Woes Chapter

Chapitre 42 : Coda : Les Neuf Cieux

Chapitre final

6726 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 01/04/2024 17:00

Coda : Les Neuf Cieux


 Le Rozan Shin Kō Ha [Ultime pouvoir de Lushan] avait emporté les trois épigones de Dohko à travers l'atmosphère terrestre. Troposphère, stratosphère, mésosphère, thermosphère et exosphère, par delà les couches successives, les ousias de Shiryu, Okko et Genbu avaient fini par surpasser le sunolon de Planitaíos. La violence de leur élévation avait pulvérisé l'incarnation de la Calamité astronomique, mais, à la fin, mise à part la fierté d'avoir vaincu la menace suprême, il ne leur restait que la possibilité de la mort. Pourtant, ils n'auraient pas pu espérer meilleur trépas. Rendre leur dernier soupir en orbite autour de leur planète mère, dont ils avaient réussi à défendre la biodiversité… ils n’auraient pas pu escompter une plus belle manière de quitter ce monde. En apesanteur, ils s’étaient souri une dernière fois. En ce lieu où aucun son ne leur aurait permis de communiquer, ils avaient partagé leurs dernières émotions par le regard. Et si la cécité Shiryu l’avait empêché de voir ses condisciples, il avait pu deviner leur noble résignation, celle-là même qui l’animait lui aussi en cet instant. 

Genbu avait alors avisé le ruban rutilant qui s'était formé à la suite du Rozan Kyūten No Nanataki Kōtō [Ascension des sept cascades des neuf cieux de Lushan] ayant emporté Phaéton. Cette voie luminescente semblait s'étendre à l'infini vers les bras de la Voie Lactée, comme si elle suivait un lit défini depuis des temps immémoriaux. Okko y avait distingué une double circulation, comme si les bras galactiques s'écoulaient à la fois vers et depuis les Lao Feng d’où l'arcane avait été émis. Les deux disciples, anciennement déchus puis reconnus, avaient pris la même décision sans se concerter.

Ils avaient résolument projeté Shiryu vers ce flot chatoyant, persuadés que les eaux cosmiques ne laisseraient pas mourir celui qu'ils considéraient comme le disciple le plus abouti que Lushan ait jamais eu. Privé de la vue, le seul sens encore utilisable dans le milieu spatial, le Pic de l’Or n’avait pas été en mesure d’anticiper le geste de ses amis… encore moins de s’y opposer, ni de comprendre ce qui lui arrivait. Les armures de Genbu et Okko s’étaient ensuite détachées de leurs corps, condamnant leurs porteurs à une mort certaine dans le vide interplanétaire. Toute la puissance résiduelle de la triple technique ultime s’était alors retournée contre eux et ils s’étaient consumés en des milliards d'étincelles. Tout corps est formé d'atomes issus des étoiles du passé, dit-on. L'ex-Berserker d'Arès et l'ancien chevalier suppléant de la Balance avaient ainsi rendu leurs atomes aux astres stellaires. Leur dernière pensée avait été pour leur frère d'armes et l'espoir que celui-ci survive dans le fleuve sidéral qui reliait sempiternellement les Qi Lao Feng aux neuf cieux de la Voie Lactée.

Au moment même où le Grand Pope avait atteint le flot astral, sa protection s'était clivée et les fragments d’armure étaient retournés d’eux-mêmes vers la Terre. L'atonie avait ensuite saisi Shiryu et son corps dénudé avait navigué pendant une durée que nul n'aurait été capable d'estimer. Dans l'espace, le temps est relatif. Petit à petit, sans qu'il n'en ait la moindre conscience, les poussières d'étoiles de cette rivière avaient convergé vers lui et avaient investi son organisme. Ainsi baigné dans cette brume scintillante, ses blessures s’étaient refermées. Même les lésions les plus profondes ou les plus anciennes, y compris les innombrables micro-traumatismes résiduels de ces combats passés, avaient guéri.


**


«De loin je contemple la cascade suspendue…

De trois mille pieds, rapide, elle se jette…

On dirait qu’elle tombe directement des neuf cieux de la Voie Lactée.»


Les vers de Li Bai résonnaient de plus belle, murmures d'un songe prolongé, échos d'un hommage inachevé. Plongé dans une léthargie insondable, Shiryu flottait dans des limbes dont il n'avait pas conscience. Son corps dérivait dans un fleuve nébuleux, une rivière de poussières stellaires, un courant de particules galactiques. Ce même courant dans lequel Okko et Genbu l'avaient projeté.

Shiryu restait prisonnier de la torpeur dans laquelle il avait été plongé par le flot cosmique qui l'emportait vers sa source. Une force inconnue et irrésistible l'amenait jusqu'à elle, lui faisant remonter l'onde céleste, et il ne le savait même pas. À son côté se manifesta un objet qu'il aurait reconnu entre mille s'il n'avait pas été dans son coma guérisseur. La canne du Vieux Maître. Elle aussi se mit à dériver sur le flux stellaire selon la même trajectoire que le chevalier d'or. Ensemble, ils voguèrent ainsi jusqu'à être enveloppés par un halo étincelant, semble-t-il l’origine de cette rivière spatiale. Shiryu ouvrit les yeux.

