Chevalier, mais pas trop ...
Disclaimer : cf. chapitre 1
CHAPITRE 18
UN PLAN GENIALISSIME
C’était la veille d’un grand jour, le 6 juillet, vingt-quatre heures avant l’anniversaire de Daphné. Malheureusement, aucune idée de cadeau n’avait germé dans l’esprit d’Iris. Cela devenait inquiétant car la fillette n’avait aucun témoignage de gratitude à offrir envers celle qui l’avait élevée comme sa propre fille. Elle avait pourtant réfléchi mais ne sortaient que des banalités de sa tête. Et inutile de demander conseil à Saga : son esprit de chevalier n’entendait rien aux goûts subtils et raffinés d’une femme. Même Polydeukès ne fut pas d’un grand secours ! Tel maître, tel élève ! Aucun trait de génie. En revanche, pour rapporter la conversation qu’il avait eue avec le Pope sans rien dévoiler d’insupportable, le chevalier déployait des trésors d’imagination!
En effet, le lendemain de son entretien, Polydeukès avait tenu à orchestrer la même petite réunion familiale que le jour où il découvrit les capacités d’Iris. Il était arrivé le soir, avec Saga, juste après l’entraînement. Saga avait toutefois moins souffert que la veille ce qui permit d’arriver plus rapidement au compte-rendu. Pour résumer, Iris ne serait pas chevalier si elle ne le souhaitait pas, mais il avait été entendu que l’actuel chevalier des Poissons n’avait encore aucun successeur, ce qui sous-entendait qu’elle pouvait choisir de suivre l’entraînement ou non. Mais il aurait été plus que bien vu de regonfler les rangs.
La position d’Iris sur le sujet était déjà évidente. Il était hors de question, voire inconcevable qu’elle quitte la Grèce pour faire partie d’une bande de gaillards dont les actes, parfois répréhensibles, étaient couverts par une prétendue déesse se réincarnant tous les deux cents ans. Voilà comment Iris considérait la caste à laquelle Saga appartenait, hélas ! Il fallait être lucide : à quoi s’entraînait-il toute la journée ? Certainement pas à tailler et ciseler des pierres pour restaurer le Parthénon ! Iris avait pour ambition de succéder à sa mère, et pourquoi pas, en suivant le même chemin iconoclaste qu’elle, y adjoindre ses dons de chevalier en plus de ses connaissances.
Polydeukès ne chercha aucunement à influencer la petite qui connaissait la situation des chevaliers d’or. Cela la laissait de marbre de savoir que Sibelius mourrait sans successeur. Le chevalier parla toutefois en privé à Daphné pendant une bonne demi-heure. Il y avait d’autres points plus délicats cette fois, qu’Iris ne devait pas entendre, puisque, au moment où Polydeukès quitta Daphné, cette dernière afficha un sourire en demie teinte. La petite n’a jamais su le fin mot de toute cette histoire alors qu’elle avait bien tenté d’extirper quelques renseignements à son camarade. L’expression du visage de Daphné la perturba pendant quelques jours puis elle n’y repensa plus, passant le plus clair de son temps à développer ses dons, c’est-à-dire quand Saga l’honorait de son corps meurtri.
Trois mois avaient ainsi passé jusque au mois de juillet et Iris en était toujours au même point. Avec le peu d’occasions de pratiquer pendant lesquelles elle aurait pu progresser, il était certain qu’elle n’allait pas faire de prouesses. Lorsque Saga rentrait en piteux état, le même rituel s’effectuait : elle se concentrait profondément pour émettre un embryon de cosmo-énergie, elle essayait de diffuser cette dernière sur la partie blessée (uniquement plaies et égratignures) mais le résultat se soldait inéluctablement par une interruption involontaire en raison d’une grande fatigue qui s’abattait sur elle. Daphné prenait alors le relais. En somme, les travaux pratiques étaient extrêmement limités car il fallait aussi demeurer discret.
Deux fois seulement, elle avait tenté d’officier sur Daphné qui s’était malencontreusement coupée. Voulant lui donner sa chance, la jeune femme se prêta volontiers au jeu. Curieusement, les effets des soins étaient nettement plus visibles que sur Saga sans compter qu’il n’y avait aucune marque d’épuisement. Un chevalier demandait beaucoup plus d’énergie qu’un simple mortel. Quoi qu’il en soit, Iris s’estimait sur la bonne voie et elle développerait ses dons au fil des années. Il ne fallait pas désespérer. En revanche, ce qu’elle ne parvenait pas à améliorer était sa faculté d’imagination. Elle séchait lamentablement sur la surprise qu’elle allait réserver à Daphné. Il valait mieux s’oxygéner les neurones.
