Quatorze Juillet

Chapitre 48 : - Épilogue -

Chapitre final

4388 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/06/2019 14:16

- Épilogue -


Ils se trouvaient dans une pièce aux murs d'un bleu pâle apaisant, le silence et la tranquillité de cet endroit étaient entrecoupés par une suite de petites alertes sonores indiquant la régularité du pouls que les sondes relevaient. Allongé sur le lit de la chambre se trouvait un jeune homme endormi, dont les cheveux roux étaient éparpillés quelque peu en bataille sur l'oreiller où reposait sa tête, et dont le corps était relié à une perfusion par le bras gauche, en plus d'autres machines d'aide médicale. Une assistance respiratoire lui avait été placée dans les narines et la gorge, grâce à celle-ci sa poitrine se soulevait et s'affaissait d'une manière régulière et presque naturelle. Quelques mèches rebelles tombaient sur les paupières de ses yeux clos.

À sa droite, sur une chaise amenée jusque là, une jeune fille se tenait droite, les mains posées sur ses genoux, et le regardait tendrement, bien qu'un air douloureux tirait ses traits pourtant doux. Ses grands yeux bleus étaient rougis par les larmes qu'elle avait versées, et des cernes, signe de son manque de repos, s'affirmaient sous ces derniers. Ses sourcils accentuaient l'expression de douleur et de tristesse qui s'était gravée sur son visage, et les coins de ses fines lèvres tombaient, elle n'avait plus la force de sourire. Elle desserra ses mains, et posa son regard sur le pendentif qui y était logé. Un simple bijou en argent, en forme de croissant de lune sur lequel reposait un violon finement travaillé jusque dans les moindres détails. Elle le portait à chacune de ses visites, le mettant en entrant dans la pièce et en l'enlevant lorsqu'elle la quittait, avec l'espoir qu'un jour elle pourrait le porter en-dehors de cette chambre d'hôpital. Ce jour-là, elle ne l'avait pas mis. Quelque chose en elle lui disait qu'elle devait abandonner tout espoir et cesser de passer ses journées dans cette salle. Il n'y avait eu aucune amélioration depuis de nombreux jours, à quoi bon espérer que cela changeât ?

Cela faisait près de deux mois qu'elle se rendait à son chevet dès l'ouverture des visites, pour ne le quitter qu'au plus tard de la fin de cette planche horaire. Septembre approchait, c'était bientôt la rentrée scolaire, elle n'aurait plus autant de temps pour lui que ce dont elle avait pu profiter jusque là. De plus, elle avait eu la chance d'échapper à ses fonctions, mais elle ne pouvait pas fuir ses responsabilités indéfiniment ; sa mère avait beau lui répéter qu'il fallait qu'elle prît le temps qu'il lui fallait, elle sentait un sentiment de culpabilité la gagner et grandir en elle chaque jour passant. Elle ne parvenait à se décider entre continuer sa vie pendant que la sienne était figée, ou attendre à ses côtés qu'il s'éveillât. Peu importait le choix qu'elle ferait, elle sentait qu'elle devait mettre quelque chose de côté pour privilégier l'autre, et cela lui déplaisait.


« Je suis désolée, Raphaël, murmura-t-elle en gardant sa tête tournée vers ses mains liées l'une à l'autre. Je ne vais plus pouvoir venir aussi souvent. Je suis désolée. »


Un triste sourire se dessina sur ses lèvres alors qu'elle leva les yeux vers son visage endormi.


« J'aimerais tellement que tu te réveilles, que tout redevienne comme avant... J'aurais tellement aimé que tu restes chez moi ce soir-là, que tu ne repartes pas... Je m'en veux tellement de t'avoir laissé partir... »


Des larmes commencèrent à monter, elle les chassa d'un revers de manche.


« Fondue, mère, Alfred, tout le monde s'inquiète pour toi. Ils me disent de ne pas me faire trop d'idées... Je prie tous les jours pour que tu sortes de là le plus tôt possible... »


Une mèche blonde tomba sur ses yeux, elle la remit en place, le regard à nouveau tourné vers le sol en linoléum, impersonnel et fade.