— Qu'est-ce que… ? s'étonna-t-il.

Sa question se rapportait-elle à sa survie incompréhensible, à cet endroit inconnu ou à sa vue recouvrée ? Il ne sut le déterminer lui-même. Il remarqua alors la canne de Dohko et s'en empara avec une délicatesse et une révérence non exagérées. Les larmes lui montèrent aux yeux et il se recueillit une énième fois sur le souvenir de ce maître qui lui avait tout appris. Soudain, il perçut une présence. Il se redressa, faisant fi de sa nudité en ce lieu immaculé hors du temps et de l'espace.

— Qui est là ? Montrez-vous ! ordonna-t-il d’une voix qui contraignait à l’obéissance.

Il tourna sur lui-même, déployant ses perceptions au maximum de leur capacité. Aucune trace de cosmos, ni même d'ousia. Nulle réponse ne lui fut faite, mais il était indéniable qu'il n'était plus seul. L'avait-il jamais été depuis son réveil ? Et avant ? Et que s'était-il passé depuis qu'il avait senti Okko et Genbu le repousser violemment ? Leur devait-il sa survie ? Comment était-il parvenu à l'endroit où il se trouvait à présent ? Et qu'était cet endroit ? Comment avait-il guéri ? Comment la canne du Vieux Maître s'était-elle retrouvée à ses côtés ? Les questions fusèrent à la vitesse de la pensée.

Tu es dans les Neuf Cieux de la Voie Lactée, disciple prodigue de Lushan, lui apprit enfin une voix venue de partout et de nulle part à la fois. À l'origine même des eaux qui cascadent depuis les sommets des Lao Feng.

Il percevait cette voix par son ouïe, mais aussi directement dans son esprit et dans son cœur.

— Les Neuf Cieux… répéta Shiryu. Ainsi Li Bai… Mais comment ? Suis-je mort ?

Non, répondit simplement la voix. Tu es bien vivant, par la volonté de tes condisciples qui t'ont jeté dans la rivière cosmique alimentant les chutes d'eau de Lushan.

— Okko ? Genbu ? Ils sont…

Morts, confirma impitoyablement l'omniprésence. 

Shiryu ferma les yeux, revivant les quelques sensations dont il se rappelait, seuls souvenirs de cet instant ayant précédé le démantèlement de sa Shield qui aurait dû signer son arrêt de mort.

— Et vous ? Qui êtes-vous ? Pourquoi m'avoir amené jusqu'à vous ? Les Neuf Cieux ne sont qu'une légende évoquée dans un antique poème.

Toute légende provient d'une réalité oubliée, Shiryu. Je suis l'âme des Lao Feng de Lushan, l'impulsion qui a inspiré les Quiddités elles-mêmes.

Et que voulez-vous de moi ? Les Calamités sont désincarnées, elles ne nuiront plus à la biodiversité avant très longtemps.

Toutes les Calamités terrestres oui, ainsi que la Calamité astronomique qui les dominait. Mais une autre Calamité astronomique vous menace, vous les habitants de la Terre. Une Calamité qui ne se réveille qu'extrêmement rarement. Et Planitaíos l'a sortie de son sommeil en comprenant qu'il allait se faire désincarner. Pyrkagiá n'aime pas qu'on le dérange. Il vous rend responsable de son éveil, vous les Pics du Lushan, et il se dirige actuellement vers votre planète. Il a le pouvoir de l'annihiler d'un seul geste. Il est l'éruption solaire personnifiée et il ne se contentera pas de la plus faible de ses émanations.

Shiryu encaissa tout le poids de ce constat affligeant.

— Comment pouvez-vous en être sûr ? s'enquit-il.

Je suis une impulsion fondatrice. Je n'ai aucun mal à percevoir les impulsions exterminatrices.

— Et que puis-je y faire ? Nous n'avons pu vaincre Planitaíos qu'au prix d'immenses sacrifices et encore, in extremis. Si une menace plus grande encore nous guette, comment pourrons-nous faire face ? Les Pics ne sont plus au complet et nos combats nous ont épuisés.

Tu es le meilleur disciple que Lushan ait compté depuis Erichthonios. Le fils d'Athéna et aîné des Saints a été le premier humain à venir s'entraîner sur le domaine des Quiddités. Sais-tu que c'est lui qui a sculpté la canne que tu tiens dans ta main ? 

Shiryu contempla le bâton du Vieux Maître. Erichthonios. Ce nom résonnait étrangement dans son esprit, comme un lointain souvenir qui remonte à la surface, tel un vestige mémoriel qu'on avait oublié posséder mais qui est bel et bien là, profondément enfoui et n'attendant que l'occasion de resurgir. L'omerta divine de son oubli avait été levée par Athéna, ce qui avait incité Kiki à partir à la recherche des armures de laiton, et de ce fait, tous les Saints de ce monde devaient dorénavant se remémorer son existence, inspirateur qu'il avait été dans l'inconscient collectif de la chevalerie. Et c'était lui qui avait taillé la canne du Vieux Maître ? L'avait-il imprégnée de son propre cosmos, afin qu'elle ne se décompose pas, ou l'avait-il laissée baigner dans la cascade régénératrice de Lushan jusqu'à ce que Dohko la découvre et en devienne le propriétaire ? Pas étonnant que Hécate, à l'époque où la sorcière de la Lune les avait aidés, Hyoga et lui, à remonter le temps pour sauver Athéna, la lui ait rendue, affirmant qu'elle était trop puissante pour elle. Pourtant, cette canne avait été détruite par Écarlate du Scorpion, prédécesseur du dix-huitième siècle de Milo. Shiryu croyait l'avoir perdue à jamais, même s'il y avait gagné sa gemme dans son tatouage dorsal. L'artefact était maintenant de nouveau en sa possession, indemne, comme son propre corps à présent.

