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Professeur Layton et l’appel du spectre.
Sans titre numéro 6 :
Arianna Barde pénétra dans sa chambre. Une douce odeur de bois y régnait, probablement celle des nouveaux meubles que les villageois lui avaient offerts pour fêter son rétablissement.
Arianna était une petite fille orpheline, mais elle n’était pas seule. Elle avait son frère Tony et tous les habitants de Misthallery étaient ses amis. Elle ne manquait presque de rien. Presque.
Elle avança vers la seule pièce qui n’avait pas été changée dans sa chambre : son piano. Ses doigts se posèrent sur les touches et appuyèrent doucement. Pendant une minute, elle joua une mélodie qui ressemblait à celle qu’elle jouait avec la flute pour apaiser Loosha.
Le son d’une mélodie émanant d’un vieux piano, les rayons du soleil frappant contre de nouveaux meubles frais, une belle jeune fille souriante. N’importe qui aurait pu croire que tout allait bien.
Mais ce n’était pas le cas.
Soudain, les doigts d’Arianna se crispèrent. Le piano produit un son confus et aigu. Elle perdit son équilibre, et tomba sur ses genoux, laissant une larme glisser sur sa joue et s’écraser sur le sol.
Arianna n’était pas malheureuse.
Elle avait une vie paisible, des amis, un frère remarquable. Tout allait bien. Et pourtant, elle était là en train de pleurer en crispant les poings. Elle pleurait pour une raison plus… catégorique, et elle aurait accepté tous les supplices psychologiques qu’on pourrait infliger à quelqu’un pour qu’on la débarrasse de son unique souffrance.
La douleur physique.
Elle avait mal, terriblement mal. Elle se mordait les lèvres et serrait les poings pour ne pas crier, et essayait en vain d’étouffer ses larmes car elle ne voulait pas faire peur à son frère. Elle sentait la douleur sortir de son cœur et se propager dans tout son corps, la rendant incapable de bouger.
Il y a quelques jours seulement, son médecin certifia qu’elle était complètement guérie. Tout le monde était heureux, elle la première. Mais depuis, pour une raison qui lui était complètement inconnue, il lui arrivait de temps en temps, sans raison et sans prévenir, ce qui venait de lui arriver à l’instant. Une douleur atroce provenant de nulle part. Elle ne durait que quelques minutes avant de se dissiper, mais ces quelques minutes suffisaient pour abattre la pauvre enfant.
C’était sans doute à cause de sa maladie. Peut-être n’était-elle pas complètement guérie, après tout ? Elle songea à en parler à son médecin, mais y renonça immédiatement. N’avait-il pas dit qu’elle était rétablie alors que ce n’était pas le cas ? Il ne savait rien du tout et Arianna ne lui faisait plus confiance.
En parler à l’un des villageois ? Non, ce n’était pas une décision sage non plus. Ils avaient d’autres priorités dans leurs vies, pourquoi se soucieraient-ils d’elle ?
Et en parler à Tony ? Jamais ! Son petit frère avait tant fait pour elle ; ça serait juste l’inquiéter pour rien.
Pour la première fois dans sa vie, Arianna comprit ce que voulait dire souffrir seule. Elle n’avait pas d’autre choix que d’endurer cette douleur abominable, hantée par elle et attendant sa venue à tout instant. Pire, elle devait la cacher, faire en sorte que personne ne s’en rende compte.
Parfois, elle entendait des villageois rouspéter et se plaindre de ce qu’ils osaient appeler « des problèmes ». Elle se contentait de tourner le dos en soupirant. Savaient-ils tout ce qu’elle était prête à faire pour échanger sa douleur contre les leurs ?
Peu à peu, la douleur s’estompa. Arianna tremblait encore, les gouttes de sueur sur son visage mélangées aux larmes qu’elle n’a pas pu arrêter. Elle se leva. Il fallait qu’elle continue de jouer avec son piano, de faire semblant que tout allait bien. Même si au fond d’elle-même, elle était brisée en mille morceaux.
Si la douleur physique aux yeux de l’ancienne amie de Loosha était pire que la douleur psychique, c’est car la douleur physique engendre toujours, toujours, la douleur psychique. Et c’est dans ce tourbillon sans fin que vivait Arianna Barde.
Elle reprit la mélodie là où elle l’avait arrêtée. La façon dont elle jouait à présent était médiocre, mais tant pis.
La question qu’elle se posait à l’instant était purement rhétorique.
« Y a-t-il pire dans la vie que la douleur physique ? »