« J'espère que Dieu veille sur toi... Tu es mon ange gardien après tout, pas vrai... ? »


Accompagnant ces paroles, ce fut la larme de trop, qui balaya sur son passage toutes les forces qu'elle était parvenue à mobiliser afin de s'empêcher de pleurer. Elle enfouit son visage dans ses mains, et ne retint plus les sanglots qui secouaient son corps. Elle retenait cependant ses éclats de voix, ne laissant s'échapper que de faibles gémissements scindés par des hoquets. Ses mains recouvertes de ses larmes brillaient sous la lumière, et ce devait sûrement être le cas pour ses joues sur lesquelles il en ruisselait d'autres. Elle se courba violemment en avant sous la douleur qui résonnait dans sa poitrine, lui arrachant d'autres plaintes.

Une main vint se poser sur son épaule gauche, avant qu'elle ne se retrouvât enlacée par les bras aimants de sa mère, qui lui murmura quelques mots d'encouragement à l'oreille. Elle renifla, et essuya ses larmes grâce au mouchoir en tissu qu'elle lui avait tendu, mais cela n'avait en rien effacé la terrible douleur qui emplissait son cœur.


« Si tu veux rentrer plus tôt aujourd'hui, Alfred a décidé qu'il allait rester t'attendre, d'accord ? Il est dans le hall, il réagira dès que tu l'appelleras. »


Elle acquiesça faiblement. Ses yeux la brûlaient.


« Sois forte, Marie, murmura la duchesse en lui déposant un tendre baiser sur la joue. Je suis sûre qu'il t'entend, de là où il est. Il viendra à toi plus tôt que tu ne l'espères. »


Elle n'avait pas la force de répondre à cela, et se contenta de faire un signe de main à sa mère qui quittait la pièce, et de se renfoncer un peu plus dans sa chaise, le regard vide et quelque peu absent tourné vers Raphaël.

Elle repensa à ce matin, le lendemain de sa visite, le téléphone avait sonné de bonne heure et, anormalement, c'était sa mère qui avait discuté avec la personne ayant appelé, au lieu d'Alfred. Sitôt avait-elle mis fin à sa conversation qu'elle avait ordonné calmement à Marie de se tenir prête, qu'elles devaient se rendre à l'hôpital, et bien qu'elle n'eût pas mentionné l'urgence de la chose, elle l'avait clairement ressentie. Arrivées à la clinique qu'on leur avait indiquée, elle avait enfin eu des réponses aux questions qui la tourmentaient, bien que ce ne fût pas un moment des plus agréables, elle devait l'admettre. À l'annonce du verdict, elle avait senti un vertige la prendre, et avait manqué de s'effondrer au sol. Cela avait été comme si tout son monde s'était écroulé ; elle qui avait été si heureuse de retrouver Raphaël, voilà qu'il était à nouveau parti loin d'elle pour une durée indéterminée, si ce n'était pas l'éternité. Elle avait presque aussitôt pris la décision de passer le plus de temps possible à son chevet, à lui parler et prendre soin de lui, peu lui importaient combien cela la couperait du monde extérieur.


Elle laissa s'échapper un léger soupir, et se releva, pour se rapprocher de la table de nuit, où un bouquet de fleurs trônait. Il s'agissait là d'un magnifique bouquet de chrysanthèmes, explosant dans une couleur immaculée, qu'elle avait choisi en venant lui rendre visite ce jour-là. Elle avait toujours aimé les chrysanthèmes, pour leur signification de l'éternité. C'était quelque peu contradictoire qu'elle vînt lui apporter ces fleurs puisqu'elle ne souhaitait pas qu'il restât dans cet état indéfiniment, mais elle avait le sentiment qu'elles lui plairaient à lui aussi s'il venait à les voir. Elle les réarrangea quelque peu dans le vase couleur lilas qu'elle avait acheté pour les disposer, et vérifia que la quantité d'eau était suffisante. Elle porta l'une des fleurs à son nez, et après en avoir senti le doux parfum, elle murmura, comme pour elle-même.


« J'aimerais tellement que tu me fasses un signe, Raphaël... »


Il sembla respirer plus profondément que d'habitude, mais cela ne devait être que le fruit de son imagination. Pourtant, elle aurait juré l'avoir entendu produire quelques sons dans sa gorge. Cela suffit à attirer son attention, et elle se pencha près de son visage, sa main posée dans celle du rouquin, froide.


« Raphaël ? » appela-t-elle doucement, quoiqu'il y eut un ton un peu pressé dans sa voix.


