Une Dernière Bataille
Chapitre 28 : Quitte ou Double - Seconde Partie
12491 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 01/08/2024 08:32
25 mars 1997
Norvège, Asgard, Province Nord
Sur les degrés de pierre balayés par le vent froid d’un timide printemps, un trio de silhouettes observait les alentours avec concentration. D’ailleurs, celle-ci était d’autant plus intense qu’il faisait nuit noire et que la couverture nuageuse plongeait le monde dans un puits de ténèbres. Une atmosphère singulière, mais néanmoins parfaite pour qui voulait passer inaperçu.
Face à eux, leur objectif se trouvait un peu plus loin dans le col de montagne. A l’origine, celui-ci devait être plus étroit, mais il avait été élargi de main d’homme et des murailles avaient été construites pour en défendre l’accès. Hautes de près de quatre mètres, leurs sommets étaient marqués à intervalles réguliers par des braseros, points lumineux clairement visibles sur le fond nocturne.
- Comment allons-nous nous jouer de ces portes ? demanda Einar en un chuchotement ténu.
- Si elles veulent se réchauffer, les sentinelles vont devoir se tenir près des feux, commença par lui répondre Rikimaru. Suffisamment pour qu’elles se retrouvent aveuglées par l’éclat des flammes. Nous devrons alors saisir cette occasion pour nous faufiler sous leurs défenses.
- Ç’a aurait d’ailleurs été d’autant plus simple si tu n’étais pas venu, lui rappela Ayame.
- J’ai une dette envers Oreste ! s’emporta l’Asgardien. Je ne vais pas …
- Du calme, le tempéra le Shinobi Lunaire en lui posant une main sur l’épaule. Elle veut surtout dire que tu n’as pas reçu notre entraînement en matière de discrétion. Ne t’inquiète pas pour autant, au besoin je pourrais nous rendre nettement moins remarquables.
- Hein ?
- Allez, on se bouge, marmonna Ayame qui n’avait pas quitté des yeux la ronde des sentinelles.
Rikimaru s’élança le premier, et les deux autres le suivirent sans perdre un instant.
Parvenus au pied du mur, le Japonais se cala contre et joignit ses doigts pour former une marche. Il invita Ayame à y prendre appui.
La jeune femme s’approcha, comptant sur un rythme qu’ils avaient déjà travaillé par le passé et bondit. Propulsée vers le haut, elle s’agrippa au rebord et le franchit. Einar parvint à l’imiter tant bien que mal avec une grâce bien moins évidente.
A plat ventre, ils tendirent chacun un bras pour que leur ami s’y accroche. Rikimaru sauta en s’aidant du mur et saisit les mains secourables qui le hissèrent dans un même mouvement. Le petit groupe descendit dans la cour et se faufila sans heurts jusqu’à une minuscule étable aux stalles vides, dont ils investirent l’étage.
- Et maintenant ? chuchota Einar.
- On attend, répondit simplement Rikimaru.
Même s’il ne pouvait pas distinguer son visage dans la pénombre, le Japonais comprit que son vis-à-vis attendait davantage d’explications.
- Si on se fie aux planifications d’Arion, ainsi qu’à notre propre décompte, la bataille ne démarrera que demain matin. Et Loki sera en quelque sorte de la partie là-bas, en esprit, trop absorbé à suivre le déroulement des combats. Nous devrons donc tirer parti du fait que son attention sera dissipée pour détecter nos énergies si nous en usons. (Il gratta distraitement sa cicatrice.) Sans oublier que nous ignorons s’il reste des Fléaux ou des Gardiens Célestes encore ici.
- Quand nous en userons, rectifia la Kunoichi Lunaire.
Les probabilités qu’ils ne le fassent pas étaient effectivement très, très minces.
- Je préférerai n’avoir à le faire qu’en cas d’urgence et plutôt pour sortir qu’entrer dans cette montagne.
Ils restèrent silencieux un long moment suite à ça.
- Qui prend le premier quart ?
- Je m’en charge, répondit Ayame. Je réveillerai Einar pour le suivant.
Les heures les plus dures étant celles qui précédaient l’aube, Rikimaru récoltait le tour le plus astreignant.
Les deux jeunes hommes s’enroulèrent dans leurs capes, tandis que la Japonaise s’installait correctement pour surveiller les environs de la cour en contrebas.
- Tâcher de ne pas ronfler, leur lança-t-elle malicieusement.
26 mars 1997
Norvège, Asgard, Province Nord
En un rien de temps, le semblant d’ordre instauré avant le début de la bataille vira au chaos le plus total.
Le chant du métal mêlé à celui des clameurs guerrières et des cris d’agonie emplissait les tympans des acteurs des deux camps. Les cieux se retrouvaient zébrés de projectiles, avant de subitement s’embraser violemment sous la voltige de boules de feu et de fulgurants éclairs d’énergie.
Le sol avait depuis longtemps oublié la blancheur originelle de la couche de poudreuse qui le recouvrait, pour virer en une bouillie brune cramoisie, quant il ne s’ouvrait pas sur des cratères fumants.
- R-tsa Shalarda-ida !
Des dizaines de traits vinrent s’écraser en crépitant sur la paroi cristalline comme des gouttes de pluie sur une fenêtre, puis survint l’averse de feu, intense et étouffante. Des hurlements couvrirent les soupirs de soulagement de ceux qui avaient pu bénéficier de cette protection salutaire.
La pression augmenta au fur et à mesure que les mages des runes poursuivaient leurs efforts, tant et si bien qu’Arion finit par mettre un genou à terre. Des fissures se manifestèrent à la surface du mur et le Bélier crut céder quand le tir de barrage nourri finit par cesser.
Sans perdre de temps, il relâcha sa défense et démarra en trombe en soulevant une gerbe de terre.
- Skarama-r-dala Aklarala-a-khyarastanja-sá !! tonna la voix du Bélier.
Les étoiles filèrent à la vitesse de la lumière, scintillements fugaces se muant en explosions tonitruantes lorsqu’elles percutèrent les rangs des mages, ne laissant que des cadavres déchiquetés sur leur passage.
A peine le Tibétain eut-il l’occasion de profiter de ce répit qu’il fût de nouveau submergé par les attaques qui le visaient.
Raul avait chargé avec le flanc gauche de l’armée, beuglant plus fort que tous les autres son envie d’en découdre. Il se mit à rire, mais c’était simplement nerveux, la tension de l’immense confrontation pesant intensément sur son esprit. Il lui fallait s’en libérer.
D’un mouvement du bras, gonflé par un excès de cosmos, il brisa l’élan de la nuée ennemie, envoyant de nombreux hommes dans les airs, rendus pareils à des feuilles ballottées par le vent et renversant les cavaliers dont les montures s’enfuirent en écrasant les obstacles humains. Ceux qui l’avaient suivi rugirent devant ce spectacle. Ceux des premières lignes encore debout face à lui se mirent à hésiter.
Brusquement, la terre se mit à trembler comme sous le pas d’un géant. Dominant bien vite de la tête, puis des épaules et finalement de la taille les rangs d’hommes, un automate similaire à celui affronté par Arion et Tristan, se mit à toiser le Chevalier d’Or.
- Les gars, celui-là, il est pour moi, lança-t-il à la ronde en se frottant les mains.
Grâce aux parchemins qu’ils avaient réussis à sauver de la destruction, Beldin ainsi que les artisans Nains avaient pu étudier les mécanismes et surtout les enchantements runiques qui avaient été utilisés pour permettre la création d’une telle machine.
Force leur avait été de reconnaître que ceux qui avaient réalisé ce travail n’avaient pas terni la légendaire réputation des Nains concernant l’art de la forge. De savants calculs et quelques tâtonnements progressifs avaient constitué la base d’un tel prodige. Toutefois, c’était indéniablement l’art des runes associé à une des plus noires magies qui avaient permis à ces machines de prendre vie.
Dernière touche qui rendait tout ceci possible, le sacrifice rituel d’un Nain dont on arrachait le cœur pour le consacrer, avant qu’il soit inséré dans la carcasse de métal ouvragé au milieu des engrenages pour y servir de rune maîtresse. C’était donc cette source d’énergie qu’il fallait viser et détruire pour le mettre définitivement hors d’état de nuire.
A cette fin, les Nains avaient passé des semaines sur l’élaboration d’une « arme » capable de se charger d’exposer cette faiblesse puisque la solide cuirasse avait pour but de détourner le cosmos. Tromper l’ennemi sur le lieu de la bataille avait eu pour but de dissimuler de puissantes balistes, dont les carreaux étaient ornés de symboles dévastateurs, en se servant des inégalités du terrain. Ces machines serviraient à immobiliser suffisamment les automates pour qu’on n’ait plus qu’à leur porter le coup de grâce, si tant était qu’on leur avait infligé assez de dégâts.
