Passion de glace
Quelque part en Sibérie …
L’ourse et ses oursons avançaient sur la banquise sans se soucier des deux individus qui observaient au loin leur progression.
- Ne la rate surtout pas ! dit une voix féminine. Sinon ça va devenir dangereux.
- Ne t’inquiètes pas ! répondit l’homme. Ce n’est pas la première fois que j’accomplis une telle opération.
- Désolée… Il faut tout de même se dépêcher, si le vent tourne et qu’elle sent notre présence tout sera fichu !
Un bruit de détonation retentit. La jeune femme observa la petite famille de plantigrades tandis que la mère luttait un court instant avant de sombrer dans un profond sommeil.
- Dépêchons-nous ! dit l’homme en empoignant un énorme sac. Nous n’avons qu’une demi-heure avant que l’effet de l’anesthésie ne s’estompe. Tu as le collier émetteur ?
- Oui le voilà ! Moi je m’occupe des oursons !
Les deux scientifiques firent divers prélèvements, pesèrent et mesurèrent chaque animal et placèrent sur la femelle le collier émetteur. Après avoir collecté les derniers échantillons de sang, les biologistes s’éloignèrent rapidement alors que l’ourse se réveillait doucement.
- Joli tir Richard !
- Merci Morwen ! répondit l’intéressé. Bon voyons si la balise fonctionne.
Il ouvrit son portable et suivit des yeux le signal lumineux émit par le GPS indiquant les moindres déplacement de la femelle qu’ils venaient de recenser.
L’homme d’une quarantaine d’années était un spécialiste des ursidés et avait pour mission de parcourir les zones d’habitat de Thalarctos (Ursus) maritimus, plus connu sous le nom d’ours polaire, pour constater l’évolution de l’espèce aujourd’hui menacée d’extinction.
Il était assisté dans sa tâche par la biologiste spécialiste des pinnipèdes, Morwen Greenleaf, qui profitait de cette expédition pour approfondir son étude des colonies de phoque en Sibérie.
- On rentre au campement ! lança Richard en se dirigeant vers les motoneiges.
- J’ai encore quelques prélèvements à faire et je te rejoins.
- Il vaudrait mieux que je reste. Il est dangereux de s’aventurer seul sur la banquise, le moindre faux pas est mortel et puis j’ai entendu dire que des loups rodaient par ici.
- Ne t’en fait pas, je n’irai pas loin. Quant aux loups ils n’attaquent que pour se nourrir et craignent la présence de l’homme. Notre position verticale les effraye et ils préféreront laisser de l’espace entre eux et moi !
- Bon d’accord même si je pense que c’est une erreur. Ne t’attardes pas trop car la nuit arrive vite sous ces latitudes.
- Je serai rentrée avant la tombée du soir c’est promis ! répondit la jeune femme.
Richard enfourcha la motoneige et Morwen le regarda s’éloigner quelques instants. La biologiste suivit la piste qu’elle avait repérée plus tôt dans la journée et ne se rendit pas compte qu’elle s’éloignait dangereusement de son point de départ. Après avoir marché pendant près d’un quart d’heure Morwen dut se rendre à l’évidence, la piste qu’elle suivait ne menait à rien.
Aucun phoque ne daignerait se montrer aujourd’hui.
Elle voulut s’en retourner lorsqu’une violente bourrasque manqua de la faire tomber. La demoiselle leva les yeux sur de gros nuages menaçants qui commençaient à perdre leurs flocons.
Le blizzard ce mit à souffler effaçant par la même occasion les traces de la jeune femme. Dans l’impossibilité de rebrousser chemin et sans pouvoir suivre un itinéraire correct, Morwen se retrouva bientôt perdue sur la banquise, marchant droit devant elle mais s’éloignant inexorablement de son but. Le ciel vira au noir lorsque la nuit arriva.
La neige tourbillonnait avec force aveuglant la jeune femme qui commençait à ressentir les premières sensations de faim et de fatigue. Le froid lui mordait le visage et même sa combinaison spécialement conçue pour les expéditions polaires, ne pouvait l’empêcher de frissonner.
- Surtout ne pas s’arrêter ! se murmura Morwen. Continuer à avancer est ma seule chance.
Une heure déjà s’était écoulée et la jeune femme luttait toujours contre la tempête. Ses membres engourdis par le froid la mettaient à la torture tout comme les crampes qui lui tordaient l’estomac.
- Il ne faut pas que je m’arrête, je dois continuer à avancer !
Cette phrase, elle se la répétait en boucle ! Ce leitmotiv restait la seule chose qui l’empêchait de sombrer dans le sommeil mortel qui tentait de l’emporter.
Malgré tous ses efforts, les jambes de la biologiste la trahir et elle s’effondra au sol, sombrant dans une profonde léthargie due à l’hypothermie.
- J’ai vraiment été idiote de renvoyer Richard ! pensa-t-elle. Je connaissais le danger que représente une sortie en solitaire sur la banquise et me voilà commettant toutes les erreurs d’un néophyte. Ne pas prendre ma boussole fut la pire de toute !
Les yeux ouverts sur un ciel d’un noir d’encre, Morwen regardait sans la voir, la folle danse des cristaux de glace charriés par un blizzard qui semblait ne pas vouloir finir. Perdant peu à peu contact avec la réalité, la demoiselle n’entendait plus le moindre bruit néanmoins, elle crut voir une silhouette floue se pencher sur elle.
- Sûrement un effet de mon imagination ! se dit-elle avant de plonger dans l’inconscience.
- Il n’est pas trop tard pour la sauver, c’est une chance que nous soyons passés par ici ! dit une voix dont les paroles furent emportées au loin par la force du vent. Yakoff, aide-moi à la transporter !