Le cardiographe sembla s'accélérer quelque peu, l'intervalle entre ses bips se réduisant jusqu'à parvenir à une fréquence semblable à celle d'un cœur en éveil. Elle y posa son regard quelques secondes, cherchant à comprendre quelle anomalie avait pu fausser ses relevés. Elle sentit quelque chose sur sa main, de longs doigts fins qui l'entouraient faiblement, et tentaient de caresser sa peau du bout des phalanges. Elle se figea sous la stupeur.


« Raphaël ? » répéta-t-elle, ne parvenant pas à réaliser ce qui se passait, comme si elle espérait que sa voix lui permît de faire la part entre le réel et l'imaginaire.


Les doigts du jeune homme remuèrent fébrilement, et s'entrecroisèrent avec les siens. Sa respiration s'accéléra, comme obstruée par les tuyaux qui l'aidaient jusqu'à présent dans son sommeil. Il ne fallut que quelques instants à la jeune femme pour prendre conscience de ce qui se produisait, et presser le bouton qui permettait d'appeler les infirmiers et les aides-soignants, qui intervinrent rapidement. Alors que tous s'affairaient aux quatre coins de la chambre afin d'aider le rouquin à sortir progressivement de son sommeil, elle ne le quitta pas un instant des yeux, et même lorsqu'il fallut déplacer le lit pour le changer de pièce, elle avança à ses côtés, refusant de lâcher la moindre seconde sa main qu'elle tenait fermement.


Lorsqu'il ouvrit enfin les yeux, elle était encore à ses côtés, et le premier visage sur lequel ces yeux couleur caramel teintés de nuances ambrées se posèrent fut le sien.

Lorsqu'il parvint enfin à prononcer des sons, le premier mot qui franchit ses lèvres dans un sourire heureux fut son prénom.


*


« Comment tu te sens ? demanda-t-elle avec une pointe d'inquiétude, s'approchant de lui pour le soutenir au cas où il trébucherait.

– Ne t'en fais pas pour moi, Marie, répondit-il avec un large sourire sur ses lèvres, dissimulant la douleur qu'il ressentait. Il faut que je travaille ces muscles, et je vais y arriver ! »


Elle vit les bras du rouquin trembler sous l'effort. Cela faisait à peine une semaine et demie qu'il s'était réveillé et il trépignait tellement d'impatience à l'idée de commencer sa rééducation que les médecins avaient cédé, d'autant plus qu'ils ne trouvaient pas d'anomalie autre que sa guérison plutôt rapide. En moins de temps qu'il n'avait fallu pour le dire, il s'était retrouvé sur des barres basses parallèles sur lesquelles poser ses mains afin de se soutenir dans sa marche quelque peu hésitante.


« Mets-toi au bout, s'il te plaît, réclama-t-il avec un large sourire qui s'étendait un peu plus à chaque seconde qui passait. Je veux t'atteindre, c'est toi, mon but. »


Elle sentit ses joues rougir quelque peu face à cette déclaration, mais s'exécuta. C'était après tout la moindre des choses qu'elle pouvait faire pour l'encourager. Elle l'observa progresser à son rythme, pas après pas, sa mâchoire se crispant et ses dents se serrant, sans oublier les muscles de ses bras se contractant violemment tant cela était difficile pour lui de marcher à nouveau. Sa respiration était forte, il était proche de l'essoufflement, et malgré les conseils qu'elle lui donnait, il ne prit pas la moindre seconde de repos pour retrouver son souffle. Il finit par lui tomber dans les bras une fois son parcours traversé ; elle le rattrapa de justesse, manquant presque de tomber au sol avec lui.


« J'ai réussi, souffla-t-il avec toute la fierté qu'il pouvait ressentir en cet instant.

– Je vois ça, Raphaël, répondit-elle, des larmes de joie débordant de ses yeux bleus. Je suis fière de toi.

– Merci, Marie. »


Il tendit quelque peu le cou pour atteindre sa joue et y déposer un léger baiser furtif, qui la surprit, et fit à nouveau prendre des couleurs pourpres à ses joues. Il se redressa, se tenant presque complètement debout seul, bien qu'il restait accroché aux épaules de la jeune femme, et put croiser son regard.


« Merci d'être là pour moi, Marie.

– Tu as bien été là pour moi lorsque j'en avais besoin, Raphaël. Et puis... »


Elle s'approcha un peu plus de son visage, et posa doucement ses fines lèvres rouges sur celles du jeune homme, lui offrant un tendre baiser.


« Je ne peux pas laisser seul celui que j'aime » sourit-elle, le visage plus radieux que jamais.