En ultime recours, les utilisateurs de cosmos avaient tous reçu un cadeau de la part des artisans : une même rune destructrice gravée sur l’un de leurs gantelets. Malgré tout, le risque était que la superposition de deux arts différents de la forge finît par provoquer un éclatement de l’Armure – à défaut de la main de son propriétaire, parce que cela revenait à frapper un roc à mains nues … puisqu’il devrait le faire sans user du cosmos.
Ailleurs, un vent violent se mit à souffler brusquement, dispersant l’averse de flèches qui menaçaient de s’abattre. Une nouvelle bourrasque s’éleva, renversant les fantassins.
D’un rapide enchaînement, Nikolaï fit le ménage autour de lui, brisant les boucliers et les épées, puis les corps des soldats qui avaient voulu s’en prendre à lui.
Une vague de cosmos lancé dans sa direction l’obligea subitement à passer sur la défensive.
- Genbu, lâcha le Marina avec un sourire farouche tout en secouant ses mains encore parcourues de fourmillements, enfin tu te montres !
Face à lui s’avançait le Gardien Céleste.
- L’ouragan qui balaie tout sur son passage ne veut-il donc pas devenir une douce brise ?
- Intéressante philosophie, commenta Nikolaï en intensifiant l’aura irisée qui l’entourait. Mais ce ne sont pas des mots que je veux voir sortir de ta bouche.
En un battement de cils, le Russe aspira de l’air et l’expulsa, chargé de cosmos. Immédiatement en réponse, Genbu fit jaillir une plaque de terre grâce à l’eau qu’il avait fait s’infiltrer au préalable dans le sol, la manipulant à sa guise. Le rempart tellurique montra quelques signes de résistance avant de voler en éclats, dévoilant une place vide.
Du coin de l’œil, Nikolaï aperçut le poing du Japonais s’écraser sur sa mâchoire. Par réflexe, il parvint à tordre le cou pour accompagner le mouvement, ce qui ne l’empêcha pas de récolter une lèvre éclatée et de reculer de plusieurs pas. Un direct au corps suivit, avec une force décuplée. Et cette fois, la cible se retrouva propulsée six mètres plus loin.
Mettant un genou à terre, le Cheval des Mers cracha du sang, son plastron présentant une nette fissure en étoile. Il ne saisissait pas pleinement par quoi il avait été percuté, tant la force et la vélocité l’avaient surpris. La sourde douleur dans sa poitrine commença à enfler, de même que sa colère.
Genbu buvait tranquillement une gorgée de la calebasse d’ordinaire suspendue à sa ceinture ; décidément cet homme était plus rapide que son ombre lorsqu’il s’agissait de se désaltérer le gosier.
Tristan venait d’abattre un groupe de Managarm lorsqu’il dût faire face à un adversaire d’un tout autre calibre. Du bras, il bloqua le poing géant d’un être de flammes. Il résista à la poussée durant quelques secondes, avant que son gantelet soit porté à incandescence. La douleur soudaine lui fit relâcher ses efforts et le géant le repoussa, ses pieds meurtrissant le sol.
N’y tenant plus, le Capricorne s’esquiva d’un pas de côté et le poing alla s’enfoncer dans la terre, la changeant rapidement en magma. D’un rapide mouvement du bras, il lacéra le torse de la créature, la fendant en deux, mais les flammes se regroupèrent comme si de rien n’était. Tristan intensifia son cosmos et répéta l’opération en multipliant les coups, créant un quadrillage tranchant qui ne laissa que des flammèches derrière lui. Il enchaîna directement avec une violente vague d’énergie brute qui finit de disperser les résidus.
D’un bond, le Français s’écarta à l’instant même où on tentait une nouvelle offensive à son encontre. Sauf que l’auteur de cette tentative était revêtu d’une armure noire aux reflets bleuâtres et dégageait une singulière aura de force savamment contenue. Ses yeux brun vert se posèrent sur le jeune homme.
- Tu as réussi à te débarrasser de mes Muspelheims Blusser aisément, lui dit-il en se relevant. La reine est décidément entourée de guerriers compétents.
Arrachant les vestiges de la cape désormais brûlée que ses épaules supportaient, Tristan répondit :
- On dirait presque que tu regrettes ton choix de camp.
- Oh non, j’assume chacune des décisions que je prends. Il devrait toujours en être ainsi.
Le bras du Capricorne se nimba d’un halo doré que l’on pouvait sentir particulièrement effilé.
- Un duel de lames ? fit l’autre en souriant. Hun som skinner klarere enn solen !
Une épée à l’éclat aveuglant se matérialisa dans les airs tout près de lui, mais étrangement il ne s’en empara pas.
- Je me nomme Holdyrr, Fléau de Surt et commandant des armées de Loki.
Ce dernier roula des épaules et la lame tournoya à ses côtés. Tristan comprit rapidement qu’il allait devoir affronter un adversaire doté de trois "bras".
Le Fléau de Surt fit exploser son énergie. Un souffle d’air chaud et un frémissement terrestre l’accompagnèrent ; le calme avant la tempête. Il mima un salut d’escrimeur et se jeta sur le Français en enchaînant les assauts, variant les combinaisons. Il était clair qu’il s’agissait d’un guerrier chevronné aux yeux duquel le jeune Chevalier d’Or ne devait guère paraître plus qu’un bleu. Malgré tout, entre sa propre expérience et le savoir martial dont il était le dépositaire, il parvenait à conserver la tête sur les épaules.
Les échanges se succédèrent jusqu’à ce que le Fléau fasse reculer le Capricorne.
- Brennende Slag !
Profitant de cette ouverture, Holdyrr projeta plusieurs boules de feu en autant de coups de poings. Celles-ci filèrent à toute vitesse sur Tristan qui en esquiva quelques-unes, avant de trancher celles qui menaçaient de le toucher. Entre les vagues de chaleur qui le frappaient successivement au visage, Tristan aperçut le mouvement furtif des déplacements du Fléau. En un instant, ce dernier se retrouva au contact et asséna un violent coup de poing.
Tristan l’encaissa de plein fouet, avant de subir soudainement des attaques de trois directions différentes. En se baissant pour éviter la lame de feu, un poing le cueillit au menton, suivi par une bourrade de l’épaule pour le déséquilibrer.
- Muspelheims Blusser !
- Excalibur ! lança en retour le Chevalier d’Or, tandis qu’il flanchait, le nez dégoulinant de sang.
La lame dorée partagea la colonne de feu en deux, chaque moitié le dépassant de part et d’autre.
Un fugace sourire chez Holdyrr et le soudain souffle dans son dos lui laissèrent à peine le temps de comprendre ce qui se produisait. Derrière lui, les flammes convergèrent pour former un colosse ardent qui sitôt apparu, abattit toute sa masse, provoquant le bris du sol autour en l’accompagnant d’une explosion de flammes. Le Fléau regarda son opposant disparaître.
Une certaine satisfaction l’envahit après ce combat qu’il considérait terminé. Son ennemi avait fait preuve de courage et de compétences, lui octroyant un certain défi. Pourtant, sa curiosité se retrouva piquée quand ces mêmes flammes explosèrent dans un rugissement lorsqu’elles durent libérer leur captif.
Le Français, fumant, jaillit du cercle infernal, un bouclier étincelant d’énergie invoqué sur son bras gauche. Avec un cri, Tristan se propulsa au contact d’Holdyrr, épaule en avant. Ce dernier le reçut dans un grognement en lui opposant son épée de feu. L’onde de choc en résultant se répercuta à cent cinquante mètres à la ronde, fauchant certains soldats encore présents dans les parages et couchant la maigre végétation. Un énorme nuage de poussière s’éleva, tandis que leurs os vibraient.
Animé par une ardeur guerrière, chacun repartit à l’attaque de l’autre, se rendant coup pour coup, marquant leurs corps de plaies sanglantes et de bleus, et de crevasses et de cratères le terrain autour d’eux. Alterner entre leurs techniques les vidait néanmoins de leur énergie à un rythme effrayant.
- Pour quelles raisons êtes-vous prêts à aller aussi loin, toi et les tiens ? demanda Holdyrr, dès qu’il eu calmé sa respiration. Ce n’est pas votre combat, encore moins votre patrie.
- Le rôle des Chevaliers d’Athéna est partout où la justice et la paix sont menacées, répondit Tristan. Peu importe le lieu ou le peuple concerné.
