Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 56 : LA BOUCLE EST BOUCLEE

Chapitre final

5528 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 20/11/2024 11:24

Disclaimer : cf. chapitre 1

CHAPITRE 56

LA BOUCLE EST BOUCLEE

 

—  Elle en est au quatrième mois. C’est pour ça que je suis sûr de pouvoir vous annoncer sa grossesse sans m’attirer le mauvais œil.

 

Le « mauvais œil » ? Plutôt le regard assassin d’Iris. Démis était rentré un jour où personne ne l’attendait. Le jeune homme rayonnait mais était mort de trouille devant la réaction de ses parents et de son oncle. Chacun subodorait une annonce du Gémeau nordique mais tout le monde était loin de se douter de la nature de la nouvelle. Des fiançailles, tout au plus, mais une paternité à seulement seize ans ! Iris était décomposée. Une fois les propos digérés, le regard d’Iris passa du choc à la colère noire. Elle soupira avant de prendre la parole sur un ton neutre empli de reproches.

 

—  Tu te rends compte que tu n’as que seize ans ? Mais tu as pensé à quoi ? Ça t’arrive de réfléchir ? J’espère que ton frère ne nous réserve pas le même type de surprise ! Purée ! Papa à seize ans !

 

Sentant que la situation allait dégénérer, Saga mit sa main sur le bras d’Iris, captant ainsi son attention.

 

—  Je sais que je suis indirectement concerné mais Iris, rappelle-toi ce qui s’est passé avec ta propre mère. Calme-toi, je t’en prie. Essaie de garder la tête froide.

 

Ces paroles eurent un effet instantané sur Iris. Non seulement elle se souvint de sa propre situation mais les conseils de son grand-père surgirent immédiatement suite à cela. Démis gardait la tête basse devant ses juges mais regardait timidement à travers sa frange : tonton Saga en train de calmer Iris ; et Kanon, son père, la tête entre les mains, comme pris d’une atroce migraine. Le jeune homme savait que fonder une famille à un si jeune âge était prématuré. Mais, pour il ne sait quelle raison, il s’était dit que la vie était bien trop courte et qu’il devait profiter de la présence d’Anjeta au maximum.

 

—  Et comment allez-vous vivre ? se manifesta enfin Kanon. C’est une sacrée responsabilité !

—  J’ai ma solde de chevalier mais tu sais que j’exerce comme praticien à Asgard. Anjeta reprendra son travail à l’auberge. Le petit sera souvent avec moi.

—  Parce que c’est un garçon ? fit Iris qui semblait un peu plus intéressée.

—  Oui, fit Démis encouragé. Mais on n’a pas encore choisi son nom.

 

A nouveau le silence. Quelle serait la sentence qui attendait le jeune homme ? Au pire, il serait renié à jamais mais il aurait son autre famille dans le grand nord. Iris se leva de sa chaise et s’approcha de son fils en prenant ses mains dans les siennes en lui parlant d’un ton soudainement très doux :

 

—  Prends bien soin de ton petit.

 

Tout le monde fit les yeux ronds. C’était pourtant la matriarche qui semblait la plus contrariée par cette nouvelle. Elle poursuivit :

 

—  Merci à Saga de m’avoir rappelé ma propre existence et aussi à mon grand-père. Et je ne parle pas des autres personnes à qui j’ai passé l’éponge malgré leur passé condamnable. Rejeter une personne parce qu’elle a fait les mauvais choix n’est pas la meilleure des solutions. Je ne te rejette pas. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir été recueillie. Au moins, ce petit aura la chance de connaître ses très jeunes parents. Et s’il y a un pépin, tu sais que tu peux compter sur nous.

 

Démis resta sans voix mais ses larmes coulaient. Il se jeta contre sa mère qu’il dépassait déjà d’une bonne demi-tête et l’enserra. Il fut rejoint dans le procès par son père et son oncle. Démis s’attendait à la pire des punitions, surtout venant de sa mère.

 

—  Honnêtement, Démis, reprit Iris, ça m’a fait un sacré choc de t’entendre devenir père mais je crois que je suis très mal placée pour te faire des leçons de morale. Regarde notre famille ! Deux hommes vivent avec moi et partagent mon …

—  Ok ! Ok ! C’est bon, maman ! Je n’ai pas envie de visualiser certains détails intimes.