Malgré toute sa puissance, Erichthonios n'est malheureusement pas resté assez longtemps aux Lao Feng pour s'imprégner suffisamment de la présence des Quiddités. Il n'a donc jamais été un Pic. Il faut dire qu'à l'époque, les Calamités n'avaient aucune velléité contre la biodiversité. Et même lui n'a jamais réussi à inverser le courant des chutes de Lushan au point de renvoyer ces eaux sacrées vers la Voie Lactée, comme vous l’avez fait, toi et les tiens. Enfin, tu es le seul à avoir jamais remonté le courant galactique duquel sont issues les cataractes séculaires des Lao Feng.

La voix s'arrêta un instant, laissant Shiryu méditer ses paroles.

Je ne crois pas aux coïncidences, disciple émérite. Il n'y a que toi pour t'opposer à Pyrkagiá, cela ne fait aucun doute. Tu ne peux pas te permettre d'attendre qu'il parvienne sur Terre. Tu dois le combattre dans le domaine sidéral.

Le Saint d'or de la Balance n'en croyait pas ses oreilles. Comment était-ce seulement possible ?

— Bien que chevalier sacré, je n'en reste pas moins humain. Je ne peux pas survivre dans l'espace. C'est déjà un miracle que je sois en vie. Un miracle dû d'abord à ma Shield, puis à mes amis et enfin à votre intervention. En dehors des Neuf Cieux et de la rivière cosmique qui y mène, j'ai bien peur d'être impuissant. Ne vous méprenez pas, je ne crains pas d'affronter Pyrkagiá. Envers et contre n'importe quelle existence, si je peux sauver la Terre, peu m'importe d'être sans compagnon ni armure. Mais je reste assujetti aux conditions de vie humaines et le milieu interplanétaire, dans lequel évolue cette Calamité, m'est inaccessible.

L'âme des Lao Feng garda le silence, semblant en pleine réflexion.

Shiryu, Saint d'or de la Balance, Pic de l'Or, disciple de Lushan, ton courage et ton dévouement me convainquent. Tu seras seul, mais pas sans armure, chevalier. Tu es digne de recevoir la Spring de Lushan, elle te protègera et te permettra d'évoluer dans l'espace.

La Spring de Lushan ? répéta le Grand Pope, incrédule.

L'environnement immaculé dans lequel Shiryu se tenait, sans la moindre ombre comme si la lumière venait de partout à la fois avec la même intensité, se recroquevilla et se concentra, prenant forme. Autour de lui se révéla progressivement la sphère céleste d'un noir profond piqueté d'étoiles scintillantes, de nuages interstellaires iridescents, de nébuleuses bouillonnantes. Ses pieds baignaient dans le fleuve de poussières cosmiques rutilantes et, devant lui, une masse de lumière se solidifia. Le blanc aveuglant des Neuf Cieux se mua en une sculpture bleutée et claire-obscure dans laquelle il reconnut la cascade de Lushan chutant majestueusement au pied de son mont et alimentée par le firmament. L'armure, car il ne pouvait s'agir que de ça, la Spring comme l'avait appelée l'âme des Lao Feng, se détacha et vint recouvrir délicatement le corps de Shiryu. Aucun bouclier, ni aucune arme. Elle s'avérait donc bien différente des Clothes du Dragon ou de la Balance, et pourtant il se dégageait d'elle une étrange familiarité. Aussitôt, il se sentit entrer en symbiose avec la protection galactique. Il perçut en elle la source même du pouvoir que tous les disciples de Lushan ne faisaient en réalité qu'effleurer. La nature à la fois sensible et intelligible des Lao Feng.

— Ce pouvoir… commença-t-il. Il s'agit du…

C'est exact, je t'offre la maîtrise du sunolon. S'il est un humain qui le mérite, c'est bien toi. Mais cela vient avec un prix, prévint son interlocutrice.

Je vous l'ai dit, je suis prêt à le payer de ma vie même, s'il le faut.

La vie, tu la perdras peut-être, mais cela n'a jamais été un argument pour un chevalier. Le prix est en réalité tout autre. Si tu survis, le sunolon aura consumé totalement ton ousia et ton cosmos. Tu ne seras plus ni Pic, ni Saint… autrement dit, tu ne seras plus en mesure de protéger qui que ce soit. Es-tu capable de l'accepter ?

