Professeur Layton et l'ultime énigme

Chapitre 19 : C'est vous ! -partie 3-

6523 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 07:06

Qu’on la reçoive d’un seul coup ou graduellement, la vérité reste la vérité. Et la vérité finit toujours par apparaître au grand jour, un jour ou l’autre.

C’était ce fait qui semblait irriter à ce point l’imposteur qui avait tué les deux derniers Van Herzen et qui avait pris l’identité de Vladimir. La vérité ne faisait qu’approcher, le mettant en danger.

Cette histoire ressemblait à un puzzle, avait dit le professeur. Luke se souvint qu’une fois, il avait passé une semaine entière à rassembler les mille pièces d’un énorme puzzle que son père lui avait offert. Ça avait été dur et le jeune garçon avait perdu espoir plus d’une fois. Mais au final, il avait réussi à l’achever.  Les énigmes sont faites pour être résolues ; les puzzles et les affaires de meurtre aussi.

-Tout ce que vous dites là est très intéressant, remarqua l’inspecteur Gramond s’adressant au professeur, mais cela ne nous révèle pas pour autant qui est cette personne. Nous avançons, mais du mauvais côté, il me semble.

Le professeur ne pouvait pas le blâmer pour avoir pensé ainsi ; après tout, il ignorait plusieurs éléments indispensables à la résolution de cette affaire ; comme ce qui s’était passé à Folsense l’an passé, par exemple.

-Vous savez, inspecteur, si on prend en considération les pièces que nous avons déjà rassemblées, le nombre de suspects devient très limité.

L’inspecteur croisa les bras. Même s’il ne le disait pas, le fait que Layton soit celui qui découvre tout alors que s’était lui l’inspecteur de police semblait le déranger quelque peu ; surtout qu’il était certain que le professeur n’arriverait jamais au bout de cette affaire.

-Puis-je vous demander des explications ?

-Eh bien, l’assassin devait forcément savoir que Don Paolo est un maître du déguisement. Plus que ça, il a devait savoir qu’il avait déjà pris l’identité de Flora, puisqu’il a pensé immédiatement à lui dès qu’il l’a vue. Or, très peu de personnes ont assisté à la scène où Don Paolo a été démasqué, l’an dernier.

-Oui ! Se rappela Luke ; il y avait le professeur, moi, Katia, Don Paolo, l’inspecteur Chelmey, Barton, M. Bélouga et son neveu Sam... le maître d’hôtel et les autres hôtes faisaient partie des illusions que nous croyions tous voir, on ne peut donc pas les prendre en considération.

Cela limitait en effet le nombre de suspects.

-Ce n’est sûrement pas le professeur ou Luke, remarqua Flora.

-Et l’inspecteur et son subordonné n’ont rien à voir avec cette affaire, enfin j’imagine, enchérit l’apprenti du professeur.

-De plus, continua Gramond, Katia est une victime et je crois que le rôle de ce Don Paolo dans cette histoire a été bien déterminé ; ce qui nous laisse seulement deux suspects.

-M. Bélouga et Sam ! S’exclama Luke.

Il venait de comprendre pourquoi son mentor avait choisi de rajouter Sam à la liste des suspects parmi tous les parents de Bélouga. Mais ce pourrait-il que…

-M. Bélouga, entama le professeur, était le frère de Vladimir. Ayant quitté la demeure familiale il y a bien des années, il a été déshérité par son père, alors furieux contre lui. On peut aisément imaginer qu’il ait tué son frère et sa petite-fille pour que la fortune de la famille Van Herzen lui revienne, ou encore qu’il ait commis ce meurtre par pure envie de vengeance. Et il est sûrement assez proche de Vladimir pour connaître un moyen de se rendre au palais.

Layton regarda en direction de l’usurpateur de l’identité de Vladimir.

-Mais vous n’êtes pas M. Bélouga, n’est-ce pas ?