Comme l’heure de la fin de la session de Saga approchait, Iris décida de flâner dans les rues du village et de trouver peut-être une source d’inspiration. Certains commerces étaient encore ouverts à cette heure mais il n’était pas question d’acheter quelque chose. Iris n’avait pas d’argent de poche et, à la vérité, elle n’avait jamais éprouvé le besoin d’en avoir. Si elle souhaitait quelque chose, Daphné lui donnait la somme qu’il fallait à condition que l’objet tant convoité fût nécessaire. Or là, la fillette devait se débrouiller par elle-même. Après tout, dans le pire des cas, si elle ne trouvait absolument rien, elle pourrait toujours lui offrir une journée sans tâches : petit-déjeuner, déjeuner et dîner concoctés par les petites mains de sa fille même si ce n’était pas de la haute gastronomie, intérieur nettoyé de fond en comble…. Cela faisait une demi-heure qu’elle marchait sans trouver LA chose qui lui aurait fait plaisir. Elle opta donc pour ce programme de secours.
Ce plan en tête, elle descendit les rues pour rejoindre le camp d’entraînement près de la falaise, mais en restant à bonne distance désormais. Soudain, Iris s’arrêta net sur le chemin, en plein milieu de la rue. Ce n’était pas un éclair de génie qui lui avait traversé l’esprit mais un éclat blanc provenant d’une échoppe. Le magasin était fermé, sans rideau de fer, mais le soleil persistait encore à l’inonder de sa lumière : ses rayons mettaient en exergue une immense gerbe de roses d’un blanc immaculé, presque surnaturel, qui se détachait de toutes les autres compositions florales. Elle s’approcha de la devanture et se mit à rêver.
Voilà ! C’était ça, la solution ! C’était ça qu’elle voulait lui offrir : un magnifique bouquet de roses blanches éclatantes. De plus, le message que ces fleurs contenait allait de paire avec les sentiments pour sa mère. Iris ne fut pas longue à balancer. Restait maintenant à savoir où elle pourrait s’en procurer d’aussi belles car ce genre de bijou ne poussait pas dans les prés comme les coquelicots. Voilà où résidait le problème : où trouver des roses sans que cela lui coûte la moindre drachme. A moins de dévaliser le magasin ou d’intercepter le grossiste venu du continent, elle n’avait aucun moyen d’en obtenir.
Elle heurta sa tête de dépit contre la vitrine. C’était trop bête d’échouer si près du but d’autant plus que son plan B lui paraissait bien misérable ! Iris s’écarta de la vitrine, chagrinée, pour se retrouver une fois de plus dans la rue, immobile, la tête renversée vers l’arrière, les yeux clos, gagnée par le découragement. C’est au moment où elle les rouvrit qu’elle trouva le moyen de régler l’épineuse question.
Au sommet de la falaise qui dominait le village, falaise qui obligeait le village à serpenter, elle aperçut, d’abord avec difficulté puis plus distinctement, le toit du palais du Grand Pope. Ce monument était tellement ancré dans le paysage que les villageois n’y faisaient même plus attention. C’était là-bas qu’elle irait en cueillir, dans les jardins du palais dont on vantait la beauté et la variété des fleurs grâce aux soins méticuleux d’une armée de jardiniers. Elle n’y était jamais allée mais d’après les bruits qui circulaient parmi les gardes, cela valait vraiment le coup d’œil et de nez.
C’était décidé ! Son plan s’échafaudait peu à peu. Elle regardait l’immense bloc de pierre que sa nuque étirée depuis quelques minutes la suppliait de ne plus regarder. Maintenant qu’elle avait sa cible, il lui fallait les moyens pour l’atteindre et sans se faire repérer. Comme elle ne connaissait pas bien les lieux, elle risquerait de tourner en rond et de perdre un temps précieux.
Elle ne voyait qu’une seule personne pour l’aider dans son odyssée : Saga. De gré ou de force, il l’accompagnerait jusqu’aux jardins. Elle se doutait que cela ne lui ferait pas particulièrement plaisir, mais avec lui, elle était sûre d’avoir un complice compétent et surtout muet comme une tombe. Il leur faudrait alors œuvrer dans la nuit pour que Daphné ait son cadeau au saut du lit. Pour tout matériel, elle utiliserait une corbeille ; son alibi serait son complice. Tout tenait parfaitement la route. Il ne restait plus qu’à en parler à Saga et à le contraindre à la suivre en usant de tous les stratagèmes possibles. Réalisant qu’elle venait de perdre pas mal de temps en réflexions fructueuses, elle courut aussi vite qu’elle le put rejoindre son camarade.