—  Au fait, se manifesta Saga, il va falloir l’annoncer à ton frère. Je me demande comment il va prendre le fait d’être tonton.

—  Il le sait déjà, répondit calmement Démis.

—  Et ? demandèrent en cœur les trois autres.

—  Ça l’a intrigué. Il n’a pas sauté de joie mais il ne m’a pas fait de reproches non plus. Il espère que nous resterons quand même proches même si j’ai maintenant ma vie à Asgard.

—  Ces deux-là, commenta Kanon. De vrais cachotiers ! On aurait quand même pu être informés les premiers ! s’indigna faussement l’obstétricien. Et comme ta mère l’a si maladroitement dit : « Félicitations ! ».

—  J’espère, ajouta Saga taquin, que tu sais que ta mère ne pourra pas procéder à l’accouchement. Ça ne lui est toujours pas passé.

—  Ouais …, je m’étonne toujours que Poly et moi ayons pu naître sans qu’elle ne défaille totalement, voire qu’elle rende tout. Et c’est pour ça, papa, fit Démis en s’adressant à son père, que j’aimerais que tu nous assistes pour l’accouchement.

 

Kanon hésita sérieusement car il s’agissait de sa belle-fille. Voyant la mine renfrognée de son père, Démis ajouta :

 

—  Tu sais, les Nordiques ne sont pas farouches. Tu seras l’accoucheur, pas le beau-père.

 

Quelques regards moqueurs à l’encontre d’Iris qui, pour sa défense, cibla l’intimité d’un chevalier.

 

—  Allez Kanon ! Tu t’es bien occupée de Shaïna pour la naissance de Mélina. Tu n’es plus à ça près !

 

Kanon ne pouvait refuser. Il fut donc à Asgard aux premières contractions, quand Démis arriva en catastrophe à la vitesse de la lumière en l’interrompant dans ses préparations. Saga et Iris n’arrivèrent que lorsqu’un beau bébé bien jouflu, nettoyé et emmailloté, leur faisait face. Il fut remis à Iris qui eut beaucoup de mal à contenir son émotion devant ce petit bonhomme si calme et paisible entouré de l’amour de sa famille. Soudain, Iris, tout comme tous les anciens et nouveaux chevaliers présents dans le petit chalet qui devint vite trop étroit, ressentit quelque chose de particulier émanant du bébé. Et elle devint plus sombre car elle connaissait les implications.

 

—  Anjeta, Démis, … je ne voudrais pas casser l’ambiance …

—  … mais tu as ressenti un cosmos, comme nous tous, termina Démis.

 

Anjeta qui se remettait à peine de son accouchement grâce aux soins de son beau-père paniqua. Démis lui expliqua calmement que le petit serait comme lui, disposerait des mêmes pouvoirs et aptitudes mais avec quelques différences puisque le nouveau-né était du mois de mars, sous le signe des Poissons.

 

—  Comme sa grand-mère, conclut Démis.

 

Ce qui acheva Iris dans ce moment pourtant joyeux, c’était qu’elle devrait s’occuper de la formation du petit bout de chou. Dieu qu’elle détestait le fait de le priver de ses parents pendant quelques années.

 

—  Il fera ce qu’il voudra, répondit piteusement la jeune grand-mère qui remit le garçon à son père et sortit du chalet dans le froid mordant.

 

Saga la rejoignit presque aussitôt car il avait très bien senti un malaise. Kanon fit de même après avoir tout nettoyé et lancé une machine. Rester dans le blizzard n’était déjà pas très agréable mais parler dans un vent assourdissant tout en gobant des flocons qui semblaient vous percer la langue tant ils atterrissaient à grande vitesse relevait de la prouesse. Iris était blottie contre Saga.

 

—  Si vous voulez jouer les pingouins se protégeant du froid, je crois que je ne serai pas de trop, tenta de plaisanter Kanon.

 

Iris quitta le torse de Saga pour celui de son frère. Elle était en larmes.

 

—  Je ne peux pas, Kanon ! Je ne peux pas ! C’est au-dessus de mes forces !

—  Tu veux dire, entraîner le petit ? J’ai bien compris que tu rechignais à dispenser quelques coups, mais quoi que tu fasses, il sera chevalier, répondit calmement mais honnêtement Kanon.

—  Kanon, reprit doucement Saga. Tu sais qu’Iris a dit ça pour ménager Anjeta, tout comme le Pope l’avait fait pour Iris.

