Professeur Layton et l'ultime énigme
Dans la vie, il y a des choses qu’on appelle « préjugés ». Ce sont des sentiments que l’on éprouve à l’égard de certaines personnes, certains événements, sans raison précise…
Souvent, les gens préfèrent ne pas utiliser le terme « préjugé » à cause de sa connotation péjorative. Ils diront plutôt « intuition » ou « pressentiment », par exemple.
Penelope avait dit qu’elle était venue « expliquer » ces préjugés. Expliquer et non effacer…
« En ce moment, dit-elle, vous savez tout ce que vous avez besoin de savoir. Bien sûr, il reste des détails qui vous sont parfaitement inutiles… »
Et elle ajouta :
« Mais, si vous voulez les savoir, je vous les dirai. »
La réponse du professeur était on ne peut plus prévisible.
« Nous voulons le savoir. »
Penelope esquissa un sourire, comme si elle s’attendait à cette réponse. Elle haussa les épaules et se contenta de dire :
« Si c’est ce que vous souhaitez ! »
Le professeur, remarquant qu’elle restait toujours sur le seuil de la porte, lui proposa d’entrer.
« Non ! », répondit-elle sèchement.
Remarquant que sa réponse assez brusque avait choqué les occupants de la maison, elle s’expliqua.
« Je déteste les lieux renfermés. J’ai détenu un secret pendant très longtemps ; si je dois le révéler, alors ce sera dans un décor qui en vaut la peine. »
Le professeur haussa un sourcil.
« Et qu’est-ce que tu proposes ?
-J’ai remarqué qu’il y avait un charmant parc non loin d’ici, qu’en pensez-vous ? »
Il va sans dire qu’il ne fallait même pas songer à refuser.
« C’est d’accord. »
Le trajet s’effectua dans le silence total. Le parc n’étant qu’à une centaine de mètres de chez le professeur, il était inutile de prendre la voiture.
Une fois arrivés, Penelope s’assit sur un banc. Les trois autres firent de même. Il faisait beau. Très beau, même. La couleur verte inondait l’endroit et des enfants jouaient un peu partout, profitant pleinement de leurs vacances. Cette ambiance joviale contrastait avec la tension que le mystère avait créée chez nos trois protagonistes. Un contraste que Penelope semblait savourer… Elle ne parlait toujours pas, se contentant de regarder le paysage autour d’elle.
Et, finalement, la fille adoptive de Bruno et l’arrière-petite-fille de Vladimir demanda.
« Alors, on vous a tout dit à mon propos ?
-Tout ce qu’on savait, en tout cas, rétorqua Hershel.
-Bien. »
Elle se replongea dans le silence. Cette attitude énerva Luke ; il était pressé d’en finir avec cette fille, de savoir ce qu’elle avait à dire, puis de ne plus jamais la revoir ; se débarrasser d’elle et de son attitude prétentieuse !
Alors si elle ne parlait pas, il valait mieux que ça soit lui qui le fasse.
« Alors, tu es vraiment l’arrière-petite-fille de Vladimir ? »
Elle leva le regard vers lui. Et, au lieu de répondre par un simple « oui » avec son ton détaché, elle lui montra le livre qu’elle tenait toujours fermement contre elle
« Tu vois ce livre ?
-Oui, répondit le disciple du professeur, ce ne serait pas d’ailleurs celui que tu lisais la première fois que nous t’avons parlé à Folsense ?
-C’est bien cela, acquiesça Penelope. Ce n’est pas un livre comme les autres… en fait, ce n’est pas du tout un livre ! »
Elle l’ouvrit et le retourna pour que ses trois auditeurs puissent en voir le contenu. Ils furent surpris de voir que le livre était écrit à la main.
« C’est un journal intime, expliqua la jeune fille. Il appartenait à mon grand-père, même si, après sa mort, ma mère l’a pris et y a ajouté quelques entrées par elle-même. Ce livre est un peu le résumé de l’histoire de la famille Van Herzen.
Je suis sûre que le Dr. Schrader vous a parlé de mon grand-père. Il allait voir sa mère, Sofia, et celle-ci lui a raconté tout ce qu’elle savait sur son père et sa famille, sur sa sœur également, sur le coffret céleste… Mon grand-père a tout écrit ici. »
Elle referma le livre et le posa sur ses genoux. Rien qu’à voir la façon dont elle le tenait, on pouvait deviner à quel point ce journal intime était précieux pour elle.
