieu de posséder deux yeux sombres, l’un était couleur d’un ciel d’été et l’autre pareil à la terre fraîchement retournée.

S’ils avaient grandi en taille et en esprit au cours des dernières années passés au Sanctuaire, les faux jumeaux n’arboraient pour autant pas la même allure. 

L’un était solaire dans son maintien et son comportement. Le second, plus sélénien, plus froid d’aspect et de manières. 

Cælorn, le frère cadet de Druvan – nouvellement Chevalier de la Balance – venait d’être appelé pour recevoir à son tour une armure sacrée. Et celle-ci n’était autre que celle du Capricorne, l’une des douze désignant son porteur comme l’un des plus puissants membres de la Chevalerie.

Cælorn quitta les rangs de ses confrères, pareil à une figure de proue fendant les flots faits hommes, pour s’avancer jusqu’à l’estrade où siégeait le Grand Pope, seigneur de tous les Chevaliers, et s’agenouilla face à lui.

Ce dernier était un homme encore imposant et au dos droit malgré son âge que l’on disait dépassé les soixante hivers. Une barbe fournie couleur de cendre froide ornait le bas de son visage, le haut étant dissimulé derrière un masque d’airain. Des cheveux de la même teinte s'échappaient en cascade du casque aux fines ciselures qu’il portait.

— Cælorn, déclara-t-il d’une voix grave tandis que le silence revenait dans la grande salle, sache que la déesse Athéna t’a observé, tout comme elle a observé chacun et chacune d’entre vous. Elle a vu la ténacité, le courage et la fidélité indéfectibles dont tu as fait montre sous la tutelle de ton professeur Brennos. Où qu’il soit, et nous déplorons toujours son inexplicable disparition, il peut être fier de son élève. À présent, en vertu des prérogatives qui sont les miennes et avec la bénédiction de notre déesse, je…

— Grand Pope, intervint une voix parmi la foule. Attendez, Grand Pope.

Un jeune homme athlétique, dont la masse de cheveux roux, en partie attachés, en partie tressés, le désignait comme un natif d’Albion, s’avança à son tour de deux pas hors de l’assemblée. Un collier d’une courte barbe épousait la ligne de sa mâchoire volontaire et ses yeux étaient du bleu d’un lac de montagne.

— Qu’as-tu à dire, Aedan ? Interrompre le sacrement d’un futur…

— Veuillez me pardonner, le coupa à nouveau l’interrupteur, mais c’est justement à propos de ça que je me permets d’intervenir.

— Explique-toi, lui ordonna sèchement le Grand Pope, à l’évidence agacé par l’audace de l'aspirant.

— Nul doute que Cælorn a mérité sa place parmi nos forces, nous avons tous vu sa rigueur lors des entraînements, mais…

Aedan se mordait légèrement les lèvres du côté droit, où la commissure était percée de deux petits anneaux d’argent. Il semblait finalement incertain de sa démarche.

— Eh bien, parle, exprime-toi ! le somma le Grand Pope.

— Il … il n’est pas entier, Grand Pope. (Malgré la dureté de ses mots, son intonation ne contenait nulle moquerie, seulement un genre de pitié mêlée de gêne.) Est-il bien raisonnable de le nommer à un titre aussi prestigieux ? Les Chevaliers d’Or forment l’élite. Ils sont censés être des modèles tant en termes de valeurs morales, qu’en termes… physiques.

Le bourdonnement, apaisé jusqu’ici, reprit de plus bel, bien plus agité. Bon nombre des membres réunis était d’un avis proche de celui de l’effronté et le fait que l’un d’entre eux ait osé prendre la parole enhardissait davantage les autres. 

— Aedan, tu t’engages sur une voie périlleuse.

Si les yeux du Grand Pope n’avaient pas été cachés par son masque, tous les auraient vus s’étrécir.

Druvan, qui se tenait aux côtés des autres Chevaliers tout récemment nominés, sortit du rang en avançant d’un pas.

— Grand Pope, se manifesta Cælorn en se redressant pour désigner du doigt le natif d’Albion. En tant que cible des affronts d’Aedan, je vous demande la permission de le défier en combat singulier. De cette manière, lui comme les autres verront que j’ai ma place en tant que Chevalier d’Or.

Son doigt demeurait pointé sur Aedan, mais ses yeux étaient tournés vers Druvan. Un message silencieux passa entre les jumeaux. Leur rêve était proche de se concrétiser, mais il restait une ultime épreuve à surmonter pour le cadet. L’aîné ayant été sacré, il ne pouvait pas intervenir sans faire preuve de partialité, l’attaque visant son frère. Cælorn devait s'en sortir seul.

