Les troubles de l'adolescence

Chapitre 13 : Une page qui se tourne

Chapitre final

2732 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/03/2021 01:24

Chapitre 13 : Une page qui se tourne


Seule dans sa chambre, Akané laissait libre cours à son chagrin. Les sanglots se succédaient sans qu’elle parvienne à reprendre son souffle. Pour la première fois de sa vie, elle avait quitté le lycée avant la fin des cours sans se soucier d’inquiéter ses amis ou sa famille. En rentrant chez elle au pas de course, elle s’était enfermée, ignorant les regards anxieux de sa sœur et de son père. Elle avait besoin d’extérioriser sa peine et sa détresse avant de faire le point. Lentement, ses pleurs se calmèrent et elle put repenser à la scène à laquelle elle venait d’assister. Ranma avait semblé si nerveux ce matin et il avait quitté la classe si rapidement qu’elle n’avait pu s’empêcher de s’inquiéter. Elle avait vu Ryoga sortir de la salle et prendre le même chemin que son fiancé. Curieuse, elle les avait suivis. Leur comportement était étrange depuis quelques temps. Elle en avait parlé avec Nabiki et celle-ci lui avait confirmé ce qu’elle pressentait : les deux garçons cachaient quelque chose. Elle avait donc grimpé à pas feutrés les marches qui menaient au toit de l’école, se sentant comme un détective en herbe.

En s’approchant de la porte, elle avait entendu des éclats de voix. Stupéfaite par la tournure que prenait la conversation, elle tentait de comprendre mais certains mots n’étaient que murmurés et elle n’en saisissait pas le sens. Elle entendit pourtant clairement Ryoga reprocher à Ranma de la tromper puis ce dernier avouer qu’il était amoureux d’elle. Son cœur bondit dans sa poitrine à ces mots, juste avant qu’il n’ajoute qu’il tenait autant à Ryoga qu’à elle. Avant qu’elle n’ait le temps de comprendre toutes les implications de cette phrase énigmatique, le vagabond s’approchait de son fiancé et lui donnait un baiser. Elle regarda avec horreur Ranma saisir la nuque de son compagnon et l’embrasser à pleine bouche, laissant échapper un gémissement pathétique. Elle ne vit pas Ryoga mettre fin au baiser, elle était déjà repartie en courant, manquant s’écraser au bas des marches.

À présent calmée, elle cherchait à analyser ce qu’elle avait vu. On frappa à sa porte et la voix de Kasumi traversa la mince cloison :

—    Akané, est-ce que tout va bien ?

—     Oui, répondit-elle. Tout va bien. Excuse-moi de vous avoir effrayés papa et toi.

Elle ouvrit la porte et offrit un sourire rassurant à sa sœur, malgré ses yeux rougis.

—    Je me suis disputée avec Ranma mais ça va. On règlera ça ce soir.

—    Tu es sûre que tout va bien ? insista Kasumi.

Akané avait une mine horrible et elle avait pleuré si longtemps! La jeune femme était follement inquiète pour sa sœur.

—    Ça va. Fais-moi savoir quand Ranma sera revenu.

La jeune femme hocha la tête et referma la porte.

Ranma ne tarda pas à rentrer. Il avait constaté l’absence de sa fiancée en début d’après-midi, dès la reprise des cours. Inquiet, il s’était éclipsé et avait pris le chemin du dojo. Il fut accueilli par une Kasumi au regard troublé.

—    Il s’est passé quelque chose ? demanda-t-il aussitôt.

—    Je ne sais pas Ranma, c’est moi qui devrait te poser la question. Akané est revenue en pleurs du lycée et s’est enfermée dans sa chambre. Elle m’a dit que vous vous étiez disputés.

Le jeune homme resta interdit tandis qu’une angoisse sourde s’insinuait en lui. Il se dirigea sans tarder vers la chambre de la jeune fille et frappa en prononçant doucement son prénom. Elle lui demanda d’entrer et il pénétra dans la pièce. Akané était assise sur son lit, la mine défaite, un air bravache sur le visage et il se demanda ce qu’il avait bien pu faire pour la mettre dans cet état.

—    Ça ne va pas ? demanda-t-il en s’installant à ses côtés.

Elle tourna vers lui des yeux brillants avant de demander :

—    Ryoga n’est pas avec toi ?

—    Pourquoi tu me demandes ça ?

L’angoisse qui l’avait étreint quelques instants auparavant refaisait surface. Il devait se tromper, elle ne pouvait pas savoir.

—    Je vous ai vu sur le toit, répondit-elle d’une voix claire.

Il sentit le sol se dérober sous ses pieds tandis que son cœur se serrait si fort qu’il en eut le vertige. Il eut l’envie irrationnelle de tout nier en bloc, comme un gamin pris sur le fait.