Des tranches de vie se formèrent alors spontanément dans l'esprit de Shiryu. Il parcourut virtuellement une existence dénuée de combats, centrée sur les petits bonheurs qui jalonnent une retraite méritée, proche de sa compagne et de ses enfants. Les montagnes de Lushan étaient son havre de paix dont il foulait le sol joyeusement et en toute insouciance. Shunreï était à ses côtés et ils vieillissaient paisiblement, ensemble et heureux de ne plus être séparés par la violence des conflits qui étaient le lot des chevaliers sacrés. Ils s'occupaient patiemment de leurs terres, cultivant et élevant ce dont ils avaient besoin pour vivre, dans le respect le plus total de la nature. La quiétude de cette vie empreinte de sérénité se déversait dans leurs veines, remplaçant l’affliction et l’agitation des affrontements du passé. Leurs enfants grandissaient et mûrissaient auprès d'eux, puis s'épanouissaient, réalisant leurs rêves loin du domicile familial. Shunreï et Shiryu recevaient régulièrement la visite de leurs amis du Sanctuaire qui leurs apportaient des nouvelles du domaine d'Athéna. Le couple de Lushan les accueillait chaleureusement et les écoutait poliment, mais se gardait bien de se mêler de trop près de ses affaires qui ne les concernaient plus. Puis l'âge les rattrapait et c'est entourés de leur famille et de leurs amis qu'ils s'éteignaient, enlacés, l'apaisement le plus sincère enveloppant leurs traits au moment où la douce faucheuse venait les chercher.

Shiryu contempla tout cela avec plénitude. Ce n'était pas un prix si exorbitant, mais il avait voué sa vie entière à la protection de la déesse Athéna, de la Terre et des humains. Pourrait-il supporter une telle indolence ? Pourrait-il endurer de ne plus ressentir le flamboiement de sa cosmo-énergie ? Pourrait-il se sentir aussi vivant sans cette étincelle ardente qui l'avait toujours animé ? Une vie d'impuissance était-elle pire que la mort pour un chevalier ? Traditionnellement, tout Saint aurait préféré mourir que d'être inutile. Mais rares étaient ceux qui avaient une famille et le choix s'imposa comme une évidence. S'il ne succombait pas, qu'importe s'il ne pouvait plus assurer son devoir sacré. Il aurait une raison de vivre que pour une fois, une réelle et première fois, il jugea bien supérieure à son engagement envers Athéna. 

— M'aiderez-vous à rejoindre les miens, si jamais je survis à ce dernier combat ? demanda-t-il.

La Spring protègera ton enveloppe charnelle, rassure-toi. L'âme de Lushan n'abandonnera jamais ses disciples, déclara la voix des Neuf Cieux.

Ce fut à ce moment-là que Shiryu sentit une immense émanation énergétique. Il vit nettement le vent solaire se diriger vers la Terre et la magnétosphère planétaire scintiller d'une aurore magistrale. L'onde ionisée parcourut toute l'atmosphère.

Pyrkagiá s'échauffe, commenta l'esprit des Neuf Cieux.

Shiryu ne répondit même pas. Son instinct de défenseur s’enflamma. Une pulsion protectrice issue de ses années de chevalerie l’empoigna et il s'harmonisa avec la Spring. Agrippant fermement la canne du Vieux Maître, il s'élança comme une étoile filante vers la source du sunolon implacable qui menaçait la Terre. Jamais la planète n'avait directement été la proie d'une éruption solaire. Plus précisément, des radiations, des particules ou des éjections de masse coronale avaient déjà perturbé le globe, mais jamais une protubérance, un filament ou un panache solaire n'avait directement percuté la planète. Si cela advenait, il s'agirait d'un phénomène global, et pas simplement d'un événement local à portée mondiale. L'extinction de la biodiversité serait immédiate et totale, si cela ne provoquait pas purement et simplement la destruction du corps céleste. 

Comment le Grand Pope, chevalier de la Balance et Pic de l'Or aurait-il pu seulement hésiter face à un tel péril ? Il s’était laissé convaincre d’être le seul à pouvoir tenter quoi que ce soit. Un ultime combat, une ultime épreuve, un ultime miracle. Il raffermit sa détermination et se prépara. Une volonté intense l'envahit et la Spring résonna agréablement. Cette armure unique, la dernière qu'il allait probablement porter, faisait corps avec lui. Il percevait également l'énergie féroce qui émanait du bâton sculpté par Erichthonios et légué par Dohko. Il devrait se montrer digne de ces items légendaires.

Filant dans le milieu interplanétaire, Shiryu y évoluait comme s'il s'était toujours agi de son environnement. Guidé par l'intensité du sunolon menaçant, il se dirigea vers son ultime champ de bataille. Le chevalier d'or finit par repérer un arc flamboyant et étincelant se dirigeant vers la Terre. Il l'intercepta, coupant brutalement sa trajectoire en se dressant résolument face à cette formation solaire primordiale qui se mit à osciller en apesanteur.

— Pyrkagiá, déclara Shiryu. Retourne d'où tu viens. Planitaíos et ses sbires ont été défaits. Il t'a réveillé à tort. Tes émanations n'ont jamais vraiment menacé notre biodiversité, pourquoi en serait-il autrement maintenant ?

Au début, il n'y eût rien du tout. Aucune réaction perceptible par quelque sens que ce soit. Puis, la flamboyance solaire se stabilisa et commença à prendre forme. Un être à l'allure humaine finit par apparaître, une armure brasillante le recouvrant. L'individu toisa Shiryu intensément.