*


Cela faisait désormais deux mois qu'il avait retrouvé une vie normale. C'était déjà la mi-décembre, et le froid hivernal devenait plus rude à chaque jour qui passait. Malgré le manteau d'hiver, l'écharpe entourée autour de son cou, le bonnet couvrant la quasi-totalité de sa crinière rousse et les épais gants qu'il portait aux mains, il était terriblement frigorifié. Il souffla sur ses mains tremblantes afin de les réchauffer quelque peu, mais cela n'eut pas de réel effet. Une fine buée s'échappait de ses lèvres lorsqu'il respirait, et l'air glacial qui entrait dans ses poumons le renforçait dans son envie d'enfouir son visage dans son épaisse écharpe.

Quelle idée de sortir par ce temps, pouvait-on penser. Lui-même se disait que si sa raison pour affronter ce froid polaire n'était pas si importante, il se serait bien retrouvé au chaud chez lui blotti dans un plaid avec une boisson chaude entre les mains. Or, il n'avait pas d'autre choix que de se promener dans les rues commerçantes, car le soir de Noël approchait, et il tenait à tout prix à offrir un présent à la personne qui était plus chère que tout à ses yeux.


Il s'aventura longuement à travers les trottoirs. Stoppé au feu rouge d'un passage piéton à un carrefour, il promena un peu son regard vers les autres passants qui marchaient d'un pas plus ou moins pressé sur le trottoir en face de celui où il se trouvait. Il vit une silhouette se démarquer des autres, elle lui sauta aux yeux pour une raison qu'il ignorait. Cette personne se promenait, elle aussi, sa démarche tranquille accentuait sa nonchalance. Ses mains étaient cachées dans les poches de son long manteau gris foncé qui ne dévoilait que la moitié de ses jambes, recouvertes aux chevilles par des jambières brunes en laine, et une cascade de cheveux roux s'échappait de son bonnet blanc en laine pour se déverser le long de son dos. Il ne voyait pas son visage de là où il se trouvait, mais il le devinait ravissant. Un sentiment de chaleur gagna sa poitrine alors qu'il ne la quittait pas des yeux, sans qu'il n'en comprît les raisons. Quelque chose en lui lui conseillait d'aller vers elle, peut-être était-ce le désir de comprendre pourquoi elle lui paraissait si familière. Sitôt le feu passa-t-il au vert qu'il se hâta de traverser ce passage clouté afin de la rejoindre. Elle s'était arrêtée devant la vitrine d'une boulangerie, et regardait avec avidité les pâtisseries qui y étaient exposées ; il voyait en se rapprochant que ses yeux ne lâchaient pas les macarons à la saveur de rose. Dans un geste bienveillant, il entra dans la boulangerie, et commanda six pièces de ces macarons. Elle suivit du regard l'homme qui s'appliquait à les saisir avec sa pince et à les mettre dans une petite boîte sobre, avant de les tendre au client qui les avait demandés. Raphaël sortit de la boutique, son achat dans une main et l'autre dans sa poche, et s'approcha d'elle. Sans dire un mot, il lui tendit l'objet de sa convoitise.


« J'ai le sentiment que l'on se connaît déjà, fit-il après quelques secondes d'un silence gênant, en lui montrant un sourire amical, quoiqu'un peu embarrassé par cette situation peu commune. Et je voyais que tu les dévorais du regard.

– Ce sont les macarons préférés de mon père, murmura-t-elle en baissant le visage, dissimulant une expression de tendre ravissement.

– Je le comprends bien, répondit-il sur un ton amusé, ce sont mes préférés à moi aussi. »


Elle laissa s'échapper un petit rire cristallin, doux à l'oreille, presque mélodieux. Il la rejoignit dans ce petit moment d'amusement, oubliant qu'elle était une inconnue pour lui tant la sensation de la connaître s'ancrait dans ses pensées.

Quel âge avait-elle ? Elle lui paraissait s'approcher de la vingtaine, tout comme lui, mais quelque chose en elle lui donnait l'impression qu'il se trompait. Et d'où la connaissait-il ? Il ne parvenait réellement pas à s'en souvenir. Pourtant, une jeune femme avec une chevelure aussi particulièrement vive, ce n'était pas tellement commun.


« Excuse-moi, d'où est-ce que tu viens ?

– Je viens... de loin d'ici, de très loin.

