Chevalier, mais pas trop ...
Disclaimer : cf. chapitre 1
CHAPITRE 26
PREMIERS PAS
C’est au son du crépitement du feu qui tentait lamentablement de masquer les hurlements du vent glacial qu’Iris se réveilla, ou plutôt, voulut se rendormir. Elle était allongée sur une surface moelleuse et recouverte d’une matière molletonnée, douce et chaude. Ça ne donnait vraiment pas envie de quitter ce cocon de chaleur. Mais la curiosité de la petite prit le dessus et elle ouvrit pleinement les yeux. Au-dessus d’elle, se trouvaient d’énormes rondins de bois ainsi qu’aux murs. A certains endroits, se trouvaient étendues des peaux de bêtes.
Iris s’assit brutalement sur son arrière-train en rejetant la chaude couette. Elle était vivante ! Mais son environnement l’angoissait. Une seule pièce. Une porte d’entrée, une autre moins massive qui devait donner sur les sanitaires, deux fenêtres et un foyer. Devant l’âtre, un vieil homme barbu, assis sur un tabouret, remuait une grande cuiller en bois dans un petit chaudron suspendu à la crémaillère. Pour Iris, ça sentait bon. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait rien eu de chaud et de consistant dans l’estomac.
Tout en remuant, le vieil homme s’adressa à son hôte dans un grec avec un fort accent du nord :
— Bonjour, Iris. Je vois que tu es bien réveillée. Je me nomme Sibelius. Je pense que tu sais qui je suis et donc où tu te trouves et pourquoi tu es là.
Il remplit un bol d’une soupe épaisse dans laquelle se trouvaient quelques gros morceaux de viande, se leva et tendit le bol ainsi qu’une cuiller à la petite qui s’empara de son repas sans hésitation ni méfiance.
— Mange d’abord. Tu prendras une douche et tu enfileras les vêtements que je t’ai préparés. Tu pourras ensuite me poser toutes les questions qui te trottent dans le crâne.
Iris hocha la tête, l’inclina pour remercier le vieillard et attaqua son repas son se soucier des bonnes manières. Dieu que cela lui avait manqué ! Voyant que la petite mangeait de bon cœur, Sibelius se vêtit de sa grande cape, enfila ses bottes près de la grande porte et sortit dans le vent mugissant. Iris se retrouvait seule mais étrangement en confiance. Elle avala avec plaisir le repas sommaire mais néanmoins roboratif, allant même jusqu’à lécher le fond du bol. Elle sortit enfin du lit et déposa ses ustensiles dans le petit évier pour le nettoyer aussitôt. Il fallait néanmoins montrer un tant soit peu de savoir-vivre. Puis, elle se dirigea vers la seconde porte, qu’elle avait repérée en se réveillant. Ça devait être là, la douche et les toilettes. Bingo ! Sur un petit tabouret, ses nouveaux vêtements.
La douche, brève, fut des plus agréables. Iris enfila ses nouveaux vêtements, ou plutôt accoutrements définitivement nordiques car bien plus couvrants et chauds. La seule touche joyeuse de cet attirail martial étaient les chaussettes rouges avec de gros flocons blancs qui tranchaient furieusement avec les austères couleurs de sa tenue. Elle considéra les haillons de Saga qu’elle huma avant de les plier et les cacher soigneusement sous le lit qu’elle occupait. En cas de coup dur, ce serait sa bouée de sauvetage. Elle accrocha aussi sa dague à la ceinture. Sibélius rentra couvert de flocons.
— Ça y est ? Tu te sens mieux ? Enfile ces bottes, mets cette cape et viens.
Iris, partiellement remise, s’exécuta aussitôt. Alors c’était lui, Sibelius, son maître ? Il était immense, imposant, et malgré ce visage qui n’exprimait rien, elle lui trouvait quelque chose de rassurant, pour le moment. Quand elle mit le nez dehors, ce fut un véritable choc thermique. Le vent glacial transperçait tout son être ; les flocons qui s’écrasaient sur son visage lui faisaient mal. Elle dut rabattre la capuche pour se protéger un tant soit peu. Ce n’était pourtant pas le même temps quand elle avait émergé du bateau et surtout pas celui de Grèce !
— Suis-moi.
Le bonhomme tellement chaleureux auparavant était devenu laconique et froid. Iris qui n’avait jamais connu la neige avança péniblement dans un chemin pourtant déjà frayé. L’épais manteau blanc lui arrivait au niveau des cuisses alors que son maître en avait à peine au-dessus des mollets. Ils marchèrent dix minutes sans échanger un mot, même par télépathie.
Sibelius s’arrêta enfin. Iris se posta à ses côtés. Devant eux, en plus d’un soleil hésitant à se lever, un océan noir, déchaîné. Elle avait dormi une journée ?
— Tu as été repêchée à Helsinki, tout au sud du pays. Ici, tu es bien plus au nord, au-dessus du cercle polaire en fait. A Asgard, à l’exact opposé d’Athènes. Le climat y est très rude et l’alternance jour nuit n’a rien à voir avec ce que tu as connu jusqu’à maintenant.