— Planitaíos est un moins que rien, fit-il d'une voix brûlante.

Chacun de ses mots dégageait une chaleur indéniable. Mais une chaleur au sens propre du terme, comme si les phrases mêmes qu'il exprimait pouvaient incinérer ceux à qui elles s'adressaient.

— Comme toutes les autres Calamités que vous avez combattues, d'ailleurs, poursuivit Pyrkagiá. Leurs pouvoirs destructeurs ne s'avèrent planétaires que par des réactions en chaîne fortuites, mais elles sont par nature trop localisées, et donc limitées.

La moindre parole enveloppait le disciple de Lushan, bienheureusement protégé par sa Spring, d'une volute incandescente et pernicieuse.

— Mais il n'avait jamais eu la bêtise de m'éveiller, conclut l'ultime Calamité. Vous avez dû sincèrement l'énerver pour qu'il se résolve à m'appeler. Vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-mêmes, Humains, Saints, Pics, ou quelque soit le statut dont vous vous targuez. Vous pouvez être fiers d'être les responsables de ma toute première intervention en tant que force exterminatrice. Malheureusement pour vous, ça sera également la dernière. J'incarne à moi seul tous les phénomènes associés à l'activité d'une étoile… et rien ne résiste aux colères stellaires. Planitaíos le savait. Il n'en avait qu'après la biodiversité, pas après la planète. Mais si j'entre en action, je peux détruire des systèmes solaires entiers. Alors… soyez damnés.

Et Pyrkagiá fonça sur Shiryu… qui bloqua son poing, l'enfermant dans l'une de ses mains. La Calamité stoppa net.

— Comment ?

Le sunolon du Grand Pope bouillonna.

— Tu es peut-être la pire menace qui existe en ce monde, mais je suis le représentant de l'impulsion fondatrice qui inspira la Quiddités elles-mêmes. Dans cet univers, et en cet instant, je suis ton égal.

La Spring étincela joyeusement. Lâchant la canne du Vieux Maître, laquelle se mit à flotter en orbite à ses côtés, Shiryu frappa lui aussi. Automatiquement, Pyrkagiá arrêta le coup.

— Si tu es mon égal, ne t'étonne pas de ne pas être le seul à pouvoir bloquer une telle attaque !

Leurs poings emprisonnés, leurs jambes se placèrent de manière à pouvoir donner des coups. Les deux adversaires se regardèrent, effarés par cette situation que chacun trouvait inédite, Pyrkagiá car il ne s'attendait pas à une telle résistance, Shiryu car il n'aurait jamais cru en être capable.

— Cette posture… commença le chevalier d'or haletant.

— Oui, souffla la Calamité. Une position immémoriale qui ne signifie qu'une chose…

— Une guerre de mille jours et mille nuits entre deux égaux… poursuivit le Pic.

— Et au bout de laquelle il n'y aura aucun vainqueur, conclut l'incarnation.

— Qu'importe, si c'est au moins un délai que je peux accorder à tous les êtres sur Terre, déclara Shiryu.

— Nous verrons ça ! hurla Pyrkagiá.

Alors, le bras de fer légendaire débuta… et de mythe, devint réalité. Aucune des tentatives de prendre le dessus l'un sur l'autre ne fonctionna, chacun d'eux réussissant à parer les frappes de son opposant. Quand finalement leurs emprises respectives se rompirent, aucun des deux antagonistes n'était parvenu à défaire l'autre. Ils se séparèrent. Le sunolon de Pyrkagiá se mit à enfler démesurément, bien au-delà de celui, pourtant écrasant, de Planitaíos. Shiryu frémit. Son ennemi s'était-il restreint durant ces mille jours et mille nuits ? Et son énergie augmentait encore. Il lui semblait qu'elle pourrait englober le système solaire, non, la galaxie toute entière ! Le chevalier porta néanmoins son propre sunolon à son paroxysme, bien que la différence lui sembla incomblable.

— Tu m'as fait perdre assez de temps, annonça l'ultime Calamité. Finissons-en maintenant ! Intimanta Wayra-Para ! [Tempête solaire]

Shiryu fit exploser son énergie.

Rozan Sen Ryū Ha ! [Mille dragons de Lushan]

La technique du Saint d'or fut balayée par des vents solaires d'une puissance inimaginable. Shiryu se fit emporter sans pouvoir opposer la moindre résistance. Il n'eut pas le temps de se reprendre que la Calamité était de nouveau sur lui, implacable.

Intimanta Marea Ola ! [Tsunami solaire]

Des vagues de masse coronale incandescentes fondirent sur le Grand Pope qui tenta en désespoir de cause de riposter :

Excalibur !

La lame d'énergie, pourtant capable de tout trancher, se brisa contre les ondes de Moreton qui animaient l'arcane de la Calamité solaire. Une fois de plus, le chevalier reçut le coup ardent de plein fouet sans pouvoir seulement s'en protéger. Il avait connu l'impuissance face à Planitaíos, mais face à Pyrkagiá, il s'agissait purement d'impotence. Comment avait-il pu se proclamer son égal ? Comment avait-il pu lui résister mille jours et mille nuits ? 