 

Les Gémeaux ignoraient toutefois dans les détails la nature de l’entraînement du chevalier des Poissons. Mais quand on voyait la cruauté des attaques, ce n’était certainement pas une sinécure. Saga avait déjà pu tester l’un de ces coups tandis que Kanon l’avait vu dans l’Hadès. Mais Iris avait toujours soigneusement évité le sujet, se bornant à la sévérité de son grand-père et au milieu hostile.

 

—  Même si Sibelius a vraiment été paternel, l’entraînement a été éprouvant. De ce côté, il n’avait aucune pitié, à l’image de ses attaques. J’ai souvent fait des cauchemars, j’en ai même vomi. J’étais à la limite de tout abandonner mais j’avais une bonne raison pour obtenir l’armure. Ça me fend le cœur de lui infliger ce que moi-même j’ai subi.

 

Les jumeaux consolèrent leur femme comme ils le pouvaient. Cela se ferait de toute façon. Quand ? Comment ? Voilà les deux inconnues. Pour le moment, il valait mieux savourer chaque instant avant le grand changement. Et ils firent bien car deux années plus tard, Anjeta fut diagnostiquée malade incurable après avoir éprouvé des douleurs vives et constantes à certains endroits de son corps.

 

Iris crut revivre ce que l’aubergiste lui avait raconté concernant sa propre grand-mère. Démis fut évidemment anéanti. Il fit tout son possible pour prolonger le sursis de son épouse en soulageant son mal. C’était une chance que la jeune femme ne fût pas chevalier ; elle put recevoir des soins curatifs de son mari sans que ce dernier ne soit affecté. Ces thérapies furent efficaces, assez longtemps, jusqu’au jour où la douleur devint si insupportable qu’Iris eut l’idée de faire venir Milo et son apprenti. Comme elle l’espérait, selon l’expérience vécue par son grand-père, le poison infusé par Milo était efficace, au grand étonnement du Scorpion qui craignait pour sa vie en cas de mauvais dosage. Anjeta était soulagée. Trois années plus tard, la dernière piqûre de Milo fut libératrice pour la jeune femme qui s’en alla paisiblement. Quel coup dur pour le clan des Gémeaux ! Inconsciemment, Démis avait eu raison de précipiter les choses et de vouloir profiter le plus possible de sa femme et de son fils. Mais il eut beaucoup de mal à remonter la pente. La présence de son fils l’aidait partiellement à sortir la tête de l’eau mais ce n’était pas suffisant. Il en venait même à négliger ses obligations de médecin à Asgard. Toute la famille vint le secouer.

 

—  Puisque tu en viens même à délaisser jusqu’à ton propre garçon, reprocha Iris, je te propose de rentrer au Sanctuaire, mais seul. C’est moi qui resterai ici avec lui.

 

Saga et Kanon regardèrent Iris, effarés. C’était LE moment : l’entraînement d’un bambin privé de sa mère et presque abandonné par son père.

 

—  Tu vas beaucoup nous manquer, chuchota misérablement Saga. C’est comme un retour en arrière pour moi.

—  Des années d’entraînement, pleurnicha Kanon. Ce n’est pas rien !

—  Contrairement à ce que j’ai vécu, je pense qu’on viendra une fois tous les mois ou deux mois, pour qu’il n’oublie pas le visage de son père. Je souhaite simplement qu’il soit meilleur élève que moi. Et puis je compte sur vous pour me remettre Démis sur les rails.

 

Et sans autre parole, Iris prit son petit-fils dans les bras et tourna le dos aux autres membres de la famille. Elle pleurait en silence mais se montra forte pour le bien de tous. Kanon œuvra seul au Sanctuaire secondé de temps en temps par Démis dont on espérait que le soleil de Grèce apaise son esprit tourmenté. Polydeukès évitait de venir à la maison avec Mélina pour ne pas afficher un bonheur insolent face à un veuf inconsolable.

 

—  Tu sais, Démis, j’aimerais que mon neveu ne te fuie pas les rares fois où il est en permission. Je ne veux pas devenir le père de substitution. Alors secoue-toi et fais une autre tête, par Athéna !

 

Le fait d’inclure le garçonnet dans cette conversation et de susciter une pseudo compétition eut l’effet d’un électrochoc. Démis sortit peu à peu de sa prostration et se fit violence pour sortir au grand jour, affronter le regard des curieux et se montrer plus actif avec son père qui remercia chaleureusement Polydeukès de son petit chantage.