—    Ce n’est pas ce que tu crois, dit-il dans une tentative désespérée d’éviter le drame qui se profilait.

—     Vraiment, et qu’est-ce que je crois ?

Il soupira.

—    Tu crois qu’on est ensemble.

—    Et ce n’est pas le cas ?

—    C’est… compliqué.

—    C’est toujours compliqué, répondit-elle, philosophe.

Elle laissa le silence s’installer avant de poser la question qui lui rongeait le cœur.

—    Tu préfères les garçons ?

Ranma sursauta.

—    Non !

Elle le dévisagea, interdite.

—    Alors, pourquoi tu embrasses Ryoga ?

—     Ça s’est fait comme ça. Je n’sais pas.

—     Etre une fille la moitié du temps te perturbe peut-être ? tenta-t-elle d’expliquer.

—    C’est pas ça…

Comment expliquer ce qu’il ne comprenait pas lui-même ? Frustré, il sentait l’énervement le gagner.

—    On s’est laissé emporter.

Tu parles d’une explication !

—    Je crois qu’on devrait rompre nos fiançailles, finit par dire la jeune fille.

Ranma ferma les yeux douloureusement. Il fallait qu’il soit honnête avec elle, pour une fois.

—    Je ne suis pas sûr... avoua-t-il.

—    Moi non plus, mais on est si jeunes ! Nos parents nous ont fiancés sans nous demander notre avis, je n’ai jamais eu de petit ami et toi non plus. Je t’aime… beaucoup mais de ton côté, tu hésites. Peut-être que c’est seulement un égarement temporaire, peut-être que c’est juste de la curiosité, peut-être que c’est plus que ça !

Elle tourna vers lui ses beaux yeux bruns. Ils brillaient si fort qu’il sentit son cœur se serrer. Il la trouvait belle et courageuse et il s’en voulait tellement de lui faire subir tout ça.

—    Je suis désolée, s’entendit-il prononcer.

—    Je ne suis pas vraiment en colère. Enfin, si… Je suis triste, je suis bouleversée, j’ai envie de hurler aussi. Mais ce n’est pas à toi que j’en veux. Il faut que tu comprennes que je ne peux pas continuer comme ça et que ce n’est pas contre toi. C’est à toi de trouver tes réponses, à toi de découvrir qui tu es et ce que tu veux. Je ne te promets pas que je t’attendrai toute ma vie mais je peux t’attendre quelques temps. Fais tes expériences et quand tu en auras fait le tour alors, viens me voir.

Elle lui souriait tendrement, essayant de dissimuler sa tristesse et il se dit qu’il était le pire garçon que la Terre ait jamais porté. Il avait une fiancée sublime, douce, intelligente, compréhensive… Elle faisait preuve d’une maturité incroyable et il ne faisait que la blesser en hésitant. Elle avait raison, elle n’avait pas à endurer son indécision. Il s’approcha et déposa un léger baiser sur ses lèvres.

—    Merci Akané.

— Ne crois pas que je ne vais pas faire mes propres expériences moi aussi.

Il se força à sourire et quitta la pièce le cœur lourd. Une page venait de se tourner et il ne s’en sentait pas soulagé. Il avait l’impression de laisser son enfance derrière lui. Etre le fiancé d’Akané avait été confortable en un sens : on avait choisi pour lui une jeune fille adorable qu’il avait appris à aimer. Mais sa passion pour Ryoga lui avait ouvert d’autres horizons qu’il se devait d’explorer.

Assise sur son lit, Akané souriait comme un brave petit soldat mais les larmes débordèrent lorsque la porte se referma sur Ranma. Elle l’avait laissé partir et le regrettait déjà.

Sans attendre, Ranma se dirigea vers le lycée. Les cours prendraient bientôt fin et il était décidé à intercepter Ryoga à la sortie. Il le trouva en grande discussion avec Koko et son cœur se serra. Il venait de rompre avec Akané et il tremblait à l’idée d’avoir pris la mauvaise décision. Il se dirigea droit vers son ami et le coupa en plein milieu d’une phrase. L’air ravi des deux tourtereaux l’agaçait et il demanda, d’un ton plus sec qu’il ne l’aurait voulu :

—    Je peux te parler, tout de suite ?

—    Ça peut pas attendre cinq minutes ?

Ryoga aussi était à fleur de peau. Ranma avait disparu ainsi qu’Akané et il n’avait pu s’empêcher de ruminer la majeure partie de l’après-midi, imaginant le pire.

—    C’est urgent.

—    Si c’était si urgent, tu aurais dû m’en parler en cours. Ah non, c’est vrai ! Tu avais quelque chose de plus important à faire !

Koko écoutait la conversation d’un air de plus en plus interdit.

—    S’il te plait.

Le ton grave de son ami calma Ryoga. Il soutint le regard de l’autre garçon, essayant en vain de deviner ses pensées puis se tourna vers sa petite amie.

