Une Dernière Bataille
Chapitre 25 : Ce que l'on Perd et ce que l'on Gagne - Première Partie
13821 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 06/07/2024 08:45
14 septembre 1996
Norvège, Asgard, à limite entre la Mer de Norvège et l’Océan Arctique
Du long de ses quinze mètres, le knörr affrontait fièrement les vagues du domaine d’Aegir alors que l’équinoxe d’automne approchait. La voile carrée était gonflée par les vents et le vaisseau filait à bonne allure.
La Haute Prêtresse d’Odin, écartant les peaux qui fermaient le relatif abri disposé au centre du navire pour protéger les marchandises et les occupants des rigueurs du climat lorsque le moment venait de se reposer, sortit à l’air libre. L’air iodé vint aussitôt faire voleter sa longue tresse, tandis qu’elle cherchait le jeune Chevalier d’Argent. A nouveau, celui-ci était penché par-dessus le plat-bord garni de boucliers ronds des guerriers, le teint verdâtre.
Fares, après plusieurs jours passés à naviguer, présentait toujours les symptômes du mal de mer. Cela ne l’avait pas pour autant empêché de s’intéresser à l’art du pilotage, trop content de découvrir une activité inconnue jusque-là et de se rendre utile. Malgré tout, en dépit de sa bonne volonté, il n’avait pas réussi à passer outre les suppliques de son estomac que le roulis mettait à la torture.
Lorsque Sosia l’appela, il tourna vers elle un visage marqué par la fatigue.
- Ça ne s’arrange toujours pas ? demanda-t-elle.
- Je vais un peu mieux, signala-t-il en essayant de sourire. Votre breuvage y est pour beaucoup. Merci.
- Et n’oublie pas de rester bien couvert.
- Ne vous inquiétez pas pour ça, plaisanta-t-il en resserrant les nombreuses couches d’étoffes superposées qui le couvraient des pieds à la tête.
- J’ai parlé au capitaine Horik un peu plus tôt et nous devrions être en vue de l’île d’ici deux ou trois heures.
- Que va-t-on y trouver ?
- Un temple.
- Dédié à qui ?
- Pas à qui, mais à quoi, le reprit-elle. Il s’agit d’un antique site de vénérations. Il y a très longtemps, on s’y rendait avec des offrandes, qu’elles soient matérielles, animales ou … humaines, pour demander un éclairement quant à sa destinée. Les rois d’Asgard, peu après leur couronnement, s’en allaient sur cette île pour y recevoir des présages. Cependant, cela doit faire deux siècles que ça n’a pas été le cas.
- Je ne saisis pas. Aucune divinité ne préside-t-elle en ces lieux ?
- En effet, aucun Ase ou Vane n’y vient pour prêter l’oreille aux sollicitations des hommes. C’est un endroit d’ombres et de lumières, entouré de mystères. Sur le continent, on peut dire que je suis la personne la plus versée dans l’art divin, celle qui est la plus proche des Ases. Mais sur cette île, je n’ai pas plus d’importance ou de droits que n’importe quel visiteur. Là-bas, même Odin, aussi grand est-il, n’a pas son mot à dire et ne peut que se soumettre à ce qui s’y produit.
- Nous parlons donc de … destinée. De quelque chose qui se veut irrévocable.
- Oui, en ce temple vivent celles que l’on nomme les fileuses du destin, les Nornes. Elles tissent le wyrd de chaque chose en ce monde, qu’il s’agisse d’un homme, d’un animal, d’une simple pierre ou d’un dieu. Passé, présent et avenir s’entremêlent étroitement à cet endroit.
- Et vous croyez que nous y trouverons un orbe ?
- A tout le moins, aurons-nous une indication sur la direction a emprunter.
- Si ces personnes sont dotées de tels pouvoirs, n’auriez-vous pas dû les consulter plus tôt ? demanda le jeune homme. Les questionner sur l’avenir ?
Le regard de Sosia se perdit dans les vagues et Fares crut qu’il avait posé la question de trop, mais elle répondit simplement si bas qu’il ne l’entendit pas vraiment.
- Découvrir ce qui nous attend me faisait bien trop peur …
Le Libyen reporta à son tour son attention sur l’horizon, alors que les contours de leur destination s’y dessinaient. Une vague nauséeuse faillit le submerger à nouveau. Il la repoussa. Cette fois, le froid ou le tangage n’y étaient pour rien. Sa peur venait de l’inconnu vers lequel ils se dirigeaient.
Perdu dans ses pensées, il n’aperçut pas, pas plus que les jours précédents, le frêle esquif qui paraissait les suivre.
Le navire arriva finalement en vue du rivage. Les hommes affalèrent la voile et sortirent les rames. Manœuvrant habilement, ils amenèrent l’embarcation au plus près de la plage de galets. Noirs, ronds et polis, ils subissaient invariablement le flux et le reflux de l’océan qui les avait façonnés.
L’endroit semblait luxuriant, couvert d’arbres de diverses essences dont la taille allait de celle de l’arbuste rabougri au majestueux souverain, haut de plusieurs dizaines de mètres. Une telle profusion aurait dû accueillir nombre d’espèces animales, pourtant une atmosphère surnaturelle étouffait tous les sons. Nul trille d’oiseaux, nulle course poursuite entre rongeurs et insectes. Couplée à ce calme étrange et dérangeant, une brume épaisse serpentait entre les hautes cimes, masquant la vision du reste du panorama aux visiteurs.
Fares sauta pour atterrir dans l’eau glacée qui l’engloutit jusqu’au haut des cuisses. Un frisson puissant lui coupa le souffle si vite qu’il se dépêcha de gagner la plage, s’attendant presque à sentir ses parties gelées s’il tardait trop. Lorsqu’il se retourna, le Libyen se retrouva penaud en voyant la Haute Prêtresse emprunter le même chemin et fendre tranquillement les flots sans recevoir d’aide de la part des marins, ni manifester le moindre inconfort. Parvenue à terre, elle se contenta d’essorer le bas de sa lourde robe et traça une rune associée à la chaleur pour en chasser l’humidité. Devant l’incrédulité du Chevalier du Centaure, elle ne put réprimer un haussement de sourcils.
- Un problème, Fares ?
- Aucun, bredouilla-t-il. Je vais aider l’équipage à rassembler le matériel.
Environ une bonne heure plus tard, vers midi, un petit groupe composé de dix personnes, Sosia et Fares inclus, se promenait sur la route pour se rendre au temple.
Le sentier, bien qu’encore reconnaissable, était encombré par endroits par la végétation qui avait repris ses droits, les obligeant à jouer de la hache pour se frayer un chemin. Et toujours, cette étreinte silencieuse qui enveloppait jusqu’au bruit de leurs pas. L’ambiance était si pesante que nul n’osait parler. Toutefois, une voix s’éleva finalement pour demander :
- A quelle distance sommes-nous du temple ?
Fares avait parlé d’une voix posée, à la limite du chuchotement. Pourtant, semblable à un coup de tonnerre, tous l’entendirent sans peine.
- Gênés comme nous le sommes par le débroussaillement, il nous faudra compter encore plusieurs heures de marche, répondit Sosia après un rapide coup d’œil à sa carte. En lui-même, le temple n’est pas très loin, mais il se situe beaucoup plus haut en altitude et la route à suivre est assez escarpée. Prends ça comme une volonté de s’assurer de la profondeur du désir d’un suppliant à se faire entendre, ajouta-t-elle, amusée.
Sa légèreté s’évapora cependant, tandis qu’elle captait le mouvement de Fares qui se retournait dans son dos. Elle remarqua immédiatement qu’il cherchait quelque chose. Et comprit bientôt quoi.
- Où sont-ils passés ? l’interrogea-t-elle, en faisant référence aux trois hommes d’armes qui les précédaient, ceux-ci venant subitement de disparaître comme par enchantement. Horik, avez-vous vu quoi que ce soit ?
Le capitaine du knörr secoua la tête, impuissant face à l’invisible qui venait de frapper ses hommes d’équipage. Prudemment, il tenta de les appeler à voix basse, mais ne reçut aucune réponse. Contraint de se remettre en route, le groupe entreprit de se déplacer avec davantage de prudence, bien que son allure en pâtisse.
A un moment, Fares crut entendre un chuintement et tourna la tête juste à temps pour voir deux autres marins se faire enlever. L’instant d’avant, ils se trouvaient à trois pas de lui et celui d’après il n’y avait plus rien, si ce n’était un bouclier ou une arme échappés. Le plus terrifiant restait néanmoins la façon dont ils s’étaient évaporés. Une force les avait brutalement arrachés du sol pour les entraîner en hauteur, au cœur de la brume, à une vitesse ahurissante.
Le Chevalier déposa aussitôt l’Urne Sacrée qu’il portait sanglée sur son dos, et d’une traction sur la chaîne présente sur l’un des panneaux, l’ouvrit. Dans une pluie d’étincelles argentées apparut l’Armure à l’effigie d’une créature au corps de cheval et au buste d’homme. Sitôt libérée, elle se disloqua pour couvrir le corps de son propriétaire.
En une fraction de seconde, la température ambiante s’éleva de plusieurs degrés autour du Libyen, alors que son cosmos s’embrasait.
- Khefd Ela Remad !