 

Ce n’est que six longs mois après la séparation et un changement perceptible du comportement de Démis que les retrouvailles eurent lieu. Ce fut une explosion de joie quand Démis retrouva son rejeton. Idem du côté des grands-parents qui connurent une brève intimité. Et ce fut le même scénario pendant huit ans, jusqu’à ce que Sibelius se présente devant le Pope avec son armure sur le dos.

 

Oui ! Sibelius ! Etant donné que Démis vivait dans le petit chalet empli de souvenirs, il ne voyait que la photographie du grand-père de sa mère. Cette dernière en parlait avec une réelle affection. Par respect pour cet ours qui avait formé Iris mais aussi par souci de transmettre un certain patrimoine, et surtout parce que le garçon avait des traits résolument nordiques, Anjeta et Démis avaient opté pour ce prénom. Il fallait simplement prier pour qu’il n’hérite pas de quelques chromosomes ayant un sérieux penchant pour la gent féminine. Vœu pieux !

 

Au Sanctuaire, Sibelius était une attraction, un régal pour les yeux. C’était un bel adolescent qui déambulait fièrement dans les ruelles de l’île. Le charme « exotique » ! Mais contrairement à sa grand-mère qui était extatique de ne plus à avoir à porter le fardeau de chevalier, Sibelius, lui, était un chevalier zélé, exemplaire, fier de servir « la belle dame » comme il la nommait encore enfant. Car malheureusement pour Iris, Athéna s’était très souvent manifestée devant le futur chevalier, qui, devant ce prodige, se sentait protégé par cette figure féminine qui lui faisait tant défaut et surtout motivé pour la protéger de toute menace. Sibelius en devenait même collant. Iris n’était plus seulement sa grand-mère, mais également sa mère de substitution et sa déesse lige. Il était très fréquent de les voir se promener dans l’île, tout deux revêtus de leur manteau noir, même sur une armure d’or, pour prodiguer des soins. Ce dernier point avait irrité Iris.

 

—  Que les choses soient claires, Sib’ ! se permettait Iris. Tu veux être avec moi, m’aider dans les soins, pas de problème. Mais pitié ! Pas en armure ! Tu impressionnes les gens ! Tu n’es pas en mission !

—  Mais je suis fier d’être chevalier ! Au moins, les gens me reconnaissent ! Et puis … ça attire les filles !

—  Bon sang ! On sait très bien qui tu es sans armure avec ta barbe ! Ton arrière grand-père s’est déjà réincarné, on dirait !

—  Tu as honte de moi ?

—  Pas du tout ! C’est juste l’armure qui me dérange.

—  Ça ne t’a toujours pas passé. Papa, mais surtout papi, m’ont raconté que tu étais un très mauvais chevalier mais, étonnamment, un très bon maître.

—  File avant que je ne te donne une correction mémorable, menaça Iris qui intensifiait son cosmos.

 

Démis avait bien remonté la pente et était retourné à Asgard une fois l’entraînement de Sibelius achevé, afin de réintégrer son chalet, empli de souvenirs bons comme douloureux. Il pouvait avancer maintenant, et peut-être refaire sa vie. Le temps le dirait. Les habitants étaient heureux de le retrouver. Non pas qu’ils n’appréciaient pas Iris, loin de là, mais cela prouvait que Démis avait toute sa place dans cet endroit reculé. Il voyait très souvent son fils avec qui il avait de longues conversations pour rattraper le temps perdu. Sibelius n’en voulait pas à son père. Il comprenait parfaitement les motivations des uns et surtout les coups tordus du destin afin que tout s’aligne suivant un cursus déjà tout tracé. Lui aussi aurait certainement à subir une lourde perte, voire plusieurs. Alors inutile de se rebeller. Il fallait prendre sur soi. C’était ça, le courage.

 

Polydeukès et Mélina avaient opté, eux, pour le recueil des orphelins qui étaient encore légion sur l’île. Une bonne éducation, une solide formation étaient les leitmotivs de cet orphelinat auxquels de nombreux chevaliers, de n’importe quel ordre, s’étaient joints. Et si parmi les bambins recueillis un cosmos se manifestait, le Pope veillait à le remettre à son instructeur, peu importe la situation géographique. Il fallait veiller à entretenir le cheptel de guerriers de la déesse car une guerre allait immanquablement avoir lieu avec la prochaine réincarnation. Seule certitude : Poséidon et Hadès faisaient dorénavant partie des alliés.

