Professeur Layton et l'ultime énigme
« Mère est si sévère ! Pourquoi m’interdit-elle d’aller au jardin la nuit ? Ça doit être si beau ! », se plaignit une petite fille à son amie.
« Voyons, Flora, c’est ta mère et elle ne veut que ton bien ! »
« Je ne lui ai jamais demandé de chercher mon bien, moi ! Je veux juste qu’elle me laisse jouer dans le jardin ! »
L’autre fillette lui sourit doucement.
« Tu sais, Flora, tu as beaucoup de chance. Moi, si j’avais une vraie mère, je ferais tout ce qu’elle voudrait et je serais très heureuse ! »
« Ah bon ? Même si elle t’empêchait de jouer avec moi ? »
L’enfant hésita un instant, surprise par cette question.
« Euh… je pense que… tu poses la mauvaise question ! »
L’autre éclata de rire.
« Haha ! Tu es une si mauvaise perdante, Lopy ! Avoue que tu ne pourrais pas être toujours obéïssante, même à ta mère. »
Légèrement vexée, « Lopy » répondit.
« De toute façon, je n’ai pas de mère, ça ne risque pas d’arriver… »
Ce dialogue raisonnait dans la tête de Flora tandis qu’elle prononçait sa propre déclaration. Cela datait d’une dizaine d’années, mais elle s’en souvenait parfaitement.
Les grands yeux de Penelope s’ouvrirent encore plus et son corps se raidit complètement. Elle ouvrit involontairement la bouche et ses mains lâchèrent leur prise sur le vieux journal intime.
Son regard, tremblant, se dirigea vers Flora. C’était une situation vraiment ironique. Penelope, d’habitude froide et détachée, semblait complètement confuse. Flora, d’habitude fragile et sensible, affichait une détermination hors pair.
L’état de Penelope n’avait d’égal que celui de Layton et Luke. Ils regardaient désespérément la fille adoptive de Bruno, espérants qu’elle dise quelque chose, qu’elle discrédite la théorie si saugrenue de Flora, qu’elle se moque d’elle. Mais l’adolescente gardait le silence et la théorie se confirmait.
Ils avaient appris toutes sortes de nouvelles choquantes durant cette histoire, mais aucune n’était comparable à celle-ci. Aucune.
Lorsque Penelope parla, sa voix était troublée. On sentait qu’elle essayait de rester calme mais qu’elle n’y parvenait pas.
« J’espère que tu l’intention de nous expliquer. Car ce n’est sûrement pas moi qui vais le faire, et ce pauvre professeur ici présent n’y comprend rien du tout ! »
Luke était si préoccupé qu’il ne broncha même pas sur l’offense qu’elle venait de diriger vers le professeur.
« Bien sûr ! S’exclama Flora, je vais tout expliquer ! »
Ces paroles ne furent que surprendre Penelope encore plus. Elle ne s’y attendait pas, pas le moins du monde.
« Il y a une chose qui n’est pas du tout claire dans ton récit. Comment as-tu trouvé ta mère ? Tu as passé ton enfance dans un village isolé, comment as-tu eu l’idée d’aller fouiller dans les affaires d’une femme londonienne pour savoir que c’était ta mère ? »
Le professeur se demanda pourquoi une chose aussi évidente ne lui était pas passée par la tête. Il était peut-être trop occupé à réfléchir au mystère principal.
« Et alors ? Fit Penelope toujours avec le même calme forcé.
-Il n’y a qu’une possibilité, dit Flora, monsieur Bruno qui connaissait Claire (puisqu’il travaillait avec elle) a trouvé que tu lui ressemblais et, en faisant quelques recherches, il a découvert que tu étais sa fille. Et c’est grâce à lui que tu le sais. Il s’apprêtait même à le dire à Dimitri dans sa dernière lettre mais ne l’a pas fait. »
Luke regarda Penelope et se rendit compte d’une chose. Cette impression de déjà-vu qu’elle lui inspirait à lui et au professeur ne venait pas seulement de Vladimir, mais aussi de Claire. À part les yeux et les cheveux, elle avait un visage identique à celui de la défunte scientifique.
Et ceci confirmait encore plus les dires de Flora.
« Continue ! Demanda Penelope sur un ton impatient.