D’un vif mouvement des poings, Fares expédia une salve d’énergie qu’il enflamma, en direction de la frondaison des arbres. Subitement révélées, des formes sombres s’agitèrent, en proie au feu ardent qui les dévorait. Agitées, poussant d’horribles cris perçants, elles churent de leur perchoir. Au sol, elles se recroquevillèrent, masse noire carbonisée. Leurs corps poilus boursouflés, aux multiples pattes articulées ne laissaient aucun doute quant à leur nature. Des araignées ! Mais d’un gabarit plus proche de celui d’un petit poney que d’une pièce de monnaie, et pourvues de crochets longs comme une lame de couteau.
- Qu’est-ce que c’est que ça ? s’écria l’un des marins survivants.
- Des créatures envoyées par les Alfes Noirs ! s’exclama un autre en se signant.
- Silence ! tonna Horik.
- Est-ce que c’est normal, ça !? s’inquiéta Fares.
La Haute Prêtresse secoua la tête, confuse.
Des mouvements furtifs leur firent lever à nouveau les yeux vers les cimes. Une terreur diffuse et un sentiment d’urgence, celles de proies se sachant traquées, les tenaillèrent soudain.
- Mieux vaut ne pas traîner, conseilla le capitaine en serrant un peu plus fort le manche de sa hache, tandis que ses yeux balayaient la brume suspendue aux hautes branches. Ici, tout joue contre nous.
- Il a raison, renchérit Fares. Allons-nous-en.
Pressant le pas, le groupe, réduit à cinq membres, fila droit devant lui, sans chercher à dévier un tant soit peu, même lorsque les fourrés se faisaient particulièrement denses.
Au bout d’une heure et demie de marche forcée, la bande déboucha sur une petite éminence, formant une trouée naturelle au milieu de la forêt. Face à eux, le terrain redescendait en pente douce jusqu’à une nouvelle zone boisée qu’il leur faudrait traverser pour atteindre la falaise, située au-delà, et dont l’ascension leur permettrait d’accéder au promontoire où se trouvait le temple. Heureusement, des marches taillées dans la roche leur faciliteraient le parcours.
Après une course effrénée en terrain découvert, ils pénétrèrent dans les sous-bois. Traverser ces derniers à une allure toujours plus pressée finit par prélever un lourd tribut sur les moins jeunes de l’expédition. Accusant la fatigue, Sosia s’appuya contre un tronc pour reprendre sa respiration au cours d’une pause qu’elle essayait de rendre aussi courte que possible.
- Ça va aller ? s’enquit le Libyen.
- Oui, le rassura-t-elle. J’ai juste besoin … de quelques minutes.
- En dehors de ces monstrueuses araignées et nous-mêmes, je n’ai pas l’impression qu’il y ait âme qui-vive par ici, dit Fares pour initier la conversation. Croyez-vous que les Nornes soient encore présentes ? Vu comme ça, les lieux me paraissent particulièrement hostiles.
La quinquagénaire prit le temps de rajuster ses bésicles.
- Les Nornes ne sont pas des humains, lui rappela Sosia. Ce qui nous affecte n’a pas nécessairement prise sur elles.
- Je …
Il s’interrompit en captant le bruit de brindilles que l’on écrase. Le maître d’équipage manifesta sa présence en toussotant.
- Qu’il y a-t-il, Horik ? Vous semblez inquiet.
- Thrard est parti se soulager il y a un bon moment déjà et il reste sourd à mes sollicitations.
- Vous pensez que …
Un cri d’agonie leur apporta la réponse qu’ils craignaient.
- C’est pas vrai ! s’exclama le capitaine. Rollo aussi ! Il faut atteindre la falaise tout de suite !
Fares aida Sosia à repositionner correctement son paquetage et ils prirent la direction de l’escarpement tout proche. Vu d’en bas, le dénivelé représentait pas loin de deux cent cinquante mètres. Bien que présente, la piste allait se révéler ardue à gravir étant donnée la maigre largeur du passage, surtout avec des prédateurs aux trousses.
Dès qu’ils entamèrent la montée, le Chevalier d’Argent se retourna vers la forêt et d’un geste projeta une langue de feu pour créer un rempart impossible à franchir pour les arachnides. Quand ils se furent élevés d’une septantaine de mètres, le Libyen put constater avec désarroi que leurs poursuivants avaient trouvé le moyen de contourner le barrage imposé. Dans les conditions actuelles, ces derniers possédaient l’avantage de la mobilité sur un terrain aussi escarpé. Et au rythme auquel elles avalaient les premiers mètres, il ne faisait pas l’ombre d’un doute qu’elles seraient sur eux bien avant qu’ils aient atteint le sommet.
- Continuez d’avancer, cria-t-il aux autres, je vais les retenir.
Concentrant son cosmos, il fit apparaître une boule de feu dans chacune de ses mains. Conscient du risque pris, il se pencha légèrement pour espérer avoir une meilleure vue. Bien mal lui en prit, puisque une araignée choisit ce moment pour parvenir à sa hauteur. Poussant un cri de surprise, Fares eut toutefois le réflexe salvateur de reculer d’un pas tout en lançant son projectile ardent. Atteignant l’animal en plein thorax, il l’envoya dégringoler en en entraînant un autre dans sa chute mortelle.
Les individus restants firent cliqueter leurs pattes plus rapidement, certains sautant même. S’en suivit alors un jeu de tirs à la cadence soutenue, où le jeune homme dût s’échiner à faire pleuvoir une véritable nuée incandescente sur les créatures bondissantes. Aussi à l’aise sur les surfaces horizontales que verticales, celles-ci progressaient avec une agilité spectaculaire. Fort de plus d’une dizaine d’individus, l’essaim traquait ses proies sans relâche, faisant fi des pertes subies.
Venant du dessus, Fares ne s’aperçut pas qu’une des grandes araignées s’approchait, ses longues pattes ne produisant aucun son en s’accrochant à la paroi rocheuse. Ce ne fut que lorsque le venin dégouttant de ses crochets s’écrasa sur sa nuque, le brûlant de son contact acide, qu’il releva suffisamment vite la tête pour déclencher des représailles contre la bête. Des deux mains, il l’inonda d’un torrent de flammes qui la calcinèrent sans attendre. Il s’écarta pour ne pas être entraîné dans la chute de l’animal. Comprenant que poursuivre son action ne rimait plus à rien à cette distance, le Libyen s’élança sur le tortueux tracé, afin de rejoindre Sosia et Horik qui bataillaient plus haut.
Le capitaine du knörr faucha trois des huit membres de l’adversaire lui faisant face, d’un formidable aller-retour de sa hache. Déséquilibré brusquement, celui-ci bascula dans le vide. Toutefois, il eut l’occasion de cracher une soie qui se colla à l’un des bras de Horik. Le marin planta fermement ses pieds et tenta de résister à la traction, tout en essayant de trancher le fil. Trop souple et trop résistant, il absorbait les trop faibles impacts portés par un unique bras valide.
Sur le point de tomber, Horik vit, du coin de l’œil, Sosia se précipiter à ses côtés. Dans les airs, la Haute Prêtresse commença par dessiner la rune qui lui avait servi à sécher sa robe sur la plage, puis y adjoignit une seconde reliée à l’intensité. Elle lia le tout à l’aide d’autres runes, façonnant une formule, et toucha la soie. A son contact, elle s’enflamma aussi aisément qu’un tissu imbibé d’huile et finit par rompre, privant l’animal de son garde-fou. Horik la remercia d’un signe de la tête.
Mais déjà, le danger se manifestait de nouveau et Sosia y était aveugle puisqu’il se trouvait dans son dos. D’un geste vif, le capitaine balança sa hache qui vrombit en passant tout près de la quinquagénaire. L’acier asgardien se ficha dans la tête de l’araignée, entre ses multiples paires d’yeux avec un bruit spongieux, stoppant nette sa progression. La Haute Prêtresse allait féliciter l’homme pour la précision de son lancer, quand elle vit un nouvel arachnide bondir depuis un surplomb et agripper Horik. Il disparut en un éclair, sans avoir eu le temps d’émettre une seule plainte.
- Sosia ! appela Fares en la rejoignant aussi vite que possible. Est-ce que …
- Dépêchons-nous, Fares, déclara la quinquagénaire. La mort de tous ces hommes ne doit pas être vaine.
Passant devant, le Chevalier d’Argent escorta sa protégée, décourageant les ultimes rescapés de l’essaim à grand renfort de jets de flammes. Etrangement, il n’eut pas à insister.
Le sommet atteint, deux tableaux époustouflants s’offrirent à eux. D’un côté, ils avaient une vue imprenable sur l’étendue qu’ils venaient de traverser. De larges bandes de forêts au feuillage si sombre que son vert en paraissait noir, émaillées de quelques clairières, et au-delà de ça, la plage sur laquelle ils étaient arrivés. Le bateau toujours en attente de leur retour, n’était qu’un point sur la grève de galets polis. Enfin, l’horizon que le soleil auréolait de couleurs or et vermeil au gré de sa descente pour retrouver sa demeure nocturne.
Cependant qu’ils s’en détournaient, un spectacle tout aussi grandiose les saisit. A environ deux centaines de mètres se dressait l’objet de leur quête. Et il n’aurait pu être plus différent de ce à quoi ils s’attendaient. Si tant est qu’ils se soient attendus à quelque chose en particulier.
Un gigantesque frêne, dont l’énorme tronc n’aurait pu être entouré que par des dizaines et des dizaines d’humains se tenant par la main, et doté d’une ramure si impressionnante qu’un dragon – si de telles créatures existaient encore – aurait pu s’y installer pour une sieste, les écrasait de sa pesante présence. Fares songea qu’un tel arbre devait vivre depuis des milliers d’années. Détail insolite, au pied de l’oléacée, une ouverture avait été pratiquée. En s’approchant davantage, ils constatèrent qu’elle avait une forme rectangulaire et était suffisamment large pour laisser passer un chariot de grosse taille et assez haute pour ne pas gêner le passage d’un engin de siège. Une paire de monolithes où figuraient des écritures en grande partie illisibles, en marquait l’entrée de part et d’autre.