- Des paroles bien candides. Mais cela ne me surprend guère de la part d’un enfant. Y crois-tu réellement, ou ne fais-tu que répéter ce que l’on t’a appris ?
- Peut-être suis-je jeune en effet. Et naïf par-dessus le marché. Cependant, je ne suis pas stupide et je n’ai pas besoin de réciter mes leçons pour m’en convaincre.
- Sûr de tes convictions, hein ? Tant mieux, acheva Holdyrr, un petit sourire flottant brièvement sur ses lèvres.
L’épée en lévitation flamboya de plus bel.
La grande masse de métal s’effondra avec fracas sous le dernier coup du Taureau. Raul poussa un cri de pure exaltation en sentant trembler le sol sous ses pieds et la douleur lancinante de son poing brisé à force de frapper sur des carapaces.
Sans crier gare, une bourrasque de vent noya les alentours sous une nappe verdâtre qui lui irrita immédiatement les yeux.
- Qu’est-ce que … ?
Autour de lui, il vit les guerriers se mettre à tousser bruyamment, se griffant désespérément la gorge. Du sang se mit à couler de leurs yeux et de leurs nez, leurs dents se déchaussèrent. Le Mexicain, horrifié, s’approcha de l’un d’entre eux, dans une vaine tentative de secours.
Sa main ne rencontra que de la chair en décomposition, s’écrasant mollement sous ses doigts. Un haut-le-cœur le saisit, l’obligeant à se détourner du malheureux. Des dizaines de silhouettes subissaient le même sort non loin de lui. Une insoutenable odeur empuantissait l’air. A n’en pas douter, il s’agissait du pouvoir de l’un des Fléaux de Loki. Un terrifiant pouvoir.
Raul devait immédiatement en trouver l’origine, sans quoi l’armée de la reine encourait des pertes drastiques et irrémédiables.
Un embrasement brutal de cosmos à une centaine de mètres de là lui apparut comme le fanal d’un phare en pleine nuit. Il s’élança à grandes enjambées.
A travers le brouillard délétère, Raul découvrit son adversaire : un grand Asgardien blond, d’une stature supérieure à la sienne. Son armure présentait un vert semblable à celui de la mer et une allure qui rappelait celle d’un titanesque reptile issu des abysses. Son regard charbonneux se riva à celui d’un gris orageux du Fléau.
- Hé, toi ! lança celui-ci en toisant le Mexicain. Si tu as pu résister à mon acide, c’est que tu dois être plutôt fort, alors affronte-moi !
- Enfoiré, c’est toi qui a fait ça !
Un poing d’énergie dorée se matérialisa au-dessus de Siholt et s’abattit avec la vitesse d’une comète. Avec une détente fulgurante, ce dernier lui opposa une paume à la robustesse tout aussi prompte. Ses pieds s’enfoncèrent dans le sol et son bras trembla.
Mais il tint bon et surmonta l’assaut. Seul un fourmillement persistant dans son membre indiquait ce qu’il venait d’essuyer. Un sourire de contentement lui remonta jusqu’aux yeux.
- Une salutation comme je les aime, Chevalier !
D’une poussée, Siholt franchit la courte distance qui les séparait et asséna un formidable coup de poing au Taureau. Celui-ci parvint à l’écarter de justesse, mais ressenti tout la force derrière. Il contre-attaqua aussitôt et une pluie de coups s’ensuivit entre les deux opposants.
Ceux qui n’étaient pas parés ou amortis, laissaient des marques dans la terre autour d’eux et faisaient exploser les corps. Des éclairs crépitaient quand leurs auras entraient en contact et les poils sur leurs nuques se hérissaient sous la charge statique.
En un clin d’œil, ils disparaissaient du champ de vision pour réapparaître dans un panache de poussière. Tantôt proches, tantôt éloignés, les combattants se retrouvèrent bientôt les doigts entremêlés dans un duel de force pure.
Poussant, ahanant sous l’effort déployé, Raul crut alors percevoir un éclair de douleur traverser le visage dur de l’Asgardien.
Il poussa davantage, tentant de jouer sur l’orientation de leurs bras et là, il sut où appuyer pour faire pencher la balance. Avec un grognement guttural, Siholt sentit sa résistance s’effondrer, tandis qu’une indicible souffrance irradiait de son bras convalescent. Ses traits se crispèrent. Un de ses genoux frappa le sol et il en conçut autant de honte que de rage en voyant son adversaire sourire. De son côté, le Mexicain imaginait la partie terminée.
Gearóid t’a laissé un sacré souvenir, mon grand, pensa-t-il. Dommage qu’il ne soit pas là pour voir ça.
Avec un cri, Siholt se redressa à demi et poussant sur ses jambes massives, percuta le Taureau à hauteur de poitrine. Ce dernier recula de trois pas, mais maintint sa pression. Une aura d’un vert corrosif se manifesta autour du Fléau et enfla, paraissant se solidifier pour l’englober petit à petit.
Le Chevalier d’Or, dont les mains se trouvaient désormais à l’intérieur de cette espèce de gangue, se mit à éprouver une sensation de vive brûlure. L’enveloppe continua de croître, développant la forme si caractéristique d’une tête de serpent et l’énergie se propagea au-delà du dos de l’Asgardien, pareille aux anneaux d’un ophidien. Les bras de Raul étaient à l’intérieur de mâchoires géantes qui ne tardèrent pas à constituer un véritable étau. L’Armure d’Or se mit à siffler, comme une barre de métal incandescente que l’on plongerait dans l’eau, preuve de la puissance du venin.
Le Mexicain tira, s’arc-boutant presque, sans parvenir à faire quoi que ce soit. Il ne perçut qu’un infime mouvement lorsqu’il se retrouva brusquement libéré. D’un seul coup, la masse de cosmos serpentiforme le projeta dans les airs, dans un claquement de fouet. Raul cria et tandis qu’il chutait, il encaissa un véritable coup de bélier de la part de Siholt. Le choc chassa l’air de ses poumons et il entendit distinctement quelque chose craquer. Crachant du sang, il se retrouva propulsé tel un boulet de canon à plusieurs centaines de mètres.
Ulfhilde regarda de nouveaux corps s’effondrer autour d’elle. Elle entendit les râles des soldats, suivi du son des os qui se brisent sous la force des puissantes mâchoires de ses molosses étiques. Un frisson la parcourut en dépit de l’adrénaline engendrée par la bataille.
Il s’agissait de son premier conflit à une telle échelle et elle se rendait finalement compte de la folie dans laquelle elle était engagée. Ulfhilde avait accepté de devenir un Fléau dans l’intérêt des habitants de son village.
Elle avait été leur guérisseuse, c’était à elle de prendre soin d’eux, mais la réalité qui s’offrait à ses yeux était toute autre. A présent, qu’avait-elle de si différent par rapport aux bouchers du Mage des Mensonges ? La jeune femme en vint à vouloir stopper cette folie lorsque des impacts de coups lui parvinrent à travers le lien qui l’unissait à ses créations. Seulement à ce stade de l’affrontement, ce n’était plus de simples guerriers qui l’assaillaient.
Des Chevaliers parés d’armures argentées, un homme et une femme, à peine sortis de l’adolescence se battaient pour une terre qui n’était pas la leur.
Elle, elle ne le faisait pas pour toute une nation, mais uniquement une infime fraction de celle-ci. Etait-elle à ce point égoïste ? En tant que guérisseuse, elle avait pourtant conscience qu’il fallait parfois sacrifier une partie du corps pour en sauver l’intégralité. Peut-être était-ce elle, la partie à détacher ? Si la reine l’emportait, elle serait sans aucun doute en mesure de libérer les membres de son village. Il ne lui restait alors plus qu’à s’écarter du chemin.
En es-tu sûre ? susurra une voix à son oreille.
Le ton de celle-ci était doucereux et un frisson parcourut l’échine d’Ulfhilde.
Venait-elle vraiment d’avoir cette pensée ? Elle était en proie au doute, certes, mais la balance qui penchait d’un côté venait soudainement de revenir à un équilibre précaire.
Et si elle avait tort ? Si elle s’inclinait et que Loki l’emportait, les gens qui comptaient pour elle seraient sans aucun doute massacrés en représailles. A l’inverse, qui pouvait dire comment la reine les traiterait, tout ça parce qu’Ulfhilde avait prêté allégeance au Mages des Mensonges ?
- Non, murmura-t-elle, elle n’est pas comme ça.
Oh, elle n’est pas comme ça ? Qui peut dire quelle sera son attitude ? Aujourd’hui, elle a besoin de l’appui de chacun, mais demain ? Après la victoire, peut-être voudra-t-elle se lancer dans une purge du royaume. Beaucoup subiront ses foudres …
Au final, il n’y avait qu’Ulfhilde pour les protéger !