— Tu n'as qu'un sunolon d'emprunt, lui assena la Calamité en se portant vers lui.

Shiryu dérivait dans le vide sidéral, plus mort que vif sans avoir pu seulement inquiéter Pyrkagiá. La Spring, intacte, ne lui semblait plus qu'une façade masquant un corps abîmé au-delà du possible, un corps qui avait pourtant été soigné intégralement et qui accusait dorénavant des lésions qu'aucun humain n'avait jamais portées.

— Tu ne le maîtrises pas. Tu ne sais pas le déployer. Il y a autant de différences, peut-être plus en vérité, entre l'ousia et le sunolon, qu'entre le cosmos et le dunamis. Tu sais user du cosmos et de l'ousia, mais le sunolon te reste inconnu. Il t'a été confié par une force qui m'égale certainement, mais son contrôle ne s'apprend pas en un tournemain. Je suis la plus ancienne des Calamités. J'ai eu des milliards d'années pour maîtriser le sunolon, bien plus que Planitaíos. Comprends-tu la différence qui nous sépare ?

Pyrkagiá laissa planer la question brûlante. Son attention fut attirée par le bâton du Vieux Maître qui gravitait toujours autour de son opposant. Il s'en saisit et tenta de le broyer dans sa prise. Il n'y parvint pas et fronça les sourcils.

— Quel étrange artefact que voilà, souligna-t-il. 

Shiryu tendit faiblement une main tremblante vers la canne. Il ne parvint pas à prononcer le moindre mot. Étonnamment, la Calamité le lui remit. 

— Tu sembles tenir à cet objet. Je te laisserai donc mourir avec, bien que je craigne qu'il ne te survive, railla Pyrkagiá.

Il se recula, flottant dans le vide spatial, et étendit ses deux bras de part et d'autre de son corps. Des arcs ondulants de plasma chromosphériques se formèrent et dansèrent autour de l'incarnation. Shiryu pouvait sentir son sunolon crépiter. Serrant fermement la canne et serrant les dents, il tenta de se reprendre.

Intimanta Ruphay ! [Éruption solaire] clama Pyrkagiá.

Je connais ce type d'attaque. Laisse-moi te guider, fit une voix dans l'esprit de Shiryu.

Une forme évanescente et dorée jaillit de la canne du Vieux Maître. Le spectre prit l'apparence d'un jeune garçon aux longs cheveux bruns-roux et aux reflets blonds. Il portait une armure d'or somptueuse, inconnue du Grand Pope. Il se tourna vers Shiryu et lui sourit amicalement. Presque tendrement, comme un aîné qui prendrait soin de son cadet malgré sa juvénilité, l'esprit vint se placer derrière le disciple prodigue de Lushan. Tout se passant à la vitesse de la pensée, la scène devant lui semblait figée, immobilisant virtuellement Pyrkagiá et son arcane.

Tu ne dois pas craindre cet adversaire, héritier des préceptes des Lao Feng. Le sunolon n'est pas une énergie comme les autres. Il n'y a pas de gradation à son utilisation. Il est ou il n'est pas. On l'a ou on l'a pas. Il n'est pas de demie mesure dans son usage. Pyrkagiá cherche simplement à te déstabiliser suffisamment pour que tu ne parviennes pas à user de la même puissance que lui. Mais tu es imprégné des Neuf Cieux. Ils t'ont confié un pouvoir qui te permettra d'agir en égal face à lui. Il faut avoir confiance. Cette même confiance que tu as eu pendant mille jours et mille nuits. Cette confiance que tu as perdue quand il a dévoilé tout son potentiel. Reprends-la, Shiryu du Dragon, Shiryu de la Balance, Shiryu de l'Or.

La silhouette fantomatique guida le Grand Pope qui sentit son assurance augmenter considérablement… et son pouvoir en faire autant.

— Qui es-tu ? s'enquit-il, bien qu'il eût une idée sur la question.

Erichthonios, le premier disciple des Lao Feng.

Et fils d'Athéna, premier chevalier d'or de l'histoire de la chevalerie, compléta Shiryu. Comment se fait-il ? Je veux dire, ton souvenir a été effacé des mémoires humaines jusqu'à encore récemment.

J'ai fabriqué ce bâton. Une partie de mon âme et de ce que j'étais y réside depuis lors. Avant donc l'amnésie ciblée qui a touché l'humanité à mon encontre. Cette canne a baigné dans les eaux étoilées de Lushan pendant des millénaires avant d'être retrouvée par Dohko. Le contact avec la Spring, la source même de Lushan, me permet de revenir d'entre les morts, seulement pour un temps, et seulement sous cette forme. Après cette intervention, je disparaîtrai pour l'éternité.

Non, plus maintenant, le corrigea Shiryu. Dorénavant, le moindre Saint d'Athéna se souviendra de toi. Tu ne disparaîtras plus de nos cœurs, Erichthonios. Ta mère, notre déesse, y a veillé.

L'apparition sourit.