Face au silence du duc, Hershel décida de s’expliquer.

-Tout simplement car cette version des faits ignore complètement l’histoire du coffret céleste et du docteur Schrader. Si le meurtre avait eu lieu pour des raisons matérielles ou pour un désir de vengeance, l’enlèvement d’Andrew Schrader n’aurait plus aucun sens. Par ailleurs, M. Bélouga n’a aucune raison de prendre l’apparence de son frère. Après tout, il faut que Vladimir soit mort pour qu’il puisse prendre possession de sa fortune. Non, l’héritage n’est pas le motif de ce meurtre ; pas le motif direct, en tout cas…

-Mais si ce n’est pas M. Bélouga, dit Luke d’une voix tremblante, alors ça ne peut être qu’une seule personne…

Toujours regardant le faux duc, Hershel prit la parole.

-Sam… Nous ne savons pas exactement ce que ce coffret contenait, il nous est donc impossible de déterminer ses motivations. Mais étant le neveu de Bélouga, l’accès au palais ne lui serait pas impossible. Il est assez proche de Vladimir pour être au courant du labyrinthe, mais pas assez pour connaître le passage souterrain. Et si l’on procède par élimination, il ne nous reste plus que lui sur la liste des suspects.

Ils étaient tous là, assis ou debout, bouche bée, fixant le duc. Son majordome restait de marbre mais le concerné lui, serrait ses deux mains l’une contre l’autre. Layton continuait de sourire, mais il était le seul à savoir que c’était un sourire forcé ; en réalité, il n’était pas plus détendu que l’accusé lui-même.

Penelope, elle, restait debout, les bras croisés, le regard légerment baissé. Lorsque Luke jeta un coup d’œil sur elle pour voir quelle était son expression, elle fit mine de regarder l’heure sur sa montre, comme si le cours des événements ne l’intéressaitpas le moins du monde.

Mais Sam…

-C’était donc lui depuis le début… murmura Flora, troublée.

-Mais je ne l’aurais jamais imaginé capable de faire une chose pareille… ajouta Luke.

-C’est tout à fait normal, déclara le professeur, vu que ce n’est pas lui !

C’est difficile de s’habituer au choc. Même après avoir appris tant de nouvelles incroyables, nos protagonistes ne purent s’empêcher d’être complètement déstabilisé par ce que Hershel Layton venait d’annoncer. Personne –pas même l’inspecteur Gramond- ne commenta cette dernière révélation ; ils se contentèrent de regarder le professeur et d’attendre des explications.

-C’est très simple, expliqua-t-il, d’abord, Sam n’aurait jamais pu apprendre l’existence d’une troisième manière d’ouvrir le coffret pour savoir que son contenu le mettait en danger. Seul Vladimir était au courant du contenu, et s’il a refusé de le montrer à la personne qui l’avait découvert, le docteur Schrader, il y a peu de chances qu’il l’ait montré à Sam. De plus, Flora a été formelle sur un point : elle n’avait jamais entendu la voix de celui qui l’a kidnappé auparavant. Or, Sam exerçait la fonction de chef de train dans le Molentary Express, une fonction qui nécessite de passer par tous les wagons et de crier le nom de chaque arrêt. Flora n’aurait pas pu oublier facilement sa voix.

Layton, ayant achevé ces mots, regarda l’inspecteur Gramond.

-Qu’en dites vous, inspecteur ?

-Ce que vous dites est très convaincant. Mais voyez-vous, si une affaire avec plusieurs suspects est assez compliquée, une affaire sans suspects l’est beaucoup plus !

C’était vrai. Après avoir éliminé tous les suspects, ils n’avaient plus aucune piste à suivre.

-Oui mais qui vous a dit qu’il n’y avait plus aucun suspect ? Demanda le professeur.

-Si ce n’est ni M. Bélouga ni Sam, s’enquit Luke, alors… qui est-ce ?