- Yggdrasil …, laissa échapper la Haute Prêtresse, dans un murmure rêveur.
Une volée de marches plus loin, ils pénétrèrent dans le lieu saint. A l’intérieur de l’édifice, il faisait noir, mais même ainsi, ils purent se rendre compte que ce qu’ils avaient vu au-dehors n’était rien comparé à ce sur quoi leurs yeux, s’accoutumant petit à petit à la pénombre, se posèrent.
Tout en indiquant une activité humaine par ses sculptures et ses ornements, le lieu gardait son empreinte d’intemporalité avec ce bois tendre, creusé sans être meurtri. L’architecture humaine à proprement parlée, représentée par des travaux basés sur la taille de la pierre, se mêlait ici et là à la matière de l’arbre de façon parfaite. On aurait dit que les deux avaient crû ensemble, confinant à la perfection, l’impression d’alliance entre sauvage et civilisation.
Ils enchaînèrent les pas les uns après les autres, crainte et respect mêlés alourdissant leurs enjambées. Progressivement, comme en réponse à leur présence, la scène se retrouva éclairée par une clarté tamisée destinée à ne pas agresser leurs rétines. Cette lumière inattendue, aux nuances ambrées, était émise par la sève de l’arbre. Parcourant le réseau veineux, elle brillait à travers la « chair » claire du frêne. Et grâce à elle, Fares et Sosia réussirent à distinguer un bassin au fond de la vaste salle. Une douce lueur bleutée s’en dégageait.
- Où sont les Nornes ? demanda le Libyen, brisant le silence quasi-sépulcral qui régnait.
- Je ne sais …
Avant la fin de sa phrase, une voix se fit entendre. Aux intonations désincarnées, un cliquètement évocateur et inquiétant s’ajouta.
- Est-ce la fois où ils nous attaquent sans crier gare dans une gerbe de flammes ? ricana une voix à laquelle se confondait des claquements de mains.
- En tout cas, ce n’est pas celle où ils arrivent en agonisant, gorgés de poison, pour mourir à nos pieds, déclara une seconde de façon lasse.
Les sons résonnaient étrangement, se répercutant sur les parois. Les deux invités scrutèrent les hauteurs obscures sans rien distinguer.
Fares s’approcha du petit bassin en croyant y avoir remarqué une vague ombre à la surface. Celle-ci grandit au fur et à mesure et lorsqu’il comprit que son propriétaire venait d’au-dessus et non pas d’en dessous, il s’empressa de reculer. Du plafond descendait une étrange silhouette et, croyant y déceler la forme d’une de ces énormes araignées, il enflamma son cosmos en retour, projetant des étincelles argentées alentour. Quand il comprit finalement ce à quoi il avait affaire, il le fit refluer.
Une femme était suspendue à un fil de soie, comme une danseuse aérienne, un pied passé dans une boucle au bout. Elle oscillait juste au-dessus de la surface du bassin, s’y balançant doucement. Eclairée par ce dernier, sa peau présentait une teinte aussi blanche que celle de la neige fraîchement tombée. En dépit de ce détail déjà troublant, elle possédait des épaules plus massives que celles d’un être humain – essentiellement parce qu’elles supportaient le poids de trois paires de bras. De plus, sa tête à la longue chevelure opaline, affichait un demi masque allongé, doté de nombreux joyaux brillants de la même couleur que ses yeux – un vert luminescent – donnant l’illusion qu’elle en avait davantage. Tout dans son apparence rappelait les créatures arachnéennes combattues précédemment. A travers le prisme de cette image, Fares comprenait pourquoi les Nornes étaient surnommées « fileuses » par Sosia. Abasourdi, il ne fit pas attention à la quinquagénaire qui s’avançait vers l’humanoïde.
- Je vous présente mes respects, dit-elle en s’inclinant. Je suis …
- La Haute Prêtresse du culte d’Odin, Sosia, annonça une voix sifflante, différente de celles entendues plus tôt. Fille de Felnar et Olga. Et Fares, Chevalier d’Argent au service de la déesse Athéna. Oui, nous ne somme pas stupides, nous savons tout de vos passés.
- Je vous prie de me pardonner, l’espace d’un instant j’ai oublié que …
- Et cesse de remuer la tête, jeune homme ! Nous sommes en face de toi, pas ailleurs.
Vertement tancé, le Libyen rougit jusqu’à la racine des cheveux. Néanmoins, il comprit finalement d’où provenaient les autres voix à la façon dont la Norne s’exprimait, ainsi qu’aux différents timbres perçus. Et la seule explication qui lui vint à l’esprit était que trois personnalités distinctes – au moins – n’habitaient ce corps.
- Grandes Nornes, reprit Sosia, je viens à vous les mains vides, mais je vous conjure d’écouter ma requête. Dès après, je me plierai à vos désirs.
- Nul besoin d’aller jusque là, dit celle au ton fatigué.
- Vous nous avez déjà offert ce que nous voulions, fit amusée celle à la voix sibilante.
- Je ne comprends pas, nous n’avons pas réalisé la moindre offran…
En un éclair, il lui revint les sinistres légendes à propos de sacrifices humains.
- Le capitaine Horik et ses hommes …
- Tiens, cette fois-ci, elle a compris beaucoup plus vite.
Les Nornes continuèrent à discuter en marmonnant de façon incompréhensible, comme si elles enchaînaient les monologues.
- Qu’est-ce qu’elles racontent ? murmura Fares, en attirant l’attention de la Haute Prêtresse en la tirant par la manche.
- Je t’ai expliqué que les Nornes étaient des devineresses, chuchota Sosia. Mais, à elles trois, elles sont plus que cela. Bien plus. La première, la vieille Urd avec ses paroles chuintantes voit ce qui a été, Verdandi avec laquelle on a cette impression d’harassement, ce qui est, et la jeune Skuld, qui a parlé la toute première d’une façon un peu excentrique, ce qui peut advenir.
- Vous voulez dire que c’est pour cette raison qu’elles n’arrêtent pas de parler de certaines choses comme si elles les avaient déjà vécues ?
- En effet, elles ont accès à l’ensemble des possibilités. A chaque décision prise ; aller à droite ou à gauche, répondre à une question ou non ; de nouveaux chemins s’ouvrent. Tout cela forme une toile qu’elles arpentent librement par la pensée. Chaque choix trace une voie supplémentaire.
- C’est complètement dément. Comment pourraient-elles connaître le commencent et la fin de toutes choses sans devenir … folles ?
- Dit celui qui devient enragé lorsque la peur le submerge, siffla soudain Urd.
Tête penchée en arrière, les Nornes scrutaient le plafond en reprenant leur lent mouvement de balancier.
- Je ne suis plus cette personne.
- Peut-être … et peut-être pas, répondit mollement Verdandi. Tu as développé tes pouvoirs. Jabu ne t’a pas tué, Nikolaï t’a sauvé de toi-même. Tu n’es pas devenu un monstre sanguinaire …
- Pour l’instant, enchaîna Skuld en caquetant.
Une angoisse sourde étreignit le Libyen.
- Vais-je le devenir ?
- Si je te réponds oui, dit la jeune Norne de sa voix tantôt aiguë tantôt grave en penchant sa tête d’un côté puis de l’autre, tu perdras tout espoir et ne lutteras plus contre cette part de toi. Si je te réponds non, tu deviendras sans doute trop confiant et tu relâcheras tes efforts. (Son index effilé entreprit un mouvement circulaire près de sa tempe.) Le fait même de te donner une réponse revient à t’influencer, te poussant dans une direction que tu n’aurais peut-être même pas envisagée en restant dans l’ignorance. La force du futur, c’est d’être toujours changeant.
Le discours des Nornes imprégna tant Fares qu’il se plongea dans de profondes réflexions. En un sens, Sosia comprenait ce à quoi il était en train de réfléchir. Néanmoins, il leur fallait se recentrer sur leur objectif initial.
- Vous savez que nous sommes à la recherche des orbes créés par Odin, exposa la Haute Prêtresse. Aussi, ma question est la suivante : où trouverons- nous la prochaine ? Que voyez-vous ?
- Ici même et maintenant, répondirent en chœur les trois voix.
- Vraiment !? s’étonna Sosia.
- Pour la trouver, boire au puits sera nécessaire, annonça Skuld. Pour connaître et embrasser sa propre destinée dans son intégralité.
Fares et Sosia s’entreregardèrent, incertains de la marche à adopter. Etait-ce un test ? Que pouvaient-ils espérer en avalant de cette eau sacrée ? La connaissance de leur propre futur ? Pourraient-ils voir la fin de la guerre ? S’observer vivre milles vies et mourir autant de fois de milles façons différentes. De quoi sombrer dans la folie. Là encore, diverses branches se diviseraient suite à leur décision.
Sa détermination chevillée au corps, de même que ses peurs, le Chevalier d’Argent fit quelques pas hésitants, puis s’avança solennellement vers le puits et les Nornes toujours perchées au-dessus.
- Fares, qu’est-ce que tu fais ? entendit-il Sosia dire.
S’agenouillant, il mit ses mains en coupe et les plongea dans l’eau bleuâtre.
- Arrête !
Il porta le tout à sa bouche et en but le contenu. L’eau avait la froideur de la glace en descendant dans sa gorge.