— Le droit est accordé, finit par répondre le Grand Pope après un instant de réflexion. Que l’on prépare l’arène !

En réalité, l’arène de combat étant actuellement en phase de rénovation, il fut décidé que le duel aurait lieu sur l’un des terrains d’entraînement des apprentis, situé dans la partie est du Sanctuaire.

L’espace fut dégagé de tous les obstacles ainsi que des agrès utilisés habituellement lors de l’entraînement physique. N’étant pas prévu pour accueillir une telle foule – après tout, qui se souciait du spectacle qu’offraient des apprentis en train de suer sang et eau ? – l’endroit était bondé. Toutes les personnes venues pour assister à l’affrontement se tenaient massées en un cercle compact, qui laissait toutefois assez de latitude aux duellistes.

De part et d’autre du sol de terre battue se toisaient à présent Cælorn et Aedan.

Ils n’avaient jamais été spécialement amis, ni rivaux non plus. Juste deux élèves qui faisaient de leur mieux pour réaliser leur vœu le plus cher. Seulement, Aedan ne parvenait pas à saisir ce qui avait pu pousser le Grand Pope à vouloir nommer le Gaulois au titre de Chevalier d’Or. De son point de vue, c’était commettre une erreur de jugement. Et il allait le prouver.

N’ayant pas été sacrés, et donc dépourvus de Cloth avec laquelle entrer en symbiose, chacun portait une armure d’apprenti très sommaire, faite d’un mélange de multiples couches de lin durci et de pièces de cuir.

— Ce duel se poursuivra jusqu’à l’abandon de l’un d’entre vous, rappela le Grand Pope. Ou jusqu’à ce que j’estime nécessaire d'intervenir.

Les deux jeunes hommes confirmèrent d’un hochement de tête qu’ils avaient compris. 

— Parfait. Aspirants, commencez !

Les duellistes invoquèrent leurs cosmos respectifs, soulevant des tourbillons de poussière autour d’eux, tandis qu’ils se nimbaient d’un halo à la teinte électrum, leur énergie oscillant à cet instant entre l’Or et l’Argent.

Aedan bougea le premier, disparaissant en un clin d'œil à la vue de la majorité des spectateurs, ses foulées projetant des gerbes de terre sèche.

Cælorn para l’assaut avec son avant-bras gauche, alors que l’écho des pas du natif d’Albion parvenaient à ses oreilles. Il repoussa son adversaire qui enchaîna plusieurs coups que le Gaulois esquiva, hormis le dernier qui le frappa à l’épaule droite. Accueillant l’impact, l’infirme effectua un demi-tour sur lui-même pour délivrer un coup de pied au terme de son mouvement.

La riposte surprit son assaillant qui l’encaissa en plein ventre, le souffle coupé, se pliant en deux.

Cælorn poussa son avantage en administrant un direct rendu flou par sa vitesse. Aedan reçut sciemment le coup en lui présentant son front, espérant briser le poing du Gaulois. Mais cela n’eut pas l’effet escompté et le Britton recula en chancelant. Cælorn frappa à nouveau.

Son opposant reprit de la distance et évita la touche. Ayant recouvré son équilibre, Aedan se rua sur le Gaulois à la vitesse de l’éclair.

Ils échangèrent de multiples assauts sans que nul ne parvienne à prendre le dessus sur l’autre. Néanmoins, le handicap du jumeau de Druvan se faisait ressentir par moments, lui faisant prendre des dégâts que son frère aurait aisément évités.

Lorsque la pluie de coups cessa et que les deux opposants prirent de la distance, Cælorn cracha une glaire sanguinolente et s’essuya la bouche d’un revers de main.

— Arrêtons-nous là, proposa Aedan, bon prince. Tu vois bien que…

— Je n’ai pas dit que j’abandonnais, répliqua Cælorn. Mais toi, ne commencerais-tu pas à prendre conscience de la sottise de tes paroles ?

Le Britton renifla sèchement et fit brûler ardemment son cosmos. Il allait mettre ce coq à terre au prochain échange. 

Cælorn sourit. Il avait toujours aimé provoquer ses adversaires avant de leur en faire voir de toutes les couleurs.

Ils se déplacèrent comme le vent, légers sur leurs pas. Les coups plurent encore, tantôt parés, tantôt esquivés. Cælorn se défendit vaillamment, mais contre un adversaire de la trempe d’Aedan, couplé au fait de n’avoir qu’un bras valide, cela devenait compliqué. Impossible même.