– Est-ce que nous nous sommes déjà vus, ou est-ce que c'est juste une impression ? »


Elle posa sur lui son regard bienveillant ; ses yeux étaient d'un bleu azur dans lequel vibraient des nuances de saphir et de couleur nuit. Lorsqu'il se perdait dans ces yeux, un flot incessant de sentiments le submergeait, et surtout, des souvenirs lointains et enfouis remontaient.

Bientôt, il put mettre un nom sur ces réminiscences, ainsi que sur ce visage fin et délicat, pur comme une neige nouvelle et agréable à la vue comme l'est de la soie au toucher.


« Hélène, murmura-t-il dans sa réalisation, un sourire s'élargissant sur ses lèvres alors qu'un sentiment de pur bonheur le gagnait peu à peu.

– Je ne pouvais me résoudre à attendre » dit-elle d'une voix faible, presque inaudible.


Il la vit lui sourire en retour, elle parut si heureuse de l'entendre prononcer son prénom, il sonnait comme une douce mélodie, une succession de notes, chacune éveillant une sensation d'une agréable chaleur, amenant doucement des souvenirs enfouis, presque oubliés, à la mémoire qui les revoyait, avec cette même intensité que celle de l'instant même.

Il oublia le vent froid de cette journée du mois de décembre, il retrouvait en lui la flamme d'un soir d'été, d'un feu d'artifice éclatant dans le ciel nocturne parisien d'une infinité de fleurs brillantes dont l'éclat éphémère en ferait rougir les étoiles de jalousie. À ses côtés, cette jeune femme, le visage tourné vers ce ciel coloré, un air mélancolique voilant son doux visage, regardait ce spectacle, et réalisait combien l'intensité de cet instant le sublimait davantage. Un monde qu'eux seuls connaissaient, une chaleur qu'eux seuls partageaient ; un sentiment intense dont la douceur était sans égale, et que seuls eux avaient pu ressentir. Éphémère avait été ce spectacle, éphémères avaient été leurs sentiments.


Il ferma les yeux, et prit une longue inspiration. Il avait tant de choses dont il voulait lui parler, il ignorait par quoi commencer. Il expira, et ouvrit les yeux.


La boîte de macarons n'était plus dans sa main, et la jeune femme avait disparu.


*


Un couloir vivement éclairé, aux couleurs pâles et délavées, dans lequel passaient des personnes aux fonctions diverses. Assis sur l'un des fauteuils placés en une rangée contre l'un des murs, il gardait son visage enfoui dans ses mains, les coudes posés sur ses genoux. L'inquiétude le rongeait, il avait l'impression de ne pas avoir dormi depuis plusieurs jours, et le début de barbe qui le démangeait semblait confirmer cette sensation. Ses cernes violacées se transformaient en poches qui alourdissaient ses paupières, pourtant il ne pouvait pas dormir, la situation le lui interdisait.


Tout se déroulait pourtant comme prévu. Il ne comprenait pas pourquoi on l'avait si brusquement séparé d'elle, comme si cela allait arranger les choses, au contraire ! Cela allait la stresser encore plus, et cela créerait vraiment un problème. Mais il avait eu beau protester, personne n'avait voulu l'entendre et le laisser la rejoindre. Elle devait tant souffrir, et il n'était pas là pour la rassurer, pour lui prendre la main, ou tout simplement pour lui parler. Une boule se forma dans son ventre alors qu'il repensa à ses cris. Si seulement il pouvait prier pour que tout se passât sans problème...


« Je pense que tout ira pour le mieux » lui souffla quelqu'un alors qu'une main amicale se posa légèrement sur son épaule droite.


Il releva le visage vers celui de cette femme aux cheveux argentés, qui lui adressa un sourire rassurant.


« Elle est forte.

– Mais s'ils m'ont fait sortir...

– Ce n'est qu'un léger contretemps, ne t'en fais pas. Elle est certes fatiguée et un peu faible, cela n'aura aucune incidence. Tout se passera bien. »


Le sourire de cette femme dévoila ses dents blanches. Son regard qui pouvait paraître glacial au premier abord était chaleureux comme jamais. Elle était quelque peu rongée elle aussi par l'inquiétude de la situation, mais ne la laissait pas la dominer, et restait malgré cela radieuse. Il enviait sa force, lui ne pouvait pas se sentir aussi bien dans un moment aussi stressant.


« Je crains tellement le pire...