Au début, rien ne se produisit, tandis qu’il se tournait vers la quinquagénaire inquiète. Puis, sa vision s’obscurcit et il tomba face contre terre. Sosia le crut mort jusqu’à ce qu’il se mette à rire, à pleurer, à ruer et hurler à s’en déchirer les cordes vocales, en l’espace de dix battements de cœur. Elle se porta à sa rencontre.
- Fares ! Fares, tu m’entends ?
Mais il n’entendait rien. Ses yeux étaient devenus deux billes de glace bleue, et ses oreilles demeuraient sourdes à tout appel.
Il voyagea. Loin. Très loin. Et pourtant si près parfois. Il observa un nombre incalculable de possibles en suivant une trajectoire aussi hasardeuse que la course d’un éclair à une vitesse infernale. Pareil à un kaléidoscope, son parcours était plein de couleurs, de sons, d’odeurs et d’émotions. Il se vit vivant, mort et entre les deux. Il se sentit bienheureux, triste à en mourir, malade, amoureux, en colère, amusé. Trop d’états pour être cités tant ils se confondaient. Enfin, il entrevit la lumière au bout du tunnel et elle lui apparut comme une bénédiction. Tout allait prendre fin. Il s’éveilla alors que Sosia était penché sur lui, visiblement très soucieuse.
- Tout va bien ? s’enquit-elle.
- Oui, répondit-il d’une voix réduite à un filet. Je crois que vous devriez aller voir dehors.
Il y eu alors subitement un grand bruit à l’extérieur et la quinquagénaire, non sans avoir jeté un regard interrogateur au jeune homme, partit voir de quoi il retournait.
Au dehors était apparue une immense colonne de glace, aussi haute, sinon plus que la falaise. De son sommet en descendit un personnage, dont la présence se révéla pour le moins inattendue. Andrei, le Chevalier d’Or du Verseau, glissait nonchalamment sur le pont de glace qu’il était en train de façonner pour rejoindre la terre ferme. Sitôt que ses pieds foulèrent de nouveau le sol, il se dirigea vers le temple.
Déstabilisée, la Haute Prêtresse regarda par-dessus l’épaule d’Andrei et la scène qui s’offrit à elle fit courir un frisson d’horreur le long de son échine. De gigantesques blocs de glace aux allures déchiquetées émergeaient de-ci de-là à plusieurs endroits de la forêt, pareils à des icebergs ayant chuté depuis le ciel. Et dire qu’elle n’avait rien ressenti des colossaux déploiements d’énergie qui avaient été nécessaires pour créer de telles choses. Sans doute, tout ceci s’était-il produit alors qu’ils étaient dans le temple.
A l’approche du prince de Blue Graad, Sosia recula pour se rencogner dans l’entrée, peu désireuse de se mettre sur le chemin de ce jeune rebelle. Toutefois, la question qui lui tarauda l’esprit fut : comment était-il arrivé là ? L’emplacement de l’île n’étant connu que d’un petit cercle d’initiés, soit Andrei était parvenu ici par hasard après avoir arraché l’information, soit il les avait délibérément suivis.
Suivant sa démarche, elle avisa soudain que les Nornes venaient de remettre quelque chose à Fares. Seulement, étant donné sa position éloignée, l’action avait été trop fugace pour elle. Toutefois, même à distance respectueuse, elle distingua le raidissement qui se manifesta chez le Verseau. Lui avait vu de quoi il retournait.
- Donne-le moi, Fares, ordonna Andrei sans préambule en se plantant devant le Libyen.
Celui-ci rencontra le regard marron de son vis-à-vis et le soutint. Le Chevalier d’Or n’avait guère changé durant ces huit mois de disparition. Peut-être était-il un peu plus maigre que dans ses souvenirs, mais – de ce qu’il en voyait – il portait quelques cicatrices sur les bras et son regard était comme enfiévré. Plus sauvage.
- Non, dit-il d’un ton qu’il espéra ferme.
L’autre le regarda sans comprendre.
- Non ? Est-ce que tu sais à qui tu t’adresses ? J’ai une mission importante à accomplir et pour ça, il me faut cet orbe.
Il tendit sa main, paume ouverte. Le Centaure ne fit mine de rien.
- Je ne me répéterai pas, déclara le Verseau.
Déjà la température environnante chutait, preuve qu’il s’impatientait. Rapidement, Fares contra cette baisse avec son propre cosmos.
- Tu es sérieux ? s’étonna l’autre. Très bien, si ton désir est de mourir stupidement, autant que je t’enseigne le respect.
Chacun s’éloigna d’un bond et fit exploser son cosmos. De leur point de contact naquit une vapeur dense, dont le sifflement rappelait celui d’un fer porté au rouge que l’on plonge dans un baquet d’eau froide.
15 janvier 1997
Norvège, Asgard, quelque part dans la Province Nord
Des bruits étouffés tirèrent Tristan de sa torpeur. Il était allongé sur le sol, ses mains entravées par des chaînes. Avec précaution, il tâta le côté de son visage tuméfié. Il n’avait rien de cassé, uniquement un œil gonflé, presque fermé désormais. En revanche, il avait très certainement des côtes fêlées. Ramenant ses jambes sous lui, il réussit à s’installer en position assise.
Le jeune homme n’eut guère le temps de s’interroger sur les raisons de la trahison d’Einar ou d’élaborer une ébauche de plan pour s’enfuir. L’une des sentinelles de sa cellule de pierre s’écroula face contre terre, bientôt suivie par la seconde dont la bouche et le nez étaient couverts de givre. Cette dernière était toujours occupée à convulser, en proie à l’asphyxie, ses pieds s’agitant frénétiquement, quand une silhouette apparut devant la porte.
- Einar ! s’étonna le Français.
Le Marina devait s’appuyer sur les barreaux pour ne pas tomber. Sa respiration courte et sifflante ne laissait rien présager de bon sur sa santé, pas plus que le haut de son pantalon poisseux de sang ou les cernes d’épuisement sous ses yeux.
Tristan distingua clairement l’aura irisée qui se dessina autour de l’Asgardien. Celui-ci apposa sa main libre – l’autre plaquée contre son flanc pour endiguer l’hémorragie – sur un gond et gela le métal. Il répéta l’opération une nouvelle fois et ramassa une pierre. A chaque impact sur l’ouvrage de forge, Einar laissait échapper un grognement de douleur, le contraignant à s’interrompre plusieurs fois.
- Einar, arrête ! cria le Capricorne. Tu n’es pas …
Le gond récalcitrant explosa enfin en morceaux et le Marina tira sur la grille pour l’arracher. Il luttait visiblement pour ne pas perdre conscience, ni hurler. Réussissant, il la posa sur le côté et tituba jusqu’au Français pour s’effondrer près de lui.
- Einar, Einar, tu m’entends ! s’enquit-t-il, anxieux.
- Je suis désolé, Tristan, bredouilla le Marina, le menton barbouillé de sang. J’ai fait une erreur. (Il déglutit.) Mon … Kilfgar oeuvre pour Loki. Je ne sais pas s’il appartient aux Fléaux d’Utgard. On a parlé et … quand je l’ai confronté, il a fini par me poignarder. (Il émit un bruit ressemblant à un rire de gorge troublé par une humidité inquiétante.) Par chance, il m’a retiré mon collier. J’imagine qu’il ne voulait pas me laisser mourir en esclave … un dernier sursaut d’affection.
Il toussa, tandis que le Français le regardait d’un air ahuri.
- Economise tes forces, Einar, l’enjoignit-il.
- Non … pas le temps. Va chercher Mei Ling et … enfuyez-vous. Un Fléau est sur le point d’arriver au camp.
- Quoi ?
- Mais surtout, tu dois savoir … qu’il y a d’autres fabriques comme celle-ci. Il faut prévenir la reine Ylva et Nordring.
L’Asgardien lui fit un signe de la main pour qu’il s’approche.
- Je vais te débarrasser … de ça.
Une auréole de cosmos se forma au niveau de la main qu’il tendit pour saisir le collier enserrant le cou de Tristan. Le protecteur d’Athéna sentit le flux glacé se diffuser le long de la bande de métal. D’une pression, Einar l’écrasa.
- Voilà.
- Merci.
- Une dernière chose. J’ai fait une promesse que j’aimerais … que tu tiennes à ma place. (Le Capricorne hocha la tête.) Dans une des geôles de la zone nord … se trouve la mère de l’enfant qu’Arion a ramené. Ainsi que le prince Nain. (Les yeux de son interlocuteur s’arrondirent.) Si possible, je voudrais que tu la sauves.
- Je ferais ce que je peux, mais tu t’imagines bien que je vais être très occupé dans les minutes à venir, dit-il d’un ton léger.
Sa remarque arracha un sourire au Marina qui allait pourtant de plus en plus mal.
- Je m’en charge, assura le Chevalier d’Or, redevenu sérieux.
Il se concentra pour invoquer son cosmos. Tout son corps se retrouva parcouru de fourmillements, d’anciennes sensations lui revenant comme au sortir d’un long sommeil. Il avait l’impression d’étirer des muscles dont il n’avait plus eu conscience depuis une éternité. A l’instar de tout début d’entraînement sportif, Tristan dut prendre le temps de les échauffer avant de pouvoir les lancer à plein régime. Toutefois, il déploya bien vite un halo doré et commença à écarter les bras. Les maillons de ses entraves se tordirent jusqu’à leur point de rupture, puis rompirent.
- Ce n’est pas encore ça, mais ça ira, commenta le Français en se massant les poignets.
Sa pleine maîtrise reviendrait suffisamment tôt. Enfin, il l’espérait.