Aedan se rapprocha pour porter le coup qui mettrait fin au duel. Exactement ce qu’attendait Cælorn, qui avança d’un pas plutôt que de reculer. D’une poussée de son genou contre l’intérieur de celui de son adversaire, il le déséquilibra légèrement, prenant un maigre mais important ascendant.

L’infirme en profita pour balancer un coup de tête qui s’écrasa sur le nez d’Aedan, brisant le cartilage et déclenchant une effusion de sang. L’autre grogna et Cælorn feinta un direct qu’il transforma en crochet. Le coup atteignit le Britton à la tempe, le faisant reculer, incertain sur ses appuis. Sa vision soudain trouble lui laissa toutefois entrevoir ce que le Gaulois lui préparait.

Lorsqu’il le comprit, la peur le saisit et il laissa exploser son cosmos, incapable de se retenir tant l’émotion le submergeait. Il était impensable qu'il perde face à un estropié ! Bien conscient qu’il émanait de lui une énergie dépassant de loin ce que la décence autorisait pour ce type de duel, il lança néanmoins une énorme vague de pouvoir brut sur Cælorn dans un cri rageur.

À l'instant même où les spectateurs comprirent ce qui risquait de se passer, les plus aptes d'être eux voulurent tenter quelque chose. Mais il était clair qu’ils allaient être bien trop lents, pris de court par la tournure extrême que prenaient l’affrontement.

Druvan, jusque-là confiant en son frère jumeau, sentit l’angoisse lui nouer les tripes quand il s’aperçut que même lui ne pourrait intervenir à temps.

Contre toute attente, la déferlante se retrouva proprement partagée en deux, se dissipant de part et d’autre de Cælorn. Le Gaulois réapparut au milieu du nuage de poussière soulevé par l’attaque.

À ses pieds, le sol présentait une longue faille, comme incisé par une lame dont la pointe menaçait directement Aedan, à terre, tremblant sur son séant.

— Qu’est-ce que… put-on entendre monter depuis la foule étonnée.

Ce n’était pas tant le résultat de la contre-attaque de Cælorn qui provoquait cette réaction, mais la vision qu’offrait le Gaulois lui-même. Un irrépressible frisson parcourut le dos du Chevalier de la Balance.

L’aspirant au Capricorne se tenait droit, le corps légèrement de profil et tous pouvaient apercevoir le bras tendu chatoyant dans les rayons du soleil. Ce n’était pas un membre qui existait physiquement. Ses contours étaient éthérés. Sa structure nébuleuse. Mais il s’agissait bien d’un bras. Un bras droit fait de cosmos pur !

Une main gracile, et pourtant ferme, retenait ce membre vaporeux et l’empêchait de s’abattre davantage. La main d’une femme à la prestance divine dont l’autre main brandissait un sceptre d’or représentant des ailes déployées en cercle. Niké. 

— Il suffit, aspirants. Le vainqueur a été décidé, déclara calmement Athéna d'une voix à la fois douce et autoritaire.

Sans dématérialiser son bras, Cælorn mit un genou en terre devant celle qu’il avait juré de servir et de protéger.

— Comment se nomme ma lame féale, Chevalier Cælorn du Capricorne ? l’interrogea la déesse de la Guerre.

Le Gaulois eut une expression gênée.

— Je… je n'ai pas encore donné de nom à cette technique, votre Grandeur, bredouilla-t-il.

— Alors trouves-en un qui soit digne de ce tranchant sorti de ta chair comme le fer l’est de la pierre. Relève-toi, à présent, que tes pairs te reconnaissent et t'acceptent, ordonna Athéna.

Aedan, toujours au sol, son coup de sang retombé, admirait d’un air émerveillé, le miracle offert à ses yeux.

— Cælorn est déclaré vainqueur ! tonna la voix du Grand Pope, brisant le silence contemplatif de la foule. Il nous a démontré de manière incontestable qu’il méritait son titre de Chevalier d’Or ! (Il désigna le bras de cosmos) Et si ces compétences guerrières n’y suffisent pas, ceci est la preuve qu’il a reçu la bénédiction d’Athéna elle-même.

Druvan sentit un large sourire étirer son visage. Cælorn arborait le même, tandis qu’ils se regardaient mutuellement, sous les vivats des détrompés. Les yeux de l’aîné brillaient de fierté pour son cadet, même s’il y transparaissait également une question : “Tu comptais m’en parler quand ?”