 

En parlant d’Athéna, excepté les messages qu’elle avait à faire passer au Pope, elle prenait très rarement le contrôle d’Iris. Au lieu de maudire sa condition, Iris avait accepté ses interventions qui laissaient toujours Sibelius pantois. Bien que jeune adulte, il était encore facilement impressionnable. Mais que deviendrait-il quand la divinité ne se présenterait plus ? Se détournerait-il de la chevalerie puisqu’elle semblait être sa seule motivation ? Il fallait néanmoins qu’il se rentre un principe dans le crâne : quand sa grand-mère adorée disparaîtrait, ainsi le ferait Athéna. Et curieusement, contrairement à son ancêtre éponyme, il ne courait pas les demoiselles, très certainement en raison de sa trop grande proximité avec sa déesse. Si bien qu’à vingt-deux ans, Sibelius n’avait jamais fréquenté sérieusement de femme. Et pourtant, elles se bousculaient, non « se battaient », au portillon. Son allure de Viking fascinait ; sa chevelure épaisse mais soignée, sa barbe longue mais bien entretenue qui le vieillissait, et bien sûr son statut, tout cela suscitait du désir auprès de la gent féminine.

 

—  Elle a déjà eu Saga et Kanon ! Maintenant, elle a encore la main mise sur son petit-fils ! Une vraie castratrice ! disaient les jalouses et les mauvaises langues.

 

Iris dut même avoir recours à ce bon vieux Milo, toujours aussi actif malgré ses cheveux grisonnants. Le Scorpion avoua que Sibelius était tout à fait normal mais qu’il ne voulait qu’une seule femme pour le restant de ses jours. Cela changeait de la vie de ses grands-parents. Mais il adorait se promener avec sa grand-mère dans cette forêt qu’elle connaissait si bien.

 

—  Tu sais, Sib’, je ne vais pas te faire la morale. J’ai accepté le fait que ton père t’ait eu à un très jeune âge. En plus, j’ai deux maris. Donc, tu as le droit de faire preuve d’originalité. Tu peux tout essayer sauf les enfants, les morts et les animaux.

—  Je croirai entendre le sage Milo.

—  « SAGE « ?! s’étouffa la vieille dame aux cheveux blancs qui portait la main à son cœur. Milo est tout sauf sage.

—  C’est ton plus fidèle ami, non ? Toujours présent avec Camus, sourit le jeune chevalier.

—  Camus est le chien de garde d’un Milo qui a toujours guetté chaque occasion pour me faire la cour. Fidèle, oui, mais pas pour des raisons simplement amicales.

—  « On n’aime vraiment que les femmes qu’on n’a jamais eues », dixit Marcel PROUST, lança doctement Sibelius.

—  On voit que Camus a aussi eu de l’influence sur toi.

 

Iris s’arrêta net. Sibelius était fier de sa culture littéraire et pensa avoir impressionné cette femme aux multiples casquettes. Mais il sentit quelque chose qui l’inquiéta. Iris fut pris d’une espèce de malaise passager et eut le réflexe de prendre appui sur le tronc d’un arbre ; Sibelius soutint la vieille femme qui revint rapidement à elle.

 

—  Ça va, Mamie ?

—  Oui, bien sûr. Juste un petit vertige.

—  Je vais quand même te demander de t’assoir contre cet arbre.

—  Mais je vais bien ! C’est juste la mention de Milo qui me fait monter en tension.

—  Je ne plaisante pas !

 

Sibelius a toujours été un garçon sérieux. C’était à se demander s’il se lâchait de temps en temps. Aussi, en voyant ce regard sévère et inquiet à la fois, Iris obtempéra et s’assit au sol, le dos contre le tronc.

 

—  Donne-moi ta main que je prenne ton pouls.

—  Tout de suite, docteur.

 

Sibelius examina sa grand-mère. Son regard était grave. Iris, elle prenait tout cela avec légèreté.

 

—  Est-ce que tu te sens différente ?

—  … ?

—  Tu n’as pas l’impression qu’il te manque quelque chose, que tu es vidée ?

—  Non ! Non ! Rien du tout ! Qu’est-ce que tu as en tête, à la fin ?