Il se tourna vers Einar. Celui-ci était dans le coma. Avant de quitter les lieux, Tristan se servit d’un morceau de sa tunique pour réaliser un bandage de fortune et comprimer la plaie. Au moins, l’Asgardien avait eu le bon sens de ne pas essayer de geler sa blessure, entraînant ainsi la nécrose des tissus, à défaut de provoquer une hémorragie interne. Il ne pouvait guère faire plus pour lui. Jetant un dernier regard à son ami, le Capricorne se hâta de regagner la surface.
La jeune Chinoise était ballottée de droite à gauche, de manière incessante. Coups et insultes la heurtant tout à tour. Et aussi bien les hommes que les femmes l’invectivaient, agitant leurs poings en l’air. Dans leurs yeux, Mei Ling ne lisait que de la rancœur et de la colère, certainement dues en partie aux sévices intimes auxquelles ces dernières savaient qu’elle avait échappé.
Sa capuche lui avait été ôtée et son bandage arraché durant l’échauffourée. Un projectile l’atteignit à la tempe, faisant danser des étoiles devant ses yeux et couler du sang le long de sa mâchoire. Elle manqua s’affaisser dans les bras de ses persécuteurs.
- Hé là, t’endors pas, l’avertit l’un d’eux en raffermissant sa prise pour la redresser sans ménagement. Ce serait dommage que tu manques la suite du spectacle.
- Ouais, renchérit celui à sa droite. On ne va pas te tuer tout de suite. (Il colla sa bouche près de l’oreille de la jeune femme, son haleine tiède l’agressant.) Gâcher un tel cadeau, ce n’est pas notre genre.
- Tu te croyais plus maligne que nous, hein ?! entendit-elle une femme lancée au cœur de la foule déchaînée. Mais tu vas en baver tout autant !
- Tu risques de ne plus pouvoir t’asseoir pendant une semaine après ça ! gueula une autre.
Le pire était que ces hommes n’étaient même pas des soldats de Loki ! De ceux qui s’amusaient à les tourmenter, les brimer, les abuser jour après jour. Non. Juste des esclaves aussi souillés qu’elle. L’horreur de la situation représentait un poids insupportable pour le Chevalier d’Argent. Si elle subissait ce calvaire à nouveau, après toutes ces années, dans de telles conditions, elle y perdrait sa raison.
Le temps parut ralentir, lui permettant d’étudier les détails de chacun des visages qui l’entouraient. Son cœur battit la mesure à un rythme d’abord lent, puis de plus en plus rapide. Tant de ressentiment, de mesquinerie et de lâcheté qui déformaient ces visages, masques d’âmes plus noires encore, par d’horribles rictus. A cet instant, ils exhibaient tous une apparence hideuse et démoniaque. Ces gens méritaient-ils réellement d’être sauvés ? Comment avait-elle pu être résolue à se battre pour eux ?
A bout, elle jura et ses muscles se contractèrent avec une telle force que c’en fut douloureux. Ses bras se libérèrent. Pareils à deux éclairs fulgurants, ses poings défoncèrent les côtes des deux hommes. L’un deux n’eût pas le temps de se plier en deux. Elle l’attrapa par les cheveux d’une main, glissa deux doigts sous ses yeux et les arracha d’un coup sec en laissant échapper un hurlement à glacer le sang. Des cris d’horreur s’élevèrent de la foule. En proie à une soudaine rage, elle assouvit sa fureur en s’acharnant sur le type à terre. A califourchon sur lui, elle l’abrutit de coups encore et encore. Elle aurait été incapable de dire combien de temps cela dura. Quand elle reprit ses esprits, elle était toujours assise dessus et ses cheveux, comme ses avant-bras, étaient poisseux de sang. Elle l’avait massacré à mains nues.
L’espace d’un instant, un silence de plomb s’abattit sur la scène. Les respirations restaient bloquées dans les gorges, comme si leurs propriétaires voulaient éviter de se faire repérer. Lorsque Mei Ling tourna son regard noir vers eux, ils reculèrent dans un même mouvement. La jeune femme s’apprêtait à leur bondir dessus quand un poing la percuta à hauteur de la pommette. La force du coup l’envoya au sol, légèrement sonnée.
- J’aime ta façon de faire, intervint une voix féminine.
Mei Ling détailla la femme qui venait de la frapper. Quelque peu plus âgée qu’elle, de longs cheveux bruns encadraient un faciès aux belles prunelles vertes, où se disputaient la malveillance et le charme. Son maintien lui-même aurait pu se révéler provocateur de bien des manières, s’il ne se résumait pas clairement à défier la Chinoise.
- Tu as des yeux intéressants, commenta-t-elle. Si élégamment allongés … cela me rappelle … (Son visage s’éclaira.). On m’a raconté que tu faisais partie de l’armée de la reine, mais c’est même encore mieux que ça ! Tu es une autre de ces étrangers.
Souligné d’écarlate, son regard renvoyait une lueur assassine et elle serra les poings à s’en blanchir les phalanges. Elle bondit sur le Chevalier d’Argent et lui expédia une rapide série de coups de poing.
Mei Ling les esquiva les uns après les autres en se déplaçant habilement autour de son nouvel adversaire. Une nouvelle frappe fut déviée sur le côté d’un mouvement de la paume, suivie aussitôt par une riposte dans les côtes flottantes. La Chinoise poursuivit avec un enchaînement d’attaques précises de la paume ouverte et du coude qu’elle paracheva par une pique du talon. Son opposante encaissa sans rien trouver à y répondre et recula sur deux bons mètres. Mei Ling se remit en garde.
Du pouce, Hati essuya le sang sur sa lèvre. Elle repartit à l’assaut encore plus violemment, souriant de toutes ses dents. A nouveau, Mei Ling la reçut sans coup férir. Ses bras élancés déployés telle une paire d’ailes, balayèrent les tentatives du Fléau et se saisirent brusquement d’un avant-bras pour le faire plier selon un angle impossible. En termes de compétences martiales, la Chinoise surclassait largement son ennemie. Aucun individu présent n’était en mesure de l’inquiéter en un contre un. Seul le nombre leur aurait permis de prendre l’avantage, ou …
Soudainement, alors qu’elle tenait l’autre en son pouvoir, Mei Ling sentit une sensation de chaleur au niveau de ses mains. Allant en s’intensifiant, elle eut bientôt l’impression qu’un tison ardent brûlait entre ses paumes. De douleur, elle lâcha prise et reçut un brutal revers en plein visage, éclatant sa lèvre inférieure, en guise de punition. Pour la seconde fois, la jeune femme goûta à la dureté du sol.
- Je vais t’écraser, lui assura Hati.
Un rictus déformait ses traits et une aura rougeoyante l’enveloppait. Elle se débarrassa du pendentif qu’elle portait et le jeta à ses pieds. Dans un tourbillon d’énergie, la Gave du Fléau se matérialisa. D’une impulsion mentale, elle lui somma de venir la recouvrir. A présent vêtue de sa protection à la teinte cendreuse, elle embrasa pleinement son cosmos. Une vague torride souffla sur le visage de Mei Ling, tandis que le métal prenait un aspect orangé en réponse. Les plateaux de la balance venaient subitement de pencher de l’autre côté.
Dès lors qu’il avait ressenti un puissant et agressif cosmos éclore en surface, un nœud d’angoisse s’était formé au creux de l’estomac de Tristan et il n’en finissait de se complexifier. Accélérant le pas, le Français remontait désormais la galerie à toute allure.
Il avait choisi d’emprunter une voie secondaire moins fréquentée par la garde, celle par laquelle était acheminée la large carriole apportant la nourriture aux prisonniers. Très pentu, le chemin n’offrait quasiment aucun espace sur les côtés pour une escorte – pas plus que cette dernière ne se serait risquée à aller au devant, de peur d’être écrasée si le conducteur perdait le contrôle.
Débouchant enfin à l’extérieur, la relative clarté permise par les nuages bas entrecoupés de carrés de ciel, suffit à lui faire plisser son œil valide quand elle se refléta sur la neige. Cette contrariété passagère surmontée, il avisa la multitude réunie à une centaine de mètres. Et au centre du cercle qu’elle formait, il distingua deux silhouettes en train de se tourner autour.
Sans son Armure, Mei Ling n’avait aucune chance face au Fléau. Encore moins si elle ne pouvait pas recourir à son cosmos. Tristan se rua en direction de la foule.
A chaque foulée qu’il enchaînait, il percevait des explosions d’énergie qui ébranlaient le sol.
Plus vite, s’enjoignit-il, plus vite.
Sa course n’échappa pas longtemps aux spectateurs qui se pressèrent pour former un blocus, certains entamant même un tir de barrage à son encontre.
- Dégagez ! leur cria-t-il, un bras levé pour tenter de se prémunir contre les projectiles.
Il était presque arrivé à leur contact, quand il comprit qu’ils ne céderaient pas. Tristan sut d’office que même en usant de ses poings, il aurait du mal à franchir ce mur humain, sans parler de se heurter à leur ire qui allait en se décuplant.
C’est alors qu’il entendit le hurlement de Mei Ling. Son adversaire était en train de la malmener sévèrement. Le sang du Capricorne ne fit qu’un tour et la colère emporta toutes ses réserves, tel un raz-de-marée. Son cosmos jaillit de son corps avec vigueur, inondant ses membres d’un pouvoir qui vrilla ses nerfs sous sa brutale affluence. D’une voix basse et glaciale, il lança :
- Dégagez maintenant, ou subissez-en les conséquences.