— Merci pour ces éclaircissements mais pourquoi vous me faites une leçon de géographie ?
Sibelius désigna de l’index la dague qu’elle portait sous sa cape et qui apparaissait au gré du vent.
— Ton arme. Elle est typique d’ici. Et puis, ta physionomie. Tu n’as pas du tout les traits méditerranéens. Tu viens d’ici, j’en suis certain.
Si c’était pour lui faire ce genre d’observations, il aurait très bien pu les réaliser à l’intérieur. On gelait, ici ! Elle avait beau être chaudement vêtue, la morsure du froid était terrible, surtout quand on était statique.
— On en reparlera ce soir. Pour le moment, montre-moi déjà ce que tu sais faire. Le Pope m’a expliqué dans les grandes lignes mais je veux voir par moi-même. Commence par m’attaquer.
— Mais … je sais pas trop comment…
— Tu as tué quelqu’un, non ?
— Je ne l’ai pas fait exprès ! geignit la petite.
— Attaque ! tonna Sibelius. Je ne risque pas de me faire avoir comme le clown que tu as terrassé. Et malgré mon âge, tu risques d’être surprise !
Alors si papy voulait se faire frapper … Iris se jeta de toutes ses forces sur Sibelius en tentant de lui décocher un coup de poing dans la mâchoire. Il esquiva très facilement, la laissant poursuivre sa course dans la neige. Elle se releva, se débarrassa de la neige qui lui collait après et affronta un florilège de critiques avec force éclats de rire.
— Quoi ? C’est tout ? Tu m’aurais donné une caresse sur la joue que ça aurait eu le même effet. Allons ! Pour quelqu’un qui communique par télépathie, crée des ultrasons, nage sous l’eau sans reprendre son souffle, a déjà manifesté son cosmos à des fins curatives, a échappé à une attaque et arraché un cœur … c’est extrêmement décevant. Je vais te montrer ce que tu aurais dû m’envoyer à la figure !
Sibelius se nimba de son cosmos et concentra une partie de son énergie dans son poing. Iris ne vit que le bras déployé de son maître avant de finir à nouveau dans la neige mais à plusieurs mètres du vieillard. Il ne plaisantait pas, le papy ! Iris se releva, complètement secouée. Une fois bien debout mais un peu chancelante, Sibelius lui envoya un objet qu’elle réceptionna sans problème. Un masque. Le masque que toute femme chevalier se doit de porter à partir de son premier jour d’entraînement. Iris considéra l’entrave avec horreur. Elle ne voulait pas être chevalier !
— Mets-le ! Tu connais les règles ? Dorénavant, je ne verrai plus ton visage.
— Mais je … je ne veux pas devenir …
— Si tu veux rentrer en Grèce, c’est ta seule solution.
Quel odieux chantage !! Et en même temps, vouloir se soustraire à quelqu’un comme lui, ce n’était pas comme échapper à quelques gardes de base. Résignée, Iris respira profondément, une dernière fois, avant d’affronter le monde derrière ce masque de clown triste : deux larmes sous l’œil gauche, trois sous l’œil droit.
— Bien ! Concentre-toi maintenant comme tu l’as fait à d’autres occasions ! Tu en es capable ! Tu as déjà un bon niveau mais tu n’arrives pas à gérer.
Encore un soupir mais Iris céda à son injonction. Il la provoquait ! Clairement ! Cela lui rappelait quelqu’un d’autre à qui elle avait déjà cloué le bec. La fillette se concentra un certain temps et une fois qu’elle se sentit investie par cette énergie divine, prit le parti de se jeter sur le vieil homme et réussit à le toucher mais pas à le déséquilibrer. Il lui sourit.
— Ça n’est pas encore instantané mais on va y arriver. En attendant, prends ça !
Le véritable entraînement commença enfin. Pendant des heures, sous ce ciel étrange et dans des conditions météorologiques extrêmes, Iris essuyait les coups mais sans se plaindre. Elle relevait la tête et très souvent le reste de son corps suivait. Sibelius la forçait à manifester son cosmos naturellement mais au prix de quelles blessures ! La petite ignora combien de temps elle passa dehors, battue par le vent, sous la neige, les coups, avec les mains gelées, mais le visage heureusement protégé. Quand son maître signifia la fin de la session, elle s’écroula sur ses genoux, à bout de souffle, reconnaissante intérieurement qu’il ne l’ait pas davantage maltraitée.
Elle connaissait à présent une infime partie de ce que vivaient Saga et les autres. Franchement pas du tout une partie de plaisir. Et ce serait comme ça tous les jours ! Elle se remémorait ses amusements futiles avec Saga qui ne lui avait jamais rien refusé alors qu’il était sur les rotules. Vraiment ! Quelle petite peste elle avait été ! Dès son retour, elle lui ferait ses plus plates excuses !