Son cosmos redoubla soudain d’ardeur, se parant d’un éclat particulièrement sombre, et les chiens squelettes virent leurs os se couvrir de pointes pour certains et de plaques robustes pour d’autres. Leur agressivité monta elle aussi en flèche.
Les sept qu’elle avait générés représentaient non seulement une grande débauche d’énergie, mais demandaient également une intense concentration pour les manipuler. Des boules de feu s’écrasaient un peu partout autour de la meute. Elle en eu assez.
Le Fléau de Garm récupéra un des petits os qu’elle transportait à la ceinture et, se concentrant, le fit s’allonger jusqu’à obtenir un javelot de bonne taille. Se calant sur sa béquille, elle le projeta.
- Beine Spyd !
Le projectile fila à toute allure vers l’un de ses adversaires.
Un avertissement retentissant au dernier moment, sa cible se contorsionna pour éviter de finir embroché. A l’instant où le long os se ficha dans le sol, il sembla grossir pour finalement exploser en projetant des échardes. Certaines d’entre elles se plantèrent dans le haut du bras sans protection de la jeune Chevalier d’Argent, tandis qu’elle se repliait aux côtés de son homologue masculin.
Mei Ling, une main empoissée de sang soutenant son bras blessé, tentait d’établir une stratégie avec Fares, alors que les créatures leur tournaient autour.
- Il faut concentrer nos attaques sur une cible à la fois et en abattre suffisamment pour nous dégager une voie jusqu’à elle.
- As-tu remarqué sa gêne quand l’un de ses molosses est blessé ? demanda plutôt le Centaure. Combinons nos efforts pour submerger ses sens en l’attaquant elle et ses créatures en même temps. Si l’on s’attarde trop sur l’un de ses familiers, les autres risquent de nous couper toute retraite et elle ne manquera pas d’en profiter. Occupe-toi d’elle et moi je me charge du reste.
Décidant de se plier à son analyse, elle répondit simplement :
- Très bien.
Simultanément, ils firent jaillir leurs cosmos, diffusant une brume argentée autour d’eux. La Grue partit bille en tête, tandis que son frère d’armes la couvrait. Aussitôt, les cerbères réagirent en allant à sa rencontre.
Mei Ling ne ralentit même pas lorsque les projectiles incandescents la survolèrent pour venir s’écraser sur le blocus d’os et de crocs. Elle bondit, prit appui sur le dos d’un des puissants molosses à l’aide de ses mains et voltigea par-dessus. Une des attaques de Fares atteignit l’une des créatures au moment où elle tentait de l’intercepter en pleine acrobatie, l’envoyant au sol.
Le Fléau divisa rapidement ses troupes entre les deux assaillants. La Grue se rapprochait de son adversaire, jouant un dangereux jeu de feintes et d’esquives avec les molosses, assurée du soutien de Fares. Toutefois, le Libyen dût bien vite se concentrer sur sa propre défense.
Leur plan paraissait cependant porter en partie ses fruits, étant données les réactions parfois ralenties de leurs ennemis.
Mei Ling redoubla de vitesse, enchaîna une glissade pour se dérober aux mâchoires qui claquaient tout près et se releva en virevoltant, prête à frapper. Au dernier moment, l’un des familiers se jeta au-devant de son assaut pour protéger le Fléau. La main tendue, pareille à la pointe d’une lance, la Chinoise traversa dans un bruit d’os qui se rompent, le corps de la bête étique, sans parvenir toutefois à atteindre son adversaire humain. Tout juste celle-ci recula de quelques pas.
Le Fléau rejeta la tête en arrière et poussa un cri mêlant défi et colère, qui résonna lugubrement à travers son masque. Une déferlante de cosmos noir accueillit cette débauche sonore et le sol se fissura davantage. Un intense brasier paraissait brûler derrière les quatre yeux de Garm.
Un premier guerrier, puis un second tombèrent sous les coups renforcés de cosmos d’un petit groupe de séides de Loki. Ils n’étaient pas très puissants à proprement parler, mais face à des hommes dépourvus du même avantage, ils auraient tout aussi bien pu être des demi-dieux.
Une frappe directe brisait les boucliers et déformait les lames. La prudence était de mise lorsqu’on se confrontait à eux.
Un cordon de soldats, mené par Kostya, protégeait la reine. Cependant, celle-ci n’était pas totalement sans défense puisque les Nains lui avait fait cadeau d’une épée forgée spécialement pour elle. Des mouchetures écarlates parsemaient ses cheveux d’or blanc et son visage à la manière de taches de rousseur.
Elle n’avait pas la moindre idée du cours de la bataille et avait été séparée de la troupe du Chef de Bataille. Néanmoins, si ses hommes en étaient encore à se battre, plutôt que fuir, c’était que la lutte se poursuivait. Là où elle se trouvait, la situation s’était stabilisée, aussi porta-t-elle son regard sur la ligne qui menaçait de céder non loin de là.
- Avec moi !
La souveraine, poursuivie par les jurons du capitaine de sa garde face à son attitude, s’engagea dans leur direction. Elle arriva juste à temps pour voir un jeune homme se faire éjecter de la formation, offrant une brèche que l’ennemi allait s’empresser d’élargir. Elle se campa solidement au-dessus du corps sans défense et agita son épée de droite et de gauche, sectionnant le bras d’un guerrier qui tentait d’exploiter la faille. Celui-ci recula en criant pour disparaître au milieu de la masse d’ennemis.
Le jeune homme à terre n’avait d’yeux que pour sa sauveuse, qu’il n’eut pas l’occasion de remercier alors qu’il était brutalement remis sur pied et renvoyé dans la mêlée. Avant d’être à nouveau envahi par la cacophonie du combat, ses oreilles captèrent les échos des remontrances qu’un homme lourdement caparaçonné lançait.
- Quelle était cette folie !?
Kostya tira la reine en arrière sans égard à son rang. Dès qu’ils se furent éloignés de quelques mètres, le capitaine dit d’un ton plus bas :
- Narya ! Tu as revêtu l’apparence de la reine pour la représenter sur le champ de bataille, pas pour la faire s’exposer inutilement au danger. Imagine si …
Quelque chose dans les yeux du visage qu’il fixait, le stoppa net. Il recula d’un pas, blêmissant.
- Majesté, c’est …
- Kostya, crois-tu que je sois lâche à ce point ?
- Non, bien sûr que non !
- Aujourd’hui est une bataille décisive pour l’avenir du royaume d’Asgard. Je n’autoriserai personne à prendre des risques à ma place. Peut-être est-ce un comportement déraisonnable comme tu l’as souligné, voire égoïste. Néanmoins, comment les gens qui se battent en mon nom et que je gouverne me percevront à l’avenir, s’ils apprenaient que la souveraine qu’ils ont vus partir à la guerre n’était qu’une doublure ?
Le poids des mots de cette femme déterminée ébranla le capitaine.
- Pardonnez ma franchise, votre Majesté, mais je pense tout de même que c’est une idée qui pourrait se révéler désastreuse. (D’un mouvement de tête, il s’inclina.) Toutefois, si tel est votre souhait, mon statut m’oblige à faire en sorte que vous en réchappiez saine et sauve. Je suppose de tout de manière que si nous échouons ici, cela n’aura plus d’importance.
Elle lui adressa un sourire de reconnaissance et à ses côtés, elle rejoignit la bataille. Un peu plus prudemment.
Ulfhilde leva son bras et fit mine de broyer quelque chose dans son poing. Un crâne tout juste formé émergea de la croûte de terre gelée pour saisir la jambe de Fares, le faisant tomber. La pression exercée s’accroissant de seconde en seconde, le Libyen laissa échapper un cri de douleur au moment où son Armure commença à se fissurer.
Mei Ling ne perdit pas un instant et bondit pour frapper le séide de Loki.
Contre un adversaire se reposant sur une béquille pour marcher et des familiers pour combattre, elle devrait pouvoir s’en sortir aisément au contact. Toutefois, elle déchanta bien vite lorsqu’elle dût faire face à un être engoncé dans un exosquelette formé par l’hyper croissance chaotique de ses propres os. Un poing flou s’enfonça dans le plexus de la Chinoise qui se retrouva propulsée en arrière, au milieu des créatures du Fléau.
- Mei Ling ! s’écria le Centaure.