Plus tard après la cérémonie, les faux jumeaux tirèrent leurs tranchants respectifs au clair. 

La Balance au glaive justicier.

Le Capricorne à l’épée dévouée. 

Lames jumelles du Sanctuaire.

L’Or croisa l’Éther et les deux frères se firent la promesse solennelle de combattre côte à côte, dès lors et jusqu'à l’heure de leur mort… pour la gloire d’Athéna et de leur gémellité.

Eole fut témoin de leur serment et le flot des resouvenances submergea les braves, les ramenant à leur présent.


*******


Plaine de Tanagra, 

Béotie, Grèce, 

5 Giamonios 143 GRM.


Voyant que Druvan et Cælorn ne s'avouaient pas vaincus, la confiance prématurée des Berserkers vacilla rapidement. Ils fixèrent les Gaulois de leur regard indécis. Ils n'étaient plus que deux face à eux, mais c'était comme si les jumeaux formaient une seule entité, une montagne faite homme qui toisait les arrogants mortels qui tentait de gravir ses pentes. Au moindre tressaillement musculaire des frères, les Berserkers se crispaient dans l'attente d'une attaque qui ne venait pas.

— Approchez ! Approchez donc, fauves d'Arès ! les somma le Capricorne avec énergie en dépit de son épuisement manifeste. Si vous voulez une victoire totale, il va falloir la mériter ! À moins que la peur vous tétanise...

C'en était trop. Les derniers Berserkers s'élancèrent en rugissant leur soif de sang, honteux de s'être laissé insulter de la sorte par un manchot moribond. Le cercle entourant les deux frères se resserra, tel le nœud coulant du condamné.

Dertou Britton Maruo [Justice des Armures Mortes] !

Des étoiles jaillirent depuis les morceaux épars de métal indifférenciés qui jonchaient le sol, vestiges du gigantesque carnage. À la vitesse de la foudre, elles tourbillonnèrent autour des jumeaux, fauchant la charge inconsidérée des Berserkers. Elles tranchaient, broyaient, mettaient en pièces sans état d’âme et dans un fracas morbide les corps qu’on opposait à leur trajectoire circulaire. 

Un sang que la terre, déjà engorgée, ne pouvait plus absorber, ruissela à sa surface, emplissant les cratères fumants. Les Berserkers s’effondrèrent les uns après les autres et les débris, achevant leur circonvolution funeste, allèrent s’écraser un peu partout, leur éclat terni, leur dureté entamée, par la brutalité de leur dernier acte. 

— Tu n’as pas pu t’en empêcher, hein ? s’enquit Druvan.

— Je savais que mon frère me protégerait, sourit Cælorn. C’était le seul moyen.

Le Saint de la Balance cracha du sang, le liquide carmin tachant son menton. Il jeta un regard terriblement las au Capricorne qui ne put empêcher des larmes de gonfler ses yeux.

— Il ne nous reste pas beaucoup d’options, Druvan, et tu le sais.

Cælorn leva son bras et désigna les armes de son jumeau. Druvan secoua la tête en dénégation.

— Athéna ne m'y a pas autorisé, il y a trop de non-Chevaliers dans cette guerre. Je ne peux pas prendre le risque.

— Notre déesse n’est plus, mon frère. Tu es à présent le seul garant de l’utilisation de ces armes sacrées. Les soldats spartiates et athéniens sont assez éloignés. C’est maintenant ou jamais.

Déjà, autour d’eux, les troupes d’Arès reformaient les rangs, cette fois menés directement par les quatre Rois des Berserkers qui s'étaient portés en première ligne. Pressés d’en finir, ils attaquèrent en personne, une attaque de front. Le Chevalier du Capricorne réagit au quart de tour. Il paroxysa son cosmos, érigea son bras, râlant quand son corps cria grâce, la dépense énergétique poussant ses organes épuisés dans leurs derniers retranchements, et l'abattit férocement.

Esosclavidurnu [Poing-lame divin] ! clama Cælorn en soutenant les terribles arcanes ennemis.

Et il recommença. Encore et encore et encore, laissant à son frère le temps de peser le bien-fondé de l’usage de ses terribles armes stellicides, fauchant ses adversaires. Du sang s'écoula de ses narines, ses oreilles et ses yeux. Il était presque à bout, mais il devait continuer. 

Pour Athéna trépassée. 

Pour la Terre en danger. 

Pour son frère indécidé.

Tandis que son cadet moissonnait des corps, sa lame s’abattant invariablement, l’aîné, en tant que gardien de l'Équilibre, pesait les conséquences de ce qu’il s’apprêtait à accomplir. 