Sa sinistre tirade en refroidit plus d’un lorsqu’ils s’aperçurent qu’ils ne faisaient plus face à un homme du commun. Un noyau dur de contestataires ne sembla par contre nullement s’en soucier. Qu’importe, ils avaient fait leur choix. Et lui le sien. L’énergie dorée qu’il dégageait enfla, tel un ballon de baudruche, puis se rétracta pour se concentrer dans son bras droit. Les doigts serrés pour former un tranchant, le bras tendu, il traça de rapides arabesques devant lui. L’air lui-même parut se tendre jusqu’à se déchirer, fendu par les mouvements du Capricorne. Dans un bruit humide de peaux et de muscles tailladés et de tissus lacérés, les vingt personnes des premiers rangs s’effondrèrent, découpées en tronçons.
Le Français fit un pas supplémentaire en avant et tous les survivants en firent deux en arrière. Dévisageant le jeune homme comme s’il s’était agi d’un monstre, ils s’écartèrent de sa trajectoire. Venant de s’offrir un point de vue dégagé sur l’affrontement ; Tristan vit ses pires craintes être confirmées par un nouvel assaut difficilement esquivé par Mei Ling. La Chinoise accusait quelques brûlures légères, mais son ennemie n’en était encore qu’à l’échauffement.
Prêt à s’élancer, le Chevalier d’Or se figea dès qu’il sentit une grande masse d’énergie fondre sur lui. Il y avait deux Fléaux ! D’une pensée, il commanda à son Armure de le rejoindre.
A une dizaine de kilomètres de là, une congère se mit soudain à vibrer, avant d’exploser, exposant à l’air libre pour la première fois depuis cinq mois, une Urne Sacrée. Aussi chatoyante que le soleil et au blason ciselé à l’image d’une face caprine, celle-ci s’ouvrit pour permettre à son contenu de s’en éjecter à la vitesse d’une étoile filante. En l’espace de quelques centièmes de secondes, elle atteignit sa destination.
Fragmentée, l’Armure d’Or s’installa à la perfection sur son porteur, un battement de cœur avant qu’il ne se fasse percuter. Elle encaissa l’impact, mais ne put prémunir le jeune homme contre le recul du choc. Soulevé de terre, Tristan profita d’un instant de stabilité pour lancer un fin éclair de cosmos acéré sur Mei Ling – plus précisément en visant son cou. Il n’eut pas l’occasion d’observer le résultat de son tir, que déjà elle disparaissait de son champ de vision, tandis qu’il s’envolait à plusieurs mètres de là.
Le bruit de la détonation résonnait encore dans ses tympans, quand Mei Ling sentit comme un claquement au niveau de sa nuque. La seconde suivante, le bandeau enserrant sa gorge tombait, promptement coupé au niveau du mécanisme de fermeture. Son cosmos irriguant de nouveau son corps, elle évita de justesse le balayage de Hati et disparut au milieu d’un chatoiement argenté pour réapparaître parée de sa protection aux allures aériennes. S’autorisant un sourire, elle se mit en garde, paumes ouvertes, orientée vers le Fléau.
- Ne crois pas que cela va t’aider. Un gars vêtu d’or s’y est déjà brûlé les ailes. Ou les nageoires devrais-je dire. (Elle rit et afficha un sourire que n’aurait pas renié un loup.) Mais ça ne veut pas dire que l’on ne peut pas s’amuser encore un peu. J’aimerais voir jusqu’où je peux te pousser. Montre-moi à nouveau cette facette que j’ai pris un immense plaisir à voir en action tout à l’heure.
D’un bond qui éventra la terre sous ses points d’appui, elle se précipita sur la Chinoise, déterminée à se lancer dans une sanglante mise à mort.
Tristan écarta les décombres qui l’avaient enseveli après sa collision avec un appentis. Il s’en extirpait tout juste quand il dut se soustraire à une attaque venant du dessus. Des échardes de bois volèrent en tout sens à l’impact. Sur ses gardes, le Français observa son assaillant se relever lentement. L’armure de ce dernier présentait un solide plastron avec un col pourvu de fourrure, dont les poils donnaient l’impression d’être couverts de givre, au niveau de la nuque. Cet aspect hivernal se répétait sur tout le reste du métal, couvert de plaques de glace comme si de l’eau avait été jetée dessus pour ensuite être retrouver gelée en plein mouvement. Des épaulières d’où partaient deux chaînes qui s’entrecroisaient sur le torse, aux jambières dont le talon arborait une épine de glace, ainsi qu’aux bras. Même la jupe articulée entre métal et fourrure n’y échappait pas. L’angle du coude des canons d’avant-bras comportait une arête de glace, de même que le dessus de la main d’où émergeaient trois excroissances cristallines. L’aura bestiale qui transparaissait de la Gave était tout bonnement saisissante.
Le Capricorne ne reconnut son possesseur que lorsque celui-ci releva la visière de son diadème – des pointes duquel pendaient deux cristaux – qui dissimulait ses yeux.
- Kilfgar ! s’exclama Tristan.
Les tempes et les côtés du crâne du prêtre avaient été rasés de près et le reste de ses cheveux formaient une crête qui renforçait l’aspect agressif et sauvage que lui conférait déjà son armure.
- Evidemment, j’aurais dû me douter que vous ne vous laisseriez pas mettre à terre aussi facilement, dit l’ancien membre du clergé.
Un voile de froid l’entourait, pareil à une nappe de brume.
- Je suppose que je dois cette intervention à Einar, avança-t-il, une étrange lueur dans ses yeux bleus. Où est-il ?
- Mort, lâcha le Français entre ses dents.
L’Asgardien put le sonder l’espace de quelques secondes, cherchant à deviner s’il mentait. Tristan n’était pas un bon menteur, mais étant donné son incertitude quant au sort du Marina, sa réponse s’avérait parfaitement crédible. Un imperceptible changement sur le visage de Kilfgar indiqua son acquiescement.
- Qu’est-ce que cela fait de poignarder son meilleur ami ? demanda le Capricorne, une pointe de venin dans la voix.
Ce genre d’attaque ne faisait pas partie de son personnage, seulement, ces derniers mois l’avaient usé. On l’avait bastonné et le responsable des décès d’Oreste, et probablement celui d’ Einar, ainsi que de centaines d’innocents se tenait devant lui. Autant dire qu’il avait relégué ses principes au temps de l’âge de pierre.
- Tu ferais mieux de te taire, lui conseilla Kilgar, les traits légèrement crispés.
- Non, vraiment, j’insiste. Trahir la personne qui nous aime de tout son cœur, ça doit être quelque chose de vraiment spécial.
- Gagner du temps, que ce soit par les palabres ou en m’affrontant le plus longtemps possible ne te servira à rien, répliqua l’autre. L’homme qui recueillait vos informations a été capturé, torturé et … tué, enfin, disons qu’il n’a pas bien vécu mes tentatives pour obtenir des réponses. (Ses lèvres se retroussèrent, dévoilant son impeccable dentition.) Oh, il a été plutôt avare de ce côté-là. Un homme parfaitement entraîné qui avait, toutefois, comme tout le monde, son seuil de rupture.
Enfouir un poing dans cette bouche démangeait le Chevalier d’Or.
- Bref, inutile de compter sur des renforts.
- Ça veut dire que je devrais transmettre ces renseignements moi-même, déclara Tristan. Et que toute cette opération n’aura servi à rien. Tous ces esclaves vont mourir dans le chaos provoqué par nos combats. Ou par excès de stupidité.
Son aura grossit, dispensant une chaude atmosphère qui fit fondre la neige autour de lui.
- Je suis impatient de te voir t’y essayer, acheva Kilfgar en répondant à ce cosmos par le sien propre, créant de nouveaux flocons tourbillonnants. Tout ce que tu peux espérer face à moi, le Fléau de Fenrir, c’est être déchiqueté.
Il rabaissa la visière protégeant ses yeux et Tristan eut la surprise de voir ses ongles se mettre à luire, puis à s’allonger sensiblement en prenant une forme courbée semblable aux griffes d’un fauve. A une vitesse ahurissante, le Fléau se rua sur lui, son élan entraînant une explosion de neige vaporisée.
- Skjære i Strimler ! hurla-t-il.
Les bras de l’Asgardien se murent avec une force et une vivacité égales, frappant et tailladant à tout va. Un nuage de particules glacées suivit le sillage de ses attaques.
Le Français dut parer en catastrophe, son œil enflé l’empêchant de correctement anticiper les trajectoires. Il écopa donc de plusieurs balafres au biceps et à l’épaule gauches, avant de réussir à rompre l’engagement.
Sachant que son répit serait extrêmement bref, Tristan en profita pour inciser du pouce la peau gonflée sous son œil. Procéder ainsi devrait permettre à son ecchymose de se résorber, lui rendant une partie de son champ de vision.
Sitôt l’opération effectuée, il essuya un nouvel assaut de la part de Fenrir, mais cette fois, il était prêt. Les attaques plurent drues sur le Chevalier d’Or, qui réussit néanmoins à se prémunir de la violence des coups. En esquivant un dernier, il y trouva une ouverture. Le Capricorne leva le bras haut et l’abattit à la verticale, sa main fendant le tissu de la réalité en l’oblitérant sur son passage.
L’instinct primaire de Kilfgar le sauva in extremis, le poussant à tordre son tronc pour soustraire son épaule gauche à l’offensive. Une faille se creusa près de son pied, des éclats de roche jaillissant du sol martyrisé pour heurter ses jambes. Cependant, il n’y prêta aucune importance, tant le spectacle de son épaulière coupée nette accaparait toute son attention. Sans son réflexe, il aurait perdu bien plus qu’un morceau de métal. Bien malgré lui, le Fléau en vint à éprouver un respect certain pour la technique du Capricorne.