Celui-ci apposa ses mains sur le piège et augmenta la température jusqu’à noircir l’os, le fragilisant. Il dût s’y reprendre malgré tout à plusieurs fois pour briser l’entrave. Sitôt debout, il se porta au secours de sa sœur d’armes. La Grue nimba de cosmos ses quatre membres et entama une danse martiale pour repousser les bêtes qui l’assaillaient. Un espace ayant été ménagé, Fares la rejoignit.
- Elle s’est fait pousser une carapace, l’informa Mei Ling. Je ne peux plus l’atteindre. En revanche, ça lui a demandé tellement d’énergie, qu’il ne reste plus que deux créatures à ses côtés.
En effet, les autres membres de la meute se désintégraient, devenant poussière.
- Je peux fragiliser suffisamment les os en surface avec mes flammes, mais je n’aurai pas la force nécessaire pour passer au travers.
- Si tu y arrives, je pourrais viser ses articulations et parvenir à l’immobiliser. De toute façon, nous n’avons pas beaucoup d’autres options.
- Je passe devant.
Accroissant son énergie, Fares invoqua son arcane Narey Hedyan et, auréolé de flammes vives, il s’élança. Dans cet état, sa vitesse et sa force étaient décuplées, mais il savait qu’il devait en finir rapidement sous peine de se retrouver sous peu sans forces. Voire sans volonté.
Parvenu au plus près du Fléau, le Libyen esquiva un coup qui faillit le décapiter et frappa en poussant l’intensité de ses flammes au maximum. Il ne put toutefois maintenir le contact très longtemps, craignant de trop s’exposer.
Réalisant un ballet agile, il réitéra l’opération, se déplaçant autour de son adversaire, comme si celui-ci était le pivot central autour duquel il s’enroulait.
Malheureusement, les os endommagés commençaient déjà à se régénérer, à mesure que le cosmos d’Ulfhilde croissait. Finalement, elle réussit à clouer Fares au sol d’un puissant coup.
Relevé sur ses coudes, le Centaure, un filet de sang s’écoulant de sa bouche, saisit la jambe invalide du Fléau et invoqua son pouvoir. Dans un hurlement de douleur, le Fléau abattit son bras ossifié sur le dos exposé du Chevalier par trois fois, brisant sa dossière, le forçant à s’aplatir. Une vrille psychique l’empêcha de poursuivre son œuvre.
Surgissant de nulle part, éparpillant les ultimes débris des familiers vaincus, Mei Ling mitrailla littéralement les plaques osseuses noircies par le feu, de ses doigts réunis en bec. L’assaut fulgurant porta ses fruits, la matière se fissurant sous ses percussions répétitives. Les coups pleuvaient sans discontinuer sur leur ennemi. Des fourmillements parcoururent bientôt les avant-bras de la Grue et ses doigts lui parurent sur le point de se briser. Avec un cri de défi, elle puisa dans ses forces, brûlant ardemment son cosmos, bien décidée à ce que le Fléau cède le premier.
Une sombre colère habitait Ulfhilde, bien qu’elle eût des difficultés en s’en remémorer la cause. Elle tentait d’y réfléchir, mais les assauts simultanés et la douleur exacerbaient sa frustration. Une unique pensée subsistait : vaincre. Peu importait la raison initiale.
Un grondement bas, semblable à celui d’un molosse, s’échappa de la gorge du Fléau. Les vibrations traversèrent les corps des Chevaliers d’Argent, nouant leurs estomacs. Le séide de Loki libéra une vague d’énergie explosive qui balaya les combattants d’Athéna.
Des arêtes osseuses saillirent des zones exposées du Fléau de Garm. D’une pensée, elle les fit jaillir pour se planter tout autour des deux amis. Gorgés d’un cosmos délétère, ceux-ci ne demandaient qu’à exploser pour cribler de dards leurs cibles désorientées.
Tandis qu’il reprenait lentement conscience, il sentait le sang battre à ses tempes. Les clameurs de la guerre l’enveloppèrent à nouveau en un rien de temps.
Le Mexicain se redressa sur un genou et cracha aussitôt une glaire sanguinolente. Il porta la main à son flanc droit et y découvrit une fissure dans son Armure.
- Il m’a eu au moins une côte cet enfoiré, évalua-t-il en s’essuyant le coin de la bouche.
De l’endroit d’où il avait été propulsé, il aperçut une grande masse d’énergie serpentiforme.
- Une puissante aura émane de lui, évalua-t-il, et elle semble encore grandir.
Le serpent géant balayait les alentours, projetant hommes et montures aux quatre vents. Raul ferma les yeux et chercha ses compagnons. Il trouva Tristan aux prises avec un Fléau, Fares et Mei Ling face à un autre. Le Marina était occupé également. Seul Arion avait l’opportunité de jouer les électrons libres, mais le Chevalier du Taureau pressentit que celui-ci n’aurait bientôt plus le choix et se confronterait au colosse Asgardien.
Raul fit craquer les articulations de son cou.
- Il va falloir que je demande du soutien.
Malgré l’assurance qu’il voulut donner à ses paroles, il ne put réprimer le frisson qui fourmilla le long de son échine.
Le Chevalier d’Or invoqua son cosmos, le concentrant en une masse dense. Au bout d’une longue minute, des sortes de chuintements s’élevèrent depuis le néant et des vrilles fantomatiques ondoyèrent autour du corps de Raul. S’attardant sur son visage, elles s’infiltrèrent sous sa peau, y faisant apparaître des lignes noires aux formes sinueuses. Entre ses dents qu’il ne pouvait empêcher de claquer, il laissa siffler le souffle qu’il retenait et celui-ci se mua en une volute de vapeur froide.
- Murmullos de los Muertos.
Des feux follets qui se déplaçaient jusqu’ici de manière erratique convergèrent vers lui, s’unissant à son aura.
Aussitôt, Raul se sentit presque submergé par le froid ainsi que le flot d’émotions pures, mais aussi de puissance, que lui procuraient toutes ces âmes qu’il intégrait. Etant sur un champ de bataille, il n’allait pas manquer de matière première. Encore que ce terme ne soit pas le plus approprié puisqu’il n’attirait que des esprits répondant à son appel – du moins, l’espérait-il. A l’instar d’un cri de ralliement, ils les appelaient à poursuivre le combat en lui procurant davantage de force. Raul devenait ainsi le réceptacle volontaire des désirs inachevés de ces gens et eux lui prêtaient leur pouvoir. Ce qui n’était pas sans risques. Néanmoins, il s’en inquièterait plus tard.
Et les Valkyries ne lui en voudraient sûrement pas pour un emprunt de quelques âmes.
- Bon, je suis prêt pour la seconde manche, salopard.
D’une impulsion qui fractura le sol, le Chevalier du Taureau se propulsa à toute vitesse vers son adversaire selon une courbe ascendante.
Arion laissa la queue du grand reptile glissé sur la barrière qu’il avait dressée puis fit éclater cette dernière, dispersant des éclats de cosmos cristallisé aux alentours.
D’une onde télékinétique, il les stabilisa dans les airs. La massive tête de l’ophidien se tourna, intriguée par ces éléments en suspension.
Aussi brillants que la neige à leurs pieds l’avait été, les dizaines d’éclats renvoyaient la lumière avec la pureté d’un diamant. Le Bélier y lança un trait lumineux du bout de ses doigts. D’abord emprisonné dans une écharde, la lumière en jaillit pour se diriger vers un autre miroir, puis un autre, gagnant à chaque fois en vitesse et cumulant davantage d’énergie lumineuse, la concentrant. Bien vite, elle se démultiplia en une myriade de petites comètes zigzagantes qui emplirent l’air autour du Fléau. Un trait brûlant à l’image d’un laser frappa celui-ci dans le dos. La tête du reptile dodelina vers l’avant et une nouvelle comète le toucha sur le côté. Rapidement, les frappes s’enchaînèrent, aussi Siholt fit s’enrouler les anneaux de sa forme serpentine autour de lui.
A présent, certaines s’écrasaient et d’autres ricochaient sur les écailles. Arion réagit en faisant passer son attaque à travers un mince interstice laissé entre les replis du corps. Là encore, la fenêtre de tir se referma après le premier coup.
- Le tout pour le tout, Skarma'od gzigs rgyab me long chag.
Le Bélier intensifia son énergie, accroissant le pouvoir destructeur des rayons qui rebondissaient lourdement sur le bouclier de Siholt, l’aveuglant presque par l’ampleur de leur éclat. A tel point que celui-ci fit écho au procédé en élevant également son cosmos.
D’un coup, il déploya les anneaux de son aura et libéra un nuage corrosif qui s’attaqua aux miroirs flottants. En un rien de temps, ils furent détruits.