-Quelqu’un d’autre que personne n’a songé suspecter pour une raison bien précise… répondit Hershel.

Et, se retourant à nouveau vers cette mystérieuse personne déguisée en Vladimir, il termina :

-C’est parce que personne ne soupçonne les morts !

Cette personne ouvrit grand les yeux ; elle déglutit.

-Je… Qu’est-ce que vous racontez ? S’exclama-t-elle après avoir gardé le silence pendant un très long moment.

-Personne ne soupçonne les morts ? Répéta Marc Gramond d’un ton interrogatif.

Le professeur avança vers son accusé.

-Demandez-lui, dit-il, s’adressant à l’inspecteur. Cette personne sait mieux que quiconque ce que je veux dire. N’est-ce pas… mademoiselle Katia Anderson ?

-K…K…Katia ! Hurla Luke, pris au dépourvu.

-Depuis le début, on nous dit que la victime du meurtre est Katia Anderson. Mais quoi d’autre -à part les dires du meurtrier et des gens qu’il peut contrôler, ou encore de faux articles de journaux -prouve cela ?

-Vous voulez dire que…

Le professeur croisa les bras.

-Oui. Depuis le début, il n’y avait qu’une seule et unique victime : Vladimir Van Herzen. Et son assassin ici présent n’est autre que sa petite-fille, Katia Anderson.

Le silence, une autre fois encore, domina la salle. Mais il était de loin le plus pesant et le plus perdu parmi tous les silences qu’avait connus cette histoire.

L’assassin était la personne qu’on prenait pour la victime depuis le début.

C’était difficile dire qui avait été le plus choqué par cette révélation. Mais la personne la moins choquée, elle, était très facile à déterminer. Elle n’avait montré aucune expression depuis leur entrée dans cette salle et réagissait à la nouvelle information comme on réagit au soleil lorsqu’on vit dans une région tropicale … Une indifférence totale.

Et Layton pensait savoir pourquoi ; mais il y avait plus important à cet instant précis.

-Je vais vous expliquer comment ça s’est passé, déclara-t-il. Lorsque Vladimir a appris qu’on pouvait ouvrir le coffret céleste d’une troisième manière, il l’a appris à la personne la plus proche de lui : sa petite-fille. En le lui montrant, il venait de sceller son sort ; quelque chose en ce coffret menaçait Katia, quelque chose de très grave, puisqu’il l’a poussé à occire son propre grand-père.

Il marqua un silence ; sans doute craignait-il que ses mots ne soient trop brutaux.

-Ensuite, prenant conscience de ce qu’elle avait fait, elle savait qu’elle serait la première accusée, surtout si quelqu’un mettait la main sur le coffret. C’est pour cela qu’elle a fait appel à Don Paolo, lui demandant de kidnapper le docteur Schrader et de le ramener au palais. Mais ce n’est pas le seul service qu’il lui a rendue, puisqu’il l’a aidée à se déguiser. Katia avait un plan bien précis dans la tête ; en faisant croire qu’elle était elle la victime, personne ne la soupçonnerait de quoi que ce soit. De plus, il est normal que Katia connaisse le labyrinthe, mais je crois que Vladimir lui a caché l’existence du passage secret pour l’empêcher d’aller trop fréquemment en ville, et ainsi s’exposer au danger.

« Vladimir devait être très protecteur envers elle, songea l’inspecteur, comme c’est ironique. »

 

-Un détail m’intrigue, remarqua le docteur Schrader. Que ce soit elle ou quelqu’un d’autre, pourquoi l’assassin a-t-il demandé à la police d’enquêter sur ses actes. Certes, il pouvait tout contrôler grace à son majordome, mais pourquoi se donner tant de peine ? Je veux dire… le palais est si isolé que personne n’aurait remarqué qu’il y avait eu un homicide…

-Hé bien la famille proche de Vladimir l’aurait remarqué : son frère, mais aussi le père de Katia. Ils auraient trouvé cela anormale qu’il n’y ait aucune enquête. 