Son hébétude passée, il enflamma son cosmos de plus belle.
- Skjære i Strimler !
- Excalibur : Déluge Acéré !
Leurs mains gorgées de pouvoir destructeur s’entrechoquaient et se contraient mutuellement. Les ondes de choc engendraient des fissures dans la terre gelée à leurs pieds. Quiconque aurait osé les approcher, se serait retrouvé réduit à l’état de pulpe sanguinolente. Leurs regards étaient rivés l’un sur l’autre. Le rythme de leurs échanges s’accrut avec l’accroissement de leurs cosmos, provoquant un bruit assourdissant rappelant deux épées se heurtant avec fracas à une allure impossible.
Les coups mineurs n’étaient pas esquivés, mais encaissés sous la forme d’estafilades sur le visage, les bras, les doigts, les cuisses. Les gouttelettes carmines volaient autour d’eux en tout sens, comme projetées par le pinceau d’un artiste macabre.
Aucun ne voulait consacrer du temps et de l’énergie à se soustraire à ce genre de menus désagréments. A un homme du commun, leurs postures auraient semblées statiques, seuls leurs bras donnant l’impression de se mouvoir, mais en réalité, tout leur être vibrait à l’unisson de leur affrontement. Leurs points d’appui variaient peu, se contentant de bouger de quelques dizaines centimètres. Toutefois, sur une surface devenue glissante, le moindre écart supplémentaire devenait périlleux.
Bougeant un peu trop son pied, Kilfgar dérapa, brisant la cadence effrénée de leur échange. Le Chevalier d’Or en profita immédiatement en se fendant, son bras pointé tel une lance. Le déséquilibre induit les surprenant néanmoins aussi bien l’un que l’autre, son coup ne fit pas totalement mouche. La lame de son arcane ne fit qu’entailler le flanc du Fléau.
Réagissant au quart de tour, Fenrir bloqua le membre avant qu’il ne soit retiré et le coinça dans son dos. Des deux bras, dents serrées, il appliqua des forces contraires dessus dans le but de le briser. Comprenant le danger, Tristan vint se coller contre l’Asgardien et plaça habilement l’une de ses jambes entre celles de son ennemi. D’une poussée, il le crocheta, entraînant leur chute réciproque.
Même amené au sol, le combat n’en demeurait pas moins acharné.
Kilfgar stoppa rapidement son action précédente pour dégager ses bras et avec la célérité d’un fauve se jucha sur le Capricorne pour chercher à lui arracher le visage. Sa main plongea et le Français eut tout juste le temps d’orienter sa tête pour que les ongles durcis ripent sur son casque, l’égratignant au passage – seul le nez de Tristan s’en trouva légèrement entaillé. Tel un ressort, ce dernier redressa le buste, expédiant un coup de tête au Fléau. Le son du métal heurtant le métal ne parvint pas à cacher celui du cartilage écrasé. Quoique peu blessant – les cornes ayant manqué leur cible –, le choc lui permit de déloger l’Asgardien. D’une roulade arrière, Tristan se releva pour se ruer aussitôt sur son adversaire à demi assommé, son bras effectuant une pique descendante.
Là où se tenait Kilfgar à genoux, encore une seconde auparavant, un profond cratère se créa. Roulant de nouveau, celui-ci se soustrait à une deuxième frappe et à son tour, tenta de blesser le Chevalier, réussissant seulement à marquer l’Armure d’Or de sillons. D’un coup de pied, Tristan le repoussa.
- Je ne suis pas sans défenses, comme l’était Einar, l’aiguillonna-t-il.
Les traits de Kilfgar se crispèrent, preuve de la portée de ces paroles sur lui. Puis, il se mit à sourire. Son cosmos l’enveloppa, soulevant un nuage de poudreuse qui s’y mêla pour se mettre à croître encore et encore, jusqu’à former une brume dense et froide qui s’abattit sur toute la zone.
- Fimbulvetr, entendit chuchoter Tristan au sein de l’épaisse purée de pois.
La foule, refroidie dans ses ardeurs par les horribles morts causées par le Fléau, avait déserté les lieux.
- Si tu crois que ma haine peut me faire défaut et priver mon arcane de combustible, laisse-moi te remettre les idées en place, dit Hati en avançant sur la Chinoise.
Son armure arborant désormais une teinte rougeâtre, pareille à celle des braises ravivées, elle prenait plaisir à constater l’impuissance de son ennemie.
Mei Ling se baissa pour éviter un crochet et pivota pour délivrer un coup de pied ascendant depuis sa position basse. Son talon heurta la mâchoire de l’Asgardienne sans occasionner d’autres dégâts qu’un crachat sanglant.
La barrière procurée par cette technique amoindrissait l’impact des attaques. Pire encore, à chaque tentative, le Chevalier d’Argent subissait un brûlant contrecoup, qui ne faisait que l’affaiblir d’autant plus. Et si son intuition ne la trompait pas, aidée en soi par l’évolution colorée de la protection adverse, cette défense risquait de croître encore, l’immunisant totalement. Après tout, Oreste lui-même n’avait pas été en mesure d’en venir à bout. Cependant, déclarer forfait revenait à mourir et Mei Ling n’était pas prête à céder sa vie aussi aisément.
Elle fit exploser son cosmos, auréolant ses quatre membres d’argent :
- Hè de Chìbǎng : Tiàowǔ yě Dǎ !
D’un bond agile, elle sortit de la trajectoire de la charge de Hati et lança ses bras dans une série de mouvements amples semblables à des battements d’ailes d’oiseau. Ses paumes heurtèrent la poitrine, les flancs ainsi que le visage du Fléau avec autant de grâce que de violence. Aussi vives que les flux aériens, les jambes suivirent, assénant des piques au potentiel destructeur certain. Face à ce déluge virtuose, sa cible ne put que reculer en feulant comme une chatte en furie, au gré des impacts.
Hati devait bien l’admettre, cette étrangère faisait montre d’une force peu commune dans ces attaques. Son buste tout entier irradiait de douleur. Peut-être avait-elle une côte ou deux de cassées et un goût de sang venant de ses entrailles inondait sa bouche. Malgré tout, ses souffrances lui procuraient un plaisir pervers car elles ne demandaient qu’à se transformer en colère et en haine qu’elle utiliserait contre ce Chevalier. Elle la briserait. Mais pas avant de l’avoir entraînée sur le même chemin qu’elle.
Son cosmos enflant, Hati sentit son arcane se renforcer lorsque le talon de sa rivale ne lui causa pas plus de douleurs que si elle l’avait bloqué de ses mains. Brusquement, elle referma un véritable étau sur la cheville de Mei Ling et la tira à elle pour lui envoyer un direct en plein plexus, suivi d’un autre qui brisa la pommette de la Chinoise en lui arrachant un cri. Le Fléau la lâcha en s’attendant à la voir tomber comme une masse. Mais au contraire, la Grue, d’une souplesse féline roula sur elle-même pour s’éloigner. Elle demeura cependant à genoux, une main plaquée sur son abdomen meurtri et du sang coulant de sa joue écrasée. Elle leva sur le Fléau des yeux où brillait une sinistre lueur. L’autre ne put s’empêcher de sourire.
- Je vois ce qui se tapit au fond de toi, dit-elle. Tu sens ce feu intérieur qui t’ordonne de tout consumer autour de toi, n’est-ce pas ? Les ténèbres en ton cœur, les flétrissures qui recouvrent ton âme. Je devine ce que l’on t’a fait et cela me rappelle mes propres tourments. Crois-moi, tu es encore loin d’expérimenter tout ce que cela peut te procurer ! (Elle se mit à tourner autour de la Chinoise.) Malheureusement, j’ai l’impression que tu as tenté de rebrousser chemin entre-temps.
Hati suspendit son déplacement elliptique et commença à se rapprocher, la coloration de son armure virant du rouge orangé vers le métal chauffé à blanc. En réponse, l’énergie de Mei Ling rugit de plus belle en présentant toutefois de nettes volutes noires, rappelant de l’argent terni. Un rictus menaçait de déformer ses traits lorsqu’ils furent subitement envahis par l’étonnement.
Une épaisse nappe de brume étirait ses longs doigts vaporeux dans leur direction. Bientôt, elle recouvrit l’aire où elles se battaient, les dissimulant à la vue l’une de l’autre.
Tristan sondait le brouillard avec intensité, tournant fréquemment sur lui-même pour éviter d’exposer trop longtemps son dos.
En dépit du flot d’adrénaline que continuait à charrier ses veines, il commençait à éprouver avec de plus en plus d’acuité les douleurs dues à ses blessures. La sueur irritait ses plaies. Son membre gauche était poisseux de sang et il s’obligeait à plier à plusieurs reprises les doigts pour continuer à sentir son bras.
Le nuage exhalait un froid surnaturel et le Français ne parvenait pas à voir au travers. En sus de le priver de sa vue, il l’empêchait de détecter la présence du Fléau, brouillant ses perceptions de l’énergie.
Tout à coup, les volutes s’agitèrent et un loup aux proportions supérieures à celle d’un canidé normal, bondit sur lui, babines retroussées.