- J’ose espérer que tu as mieux en réserve, lui dit le Fléau à peine essoufflé par cette débauche d’énergie, alors qu’il flottait au milieu de la tête du serpent.
L’enveloppe faite de cosmos se décolla légèrement du sol, se dressant tel un cobra en posture d’attaque.
Arion ne répondit pas. D’un geste mental, il envoya plutôt s’écraser sur le colosse, des armes, des petits rochers et même des cadavres.
- Je ne m’attendais pas à ça, c’est décevant ! se mit à enrager Siholt qui voulut se jeter sur le Bélier.
Cependant, ce dernier posa un genou à terre et plaqua ses deux mains sur le sol. Une onde de pouvoir dispersa la neige sous les pieds du Fléau, révélant un genre d’énorme toile de cristal qui se mit à luire intensément. Un puissant rayon en jaillit verticalement, plongeant l’Asgardien dans une colonne de lumière incandescente.
En réalité, Arion avait téléporté les éclats de son miroir avant qu’ils ne soient totalement détruits par l’offensive du serpent, pour les rassembler sous la fine pellicule de neige. Garder le contrôle sur l’énergie accumulée avait été un exercice difficile, qui l’avait contraint à faire se rapprocher le Fléau en jouant sur sa fierté de combattant. Mais à présent, il relâchait l’intégralité de son pouvoir.
Bien qu’au final l’exposition ne dura qu’un cours laps de temps, le serpent géant était désormais amputé de sa tête et le reste du corps ne tarda pas à se décomposer. Siholt en émergea affaibli, quelques fissures émaillant certaines parties de sa protection tandis que d’autres arboraient un aspect de métal rougeoyant, comme si l’on était en train de le forger. Des fumerolles s’élevaient de sa peau cloquée, essentiellement là où il avait tenté de bloquer le rayon avec ses avant-bras.
La douleur, loin de le faire souffrir, le plongea dans un état second. D’un pas lourd qui fit tremble le sol, il se rua sur le Tibétain, abasourdi par la résilience de son ennemi.
Déjà fatigué par ses précédentes actions, il tenta malgré tout d’ériger un écran de défense. Deux lourdes masses s’abattirent dessus faisant instantanément vaciller la structure et reculer son créateur, ses pieds traçant des sillons.
- Cesse de te cacher derrière des artifices !
De nouvelles frappes ébranlèrent le mur et le peu de cosmos qu’Arion parvenait à injecter dedans n’arrivait plus à combler les fissures qui allaient en s’élargissant.
- Affronte-moi face à face !!
L’ire du Fléau décuplait sa force, contrecarrant les effets répulsifs propres à l’arcane du Bélier.
Tout se passa très vite lorsque le cristal céda. Un rictus s’afficha sur la face de l’Asgardien au moment où son poing percuta le ventre du Chevalier d’Or. La force de l’impact souleva ce dernier de terre, dans un bruit de métal torturé. Un flot de sang envahi la bouche d’Arion, il tomba à genoux. Le pied de Siholt se leva, prêt à l’écraser. Le Tibétain se déroba en roulant, ou plutôt en tombant sur le côté. Profitant de cet écart, il lança un coup de pied vers la mâchoire du colosse qui fit mouche. Le Fléau agrippa son mollet avant qu’il n’ait eu le temps de replier sa jambe et le tira vers lui.
Privé d’un appui, Arion reçut de plein fouet les coups du Fléau qui marquèrent son corps et son Armure. Emprisonnant toujours le membre, Siholt le souleva pour le projeter sur le sol, arrachant un cri au Bélier.
Basculant sur le ventre, Arion tenta de ramper un peu plus loin, espérant se soustraire aux assauts de son adversaire, tout en se doutant que c’était peine perdue. Le pas pesant de l’Asgardien résonna dans son dos, avant de s’interrompre net.
Des hurlements rageurs s’élevaient et Arion ne put s’empêcher de se retourner pour voir ce qu’il se passait. De simples soldats qui venaient d’arriver, essayaient de s’attaquer au colosse blond à l’aide de leurs lances. En l’espace d’un battement de cœur, une dizaine d’entre eux se retrouvèrent morts ou agonisant avec de sévères mutilations.
- Vous n’avez pas le niveau pour m’intéresser, leur dit Siholt, son bras levé, prêt à relâcher une salve d’énergie délétère.
- Fuyez ! leur hurla Arion.
Mais il sut instinctivement qu’ils ne seraient pas assez rapides, aussi tenta-t-il de décocher un choc télékinétique à la tête de Siholt pour le stopper. La diversion permit tout juste à la moitié des survivants de s’écarter à temps. Les autres furent consumés vifs.
Se relevant à demi, Arion riva son regard dans celui de son adversaire qui le toisait à quelques mètres de là.
- Content de voir que tu n’as pas abandonné, le félicita le Fléau en avançant d’un pas.
Une ombre soudaine lui fit lever les yeux et il réceptionna un chariot qui lui arrivait droit dessus. Le tenant à bout de bras, il dévisagea le Bélier.
- C’est déjà mieux …
Sa phrase resta en suspens, alors qu’il ressentait un violent choc à la poitrine au milieu du craquement du bois. L’instant d’après, il était catapulté quinze mètres plus loin, une roue toujours coincée dans sa main.
- Celle-là, t’as dû la sentir passer ! se moqua une voix qu’il connaissait. Et elle était pour Gearóid !
Le Chevalier d’Or du Taureau se tenait là où Siholt se trouvait auparavant. Un cratère d’impact indiquait qu’il avait suivi la même trajectoire que son projectile.
- Prêt pour la revanche ? le défia le Mexicain en prenant une posture de combat.
Le Fléau jeta la pièce de bois et se mit lui aussi en garde. Un sourire d’anticipation barrait son visage.
Réduisant petit à petit la distance qui le séparait, ils ruèrent finalement l’un contre l’autre, entrechoquant leurs poings, desquels s’échappèrent des éclairs d’énergie.
L’air et le sol tremblaient et des vibrations se propagèrent jusqu’au corps d’Arion. Leur combat n’avait plus rien de martial, seule la force brute prédominait dans leurs échanges.
Qu’étaient ces symboles noirs sur la peau de Raul et pourquoi son cosmos naguère ardent, paraissait aussi glacé que la mort à présent, s’interrogea le Bélier.
Réussissant à venir tout près, Siholt passa sous l’attaque du Taureau et le saisit à la taille, créant un étau destiné à lui briser l’échine.
Un craquement se fit entendre, mais au lieu du dos du Mexicain, il provint du nez du Fléau que celui-ci venait de frapper avec sa tête, à deux reprises. Momentanément aveuglé, l’Asgardien relâcha sa prise, ce qui permit à son adversaire de se libérer.
Le Taureau enchaîna deux puissants crochets, faisant tournoyer son opposant sur lui-même. L’aura du Chevalier d’Or enfla encore et une brume froide s’échappa de sa bouche. Il saisit le Fléau d’une main sur le col de son armure et plaça l’autre au niveau de l’entrejambe. Poussant un cri, il souleva le corps au-dessus de lui et le projeta violemment contre le sol, qui céda sous l’impact, avalant à demi le séide de Loki. Sans lui laisser le temps de se reprendre, le Taureau le releva pour le plaquer contre une carcasse d’automate. Il s’empara de l’une des cornes du casque du Fléau et la rompit d’un coup sec. Tel un poignard, il abattit l’appendice de métal en direction du visage de Siholt.
Le Bélier resta médusé devant ce tableau. Non par la violence des assauts, mais par le réflexe salvateur de l’Asgardien, la pointe tremblante s’arrêtant quelques centimètres de son œil.
- Je n’en ai strictement plus rien à foutre de cette guerre, grogna-t-il en ses dents serrées. Il est temps que tout s’achève. Brist av Ourobros !
Du côté d’Ulfhilde, tout n’était plus que ténèbres, elle n’avait plus réellement conscience de ce qui se déroulait devant ses yeux. Ses pensées se résumaient à d’uniques émotions. Les os déchiraient sa peau, provoquant des lésions qui la vidaient petit à petit de sa vie. Elle sombrait.
Et alors qu’elle allait s’abandonner à ce doux oubli où elle n’aurait plus à se torturer quant à ses actes et leurs conséquences, une lumière blanche et pure la noya. Une voix résonna dans sa tête, non, plutôt dans son âme même.
- L’une de mes prêtresses ne devrait pas se comporter ainsi.
- Déesse … Freyja ? demanda Ulfhilde. Est-ce bien vous ? Suis-je encore en train d’être abusée ?