-Continuez, je vous prie, demanda l’inspecteur qui ne semblait pas vouloir s’attarder sur de tels détails.

-Vous connaissez ce qui s’est passé par la suite avec notre arrivée et l’enlèvement de Flora. Maintenant, j’aimerais revenir sur la phrase que le kidnappeur lui avait dite, celle parlant de trois coups de poignard…

-Flora n’en était pas sûre, mais elle croyait que c’était une voix féminine qui lui avait dit ces mots ! S’exclama Luke. Était-ce la voix de Katia ?

-On dirait bien. On s’était longtemps demandé pourquoi cette phrase avait été dite, mais cela semble évident à présent, déclara le professeur.

Pas pour tout le monde.

-Vous pensez ? Pourquoi aurait-elle parlé sans déguiser sa voix alors qu’elle peut très bien le faire lorsqu’elle  parle avec les autres.

-Peut-être parce qu’elle ne voulait pas la déguiser.

-Vous voulez dire… qu’elle voulait que l’on sache que le kidnappeur était une femme ?

-Tout-à-fait, répondit Hershel en souriant, et si le kidnappeur est une femme, c’est que le tueur l’est aussi, puisqu’ils ne sont qu’une seule personne. Ceci enlèverait tout soupçon sur Vladimir, et personne ne soupçonnerait Katia, puisqu’elle était censée être morte.

« Comme c’est ironique, songea Luke Triton, elle cherchait à se défendre en défendant quelqu’un d’autre ; elle préférait donner des preuves qui l’incriminent elle plutôt que des preuves qui incriminent Vladimir, car elle croyait que personne ne la soupçonnerait. Malheureusement pour elle, elle ne connaissait pas bien le professeur. »

 

-Arrêtez de raconter des sottises ! S’écria la présumée Katia. Avez-vous au moins vérifié la lettre que Don Paolo vous envoyée ?

Le professeur sortit une enveloppe de sa poche.

-Vous voulez dire… celle-ci ?

-Oui. Si vous dites bien vrai, la lettre de votre ami devrait être en accord avec vous.

-Oh mais je sais déjà ce que contient cette lettre, déclara le professeur en souriant. Elle est en votre faveur.

-Et vous osez l’avouer !

-Je n’ai pas terminé. Même si Paul avait écrit quelque chose contre vous, vous auriez aisément pu modifier le contenu pour l’accorder à vos intérêts.

Penelope en avait parlé une fois. Elle leur avait dit qu’elle avait envoyé les journaux anonymement au cas où quelqu’un vérifierait le courrier.

-C’est pour cette raison que je lui ai demandé d’écrire d’une façon très particulière…

-Pardon ?

-Voyez-vous, ce n’est pas une simple lettre. Elle est écrite avec un certain code secret. Même si elle dit quelque chose, il suffit de déchiffrer ce code pour savoir son véritable sens. Mais je vais vous épargner toute cette peine ; il est beaucoup plus simple de vous démasquer.

Et il déchira la lettre en morceaux.

Cette fois-ci, je m’en sortirai sans avoir recours à ton aide.

Luke regarda son mentor. Lui qui le connaissait mieux que personne était arrivé à une conclusion: le professeur n’avait pas envoyé sa lettre à Don Paolo. Jamais Layton et Don Paulo n’auraient pu échanger un code secret ; et surtout, jamais Don Paolo ne se serait donné autant de mal pour servir son pire ennemi.

Mais Luke avait beau se creuser la tête, il ne pouvait pas deviner qui était le véritable destinataire dans ce cas-là.

 

-Je crois que tout est clair, dit Layton, mais j’ai une question… pour vous…

Il regarda Rodderick Darken qui lui fit signe de poser sa question.

-Pourquoi l’avez-vous aidée ?