Tristan lui offrit son avant-bras et retourna l’élan de la bête contre elle en la propulsant par-dessus lui au cours d’une roulade arrière. En alerte, il réalisa un vif demi-tour dès qu’il se fut remis debout et pourfendit un second loup – à moins que ce ne fût le même. Les moitiés de la créature explosèrent en une myriade d’échardes de glace qui l’agressèrent comme autant d’aiguilles. Bien vite, le Français essuya de multiples attaques éclairs de ce type, jusqu’à être couvert de zébrures rouges.
Le jeune homme avait beau être rapide, son corps épuisé ne parvenait pas à suivre sa pensée et il se retrouvait à devoir détruire les loups les uns après les autres, subissant à chaque fois de nouveau dégâts. Son cœur palpitait à tout rompre, mais il était têtu et ne se laisserait pas démonter pour si peu, ne laissant qu’une froide colère couver en lui.
Un instant, il crut apercevoir une ombre se déplacer tout près.
- Tristan ? l’appela une voix familière.
Le Chevalier d’Or se figea, incertain. Surpris, il vit émerger la silhouette d’Einar depuis le pesant nuage de gouttelettes d’eau. La main plaquée sur sa blessure au flanc, l’Asgardien avançait en titubant dans sa direction. Un poids parut glisser des épaules du Français, soulagé de revoir son ami en vie, lorsqu’il le reconnut. Cependant, ce sentiment fut bientôt remplacé par l’inquiétude de le savoir transformé en cible potentielle.
Tout en tâchant de surveiller les alentours, Tristan se pressa de le rejoindre. Glissant son bras sous les épaules de l’Asgardien, il prit sur lui une partie de son poids.
- Einar, comment te sens … ?
Alors en train de le soutenir, le Chevalier du Capricorne ressentit une vive douleur au côté droit. Jetant un coup d’œil ahuri au blessé, dont la bouche était déformée par un horrible rictus, il vit les traits de ce dernier se brouiller pour finalement prendre un aspect cristallin.
- Non …
D’un geste brusque, Tristan se dégagea de l’emprise gelée et recula, tandis que la forme se retirait dans le brouillard.
- Tu es une véritable pourriture, Kilfgar, grogna-t-il. Comment oses-tu t’en prendre à la mémoire d’un homme de cette façon ?!
- Oh, fit quelqu’un dans son dos, je n’y suis pour rien. (Le Français se retourna sans rien distinguer.) C’est le propre du Fimbulvetr ; le long hiver. Celui où les fils se dresseront contre leurs pères, où les frères poignarderont les frères et où les époux s’étriperont entre eux, la gorge remplie de fiel amer. Cet arcane est un peu vivant, vois-tu. Il ne fait que piocher dans tes propres souvenirs pour mieux s’en servir.
- Pour me piéger, constata le Chevalier d’Or à la ronde, profondément dégoûté. Mais tu ne m’auras plus.
- Tu penses qu’il suffit de se dire que la personne en face de nous n’est qu’une illusion, hein ? Ça à l’air facile dit comme ça. Jusqu’au moment où tu plonges ton poing dans leur corps et contemples la lueur qui habite leur regard familier s’éteindre lentement. Il ne te reste alors plus que la culpabilité ainsi que les images sanglantes que tes mises à mort engendrent.
- Tu parles par expérience, le coupa le Capricorne avec morgue.
- Et tu en feras bientôt autant, lui prédit le Fléau. Ceci n’était qu’un avant-goût.
Le manteau opaque environnant parut s’opacifier davantage, si tant est que cela fut possible. Des hurlements gutturaux s’élevèrent et de nombreuses paires d’yeux se mirent à luire à l’intérieur.
Au son de ces paroles de mauvais augure, Tristan ne put qu’acquiescer silencieusement. Il était brave, certes, et ses compétences martiales étaient plus que suffisantes. Et au cours de ses actions précédentes, il avait attaqué sans pitié des esclaves dont le seul grief avait été de lui barrer le chemin. Des hommes et des femmes usés physiquement et à la psyché ébranlée qui n’avait somme toute vu dans leur contestation qu’un moyen d’exprimer enfin leur frustration et leur colère. Quitte à ce qu’elle soit dirigée contre les mauvaises personnes. Toutefois, en dépit des mois écoulés et des récentes épreuves subies, il subsistait encore une ultime limite que le jeune homme n’osait franchir. Peut-être même n’y parviendrait-il jamais.
- Si je ne suis pas capable de noircir suffisamment mon cœur, dit Tristan, je connais quelqu’un dont le bras ne connaîtra aucun tremblement.
Soudainement, le cosmos du Français reflua à l’intérieur de son corps et il s’installa nonchalamment en position kiza. Sans plus s’inquiéter par ce qui l’entourait, il ferma les yeux. Son aura se modula subtilement et il se retira en lui-même tel que son maître lui avait enseigné.
Son souffle devint lent et régulier, remontant des profondeurs de son être, de sa « mer intérieure ». Dans les méandres de son esprit, il se remémora le discours d’Arion concernant la "mémoire" de l’Armure d’un Chevalier. Chaque protection se souvient de ceux qui l’ont porté et arrivé à un certain stade d’harmonie entre les deux, on peut établir une communion à un niveau bien plus intrinsèque. Ainsi, le porteur pourra entrevoir les réminiscences de ceux et celles qui l’ont précédés.
Dans le "palais" de son esprit, Tristan visualisa des centaines de chaînes, ondulant depuis le plafond, au bout desquelles se balançaient doucement autant d’épées. De toutes tailles et de diverses formes, elles formaient un véritable ciel acéré. Une en particulier retint son attention. D’un rouge intense, tel que l’on aurait pu croire qu’elle venait d’être trempée dans du sang, elle présentait une lame large et lourde quoique peu pointue. Le jeune homme se plaça en dessous, la saisit et l’amena à lui.
Devant lui, dans le monde réel, des ronces jaillirent du sol, s’enroulant les unes autour des autres pour former un épais enchevêtrement, d’environ deux mètres de haut.
- Ô guerrier bercé par les Ombres, entonna le Français. Ô toi, que la terre d’hiver garde en son sein, entends ma prière. Que ta rage et ton obstination aveugle qui t'avaient jadis perdues, tout autant que ceux qui te suivaient, viennent cette fois-ci à mon secours. Puisse la déesse Athéna qui t'a condamné à une éternelle servitude en expiation, te libérer. Ô toi, mon prédécesseur au bras fougueux, j’ai besoin de ton aide. Apparais ici, armé de ta fameuse épée. Réponds à ma convocation, Ô Hruodland.
Une maigre lumière orange dorée filtra depuis l’intérieur du cocon végétal, comme à travers des carreaux couverts de suie. Elle s’intensifia pourtant, devenant de plus en plus forte. Les ronces se tendirent, puis éclatèrent sous la pression exercée. Et de sous ce carcan épineux surgit un homme à l’aspect fantomatique.
Cependant, contrairement à ce que l’on attendrait d’un spectre, il n’arborait pas de teinte cadavérique, ni de faciès décomposé, propre à inspirer la terreur. Au contraire, ses traits étaient bien dessinés, sa barbe aussi fournie qu’elle devait l’être de son vivant et ses cheveux ondoyaient sous l’action d’une brise invisible. Le plus frappant demeurait l’impact de ses prunelles rouge vif, pareilles à deux globes d’hémoglobine, que renforçait la lueur oscillant entre l’or blanc et le cuivré qui illuminait son corps immatériel.
Tristan observa, avec un émerveillement certain, ce héros maudit vieux de plus de mille ans, ignorant la torpeur qui s’insinuait dans son organisme. D’un geste de la main, Hruodland le déposséda de son Armure d’Or, partie après partie. A présent, c’était lui qui la portait.
- Qu’est-ce que … ?
Le spectre gagna en substance, sa chair acquérant une matérialité, seuls ses yeux restaient inchangés. L’Armure du Capricorne paraissait s’être archaïsé à son contact, reprenant des caractéristiques plus "médiévales" et s’alourdissant. La situation prenait une tournure inattendue. Avait-il commis une erreur ?
Son trouble passager se traduisit par quelques saccades dans les mouvements de Hruodland. Aussitôt, il raffermit le contrôle sur sa méditation.
Tristan remarqua alors l’aspect translucide que présentait le grain de sa peau. Par-delà sa main levée à hauteur d’yeux, il distinguait clairement la haute silhouette du Chevalier invoqué. C’était désormais lui qui revêtait une forme immatérielle, intangible. Peut-être était-ce de cette manière que fonctionnait cette technique. En échangeant en quelque sorte sa place avec le défunt. Cependant, il n’y avait pas que ça. Une chape de plomb s’était déposée sur les épaules du Français, lui donnant la sensation qu’on le siphonnait inévitablement de son cosmos. Un voile carmin d’où suintait une intense ire, occultait également ses pensées, en perturbant le fil.
Tristan n’eut pas vraiment le temps de s’interroger plus, car déjà d’autres loups émergeaient du brouillard en grondant, le poil hérissé. L’entité convoquée leva les bras devant elle et une épée rangée dans un fourreau garnie de ronces se matérialisa. Lentement, Hruodland dégaina la lame qui semblait faite uniquement d’énergie pure. Tristan clôt à nouveau ses yeux et s’immergea de plus belle dans sa transe.
Knörr :
Navire viking de type marchand destiné au grand large.
Kiza :
Terme japonais qui désigne une posture d’assise, variante d’une plus commune : le seiza. A genoux, la personne est assise sur les talons, les orteils repliés sous les fesses.
Khefd Ela Remad :
Réduire en Cendres
Skjære i Strimler :
Mettre en Lambeaux
Hè de Chìbǎng : Tiàowǔ yě Dǎ :
Aile de Grue : Danser et Frapper