Des paroles apaisantes, dignes d'un grand professeur. Écoute-moi bien à présent. La confiance retrouvée, tu es en pleine possession du sunolon. Je vais te confier une technique qui dissipera son éruption solaire. Mais pour désincarner Pyrkagiá, tu vas devoir puiser dans les profondeurs de la Spring. Elle seule renferme toutes les ressources des Neuf Cieux de la Voie Lactée. Synchronise-toi avec elle, comme tu as réussi à le faire avec tes armures précédentes.

Le temps commença alors à rattraper la pensée et la scène commença à se défiger.

Nous n'avons plus le temps. Je suis fier de t'avoir connu, Shiryu. Je suis fier de voir que les principes des Lao Feng perdurent encore aujourd'hui et qu'il reste des chevaliers tels que toi pour les transmettre.

Tout l'honneur est pour moi, Erichthonios, répondit humblement le Grand Pope.

Le fragment d'âme d'Erichthonios se fondit alors en Shiryu et ce dernier reçut son héritage. À ce moment-là, les arcs plasmatiques se remirent à fuser vers lui. Le chevalier d'or concentra son sunolon :

Earth Clamation ! [Exclamation de la Terre]

La puissante technique du premier Saint d'Athéna, animée par le sunolon de son lointain successeur, désintégra les arches solaires, laissant Pyrkagiá pantois. Shiryu se tenait devant lui, droit et fier, érigé comme les montagnes de Lushan. Les yeux fermés, il tenait la canne du Vieux Maître au bout de son bras tendu, le reste de son corps totalement immobile. La Calamité s'élança et frappa violemment de son poing incandescent. Sans ouvrir les yeux, ni bouger autre chose que son bras, Shiryu tendit la pointe de sa canne… qui transperça la main de Pyrkagiá. Celui-ci recula et envoya une émanation embrasée. Shiryu fit tournoyer le bâton devant lui, formant un bouclier, toujours aussi stoïque, comme si son bras et son corps étaient totalement indépendants l'un de l’autre. La vague d'énergie s'échoua sur cette protection. «La lance invincible et le bouclier indestructible». Le bâton d'Erichthonios, la canne de Dohko, incarnait à elle seule ces deux objets de légende.

Shiryu n'avait qu'à peine conscience de l'acharnement de la Calamité contre lui. Il communiait avec la Spring. Il concevait enfin qu'il n'avait plus rien à craindre de Pyrkagiá. Il savait à présent d'où venaient les propriétés uniques des armures baignant dans les eaux de Lushan. Le bouclier du Dragon, les armes de la Balance, et par extension les Shields. L'impulsion néguentropique des Neuf Cieux avait un potentiel fondateur et préservateur phénoménal. Il comprenait aussi pourquoi les milliards d'années d'expérience de Pyrkagiá ne devaient pas l'impressionner. L’entité inspiratrice était bien antérieure à la Calamité, bien antérieure à la première étoile. Lushan n'était qu'une région montagneuse d'une petite planète insignifiante qui avait eu la chance de recevoir les bienfaits de cette inspiration. La suite n'avait été que causalité aléatoire, les Quiddités ayant élu domicile en ce lieu. Quiddités fondatrices et Calamités destructrices s'affrontaient depuis des temps immémoriaux, mais les premières avaient en réalité toujours bénéficié de l'âme des Neuf Cieux qui s'écoulait aux Lao Feng, ce qui avait valu à la Vie de perdurer et d'évoluer malgré les extinctions partielles successives. Et si Erichthonios n'avait pas un jour décidé de s'y entraîner, faisant de Lushan un lieu d'exercice pour les futurs chevaliers, jamais les Pics n'auraient vu le jour. De même, Erichthonios n'aurait pas forgé son armure à partir de l'or des Lao Feng et les armes légendaires comme celles de la Balance, issues de celles de la toute première armure d'or. Le bouclier du Dragon n'aurait pas vu le jour non plus. Enfin, sans les eaux sacralisées par les Neuf Cieux, aucune Shield n'aurait pu se former. Comme tout événement dans l'Univers, il ne s'agissait que d'une série de bienheureux hasards. 

Et Shiryu était l'aboutissement de ces hasards, seul humain à avoir atteint les Neuf Cieux. Voilà ce dont il prenait conscience alors que Pyrkagiá enchaînait techniques et coups dans l'espoir de faire céder son adversaire, formidablement protégé par le bâton de Dohko. Pourtant dans un état second, il n'en perçut pas moins un changement dans l'attitude de l'ultime Calamité. À ce moment-là seulement, il rouvrit les yeux, empli d'une sérénité sans précédent. Pyrkagiá semblait avoir repris sa contenance également. Son sunolon se calma et gagna en intensité, parfaitement maîtrisé.

— Je dois avouer que tu m'impressionnes, déclara l'incarnation. J'ai compris que je ne pouvais pas faire dans la demie mesure contre toi. Il est donc temps pour toi de subir le phénomène le plus violent de l'Univers qu'une étoile puisse offrir.

L'espace autour d'eux se déforma sous la pression et un rayonnement intense illumina le vide sidéral. Puis cette lumière fut littéralement aspirée par le corps de Pyrkagiá qui en nourrit son sunolon pour le faire exploser violemment, bras et jambes tendus.

Gamma Ruphay ! [Sursaut gamma] clama-t-il.