-Quelque temps après, monsieur Bruno a découvert que Claire avait peut-être survécu et qu’elle avait voyagé dix ans dans le futur. Mais est-ce toute la vérité ? »
À ce stade-là, même Layton ne voyait plus où elle voulait en venir.
« Ce que je m’apprête à dire n’a vraiment aucun sens, mais je dois le dire quand même. Je suis sure que c’est la vérité. »
Des gouttes de sueur glissaient sur le front de Flora et ses yeux affichaient une expression vraiment inhabituelle.
« Monsieur Bruno n’a pas pu déterminer le lieu ou l’époque exacte où Claire apparraiterait ; il a seulement pu déterminer trois lieux et trois époques respectives : Saint-Mystère, Folsense, et Londres, dix ans dans le futur avec quelques mois des différences. Tu voulais à tout prix la sauver, mais tu t’en sentais incapable, alors tu t’es arrangée pour entraîner le professeur dans ces lieux au bon moment en espérant que lui puisse la garder dans le présent. N’est-ce pas ? »
Flora était essoufflée tant elle avait parlé vite. Certaines personnes qui se promenaient dans le parc se retournèrent ; Flora alors revint s’asseoir pour ne pas attirer encore plus d’attention.
Layton et Luke restèrent bouche bée. D’accord, Flora les avait prévenue que son hypothèse était illogique, mais là…
« Comment en es-tu parvenue à cela ? Interrogea Penelope.
-Eh bien, tu insistais tant sur ta mère lorsque tu parlais tout à l’heure. Et lorsque nous étions enfants, tu aimais me décrire comment tu imaginais ta maman. Alors je ne sais pas… je n’ai pas pu m’empêcher de partir de là. J’ai eu… le pressentiment que tu avais fait ça pour ta mère… et avec les circonstances actuelles ta mère ne pouvait être que Claire… »
Flora se retourna vers Hershel.
« Je suis désolée, je sais que je n’ai ni preuve ni argument. Je ne suis pas aussi convaincante que vous, professeur. »
Il ne trouva pas quoi répondre. Et un silence crispé régna. Il ne fut interrompu que par un bruit… un bruit d’applaudissements…
Luke, Layton et Flora levèrent les yeux pour voir Penelope qui frappait ses mains l’une contre l’autre.
« Bravo, Flora, dit-elle, je suis surprise, très surprise, ce que tu viens de dire est simplement la vérité pure et entière. »
Et elle se leva.
« Je n’ai rien à contredire, rien à ajouter. C’est parfaitement comme ça que ça s’est passé. »
Et pour la toute première fois, le visage de Penelope s’illumina d’un sourire sincère. Sa voix n’était ni froide, ni colérique, ni moqueuse. Elle était seulement douce et chaleureuse. Si elle avait sourit ainsi plus tôt, ils auraient immédiatement deviné qu’elle était la fille de Claire, tant la ressemblance était frappante.
« Eh oui ! Reprit-elle, le lien entre les trois piliers, professeur, c’est simplement une enfant qui cherchait désespérément à sauver la personne la plus précieuse de sa vie : sa mère. C’est ce désir qui vous a fait vivre ces trois aventures si impressionnantes. »
Le professeur la regarda. Il venait d’avoir l’interprétation de son rêve !
Mais, brusquement, le sourire de Penelope s’estompa et elle reprit son air neutre. Comme si elle regrettait d’avoir montré ses émotions.
« Bien, dit-elle en évitant de les regarder, maintenant que vous savez tout, je n’ai plus rien à faire ici ! »
Et elle tourna le dos pour partir comme elle l’avait fait tant de fois auparavant. Mais cette fois-ci, le professeur l’arrêta.
« Où comptes-tu partir comme ça ? »
Elle tourna légèrement la tête.
« Ce ne sont pas vos affaires !
-Si ! Tu n’as aucune famille et tu es trop jeune pour vivre seule, s’opposa Hershel, mon devoir m’empêche de te laisser partir ! »
Penelope tourna à nouveau la tête.
« Je ne vous ai rien demandé ! »
Elle avança d’un pas mais fut retenue par une main qui agrippait fermement son poignet.
C’était Flora, et elle avait les yeux remplis de larmes.
