Fleurs de plumes
Chapitre 10 : Les fruits de la quête
1583 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour il y a 6 mois
Les « rencontres intéressantes » sur le chemin du retour se limitèrent à un escroc qui exigeait une somme indécente pour avoir simplement gardé un dirigeable un peu plus longtemps que prévu en pension, à un nuage orageux (souvenir désagréable) et à une nuée d’oiseaux multicolores (souvenir agréable, sauf concernant le guano sur le pont). Et, finalement, Fabrix se retrouva devant son échoppe, trois plumes colorées en poche. Il était rentré.
Après avoir rangé ses affaires, il envoya une lettre (le prix des timbres avait augmenté, non ?) dans laquelle il informait Master Lord Majesty qu’il souhaitait parler affaire. La queue aux audiences était bien trop longue, et l’odeur du business devrait être assez alléchante pour faire sortir le matou de sa tanière. Pour ce qui était de ses associés et de ses clients réguliers, Fabrix avait passé un coup de plume à certains d’entre eux pour leur dire qu’il était en route et qu’il comptait sur eux pour transmettre la nouvelle. Fabrix attendait avec impatience que Rory et sa famille viennent le voir.
« C’est vraiment pour moi ? »
La petite avait les yeux rivés sur la plume bleue.
« Oui, c’est pour toi, Iza. Pour ce qui est des parchemins bleus, je peux en faire aussi mais ils ne sont pas très pratiques pour faire de la magie. Même s’ils peuvent servir pour des pliages. La plume, par contre, c’est une vraie plume bleue magique.
– Mais tu es sûr que je peux la garder, m’sieur Fabrix ?
– Oui, je te dis. Elle est pour toi. C’est grâce à tes jolis pliages que j’ai pu la rapporter, après tout. Prends-en soin, elle est très précieuse.
– Mhm. »
Toujours aussi émerveillée, Iza faisait tourner et retourner la plume entre son pouce et son index. Songeuse, elle souriait.
***
« Mon cher pioupiou, j’ai reçu ta lettre et je suis ravi d’apprendre que tu as su faire fructifier les dons dont je t’ai gratifié lors de notre dernière entrevue. Tu le sais, tous les sorciers de l’Artemis sont pour moi comme mes enfants, et Papa est toujours heureux de voir ses poussins prendre leur envol. Surtout lorsqu’ils sont travailleurs, et de bons contribuables, et de bons débiteurs. Alors, il paraît que tu souhaites faire part d’affaires intéressantes à la généreuse majesté que je suis… »
Fabrix leva les yeux vers le trône gigantesque depuis lequel le souverain de l’Artémis l’observait. La première fois, il s’était dit que le trône était mal proportionné, et que le chat y semblait plus minuscule qu’autre chose. Avec l’expérience, il se disait au contraire que le trône était probablement trop petit pour contenir pareil ego.
« Tout à fait, gloriosissime Master Lord Majesty. Il me semblait normal de venir vous faire profiter des bénéfices de mon voyage au pays des chevaliers-sorciers.
– Oui, oui. C’est le bon esprit. Ici, à l’Artémis, l’objectif est de mettre nos efforts en commun pour avancer vers un avenir radieux !
– Moyennant finance, puisque tout travail mérite salaire.
– Évidemment ! Je suis content de voir que l’esprit de notre bel Institut a… qu’est-ce que c’est ?
– Une plume, Sire.
– Une plume ?
– Oui. Une plume d’arbre plumifère, mais pas n’importe quelle plume.
– Ah oui ?
– Bien sûr. Voyez-vous, cette plume a été cueillie telle quelle sur un arbre au sud de Cyfandir, le seul spécimen connu au monde sur lequel poussent des plumes naturellement colorées.
– Vraiment ?
– C’est on ne peut plus vrai. N’allez pas croire qu’il s’agisse d’une vulgaire plume teinte, non, non ! Je sais bien que rien ne peut abuser vos yeux et n’irais jamais vous mentir sur ce point. Vous le savez, la teinture raidit la plume, puisque les pigments viennent s’accrocher à ses fibres. Or vous pouvez constater que les fibres de cette plume sont parfaitement légères et souples, c’est donc bien leur couleur véritable. Admirez un peu cette teinte jaune, ces reflets dorés ! Montée en parure, elle serait splendide : ses tons ne s’accorderaient-ils pas à merveille avec votre teint ?
– Certes…
– Mais ce n’est pas tout ! On peut sentir de loin la facilité avec laquelle elle accroche le Fantasia. Voyez ces étincelles qui semblent jaillir d’elle dès qu’on l’agite un peu !