Au centre de la lumière apparut un faucon aux yeux dorés, qui se changea bien vite en une splendide femme vêtue d’un manteau de plumes. Uflhilde reconnut le Valshamr.
- Quel tristesse, il aura fallu que tu sois aux portes de la mort pour que je puisse t’atteindre à nouveau. Ici, l’influence de Loki n’a plus de prise.
- Je ne mérite pas cette attention de votre part.
- Allons mon enfant, tu t’infliges cette torture depuis trop longtemps. Et regarde dans quel état est ton corps.
- Mais …
- Relâche les chaînes avec lesquelles tu t’es toi-même entravée. Tes choix ont toujours été guidés par une unique volonté, celle de protéger ceux qui dépendent de toi. Tu n’as jamais quitté cette voie, Ulfhilde. C’est cette noirceur qui te la fait croire. Je vais t’en débarrasser.
La déesse ouvrit ses bras en grand, déployant son étincelant manteau fait de rémiges de faucon et une aveuglante lueur s’en échappa pour la baigner telle une fine pluie d’été.
Sous le regard des deux Chevaliers d’Athéna, l’armure du Fléau s’éclaircit, passant d’un noir charbonneux à un gris délavé pour finir à un blanc de neige. Ulfhilde s’effondra, apparemment sans vie, son cosmos subitement éteint.
Les javelots plantés autour d’eux se désagrégèrent rapidement, les laissant médusés.
- Que lui est-il arrivé ? s’étonna Fares.
- C’est étrange, mais … j’ai eu l’impression que la nature de son cosmos a changé peu de temps avant qu’elle s’évanouisse. Comme s’il avait été purifiée par une action extérieure.
- Je pense qu’elle ne nous causera plus de problèmes.
- Peut-être vaudrait-il tout de même mieux l’achev… hé, tu m’écoutes ?
L’attention du Libyen semblait s’être absentée l’espace d’un instant.
- Ce sera à la reine de décider de son sort, affirma-t-il.
Déjà des soldats s’approchaient d’eux, maintenant que la menace était écartée.
- Demande-leur de l’enchaîner, par précaution, lança-t-il à Mei Ling. Ensuite, nous irons prêter main forte aux autres.
Expirer un nuage de gouttelettes imbibées de son cosmos, prérequis essentiel à sa technique Vremja Otliva lui avait paru une bonne idée devant l’échec de son autre arcane de souffle. Néanmoins, même si Genbu avait respiré le mélange, le fait qu’il possède un contrôle sur l’élément liquide avait transformé la victoire pressentie en un bras-de-fer malvenu. La sphère servant de réceptacle à l’humidité volée au corps du Japonais était coincée entre eux, comme le trophée d’un duel à la corde, au lieu de s’être logée dans ses mains réunies en coupe.
Leur affrontement durait depuis un moment et force était de reconnaître que le Marina était loin de mener le jeu. Il avait bien rendu quelques coups bien sentis, mais en avait essuyés davantage.
Un voile de sueur couvrait le front du Cheval des Mers, irritant les plaies récoltées plus tôt de son sel.
C’est trop long, songea-t-il. Il faut que … (Ses yeux s’arrondirent.) il se fout de ma gueule ou quoi !?
Face à lui, Genbu, le front tout aussi luisant était en train de boire une gorgée à sa réserve d’alcool. Le sang de Nikolaï ne fit qu’un tour.
Il se croit en aussi peu mauvaise posture qu’il se permet de s’envoyer une rasade. Quel enfoiré !
Il fulminait intérieurement. Toutefois, l’alcool favorisant la déshydratation et leurs organismes étant mis à rude épreuve, à ses yeux, l’issue du duel allait se décanter rapidement.
Le Gardien Céleste recracha subitement le contenu de sa bouche.
- Qu’est-ce que … ? s’étonna le Marina, conscient que ce n’était pas le résultat auquel il s’était attendu.
Sa concentration vacilla brièvement.
Des serpents aqueux s’élevèrent depuis le globe aqueux qui flottait entre eux deux. Avec une vivacité propre à celle des reptiles, il se jetèrent sur le Marina. Ce dernier s’attendit à être percuté de plein fouet, au lieu de quoi, les ophidiens s’enroulèrent autour de ses membres et de son torse, le paralysant.
- Pfiou, soupira la Tortue d’Ebène, la tension s’évacuant de sa voix. Redoutable technique que tu possèdes là, bien qu’il ait suffi d’un peu de comédie de ma part pour te faire perdre ta concentration. Sans ça, j’aurai été incapable de prendre le contrôle de cette eau.
Il se rapprocha de Nikolaï à pas lents.
- La colère t’a rendu moins observateur et tu n’as pas remarqué que les gouttes qui perlaient de ma peau étaient trop nombreuses. Ensuite, je n’ai eu qu’à les faire ruisseler jusque sur le sol et les mêler discrètement à ta sphère. Recracher mon alcool était juste pour la galerie. Un vrai gâchis cela dit.
Putain ! ragea le Russe. Il m’a bien eu !
Son corps était complètement immobilisé, alors qu’il contemplait sa fin se rapprocher sans rien plus pouvoir faire. Il sentit les serpents resserrer leur étreinte, comprimant un peu plus son corps. Il sentit ses côtes craquer sinistrement et la saveur métallique du sang vint danser sur sa langue.
- Je ne prendrai aucun plaisir à faire ça, alors que je t’avais mis en garde, mais notre combat s’achève ici. Je vais faire vite.
La sclérotique des yeux du Gardien Céleste vira au noir, lui donnant un air effrayant, tranchant avec l’attitude débonnaire qu’il avait affichée depuis le début. Son cosmos sombre s’embrasa et une grosse sphère d’eau s’accumula à l’arrière de son coude lorsqu’il arma son bras, promettant une poussée accrue à la manière d’un canon hydraulique lorsqu’il relâcherait le tout.
Nikolaï allait perdre et le pire était que le vieil homme avait raison sur toute la ligne. Cependant, il ne parvenait même plus à éprouver de la rage face à ce triste résultat. Il se sentait vide, sa colère, sa plus vieille compagne de route l’ayant abandonné en cet instant. Et comme Genbu l’avait prévenu par le passé, cela le frappa avec la force d’un coup de tonnerre. La peur s’empara soudainement de lui, comblant un espace laissé vide longtemps auparavant.
Il repensa alors aux paroles qu’il avait servies à Fares sur le contrôle de soi et manqua s’esclaffer – en dépit de ses entraves – quand il réalisa qu’il ne savait même pas les appliquer à lui-même. Cette prise de conscience en vint à rendre son esprit plus lucide.
Par le passé, la terreur avait été balayée de son cœur par l’intervention du dieu Poséidon, son seigneur, et par ses propres et fermes résolutions. Aujourd’hui, il n’y aurait pas de divinité pour le sauver. Il ferma les yeux.
Alors qu’il allait tout laisser filer, ses sens lui firent se rendre compte qu’il était entouré par les cosmos vibrants de nombreuses personnes. Des gens qu’il était venu à considérer comme des amis, et non pas juste des êtres qu’il était obligé de côtoyer. Des gens qui se battaient pour leurs dieux, pour eux-mêmes, mais surtout pour les autres.
Il ne pouvait pas gagner, mais il pourrait se contenter d’un match nul si cela pouvait aider. C’était quitte ou double.
Il invoqua son cosmos et le concentra à l’intérieur de ses poumons, avant de le faire remonter vers sa bouche. Là, il en fit usage pour imprimer un mouvement circulaire au sang qui s’y trouvait, tout en exerçant une intense pression dessus.
Genbu avança d’un pas et frappa.
Dans un souffle, le Russe projeta des petits disques sanglants rendus denses et acérés par l’action de son cosmos. Les projectiles organiques tournoyèrent à la rencontre du Gardien Céleste, qui n’avait d’yeux que pour le visage soudainement devenu serein de son adversaire.
Entre son élan initial et la vitesse de l’attaque, impossible pour lui d’esquiver. Le poing à l’accélération fulgurante frappa le Russe en plein sternum, brisant son plastron et les os derrière. Le coup le souleva, décollant ses pieds du sol et l’impact le propulsa à plusieurs mètres.
La vue du Marina s’obscurcit quasi-instantanément, lui laissant à peine l’occasion d’entrevoir la réussite de son offensive.
L’un des projectiles traça un sillon sanglant sur la joue de Genbu, entamant même un morceau d’oreille. Les deux autres mordirent profondément de part et d’autre de son cou. Le Gardien Céleste porta une main à ses blessures d’où des filets carmins étaient en train de s’écouler. Il posa un genou à terre, soudain pris de vertiges.