Il avança vers le professeur.

-Vous voulez vraiment le savoir ? Je n’avais absolument rien à gagner en l’aidant. Si je l’ai fait, c’est car j’avais un compte à rendre à ce malheureux Vladimir Van Herzen.

-Un compte à rendre ?

Il ôta ses lunettes dévoilant ses yeux d’un vert profond. Et, tout en les essuyant avec un bout de tissu qu’il venait de sortir de sa poche, il expliqua :

-Mon père a travaillé pour lui pendant un demi-siècle. Durant toute cette période, il a été le seul à ne l’avoir jamais abandonné ; il lui a été d’une fidélité sans pareille. Il a même refusé de nous suivre moi et ma mère lorsque nous avons quitté la ville pour rester à ses côtés…

Il remit ses lunettes, ayant terminé de les essuyer.

-Puis vous savez ce qui est arrivé ; mon père a vieilli tout comme le duc, et il était trop âgé pour continuer de le servir. N’importe qui s’attendrait à ce Vladimir soit bon et généreux avec lui après tout ce qu’il a fait, mais rien de cela n’est arrivé. Il était beaucoup trop occupé par la reconstruction de la ville et par sa nouvelle famille. Et mon père s’est retrouvé livré à lui-même à cet âge-là. J’ai alors proposé mes services à Vladimir en espérant avoir l’occasion de le punir un jour pour son ingratitude…

Il fut coupé par quelqu’un.

-Ce n’était pas de sa faute ! C’est ton père qui ne voulait pas vivre de la charité de qui que se soit et qui a quitté la ville pour cette raison.

C’était une voix emplie de tristesse. Tout le monde fixa celle qui venait de prononcer ces mots : Katia.

Elle ôta son masque et sa perruque. Confirmant par ce geste ce qu’avait dit le professeur.

-Pourquoi m’as-tu aidée ? Hurla-t-elle, je ne sais pas qui de nous a été le plus idiot ! Moi de chercher à fuir mon crime… ou toi de m’aider pour le punir d’une erreur qu’il n’a pas faite !

Il ne répondit pas. Darken savait depuis le début qu’il avait tort ; mais il ne pouvait s’empêcher de haïr Vladimir. Il avait été séparré de son père durant toute sans enfance à cause de lui… Et lorsque Nigel avait arrêté de travaillé pour lui, il aurait dû l’empêcher de partir. Ce n’était pas de la charité, c’était la moindre des choses.

 

C’était une scène très difficile à décrire. Katia était debout, serrant les poings. Personne n’aurait pu dire à quoi elle pensait, mais son visage mêlait tristesse, angoisse et colère. Luke et Flora étaient choqués ; même s’ils savaient déjà que c’était elle, ils n’ont en pas cru leurs yeux lorsqu’elle s’est démasquée. Même l’inspecteur Gramond semblait déstabilisé.

-J’ai aussi une question pour vous, Katia, dit le professeur.

-Allez-y.

-Pourquoi avoir fait cela à votre grand-père ? Je suis sûr que vous devez avoir une bonne raison. Dites-moi, que contenait le coffret ?

Elle soupira et esquissa un sourire triste.

-Vous savez, professeur Layton, j’ai commis la même erreur que mon grand-père il y a un an : je vous ai sous-estimé.

Elle se retourna et fixa la fenêtre. C’était la même fenêtre par laquelle elle regardait le jour de leur arrivée, le même paysage nocturne, seule  la pleine lune avait disparu.

-Vous voulez savoir ce qui m’a poussé à commettre cette action digne d’une personne lâche et fourbe ? Demanda-t-elle en serrant les poings, vous voulez savoir ce qui m’a poussé à tuer mon grand-père qui a tout fait pour me protéger ? Vous devriez demander à la véritable responsable derrière tout ça !

-La véritable responsable ?

Katia se retourna ; elle serrait les dents. La tristesse sur son visage avait disparu pour faire place à de la colère, une très vive colère.