– En effet…
– Il n’y a pas de doute possible : elle a des propriétés magiques hautement supérieures à celles des simples plumes blanches. Qui sait ce qu’on pourrait en faire, quels artefacts et potions extraordinaires on pourrait en tirer ; peut-être même que son étude mènerait à des pistes vers la guérison des infections !
– Ce n’est pas impossible…
– Et songez bien, ô astre de cette ville volante, qu’il n’y a aujourd’hui que trois, seulement trois, plumes de cette sorte présentes dans votre auguste cité. Je les y ai rapportées moi-même, après les avoir péniblement obtenues en Cyfandir. Car les habitants de ces contrées, gardiens de l’Arbre Coloré, exigent que l’on se soumette à de véritables épreuves pour espérer devenir le possesseur d’un de ces miracles de la Nature, ces plumes hors du commun, ces fleurs de plu…
– Oui, oui, j’ai compris, vilain oisillon. Inutile de me faire perdre plus de temps en palabres. Combien veux-tu pour ta plume ?
– Eh bien, le montant actuel de mes dettes me semble une somme plus que raisonnable… »
***
Les affaires avaient repris leur train habituel : cuves bouillonnantes, filtres, cadres de séchage et visites de clients. Fabrix savourait le plaisir d’être pleinement propriétaire de sa boutique : rembourser sa dette en moins de cinquante ans était une chose plus que rarissime sur l’Artémis. En revanche, il avait l’impression que les services de la ville avaient doublé de prix… pour lui uniquement. Enfin, il fallait s’y attendre. Iza continuait de venir faire de l’origami dans son atelier et à l’aider dans son travail. Elle était d’ailleurs encore plus enthousiaste lorsqu’il s’agissait de créer des parchemins et voulait désormais participer à la conception de nouveaux papiers de plume colorés. Fabrix n’en produisait pas beaucoup : ils avaient peu de succès à la vente au vu de leur manque d’efficacité en matière de sorcellerie. C’était plutôt leur passe-temps à tous les deux, même si d’aucuns diraient que c’était gâcher des plumes. Mais ça leur convenait très bien. Après les papiers unis, ils s’essayaient à en faire avec des motifs, ce qui était autrement plus compliqué. En guise de salaire, Iza se gardait quelques-unes des feuilles produites.
Il avait organisé une petite fête pour célébrer simultanément son retour, le remboursement de son crédit et l’acquisition des plumes colorées. Akrid s’était déplacé spécialement pour l’occasion, lui qui n’avait encore jamais mis les pieds à la boutique. Doubledor, de son côté, s’était lancé dans un long exposé sur l’histoire de Cyfandir et de ses traditions : déformation professionnelle. Chacun l’avait laissé pérorer pour se tourner vers le buffet. Fabrix avait raconté quelques anecdotes sur un champ de fleurs magiques, des paroles bullesques ou une forêt noire, avant de passer une bonne heure à refuser continuellement qu’Abulé utilise sa plume rouge comme engrais pour ses roses. Malausine, enfin, annonça qu’elle comptait se rendre elle aussi en Cyfandir, et voir cet arbre de ses propres yeux. À la fin de la soirée, Fabrix avait solennellement placé la plume rouge dans la vitrine de sa boutique, où elle trônait désormais, entourée de quelques animaux en origami et des petits vases où Fabrix disposait ses fleurs chaque matin. Cette nouvelle devanture lui avait valu des compliments de la part de ses clients pendant plusieurs semaines.
Enfin, les parents d’Iza avaient fait monter sa plume bleue sur une pique à cheveux qu’elle portait avec beaucoup de fierté. Elle disait qu’avec ça, elle se sentait plus grande. À eux deux, ils avaient refait une miniature volante et un soir, avec l’autorisation d’Akrid, ils allèrent la lâcher dans le Vivarium à Némésis.
« Dis, m’sieur Fabrix…
– Oui ?
– Tu crois qu’ils vont aimer ?
– Qui ? Les Némésis
– Oui. Et les arbres aussi.
– Je ne sais pas. Peut-être.
– Et tu crois qu’un des arbres ici pourrait donner des plumes colorées un jour ?
– Ça… La floraison des arbres plumifères reste un mystère.
– Mais ce serait bien.
– Oui, ce serait bien. »
Iza resta un moment à regarder les grandes bêtes de l’autre côté de la vitre.
« Dis, m’sieur Fabrix…
– Oui ? »
L’enfant tourna la tête et plongea ses yeux dans ceux du sorcier.
« Si les plumes colorées sont les fleurs des arbres à plumes, à ton avis, c’est quoi leurs fruits ? »
FIN