Les armes de la Balance possédaient un pouvoir incommensurable, capable de briser les étoiles elles-mêmes. L’utilisation d’une telle puissance se devait d’obtenir l’aval d’Athéna. Il en avait toujours été ainsi. Le contraire eût été une infamie.

Cependant, la situation actuelle était sans précédent. La déesse aux Yeux Pers avait dû s’avouer vaincue, tandis que le véritable adversaire de cette guerre ne s’était pas encore manifesté. 

De l'entièreté de la Chevalerie, il ne restait rien. Rien si ce n’était ces deux frères luttant encore pour un idéal qui menaçait d’être écrasé à chaque seconde. Tant de gens étaient morts. Et tant de gens mourraient si les armées d’Arès l'emportaient. 

Aucun sacrifice ne devait être vain. Chaque vie, chaque larme versée, chaque goutte de sang épanché devait trouver son but.

Alors, Druvan raviva les braises de son cosmos, les muant en un ardent feu blanc. Sa silhouette s’auréola d’or fondu et la terre se mit à tressauter à l’unisson du sang rugissant dans ses veines. L’air crépita du pouvoir qui menaçait d’être déchaîné.

Percevant la résurgence du pouvoir de son jumeau, Cælorn s’autorisa un bref coup d'œil derrière lui et il sourit de fierté d’être le frère de cet homme.

En dépit de la victoire qu’ils estimaient proche, les Berserkers sentirent un malaise poindre en leur âme, troublés par l’aura grandissante du Chevalier de la Balance et de ce qu’elle pouvait signifier.

— Pour tous nos compagnons, murmura Druvan avant de s’exclamer : Uextlon Andextlon [Justice finale] !

Des logements où elles reposaient se propulsèrent les douze armes légendaires dans un bruit de tonnerre et une lumière aveuglante. Telles des étoiles filantes, elles percutèrent les premières lignes des Berserkers, éparpillant membres et corps aux quatre vents. Dans la gorge des guerriers d’Arès résonnait l’effroi et le défi. 

Druvan tourbillonna sans fin dans une danse guerrière dont lui seul entendait le rythme, agitant ses mains, pareil à un marionnettiste aux doigts lestés du poids de la mort.

Il n’y avait plus que le bris du métal contre le métal, l’impact du métal contre la chair. Le maelstrom stellaire emportait avec lui les râles et les vies des Berserkers.

Les Rois tentèrent d’ériger une barrière énergétique pour se prémunir du funeste sort de la piétaille. Toutefois, créée à la va-vite, la protection se vit fracasser en un battement de cœur.

Cælorn observait avec une fascination morbide le macabre spectacle qu’offrait le pouvoir déchaîné de son aîné. Rien ne lui résistait.

Druvan stoppa ses mouvements et d’un appel mental impérieux convoqua les armes, ivres de sang et de souffrance, à venir rejoindre leurs fourreaux. L’impact de leur retour le fit reculer de vingt bons pieds et il tomba sur un genou, à bout de souffle, un filet de sang épais s’étirant depuis la commissure de ses lèvres.

Le Capricorne se précipita vers son jumeau et s’accroupit à ses côtés.

— Druvan, c’était… c’était…

— Ce… n’est pas… fini, le prévint-il en tentant de calmer sa respiration erratique.

En effet, à une centaine de pieds de là, ils aperçurent une silhouette solitaire avancer tranquillement dans leur direction. Même à cette distance, ils pouvaient distinguer son aura vermillon qui brûlait avec intensité.

Des tremblements irrépressibles gagnèrent les corps des deux Gaulois, comme si des asticots grouillaient sur leurs plaies à vif.

Un ultime Berserker ? Non, c’était Arès, le Fléau des Hommes, en personne !

À mesure qu’il approchait, des ailes incandescentes de cosmos se déployèrent de part et d’autre de son dos. Il se ramassa sur lui-même et bondit dans une explosion de pouvoir, calcinant le sol sous lui.

Il décrivit une longue parabole, filant avec vélocité.

— Écarte-toi ! cria Druvan à son cadet.

Chacun s’éloigna d’un saut de l’endroit où ils se trouvaient, une fraction de seconde avant que le sol ne soit pulvérisé sous le choc de l'atterrissage du dieu guerrier. Ce dernier se redressa sans peine et un masque d’horreur se peignit sur les traits des jumeaux.

L’hôte investi par l’âme divine n’était autre que… Brennos, leur maître ! En un instant, ils comprirent l’origine de sa mystérieuse disparition au cours d’une mission.