 

Sibelius soupira et leva vers sa grand-mère des yeux emplis de larmes. Visiblement, c’était très grave et Iris ne se rendait même pas compte de la situation. Il n’eut pas le temps de répondre que Saga, Kanon, Démis, Polydeukès, Milo, Camus, Aioros et d’autres peuplèrent anarchiquement la forêt d’habitude si tranquille. Kanon et Saga s’agenouillèrent de part et d’autre de la malade et lui prirent chacun une main.

 

—  Mais va-t-on m’expliquer ce qui se passe à la fin ? Pourquoi un tel rassemblement ? pesta Iris. C’est incurable, c’est ça ? Je suis condamnée ?

—  Tu n’as rien senti, alors ? s’inquiéta Saga.

 

Kanon fut plus direct.

 

—  Le cosmos d’Athéna a disparu.

 

Le regard d’Iris parcourut toute l’assemblée qui s’était encore agrandie. Tous arboraient des mines décomposées.

 

—  Ahhh ! C’est donc ça ! Je suis redevenue normale, fit Iris soulagée. Allez ! Laissez-moi me relever maintenant. Et arrêtez de faire ces têtes de déterrés. On dirait que vous êtes à des funérailles. La déesse a estimé que j’étais trop vieille et plus assez fraîche pour l’incarner. Pas de quoi en faire un fromage.

—  Je crois que tu n’as pas vraiment compris, fit Aioros qui avait retiré son masque aussitôt arrivé sur place.

—  Ce sont tes paroles qui m’inquiètent ; tu prends tout à l’envers. Si l’enveloppe physique meurt, Athéna disparaît. Là, c’est elle qui a décidé de me quitter…

—  … parce que tu es sur le point de mourir, idiote ! lança l’éternel querelleur, Masque de Mort, qui malgré son agressivité, essuyait quelques larmes.

 

A la brutalité de ces mots, Iris ouvrit de grands yeux mais demeura incrédule jusqu’à ce que ses proches fondent en larmes, suivis des autres chevaliers. Iris, fidèle à elle-même, voulut faire bonne figure.

 

—  Mais regardez-moi ces vieillards qui pleurnichent et qui sont comme des vautours attendant que je rende mon dernier souffle ! J’ai simplement eu un petit blanc.

 

Et pour infirmer ce que tout le monde avait clairement ressenti, Iris fit sa brave et se releva en prenant appui sur l’arbre. Debout, elle clama fièrement :

 

—  Vous voyez ? Je suis en pleine forme !

 

A peine eut-elle péroré qu’un voile noir lui passa rapidement devant les yeux. Elle dut se rassoir à nouveau.

 

—  Hypotension orthostatique. Je suis restée trop longtemps assise. C’est pour ça que j’ai ces vertiges, tenta-t-elle misérablement de convaincre l’assemblée.

—  Arrête, Iris, ordonna Saga. Tu te fais du mal.

—  Ne te ridiculise pas davantage et accepte que tu ne vas « pas bien », chevrota Kanon.

 

Mais Iris, au lieu de se laisser convaincre par les paroles bienveillantes de sa famille, explosa. Toujours autant de caractère à un peu plus de soixante-dix ans.

 

—  Ras-le-bol, vous m’entendez ?! Marre de cette déesse qui m’aura fait chier jusqu’à la fin. Maintenant que j’aurais pu en profiter, elle a décidé d’en finir avec moi parce que je ne lui suis plus d’aucun intérêt !

 

Et elle pleura abondamment.

 

—  Nous allons nous retirer, fit Aioros à voix basse. Tu as surtout besoin des tiens. J’ai été heureux de t’avoir connue.

 

Un à un, les anciens compagnons d’Iris s’éclipsèrent avec une dernière salutation ou génuflexion et des larmes en sus. Seul Milo restait figé sur place alors que Camus tentait vainement de l’entraîner avec lui. Il maugréait entre ses dents.

 

—  Allez, Milo ! Le Pope a raison ; ça doit rester en famille. Tu garderas d’elle son image vivante. Cesse de te torturer et de nous faire honte.

 

Mais Milo n’eut que faire des paroles de son éternel compagnon. Il se défit violemment de son étreinte et s’écroula sur les jambes d’Iris qu’il serra avec ferveur. L’intéressée ne pensa même plus à se défaire de son sempiternel soupirant qui pleurait abondamment.