Shiryu, mais plus largement le système solaire derrière lui, était la proie de cet arcane formidable. Les sursauts gammas sont capables de dégager l'équivalent de l'énergie rayonnée par toutes les étoiles de l'Univers. C'était comme si la masse complète du soleil était convertie instantanément en rayonnement énergétique. Alors, le disciple prodigue de Lushan joua son va-tout. Sans perdre de sa superbe, il invoqua l’intégralité du sunolon dont il avait été investi, révélant enfin son plein potentiel. Il prit position, cette posture que tous les élèves des Lao Feng connaissent car elle est la base de leur entraînement, celle que les maîtres qui s'étaient succédés avaient improprement nommé la Colère du Dragon. Un retour aux sources… à la vraie source de cette attaque. Il ne prononça que deux mots.

Rozan Haken ! [Hégémonie de Lushan]

Le corps, le poing et le sunolon de Shiryu formèrent une cascade horizontale qui étouffa le sursaut gamma de Pyrkagiá. La cataracte cosmique engloba ce dernier, les remous énergétiques désarticulant son corps. Le coup du chevalier transperça la Woe au niveau du cœur et les deux adversaires se retrouvèrent l'un contre l'autre. Pyrkagiá agrippa le poignet de Shiryu, mais sans tenter de se dégager. De la paume de la Calamité émanait la douce chaleur d'un soleil source de vie et de régénération, non plus de mort ou de destruction. Intrigué, Shiryu plongea son regard dans celui de son opposant en passe de s'éteindre. Le chevalier comprit alors que Pyrkagiá reconnaissait sa valeur. Dans un mot, l'ultime Calamité se désincarna en une multitude d'étincelles qui tournoyèrent un instant, formant leur propre fleuve sidéral flamboyant, lequel ondula langoureusement vers l'astre duquel il était issu. 

— C'est fini, déclara alors simplement le Grand Pope.

Oui, pour cette fois-ci du moins, lui confirma l'âme des Neuf Cieux.

Le chevalier se tourna vers la Terre. Qu'elle était belle sa planète ! Le désir intense d'en fouler le sol de nouveau l'embrasa. Et sa famille ! Qu'il lui hâtait de la revoir !

La canne du Vieux Maître te guidera. La Spring te préservera de l'espace, de l'entrée dans l'atmosphère et de la chute. C'est vivant que tu retrouveras les tiens. L'âme de Lushan protègera toujours ses disciples, souviens-t'en.

Et je ne pourrai plus jamais brûler mon cosmos ?

Déjà il ne sentait plus ni sunolon, ni ousia. Et sa cosmo-énergie s'amenuisait rapidement.

Non. Et il y a un autre prix à payer en réalité.

Shiryu sourit malgré lui. Il avait toujours su que la perte de ses facultés de chevalier ne serait pas le seul coût de la victoire.

C'est l'oubli. Tu perdras tout souvenir de ce qu'il vient de se passer. Tu oublieras la rivière cosmique, les Neuf Cieux, l'âme de Lushan, la Spring, Pyrkagiá… et tous les secrets que tu as découverts. 

J'ai fait sans jusque là. Même si c'est une perte conséquente, je préfère l'amnésie et l'impuissance à la détresse que ressent ma famille en me croyant mort. Je n'aspire qu'à une chose, c'est que nous soyons réunis.

Malgré les années écoulées, je peux t'assurer que ta famille t'attend toujours. Elle n’a jamais cru en ton trépas. Va maintenant, chevalier. Rentre chez toi.

Merci pour votre aide, Neuf Cieux. Je vous oublierai, mais vos préceptes et votre philosophie sont gravés en moi depuis mon entraînement comme Saint du Dragon. Je les transmettrai aux générations futures et, qui sait, peut-être qu'un jour un disciple de Lushan percera les secrets que j'aurai perdus. Un disciple meilleur que les précédents.

Comme un plant de yuzuriha, cita l'âme des Lao Feng.

Comme un plant de yuzuriha, confirma Shiryu.


**


Plus tard, tracté par le bâton d'Erichthonios, alors qu'il fonçait vers la Terre et la voyait grandir, tout ce qu'il venait de vivre commença à s'effacer, pour complètement disparaître de sa mémoire à son entrée dans l'atmosphère. Ses souvenirs s'arrêteraient à la défaite de Planitaíos et au sacrifice de ses condisciples. Il perdit connaissance lors de la traversée. La Spring l'avait protégé et ralentissait maintenant sa descente. Dans son inconscience, il perçut une présence réconfortante et familière. Quelqu'un guettait inlassablement son retour, quelqu'un dont les capacités de perception s'étendaient à toute la planète. Encore à quelques kilomètres du sol, des chaînes dorées jaillirent et vinrent l'entourer d'un linceul qui stoppa sa chute, le portant délicatement jusqu'à le ramener à terre. La Spring se dématérialisa au premier contact des chaînes de la Vierge.

Bon retour chez toi, mon frère, fit la voix de Shun dans sa tête. Ta famille t'attend… et il est plus que temps de la retrouver.

Un sourire radieux illumina le visage serein de Shiryu qui, dans son sommeil amnésiant, rêvait déjà aux heureuses retrouvailles.



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