« Sofia avait espoir que ce soit lui qui délivre le message à son père, confirma Hershel, se souvenant du récit du docteur Schrader. C’est donc logique qu’elle lui communique toutes les informations qu’elle possède. »
Luke fit une réflexion très rapide. Si Sofia comptait sur son fils pour aller voir Vladimir, mais que ce fils était mort. Penelope, en tant que descendante de ce fils a peut-être voulu le faire à sa place. Mais, craignant de se rapprocher de son arrière-grand-père avec l’état dans lequel il se trouvait, s’est arrangé pour que le professeur aille à Folsense et (en croyant résoudre un mystère) délivre Vladimir de sa folie. Pendant ce temps, Katia, elle aussi, ignorait la totale vérité mais voulait tout de même aller voir son grand-père. Au final, elle lui a raconté la version qu’elle savait des faits que la lettre fausse se trouvant au coffret céleste corroborait parfaitement. Le fait que Katia ne sache pas toute la vérité prouve que Sofia comptait sur quelqu’un d’autre.
Luke se sentit très fier de sa théorie. Et pour Saint-mystère, elle avait simplement voulu ramener le professeur pour que quelqu’un prenne soin de Flora, son amie d’enfance. Il ne lui restait plus qu’à trouver pourquoi mêler Layton au plan de Dimitri pour résoudre l’ultime mystère !
Il ignorait que les choses n’étaient pas aussi simples…
« C’était juste pour vous expliquer comment je sais autant de choses sur Folsense et sur la famille Van Herzen », reprit Penelope.
À ce moment, Luke releva une contradiction.
« Attends ! Le labyrinthe a été construit il y a très peu.Sofia était déjà morte, alors comment sais-tu te rendre au palais ? Et comment connais-tu le passage souterrain ?»
Penelope sourit.
« Ça ? C’est le docteur Schrader qui m’a aidée !
-Comment ça ? S’exclama le jeune garçon.
-J’ai moi-même découvert comment traverser le labyrinthe en me rendant plusieurs fois à Folsense et en faisant plusieurs essais. Mais je n’aurais jamais pu deviner seule l’existence d’un passage secret.
-Alors, comprit le professeur, lorsque le docteur Schrader est allé voir Vladimir pour lui montrer la troisième manière d’ouvrir le coffret, tu l’as guidé à travers le labyrinthe. Puis au retour, Vladimir lui faisant assez confiance lui a montré le passage souterrain. Et c’est de là que tu as su en te contentant de les suivre.
-Tout à fait. »
Ses mains se resserrèrent sur son livre.
« Mais je ne suis pas venue discuter des détails aussi triviaux ! »
Et elle se replongea dans le silence. Flora la regarda ; elle n’avait même pas fait signe de se souvenir d’elle. Pourtant, elle était sûre qu’elle se souvenait. Contrairement à Luke et Layton, Flora n’était pas exaspérée par l’attitude Penelope ; elle était la seule à la connaître vraiment. À six ans ou à quinze, cette fille était toujours la même, toujours aussi directe dans sa façon de s’exprimer, toujours aussi têtue, toujours aussi déterminée à cacher une faiblesse qui sautait pourtant aux yeux….
Et à ce moment, Flora venait de saisir la moitié de la vérité.
« Tu es venue pour te taire alors ? S’exclama Luke, répondant à la dernière remarque de Penelope. Si tu n’es pas venue pour parler de ça, alors explique-nous ces choses moins « triviales » !
-Idiot ! S’exclama-t-elle, surprenant Luke par sa réaction. Si je garde le silence, c’est pour vous donner une chance de reculer ! »
Toujours aussi directe dans sa manière de s’exprimer…
« Pourquoi voudrions-nous reculer ? Demanda calmement le professeur.
-Parce que ce que je m’apprête à vous dire est inutile.
-Mais ça ne nous fera aucun mal ! Protesta Luke. »
Penelope serra encore le livre.
« Ce qui est inutile fait toujours du mal. Moi, je vous suis inutile en ce moment… »
Toujours aussi têtue…
«Nous en assumons les conséquences, déclara le professeur.
-Bien, alors je vais déjà vous expliquer comment je me suis retrouvée à Saint-Mystère. Je sais que vous vous posez la question.
-C’est vrai. »
Elle déplaça le regard à travers le parc à la manière de Dimitri lorsqu’il voulait se rappeler d’une histoire ancienne.
« Je suis née à Dropstone. Ma mère était la fille cadette du fils de Vladimir. Peu de temps après ma naissance, mon père mourut. Mes grands-parents étaient déjà décédés et ma tante (la sœur de ma mère) avait elle aussi connu la mort dans un accident de voiture. Il ne restait donc plus personne à ma mère à part moi. Ma mère avait toujours été ambitieuse, et le petit village de Dropstone ne lui permettait pas de réaliser tous ses rêves. Elle a alors pris le journal intime de son père et le coffret dont il lui avait toujours parlé, ainsi que sa fille unique alors âgée d’un an : moi. Et elle a quitté le village.