L’Armour qu’Arès arborait dégageait la même familiarité que les traits de son réceptacle. Bien qu’altérée, transformée pour mieux convenir au parement d’un dieu, elle n’en était pas moins une réplique de la Cloth du Corbeau, mais dont les formes avaient évolué pour renvoyer une violente aura d’hostilité. Tout en piques et en lames, une cape de plumes rougeoyantes sur les épaules, elle mêlait à présent l’argent à l’écarlate.

Les tatouages de Brennos, naguère bleutés, avaient virés au carmin et une vilaine balafre s’étirait obliquement de son front à la ligne de sa mâchoire. L’homme qu’ils avaient connu n’était probablement plus qu’une coquille vide, sa propre âme consumée par la conscience parasite y ayant nichée. 

Aux hanches de l'incarnation pendaient une hache et un glaive. Sa dextre tenait une lance à la pointe menaçante, tandis que dans la poigne de sa senestre était emprisonné un sinistre trophée. En un geste dédaigneux, Arès le libéra, le laissant rebondir au sol, puis rouler sur une courte distance, à quelques pas des deux derniers Saints.

Les yeux des Chevaliers s’écarquillèrent et leur respiration se bloqua dans leur gorge. Non seulement, celui que l’on nommait Miaiphónos, le Souillé de Sang, avait perverti l’enveloppe de leur mentor, mais en sus, il était allé jusqu’à profaner le corps sans vie de leur déesse pour le décapiter !

— Athéna a péri sous les coups de mes fils, sans même attendre les miens, railla Arès en faisant tournoyer sa lance pour la planter dans le sol. Je m’attendais à ce qu’elle m’affronte, elle qui a si souvent abhorré ma façon de faire la guerre, mais elle n’en a pas eu le courage. Quel dommage : m’’emparer de sa tête dans ces conditions ne m’a même pas procuré le moindre plaisir.

Le Chevalier de la Balance fut tétanisé par le dédain avec lequel il prononça ces mots. Bien que souillée par les intonations irrévérencieuses de l’âme damnée d’Arès, la voix du réceptacle avait le même timbre que leur maître adoré. De son côté, le Capricorne serra son poing à en faire couler le sang, le faciès crispé. Tout à coup, il laissa exploser ses émotions, jusque-là contenues à grande peine.

Un cri de pure rage jaillit de sa bouche, chant primal de défi montant vers les cieux. En écho, son cosmos crut tel un torrent furieux aux flots gonflés par les pluies. Il chargea le dieu de la Guerre à une vitesse prodigieuse, peut-être la plus élevée qu’il eût jamais atteinte. 

Brennos avait été un puissant Chevalier d’Argent, néanmoins, il n’aurait jamais été en mesure de s’opposer à une telle vélocité, ni même de la comprendre. Désormais habité par l’âme du Furieux, son corps réagit pourtant sans peine.

Il dégaina ses armes et para les assauts du mortel osant s’en prendre à lui, un sourire narquois fendant les traits trop familiers. Les deux adversaires, maîtres épéistes consommés, entamèrent une danse martiale que chacun connaissait jusque dans ses chairs. Accompagnées de grognements, des entailles fissurèrent le sol près d’eux. Des étincelles volèrent lorsque les armes et le bras gainé de métal s’entrechoquèrent à de nombreuses reprises. 

Cependant, au bout de plusieurs échanges, Cælorn vit sa juste colère, douché par la froide réalité de sa situation.

Il faisait face à un être gavé du pouvoir d’un dieu. Tenir un rythme d’une telle intensité allait se révéler bientôt impossible.

— Un infirme n’a pas sa place sur le champ de bataille ! beugla Arès.

Ouvrant la garde du Capricorne, il le frappa à l’abdomen d’un formidable coup de pied, fracturant l’armure d’Or, et le propulsa à plusieurs pieds de là. Sans s’arrêter, le dieu ficha son glaive en terre et d’un mouvement trahissant une pratique antédiluvienne récupéra sa lance pour armer un tir.

Dans un mouvement flou, son bras se détendit pareil à un fouet et le projectile fila droit sur son infortunée cible.

Encore en train d’essayer de se redresser, expectorant du sang, Cælorn ne vit pas l’éclair funeste foncer sur lui. 

À une allure encore plus rapide, son cosmos débordant de toutes parts, Druvan se plaça in extremis devant son cadet, mobilisant toute la puissance qu’il lui restait pour amortir l’attaque.