Il commença à basculer et se retourna pour finir par s’allonger sur le dos, le regard dirigé vers le ciel. A tâtons, il chercha sa calebasse, la trouva et voulut la porter à ses lèvres. Pas une goutte ne s’en échappa.
Si certains comparaient la durée d’une vie à la flamme d’une bougie, il aurait résumé la sienne à la contenance de sa calebasse. Il en avait tiré chaque goutte avec plaisir, sans regrets et maintenant il en était arrivé au terme. Avec un sourire, il se dit qu’il n’avait vraiment pas vu venir le dernier mouvement du jeune homme. Peut-être que la tempête qui animait continuellement son cœur s’était finalement apaisée. Et il lui avait craché dessus !
Un rire étouffé le secoua brièvement, entrecoupé d’une quinte de toux. Une mousse rosâtre apparut aux commissures de sa bouche.
Où avait-il été cherché une idée pareille ?
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En pénétrant sur le territoire du dieu Loki – qui n’était rien d’autre que sa propre prison – le petit groupe était passé près d’une ouverture singulière, autour de laquelle gisaient des gravats de ce qui avaient semble-t-il été des statues, mais il avait préféré s’engager dans un passage latéral où les traces d’activité semblaient plus importantes.
Pour Einar, il était difficile de suivre les deux Japonais qui évoluaient silencieusement, se glissant d’ombre en ombre avec une facilité déconcertante. Il commença à se dire qu’il aurait peut-être dû rester en arrière.
A cela s’ajoutait un sentiment de malaise croissant, lui donnant l’impression que les parois de la montagne se rapprochaient d’eux, cherchant à les ensevelir, tandis que le sol ondoyait sous leurs pieds. Les lumières des torchères elles aussi lui faisaient l’effet d’alliées peu sûres, menaçant de s’éteindre à tout moment, prêtes à les perdre au sein de ténèbres épaisses et poisseuses.
Le pire restait cependant les voix et les murmures qu’il percevait, bourdonnant autour de lui comme un essaim de mouches auprès d’un cadavre, lui susurrant leurs paroles mielleuses à l’oreille. L’Asgardien se demanda si ses compagnons éprouvaient des sensations similaires.
- Est-ce que … ?
- Chh ! siffla Ayame entre ses dents.
Elle leva une main, intimant à Einar de s’arrêter, puis dégaina lentement ses armes, prête à agir.
Le Marina tendit l’oreille et perçut enfin ce que ses deux compagnons avaient entendu bien avant lui. Des bribes ténues de conversation dont l’intensité allait crescendo se rapprochaient.
Dès que les soldats eurent dépassé l’angle du couloir, Ayame, jusqu’ici plaquée contre la paroi, pivota et planta chacune de ses lames dans un abdomen offert. D’un mouvement rapide du poignet, elle éventra proprement les deux hommes. Le dernier, les yeux écarquillés, peina à dégainer son épée et se retrouva plaqué contre le mur par Rikimaru, un bras appuyé sur sa trachée.
- Si tu ne veux pas finir comme tes camarades, conduis-nous auprès du Chevalier d’Or prisonnier, lui glissa-t-il.
- Imp… Impossible, déglutit l’autre, je suis mort si je fais ça.
- Tu es mort de toute façon, lui adressa Ayame d’un ton grinçant alors qu’elle essuyait ses armes sur les vêtements des dépouilles. Ça sera simplement plus rapide avec nous, ce qui est probablement mieux que ce que tu mérites.
L’homme sembla prendre le temps de la réflexion, mais finit par acquiescer.
Gardant une main sur son épaule, Rikimaru le laissa les guider. Leur marche dura une bonne vingtaine de minutes au cours desquelles, le groupe dût passer au travers de deux autres patrouilles. Finalement, leur prisonnier les amena jusque devant une porte de bois sombre – de toutes manières tout paraissait sombre dans cet environnement – dont les gonds s’inséraient dans la masse de la montagne.
- C’est ici, leur annonça-t-il.
- Tu en es certain ? l’interrogea la Kunoichi Lunaire. Si jamais …
- Bien entendu, répondit-il. C’est le coin le plus reculé de la forteresse. Et j’ai fais partie de ceux qui ont escorté le captif étranger jusqu’ici. Il paraît que c’est le seigneur Loki lui-même qui l’interrogeait. Au début, il demeurait silencieux, mais passé un moment, on l’a entendu crier et geindre plus d’une fois depuis. Ha, ça m’étonnerait qu’il …
Un bruit pareil à celui du bois sec qu’on brise se répercuta sur les murs de pierre, et l’homme s’effondra sur le sol, son cou formant un angle inhabituel avec son torse.
Rikimaru regarda le corps, puis ses mains, incertain qu’elles soient les auteures de cette froide mise à mort. Une saute d’humeur étrange. Il serra les poings et expira lentement.
- Moi aussi, il commençait à m’énerver, lui glissa Ayame, une main posée sur son épaule.
Il releva la tête et croisa son regard, y captant une fugace lueur de … quoi ? D’inquiétude ? Sa voix lui avait pourtant paru imprégnée de sollicitude. Etait-ce ce lieu qui les affectait ainsi ? Son hésitation à lui demander durant, il préféra enchaîner :
- Il est temps de le faire sortir de là.
Du pommeau de son sabre, il asséna une série de violents coups sur la serrure, brisant le système de fermeture. D’un coup d’épaule, il ouvrit la porte et Einar s’engouffra directement à sa suite pour pénétrer à l’intérieur de la cellule.
La première chose qui le frappa fut l’odeur. Un mélange de crasse, de sueur rance, d’infâme moisissure et de déjections humaines.
De chaque côté de la cellule, une paire de torches brûlaient, créant un théâtre d’ombres alternant noir de suie et cramoisi, léchant chaque relief de la scène.
Sur la paroi du fond, il vit quelque chose qui lui serra leur cœur et un sentiment de profond désespoir s’abattit sur lui. Il était difficile pour le jeune homme de reconnaître la personne qu’il avait connue au milieu de la … chose qui lui faisait face.
Sa silhouette vêtue d’un pantalon en guenilles était décharnée et sa peau constellée de marques de sévices. La partie gauche de son visage était un masque de tissus cicatriciels. Ses cheveux longs et sales lui tombaient jusqu’au milieu du dos, quand auparavant ils s’arrêtaient à ses épaules. Ses jambes donnaient l’impression d’à peine soutenir son poids, pourtant réduit à peu de chose. Les fers par lesquels il était retenu, avaient cruellement mordu dans les chairs de ses poignets.
- Oreste, laissa échapper Einar dans un souffle.
La tête de l’Italien bougea légèrement, et une petite croix de bois se balança doucement au bout de son cou malingre.
- Qui … qui est-ce ? demanda-t-il d’une voix ténue, réduite à un filet.
- Oreste, c’est Rikimaru. Je vais te libérer.
Tenant son sabre à deux mains, il l’abattit d’un mouvement sec sur les maillons. Einar le rattrapa au moment où il tombait. Il était encore plus léger qu’il l’avait pensé.
- Oh … par Odin, je suis tellement désolé.
Le Marina détacha sa cape et en enveloppa l’Italien.
- Une illusion …, murmura celui-ci, tout ça n’est qu’illusion.
Son œil intact se déplaçait rapidement de gauche à droite, en proie à une intense agitation. Son corps tressautait au rythme de tremblements qu’il avait visiblement de la peine à contrôler et son attitude était fébrile.
Ayame se coula près de son frère d’armes.
- C’est vraiment lui ? Il ne paraît même plus … humain.
A travers sa remarque, Rikimaru décela son malaise.
- Je n’ose imaginer ce qu’il a subi alors que Loki le torturait pendant plus d’une année. Il doit avoir du mal à distinguer le vrai du faux.
- Je commence à me dire que notre sortie va être bien plus compliquée que notre entrée.
- Nous verrons bien, trancha le Shinobi Lunaire. En attendant allons-nous en.
Muspelheims Blusser :
Flammes de Musphellheim
Hun som skinner klarere enn solen :
Celle qui Brille plus Intensément que le Soleil
Beine Spyd :
Javelot d’Os
Valshamr :
Dans la mythologie nordique, il s’agit d’un manteau fait de plumes de faucon qui appartient à la déesse Freyja (et parfois la déesse Frigg aussi). Il lui permet de se transformer en faucon et de traverser les Neuf Mondes.
Murmullos de los Muertos :
Murmures des Morts
Skarma'od gzigs rgyab me long chag :
Lumière d'Etoile qui se Reflète dans un Miroir qui s'est Brisé
Brist av Ourobros :
Rupture de l’Ouroboros