 

—  Non, Iris ! Tu n’as pas le droit de me quitter ! Pas le droit, tu m’entends ! Qu’est-ce que je vais devenir sans toi ?! Tu es la seule femme que j’ai vraiment aimée ! C’est pas juste que tu nous quittes.

—  Milo ! intervint Camus qui tentait de désolidariser son ami avec l’aide de Sibelius. Ressaisis-toi, bon sang !

 

Une fois le Scorpion à distance raisonnable, Iris lui adressa quelques mots avec un faible sourire :

 

—  Je sais, Milo, que tu m’aimais. C’est pour ça que je ne t’ai jamais rien accordé. Je voulais que tu continues. C’était très gratifiant ! Pardonne-moi de t’avoir ainsi traité, termina-t-elle avec une œillade.

 

Milo sécha ses larmes comme heureux d’entendre que ses sentiments étaient « réciproques » et s’en alla avec Camus.

 

—  « Sage Milo », hein ? ironisa Iris en s’adressant à son petit-fils qui revenait à ses côtés.

—  Peut-être pas aussi sage mais j’avais raison sur ce que je t’ai dit par la suite.

 

Ce fut à nouveau le calme après le coup d’éclat du Scorpion. Saga et Kanon reprirent chacun la main de leur femme. Puis, l’aîné des Gémeaux, pour se distraire, prêta plus attention à son environnement. Il leva la tête et écarquilla les yeux.

 

—  Qu’est-ce qu’il y a, papa ? demanda Polydeukès.

 

Iris répondit avant l’intéressé.

 

—  C’est l’arbre, c’est ça ?

 

Saga hocha péniblement la tête.

 

—  Cet arbre, je le reconnaîtrai entre mille. Je t’y ai vu naître. Et maintenant …

Il ne put terminer sa phrase.

 

—  Bon, ben … je crois que la boucle est bouclée, fit Iris qui s’affaiblissait à vue d’œil alors qu’elle semblait tellement vive il y a à peine quelques instants. C’est vrai que j’en veux à Athéna pour ça. Mais je dois vivement la remercier de m’avoir donné la possibilité de vivre ce que j’ai vécu. Aussi, je souhaiterais être incinérée ; une partie de mes cendres à côté de Daphné, et l’autre, à Asgard.

—  Dans un petit reliquaire à côté de celui de mon homonyme, continua Sibelius, les yeux rougis à force de trop s’essuyer les yeux.

—  Allez ! Comme disait mon isoisä, mon esprit continuera à vous enquiquiner. Vous n’imaginez pas les pouvoirs des défunts pour protéger leurs proches.

 

Saga sourit faiblement à cette remarque, imité par le reste de la tribu.

 

—  Tiens, s’agita légèrement Iris, je commence à ne plus rien voir.

—  Tu as mal, maman ? demanda Démis.

—  Non, non … c’est comme si je fermais les yeux et que j’allais m’endormir.

 

La respiration de l’ancienne déesse, chevalier des Poissons, s’affaiblissait. Elle continua :

 

—  Alors avant que je tombe dans un profond sommeil, je voulais vous dire à tous les cinq que je vous aime et que je suis très fière de vous. Je ne vous dis pas « adieu » mais « à plus tard ».

 

Et ce fut tout. Un râle, un cri de douleur déchirant retentit dans toute la forêt. Kanon s’était jeté sur le corps encore chaud d’Iris et le serrait comme si sa propre vie en dépendait. Saga, lui, hébété, n’avait pas lâché la main de la défunte et regardait dans le vide. Non ! Ce n’était pas réel. Iris allait se réveiller après sa petite sieste. Et pourtant … plus aucun cosmos : ni divin, ni chevaleresque. C’était vraiment terminé. Saga regarda plus bas. Le visage d’Iris était serein, détendu. Aucune souffrance n’avait contorsionné ses traits. Seules les rides le marquaient. Puis, son regard bifurqua légèrement sur son frère :

 

—  Je sais maintenant ce qu’elle a ressenti quand nous avons péri au cours des batailles. J’ignorais que tu l’aimais à ce point, Kanon, peut-être encore plus que moi.

 

Enfants et petit-fils se joignirent à la funeste accolade.

 

—  Iris, comme tu viens de le dire, je ne te dis pas « adieu » mais « à plus tard », conclut Saga en séchant ses larmes et en affichant un faible sourire.

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