L'Ami du Miroir
Ceci n’est pas une histoire que l’on devrait raconter…
Et pourtant, aujourd’hui encore, il se l’était racontée. Du début jusqu’à la fin.
C’était un adulte, un scientifique, un « méchant ». C’était aussi un homme tellement pitoyable qu’il n’arrivait pas à oublier une histoire alors que le temps qui le séparait de sa fin était bien plus grand que celui qui séparait son début à sa naissance.
Un homme tellement pitoyable qu’il devait se retourner vers le gamin qu’il était autrefois pour décider ce qu’il devait être aujourd’hui. Et à deux reprises, qui plus est !
Il a tellement changé.
Il a grandi. Il a pris le nom de Desmond Sycamore qu’il avait jugé si stupide par le passé. Il a vendu sa maison et est allé faire des études ailleurs. Et il est vraiment devenu un célèbre professeur d’archéologie. Il a rencontré plein de gens. Il a fait tellement de bêtises.
Et puis, comme il avait l’impression qu’il manquait toujours un fragment de lui-même, comme il avait perdu beaucoup trop de choses ; comme il recommençait à haïr tout ce qui l’entourait, comme il n’avait pas envie de se haïr…
Il savait que ce choix était fait depuis le début.
Il est devenu l’Ami du Miroir ; en s’habillant comme lui, en imitant sa personnalité. Que personne ne vienne plus jamais lui dire qu’il n’existe pas et qu’il ne vit que dans son imagination !
Et il a choisi le nom de Jean Descole. Peut-être parce que c’était le nom même de l’auteur qui avait écrit ce dernier livre. Celui qui l’avait tant marqué. Celui qu’il n’aurait jamais dû terminer…
Et il a continué à vivre et à faire des choses stupides.
Le bien. Le mal. Il n’a jamais réussi à unir les deux en lui.
Cinq ans, et dans une période aussi sensible de sa vie. Il était impossible de récupérer ce qui était fait et de faire demi-tour. Tout avait été joué le jour où l’Ami du Miroir est apparu dans sa vie. Il a ruiné sa psychologie ce jour-là. Il s’est divisé en deux par ce miroir.
Appelez cela schizophrénie si vous le voulez ; il préférait un mot plus simple. Stupidité.
Mais était-ce vraiment de sa faute ?
Enfouis sous une épaisse couverture, dans une pièce qui était bien différente de celle qu’il avait lorsqu’il était enfant, il se levait rarement une fois l’histoire terminée. Mais à ce jour précis, il y avait un tout petit détail qui changeait les choses.
Il avait installé un miroir dans sa chambre.
Il se leva et fit quelques pas alors que sa silhouette commençait à se dessiner sur la glace. Ce qu’il voyait devant lui, ce n’était rien d’autre que le reflet d’une personne qui était censée être lui.
« Comment suis-je censé t’appeler ? » Murmura-t-il d’un air las à l’intention de lui-même.
Et, bien entendu, il ne reçut pas de réponse !
Alors il sourit.
« Il m’appelait Hershel, tu sais. »
Il avança et posa sa main sur le miroir. Ce n’est pas comme ci quoi que ce soit allait apparaître de toute façon. Des miroirs, il en avait vu des centaines pendant sa vie, mais celui qui y vivait n’était jamais revenu.
Alors il secoua la tête, et se dit qu’il était vraiment stupide de réfléchir comme ça à son âge. Et que ceux qui le voyaient toujours et l’admiraient en tant que professeur et archéologue ou ceux qui le craignaient en tant qu’impitoyable et machiavélique génie de l’ombre, seraient vraiment surpris de le voir à l’instant.
Mais qui se souciait de l’avis d’une personne assez stupide pour l’admirer ou le craindre ?
« L’Ami du Miroir n’est pas l’ami du miroir », dit-il avec un sourire qui mêlait mépris, nostalgie, amusement et lassitude. « C’est mon Ami qui vit dans un miroir. »
Sa main retomba.
« Mais si un jour, j’apprenais qu’il ne vivait pas dans son miroir mais en moi, est-ce que cela voudrait dire que ce nom est vraiment inapproprié ? Je devrais peut-être le rebpatiser, parce qu’en fait, l’Ami du Miroir, et depuis le début n’est rien d’autre que… »
Il regarda son reflet à nouveau.
« Mon Ami à Moi, et à moi seul. »
***********
Il resta là quelques secondes, ce sourire stupide sur son visage, puis lentement, porta le regard à l’horloge murale.
Encore une fois, il avait perdu une petite demi-heure avec des niaiseries.
Le miroir, le rêve, l’illusion et tous ses problèmes, ce n’étaient que des enfantillages. Il avait grandi, ses soucis n’étaient plus ceux d’un enfant de treize ans, et c’est pour cela qu’il devait passer à autre chose.
Il avait une organisation criminelle à détruire, une civilisation à découvrir, et une vengeance à réaliser.
Et c’est pour cela qu’il avait acheté ce miroir, et s’était promis de ne plus jamais repenser à cette histoire. Aujourd’hui serait la dernière nuit. Et plus jamais, jamais, il n’allait repenser à lui.
« Adieu », lança-t-il d’un air mélancolique.
Puis il tourna le dos et alla dormir.
Fin