« Lopy ! Tu m’abandonnes de ton plein gré, cette fois-ci ! »
Penelope ne répondit pas, mais elle se retourna vers le professeur.
« Que me proposez-vous ?
-Viens vivre avec nous, suggéra Hershel, Flora sera heureuse, et je suis sûr que c’est ce que Claire aurait voulu que je fasse… »
Elle émit un léger rire.
« Vous ne vous rendez pas compte de la bêtise que vous vous apprêtez à faire. »
Hershel et Flora furent surpris d’une telle remarque. Mais Luke, qui était toujours assis, les bras croisés, approuva dans son for intérieur ces derniers mots. Il respectait les choix du professeur, mais ne comprenait pas comment il allait pouvoir supporter tous les jours cette Penelope Koldwin. Même s’il essayait de se convaincre que c’était meilleur ainsi, que le professeur agissait encore une fois en parfait gentleman en aidant une orpheline qui n’a plus de famille, que Flora serait heureuse…
Penelope dégagea sa poignée de la main de Flora. Et ajouta :
« Mais j’accepte. »
Ainsi, l’histoire se termina. Le petit « appartement habité par un professeur abattu et sa fille adoptive endormie » devint vite un endroit plus animé où quatre personnes vivaient.
Bien sûr, le mot « terminé » est un peu exagéré. Du moins, c’était l’avis de Luke. Même si tout avait été expliqué, deux points restaient sans réponses pour lui.
Le premier concernait Penelope. Même si elle était passée pour la petite fille gentille qui cherche à sauver une personne chère, Luke ne lui faisait pas du tout confiance. Il se posait une question on ne peut plus simple : Son objectif, à Folsense, c’était de les aider à découvrir le véritable assassin, n’est-ce pas ? Alors pourquoi ne les a-t-elle que partiellement aidés ? Pourquoi ne leur a-t-elle pas dit la vérité dès le début si elle la savait ?
Et si - admettons-le - elle ne voulait pas qu’ils découvrent l’assassin, alors pourquoi les aider un peu quand même ? Pourquoi leur donner des indices et les guider ?
Luke avait beau se creuser la tête, il ne trouvait pas de réponse.
Le second était tout à fait différent. Et il concernait le professeur…
Ce jour-là, lorsque le professeur Layton a expliqué comment Katia avait tué son grand-père et mis en scène sa propre mort (avant de se suicider pour de vrai), il avait déchiré une lettre sans même la lire. Luke voulait savoir qui était l’auteur de cette lettre.
Ce n’était pas Don Paolo, il en était sûr. Mais les deux fois où il a posé la question au professeur, celui-ci répondait simplement : « Qu’est-ce qui te fait penser que ce n’était pas une lettre de Paul ? », avant de changer vite de sujet sans même laisser le temps à son apprenti de lui expliquer qu’il était anormal que « l’ennemi juré du professeur Layton » accepte de l’aider et de coopérer, sans même parler du code secret. Comment deux personnes qui ne se voient que pour s’affronter peuvent-elles être complices au point de développer un code secret pour communiquer à travers des lettres ?
C’étaient les deux points qui intriguaient le jeune garçon. Au final, il a décidé de laisser tomber. Il doutait vraiment qu’il puisse trouver la réponse, un jour.
Et de toute façon, tout était fini, n’est-ce pas ?
Flora était heureuse de retrouver son amie d’enfance, Penelope trouvait une nouvelle famille après la mort de Bruno avec qui elle avait vécu la plus grande partie de sa vie, et Luke était satisfait (plus ou moins) de ne plus avoir à compter les levers de soleil et à attendre.Et quant à Hershel, qui serait assez perspicace pour savoir ce que cachait se parfait gentleman si flegme et si infrangible ?
Au moins, pour une fois, l’histoire allait connaître un dénouement heureux, une chose qui leur avait manqué…
Du moins, c’était ce qu’ils croyaient…
Dans un lieu inconnu, à une date inconnue, l’ombre d’une personne se faisait voir sur un mur faiblement éclairé. L’ombre d’une personne… tenant une arme…
« J’aurais dû être plus prudent !
-Oui, c’est dommage. »
Un coup de feu retentit dans l’endroit.
« Professeur Hershel Layton… l’énigme des trois piliers… fut ton ultime énigme ! »
Fin
À suivre…