— Allez ! Rentrons !
Maître et disciple réintégrèrent leur minuscule chalet. Sibelius réalimenta le feu en veillant à ce que la préparation dans la petite marmite soit toujours prête à être consommée. Puis, il déploya un paravent dans la pièce entre les deux lits. Iris comprit.
— Maître, c’est ridicule. Vous m’avez vue il y a quelques heures !
— La loi est la loi. Nous allons cohabiter un certain temps sous le même toit. Tu vas grandir, devenir une femme …
— Vous avez peur de tomber amoureux de moi ? s’amusa Iris prête à sa taper sur les flancs.
— Non, j’ai peur que tu appliques la deuxième option si jamais je vois ton visage.
Et il explosa de rire. Un rire franc, grave, puissant. Ce n’était décidément pas le même homme qui venait de lui faire mordre la poussière il y a quelques minutes. Le Sibelius du privé n’était pas du tout le même que celui du public. Tiens ! Cela lui rappelait aussi une autre personne ! Chacun prit son repas en silence de part et d’autre de la cloison. Iris remit son masque, fit la vaisselle ce que le vieillard apprécia, reprit une douche et constata des bleus qu’elle avait sur le corps en plus des écorchures et morsures dues au froid. Si seulement elle avait le pouvoir de se soigner elle-même ! Quand elle admira les témoignages de son entraînement, elle repensa, là encore, à une autre connaissance. Après une rapide toilette, elle pria son maître de l’excuser de sa fatigue. Elle s’enfouit sous sa couverture et s’endormit, malgré les douleurs.
Le lendemain matin, et tous les autres qui suivirent, ce fut un lever très matinal, qu’il fasse encore nuit ou bien en plein jour polaire, quand le soleil n’avait pas daigné se coucher. Les semaines s’écoulèrent, puis les mois et les années. Trois années avaient passé. Iris s’était bien habituée à la vie dans ce royaume inhospitalier et au rude traitement de Sibelius. Elle appréciait même beaucoup ce dernier. A défaut d’être son père d’adoption, il aurait très bien pu être son grand-père. Quelle forme il avait le bonhomme ! Le froid conservait bien, ainsi que l’exercice physique. Leurs conversations aussi étaient enrichissantes. Elle en apprit encore plus sur lui et la chevalerie en général, en plus de la langue du pays. Il était une merveilleuse oreille surtout quand elle évoquait Saga et Daphné. Il l’avait déjà entendu pleurer le soir ou se réveiller en proie à des terreurs nocturnes et venait la consoler une fois le masque remis en place.
Une fois par mois, il laissait quartier libre à Iris après l’entraînement. C’était peu pour s’amuser mais cela lui faisait du bien car cela lu permit de faire la connaissance d’un jeune garçon, à la taille surhumaine. Un véritable Hercule qui chassait parfois sur les terres de la prêtresse d’Odin pour donner à manger aux nécessiteux. Son nom était Thor. Comme elle ne portait pas son masque pendant cette période, le jeune homme ignorait totalement ce que cette Asgardienne avec un drôle d’accent venait faire sur ces terres. Elle se sentait en sécurité avec lui car il lui rappelait le chevalier du Taureau : imposant mais d’une gentillesse à la hauteur de sa taille.
Sibelius s’étonnait des progrès de sa pupille. Elle avait pourtant bien manifesté des réticences à faire partie des chevaliers mais elle travaillait d’arrache-pied, surtout pour améliorer ses pouvoirs curatifs et s’instruire sur la phytothérapie. Elle voulait vraiment rentrer en Grèce, surtout quand il lui avait annoncé une nouvelle assez perturbante, missive en main :
— Shion, le grand Pope, vient de mourir. J’avais senti l’extinction d’un cosmos mais cette lettre m’a confirmé cette impression.
— Et ? Vous devez rentrer à Athènes pour élire le prochain ?
— Non. Et c’est ça qui me chiffonne. Deux candidats étaient pressentis : ton ami Saga et Aioros du Sagittaire. Or, c’est le frère cadet du Pope, Arès, qui a pris la succession.
— C’est pas légal ?
— C’est surtout étrange car personne ne connaissait l’existence du frère dont le nom est plutôt inquiétant.
— Le dieu de la guerre. En effet, ça sonne faux pour le représentant de la déesse de la justice et de la sagesse. Vous pensez que quelqu’un se fait passer pour le cadet ? Un usurpateur ?
— Si c’est le cas, le Sanctuaire est en danger et de l’intérieur.
— Il y a quand même un point positif : Saga n’est pas cantonné dans le rôle de l’intermédiaire entre les chevaliers et Athéna. Je pourrai toujours le voir sans demander audience.
Sibelius avait volontairement omis deux choses pour préserver sa disciple. Il ne ressentait plus le cosmos des deux éléments en lice pour le poste. Donc trois absents. C’était plus qu’inquiétant. Et une énergie sombre et malveillante entrait sur scène. Ça n’augurait rien de bon.