—    On se voit plus tard ?

Elle acquiesça, visiblement déstabilisée et regarda les deux jeunes hommes partirent ensemble.

—    De quoi tu veux parler ? demanda Ryoga au bout de quelques mètres.

—    J’ai parlé avec Akané, elle sait tout.

Ryoga se figea, obligeant Ranma à s’arrêter lui aussi.

—    T’as dit quoi, là ?

Le vagabond était pâle comme la mort. Plusieurs pensées s’entrechoquèrent en lui : la honte qu’Akané ait découvert qu’il couchait avec son fiancé, la peur qu’elle raconte ce secret à quelqu’un d’autre puis enfin, puissante, l’angoisse qu’elle ait demandé à Ranma de choisir. Car il était certain que Ranma la choisirait, elle. Comment pourrait-il rivaliser avec la belle Akané ? Il la trouvait si parfaite !

—    Elle a parfaitement compris ce qui se passait. Elle m’a demandé de rompre les fiançailles.

—    Tu as refusé ?

—    Non, j’étais d’accord avec elle.

—    Quoi ? Mais t’es malade, vas t’excuser !

Ranma le fixa, surpris.

—    Vas lui dire que tu es désolé ! C’est pas trop tard !

—    Mais, commença Ranma, comment tu peux dire ça ?

—    C’est ridicule ! Entre elle et moi, c’est elle qu’il faut choisir !

—    Mais pourquoi ? Parce que c’est une fille ?

—    Parce que c’est Akané !

—    Ecoute Ryoga, je peux pas continuer comme ça, à te voir dans son dos. Elle mérite pas ça et toi non plus. Si tu préfères être avec ta petite amie, je comprendrais, dit-il avec une grimace douloureuse, si tu veux essayer de draguer Akané maintenant qu’on est séparés, je pense que je t’en empêcherai parce que… parce que je crois que j’ai encore des sentiments pour elle et que je supporterais pas de te voir avec elle mais…

Il se passa une main fébrile dans les cheveux, relevant sa longue mèche et dégageant ses yeux noirs. Il fixa Ryoga d’un air à la fois décidé et désespéré.

—    Je peux pas me passer de toi.

Cet aveu lui avait coûté. Il avait l’impression de jouer sa vie sur un coup de dé. Ryoga allait l’envoyer balader, c’était certain. Il allait se tirer avec Koko ou pire, consoler Akané. Ranma avait envie de vomir. Sa poitrine lui faisait mal et il songea avec ironie qu’il préférait mille fois l’époque où Ryoga le cognait à la moindre occasion afin de racheter son honneur perdu.

—    C’est fou, t’es dingue, l’entendit-il murmurer. On est tous les deux complétement cons…

Il se rapprocha de Ranma puis lui envoya un coup de poing dans l’épaule avant de le saisir par le col et de le coller contre un mur.

—    T’as intérêt à être sûr de toi !

—    Je suis sûr de rien, grimaça le jeune homme. Tout ce que je sais, c’est que j’ai envie de toi. Toujours.

Les yeux dorés du vagabond se voilèrent et il répondit d’une voix légèrement rauque :

—    On fait quoi maintenant ?

—    Comme avant, si ça te va. Sauf que je n’ai plus de fiancée et que toi, tu as une copine.

—    Je crois pas que ça va durer, souffla Ryoga. Je pense à toi quand je suis avec elle.

Ranma eut un rire triste et plongea dans le regard jaune qui l’attirait tant.

—    Alors quitte-là. Tu vas lui faire du mal.

—    Je vais le faire. Viens chez moi ce soir.

—    Si tu veux…

Le vagabond lâcha le jeune homme à la tresse et le dévora des yeux. Ils prirent le chemin de la maison d’un pas rapide, priant pour que M. et Mme Hibiki se soient perdus quelque part. Dans la lumière de plus en plus rouge du soleil couchant, Ranma songeait à son avenir avec anxiété. Il allait falloir annoncer la fin de ses fiançailles à Genma Saotomé et à Soun Tendo. Il faudrait aussi sans doute quitter le Dojo. Peut-être pourrait-il annoncer la vérité sur ses métamorphoses à sa mère et débuter une nouvelle vie auprès d’elle ? Ou alors vivre seul et s’assumer ? Il ne prenait pas un chemin facile, il avait renoncé au confort de la route déjà tracée pour lui par son père et s’élançait sur le chemin de la liberté. C’était exaltant et effrayant tout à la fois. Il n’avait peut-être pas fait le bon choix, il n’y avait sans doute pas de mauvaise option non plus. Il avait fait son choix. Pour la première fois de sa vie, il se sentait adulte.

Il suivait la silhouette élancée de Ryoga sur ce chemin semé d’embûches qu’il avait décidé d’emprunter. 


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