Un fort tintement résonna tandis que la lance rebondissait sur l’un des boucliers de la Balance, le fer du projectile entaillant la surface du rempart érigé dans un crissement, pour y tracer un profond sillon. L’impact démit pratiquement l’épaule de Druvan.

Derrière lui, il entendit son frère puîné lutter pour reprendre pied. Ils étaient aussi exténués l’un que l’autre, mais il savait que Cælorn n’avait pas encore utilisé son atout. Il devait fournir à son frère une ouverture.

Il rassembla tout ce qui restait de son pouvoir en lambeaux, goûtant une saveur cuivrée bien trop familière sur sa langue. La sueur coulait dans ses yeux, les irritant. Chaque inspiration lui renvoyait des lances de douleurs dans le torse. Il ne savait pas si son corps tiendrait le coup encore longtemps. En dépit de tout cela, le Gaulois ne se retint pas. 

Uextlon Andextlon [Justice finale] ! clama-t-il.

Cette fois-ci, seules les armes offensives de la Balance fusèrent vers Arès. 

Druvan, les larmes aux yeux, ignora les traits trop familiers de Brennos pour se concentrer sur le véritable ennemi, celui qui avait investi le corps de son maître bien-aimé et dorénavant voué à la damnation.

— Impudence ! rugit le dieu honni par la voix de son réceptacle. Des armes de guerre contre moi !?

D'une main tendue, le Furieux prit le contrôle des projectiles et les renvoya vers Druvan, interdit par l’inutilité de son arcane ultime qui était pourtant parvenu à éradiquer tous les Berserkers. L'aîné des jumeaux regarda par-dessus son épaule. Toujours prostré, son cadet n’aurait jamais la force d'esquiver. Désespérément, il dressa à nouveau un barrage, tentant de se réfugier derrière ses deux boucliers. La puissance du choc fut démentielle.

— Mon frère ! hurla Cælorn en voyant les écus et l'armure de Druvan partir en miettes sous les terribles impacts.

L’un des glaives vint se ficher contre sa tête, lui ouvrant une cuisante incision sur la joue. L'une après l’autre, plus ou moins détruites par leur contact avec leurs boucliers frères, les autres armes retombèrent au sol, vaincues et humiliées de leur détournement par l’antithèse d’Athéna.

Druvan s’effondra sur lui-même, incapable du moindre geste, cataleptique. Le cœur broyé par l’angoisse, le Capricorne rampa jusqu'à son jumeau et le secoua sans prendre garde à leurs blessures respectives. Le cœur de la Balance battait encore mais son esprit semblait s'être envolé. Coma ou mort cérébrale ? Le puîné n’aurait su le dire. 

Au-dessus d’eux, dans son Armour d’argent et de sang dérivant de la Cloth pervertie du Corbeau, Arès-Brennos partit d’un rire sardonique qui emplit l’air. 

Des pleurs de rage, de douleur et de détresse s’élevèrent de la gorge serrée de Cælorn et son cosmos flamboya. Le dieu de la Guerre se tut instantanément, interrompu dans sa victoire anticipée par l’énergie phénoménale qui émana du dernier jumeau.

Tout en se relevant, le Capricorne réveilla son bras de cosmos et l’affûta. De sa main immatérielle, il s’empara du glaive de la Balance qui s’était planté à côté de lui 

— Qu’est-ce que… ? s'étonna le Furieux. Cette cosmo-énergie…

Le Septième Sens porté à son firmament, voilà ce que c'était. Ce niveau de cosmos qui permettait aux humains de réaliser des miracles que seuls des dieux pouvaient produire.

— Arès ! gronda Cælorn. Tu n’aurais jamais dû t’en prendre à mon frère. Je me suis retenu jusque-là, par égard pour ton corps d’emprunt. Mais je ne souffrirai plus ton ignominie ! Tu vas goûter à la force de la gémellité, cette fraternité qui transcende la divinité.

— Je te détruirai avant, dernier Chevalier !

Cælorn allait subir la colère du dieu conquérant sans avoir le temps d’attaquer, lorsque le réceptacle se figea. L’âme du Saint d’Argent combattait son divin tyran pour laisser le temps à son disciple de passer à l'action. Celui-ci ne gâcha pas cette occasion unique.

— Je vous remercie, maître. Druvan, Brennos, Athéna… je vous dédie cette attaque.

Dans l’épée de la Balance, à même de briser des étoiles, le Capricorne infusa son Esosclavidurnu, capable de trancher jusqu'au cosmos. À la vitesse de la lumière, il abattit cette lame suprême :

Cladioi Geminā Belisamā [Épées jumelles de Belisama] ! clama Cælorn.