– Tout ira bien. Sois rassuré. »


Il ne put qu'acquiescer lentement, c'était tout ce dont il était capable en cet instant.

Une boule s'était formée et figée dans sa gorge, et une autre avait trouvé refuge dans son ventre. Ce qui était censé être un des plus beaux jours de leurs vies pouvait à tout instant tourner au cauchemar, et il avait trop souvent rêvé de cet instant d'horreur et de terreur qu'il refusait que cela se réalisât pour de vrai.


« Cela aurait été bien que ton père soit venu. J'aurais aimé discuter à nouveau avec lui.

– Il ne m'a jamais donné de nouvelles. Je considère qu'il n'avait pas envie d'en avoir de nous non plus.

– C'est dommage, soupira-t-elle. Mais cela ne m'étonne pas réellement de lui. Il a toujours été froid avec les autres après tout. »


Il remarqua qu'elle avait ôté sa main de son épaule depuis quelques instants à présent, et avait croisé ses bras dans son dos, se tenant droite et gonflant la poitrine avec fierté, comme elle le faisait toujours.


« Il ne faut quand même pas qu'il te ruine le premier jour de ta nouvelle vie, dit-elle finalement après un silence quelque peu embarrassant. Tu es entouré de personnes qui t'apprécient, et que tu apprécies. Nous te soutiendrons tous, peu importe la situation, tu le sais bien. »


Elle tourna vers lui son visage qui ne perdait à aucun instant son sourire.


« Vous en avez vécu des choses, tous les deux. Et il vous reste encore tellement à découvrir... »


Il hocha la tête lentement, partageant son avis.


« Tu en as tant fait pour elle, je ne pourrais jamais suffisamment te remercier.

– Je n'ai pas vraiment fait grand chose... Elle a aussi été là pour moi lorsque j'en avais besoin, je ne l'oublie pas. Je ne fais que remplir mon rôle ; je l'aime, et j'ai envie de faire ça pour elle, c'est tout. »


Elle laissa s'échapper un léger rire qu'elle estompa en plaçant une main gantée devant sa bouche, comme le ferait toute duchesse distinguée de son rang.


« Je suis ravie qu'elle t'ait rencontré plutôt qu'un autre » déclara-t-elle enfin avant de s'éloigner quelque peu de lui, voyant un individu arriver d'un pas rapide dans leur direction.


L'homme portait une tenue blanche, et gardait quelques stylos dans la poche extérieure de sa veste, et un badge affichant son nom y était aussi suspendu. Ses chaussures grinçaient d'une manière assez désagréable à chaque pas qu'il faisait sur le linoléum du couloir.

Il se releva immédiatement, prêt à accueillir les nouvelles qu'il lui apportait. Il lui demanda simplement de le suivre jusqu'à la pièce où elle l'attendait. Une certaine appréhension l'envahit, il parvenait difficilement à savoir s'il s'agissait là d'une inquiétude ou d'une joie incommensurable. Sitôt eut-il passé le seuil de la chambre qu'il se précipita à son chevet. Il la trouva assise dans le lit, un coussin confortable glissé dans son dos. Elle aussi avait des cernes sous ses splendides yeux bleus qui lui parurent tant fatigués après l'effort qu'elle avait dû fournir. Mais malgré cela, elle était resplendissante, la joie débordait de son visage.

Dans ses bras, elle portait un petit paquet de tissus, qu'elle gardait serré contre sa poitrine. Lorsqu'il s'approcha d'elle, elle ne put trouver les mots à lui dire, et seul un sourire se forma sur ses lèvres. Quant à lui, encore sous le choc de la surprise, du bonheur et du soulagement, son regard était hagard, et des larmes de joie intense commencèrent à lui monter aux yeux. Il approcha ses mains, ne sachant pas comment s'y prendre, et elle finit par le lui tendre afin qu'il le prît à son tour dans ses bras.


« Raphaël, elle est enfin là, murmura-t-elle. Dieu merci, elle est enfin arrivée. »


Il acquiesça, et serra les dents, espérant que cela l'aidât à ne pas pleurer.


« Tu as bien travaillé, Marie » dit-il à sa femme en lui déposant un tendre baiser sur son front.


Puis il se tourna vers l'enfant qu'il tenait dans ses mains, ce minuscule enfant qui était le leur.


« Cela fait tellement longtemps que je veux te dire ça, souffla-t-il, sa voix étouffée par l'émotion. Bienvenue parmi nous, Hélène. »


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