Mais, dans le chemin, un groupe de bandits nous a attaquées, et l’ont gravement blessée avant de la laisser, découvrant qu’elle n’avait presque pas d’argent sur elle. Ils m’ont néanmoins pris, puis, je crois, emmenée à Saint-Mystère où ils m’ont « vendue » au baron qui accepté, sans doute par pitié à mon égard… De toute façon, ils ne pouvaient pas demander de rançon puisque je n’avais plus de famille. »
Il y avait une pointe dégoût dans la voix de Penelope. Ça se voyait qu’elle n’aimait pas parler sur cela.
« Et ta mère ? Demanda Luke.
-J’y arrive. Le choc fut si violent qu’elle en a perdu la mémoire. Heureusement, elle a été recueillie par une famille londonienne qui passait par là. Ils l’ont prise avec eux et traitée comme leur propre fille. Et elle a pu reprendre le cours normal de sa vie, et même réaliser ses ambitions, oubliant tout le passé. Je pense néanmoins qu’elle a dû s’en souvenir, plus tard, en lisant son journal qui était resté avec elle. Mais elle a préféré oublier, et de toute façon, elle devait me croire morte. »
Penelope ne trahissait pas la moindre expression de tristesse malgré le sujet qu’elle évoquait. Elle parlait avec l’indifférence d’un journaliste qui écrit un fait divers.
« Quant à moi, j’ai vécu quelques années chez le baron. Mais ce dernier avait déjà une enfant, je ne servais donc pas à grand-chose ; c’est pour ça qu’il m’a donnée à son ami, Bruno.
Plus tard, j’apprenais la mort de ma mère. J’ai réussi à convaincre sa famille que j’étais sa fille. Et ils m’ont permis de prendre ses affaires. C’est en lisant son journal que j’ai appris tout ce que je vous ai raconté aujourd’hui. »
Et Flora comprit pourquoi Penelope serrait autant ce livre lorsqu’elle parlait.
« Voilà, dit Penelope d’un ton ironique, je vous ai raconté l’histoire de ma vie. Dites-moi : avez-vous gagné quelque chose ? »
Luke chercha dans sa tête une réponse à cette provocation, mais le professeur fut plus rapide.
« Si tu nous en as parlé, c’est que c’est important pour la suite, déclara-t-il.
-Qu’entendez-vous par « la suite » ? », Interrogea-t-elle.
Le professeur décida d’être direct.
« Pourquoi toi et Bruno avez cherché à m’entraîner vers ce que tu appelles « les trois piliers » ? »
Penelope sourit.
« C’est encore plus inutile à savoir que l’histoire de ma vie !
-Tu nous as pourtant demandé de trouver le lien entre eux.
-Juste pour que vous trouviez le mobile qui a poussé Katia à tuer son grand-père. Le reste est inutile. »
« Inutile » combien de fois allait-elle répéter ce mot ?
Flora la regardait toujours ; elle n’avait pas encore placé un mot.
Toujours aussi déterminée à cacher une faiblesse qui sautait pourtant aux yeux…
Aux yeux de Flora, en tout cas.
« Mais tu nous as faits ramenés ici rien que pour nous dire que tu ne nous dirais rien du tout ? S’écria Luke.
-Bien trouvé, petit ! Rétorqua Penelope.
-Tu… »
Luke allait lui lancer une insulte mais fut interrompu –encore- par quelque chose.
Flora venait de se lever. Elle regarda Penelope en face, les deux poings serrés. Elle était dans un état dans lequel elle n’avait jamais été auparavant.
« Lopy, dit-elle, osant utiliser le surnom de son ancienne amie, arrête de dire ces bêtises et admets la vérité. Admets que tu ne veux pas en parler car ça te rend triste, et que tu as peur de ne pas pouvoir cacher cette tristesse. »
Penelope trahit une légère surprise.
« Que veux-tu dire, Flora ? », demanda-t-elle avec prudence.
Flora recula d’un pas. Elle regarda le professeur et Luke, hésitant un instant à parler.
« Je sais pourquoi tu as fait tout ça, moi ! »
La surprise de Penelope augmenta.
« Arrête de mentir, dit-elle d’un ton qu’elle essayait de garder neutre.
-Je ne mens pas. Je ne suis peut-être pas aussi intelligente que le professeur, ni aussi déterminée que Luke, mais je te connais bien mieux qu’eux. Dès lors un tout petit peu de logique suffit à résoudre le problème ! »
Penelope ne dit rien et Flora respira lourdement. Ce qu’elle allait dire était fou, absurde, illogique, insensé, mais elle était sure que c’était la vérité. Simplement car ça ressemblait à Penelope.
Elle leva la tête et regarda fixement son amie.
« Tu as fait ça pour sauver Claire, une scientifique qui travaillait à l’institut de recherches multidimensionnelles… et ta mère ! »