Dans un hurlement sauvage, Arès subit la technique de plein fouet. Son corps d’emprunt et son esprit souverain furent fauchés et le Souillé de Sang se désincarna, l’âme rageuse se clivant de son réceptacle annihilé. Physique ou cosmique, il ne resta plus aucune trace du dieu belliqueux.

La Guerre Sainte contre Arès laissa là les deux frères, derniers représentants d’une Chevalerie décimée et d’un Sanctuaire sans déesse. Cælorn retira son casque et le laissa choir, tout comme avait chu l'épée de son jumeau, après que son bras de cosmos se soit dématérialisé, son énergie épuisée. Il s’agenouilla sur le sol torturé et gorgé de leur propre sang, de celui de leurs camarades d’armes, de celui de leurs ennemis jurés. Il amena Druvan à lui pour le faire reposer sur ses cuisses. Le Capricorne n'osa plus bouger, autant pour ne pas risquer d’empirer l'état de la Balance que par dégoût des bruits de succion humide que la terre imbibée produisait à chacun de ses gestes.

Au loin, le conflit des simples mortels continuait et la défaite s’annonçait athénienne. Peu importait pour le chevalier infirme et exténué. La victoire était spartiate du côté des hommes, mais elle revenait au Sanctuaire du côté des Saints. La Chevalerie sacrée d’Athéna avait sauvé le monde des velléités d’Arès, les dissensions communes ne relevaient plus de leur devoir. 

Son casque posé à sa gauche et le glaive de son jumeau planté à sa droite, Cælorn, de sa main unique, caressa le visage de Druvan inanimé.

— Cette fois, c’est moi qui veillerai sur toi, mon frère, murmura-t-il.

Dans le ciel, un corbeau blanc s’éleva, porté par le vent et les paroles d’or. L’histoire des jumeaux de la Balance et du Capricorne s’envola avec lui et fut reprise par bardes et aèdes sous la forme d’une ballade qui serait contée des siècles durant.

Les vers en étaient les suivants :

“Sous les cieux fabuleux d'une celtique bastide,

Naquirent deux garçons, sous le regard des druides.

Deux lunes séparaient leurs respectives conceptions,

Et la venue du premier tissa l'appel du second.


L'aîné, entier et fort, était d’étoffe royale,

Enlaçant son frère dans une étreinte primale.

Emporté par les eaux et le sang, né par écho forcé,

Le cadet portait l’empreinte du condamné.


Un bras dans les desseins d'Epona resté songe,

Mais le cœur plus vaillant que cent guerriers de bronze.

Un œil d'abîme et l'autre d’azur,

Reflets de l’âme affûtée d’un héros pur.


L'enfance du puîné fut rude, semée de querelles,

Dans son corps infirme, il affrontait les cruels.

Son aîné, allié de toujours, en rempart indéfectible,

Levait le poing contre les affronts terribles.


Un chevalier d’argent, par l'œil des corvidés,

Vit briller dans leurs cœurs la flamme consacrée.

Et vers le Sanctuaire d'Athéna, un jour les mena,

Où les constellations forgent et le cosmos s’ébat.


Dans l’arène des dieux, qu'il vente ou qu'il pleuve,

Le plus jeune vainquit le sort, le doute, l’épreuve.

Il dressa son moignon tel un glaive,

Fauchant son destin sans plainte ni trêve.


Athéna, que nomment Belisama les druides,

Leur donna l’or sacré, son témoin l'égide.

Jumeaux qui n'en étaient pas, couronnés de lumière pure,

Unis par le sang, le cosmos et l’armure.


L'aîné devint Balance, arbitre et protecteur,

Gardien de l’équilibre et du juste honneur.

Le puîné, Capricorne, fidélité faite homme,

Au fil sans égal, de l'étoile à l'atome.


Mais vint l’heure des ombres, l’heure de la discorde,

Quand Arès – Toutatis – lança ses sombres hordes.

Les frères s’élancèrent, armes dans la clarté,

Leurs lames fusionnant en une seule volonté.


Excalibur et Glaive, épées jumelées,

Sous leur double assaut, le chaos en danger.

Deux tranchants, un sang, même serment,

Ensemble abattirent le dieu conquérant.



Souviens-toi, Celtie, de l'alliance fraternelle,

Grave en ton cœur leur nom, sur la pierre éternelle :

Druvan et Cælorn, chevaliers d'or et frères.

Voici ceux qui, unis, firent plier la Guerre.”



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