-Je l’ai tué de mes propres mains ! Hurla-t-elle, et vous êtes fiers d’avoir découvert que c’était moi. Mais vous n’avez toujours pas saisi la racine du problème… J’ai été idiote, mais c’est elle qui a été cruelle !

-Mais de qui parlez-vous, enfin ? S’écria Gramond.

Katia tourna le regard vers la personne dont elle parlait, et, tout en avançant vers elle, elle grommela son nom d’une voix emplie de haine :

-Penelope… Penelope ! Répéta-t-elle en criant cette fois-ci.

Elle allait la frapper mais le professeur s’interposa entre elles.

-Voyons, Katia, qu’est-ce qui…

Penelope, qui n’avait pas placé un mot depuis leur entrée dans cette salle, avança vers la fille qui venait de hurler son prénom. Elle la fixa de ses yeux turquoise, et Katia put lire dans ces yeux que ses mots ne l’effrayaient pas.

-Que me voulez-vous ? Demanda Penelope d’une voix très calme, voire froide.

-Tu es la responsable de tout ce drame, n’est-ce pas ? Tout ce qui est arrivé est de ta faute !

-Je crois que l’identité de l’assassin vient d’être révélée. Et personne n’a prétendu que c’était moi à part vous.

-Arrête ! Je sais que c’est moi qui l’aie tué, mais qui est derrière tout ça, hein ? Qui ?

-Je ne comprends rien à ce que vous racontez.

Katia recula d’un pas. Ces yeux s’emplirent de larmes.

-Je ne voulais pas le tuer, dit-elle d’une voix étouffée de sanglots, c’était un  accident. J’étais furieuse et je l’ai poussé, il a eu une hémorragie et il est mort sur-le-champ. Je n’ai pas choisi cette destinée, c’est toi qui as tout préparé pour que ça se passe comme ça ! Avoue !

-C’est facile de coller nos erreurs aux autres ! Répondit Penelope qui, visiblement n’était pas du tout déstabilisée par ces mots, et si tu faisais preuve de courage pour une fois et que tu avouais que tu es la seule et unique fautive ?

-Tu parles de courage ? Tu es la personne la plus lâche que je n’ai jamais vue !

Et sur ces mots, Katia, furieuse, leva la main et gifla Penelope qui manqua de tomber si elle ne s’était pas appuyée contre le mur. Elle releva doucement la tête et posa sa main droite sur la marque du coup qui était distinctement visible sur sa peau claire. La tête penchée, ses cheveux cachant presque la moitié de son visage, elle fixa la jeune fille qui venait de la frapper.

Elle ne disait rien, mais ce regard eut pour effet de pétrifier la pauvre Katia. Penelope avait le même regard que Vladimir, ce jour-là, lorsqu’elle a failli être écrasée par un énorme lustre et que Layton l’a sauvée. Certes, ce regard penchait plus vers la colère que vers la tristesse, mais Katia n’en pouvait plus.

-Je n’aurais jamais eu à subir ce sort si tu n’existais pas ! S’exclama-t-elle, les yeux larmoyants.

Et elle s’enfuit, suivie par Gramond qui tentait de la rattraper.

Penelope, quant à elle, se redressa ; elle arrangea ses cheveux qui lui tombaient sur le visage et lissa le bout de sa robe qui s’était légèrement froissée à cause du mouvement brutal.

Le professeur Layton, à qui elle donnait le dos, lui adressa alors la parole.

-Je crois que tu nous dois des explications…

-En quel honneur ?

Luke s’avança vers eux.

-Tu plaisantes ? Tu n’as pas entendu ce qu’elle vient de te dire ?

-Si. Mais qu’est-ce qui m’oblige à vous répondre.

Elle se retourna pour leur faire face. Elle avait le visage pâle –c'est-à-dire, plus pâle que d’habitude- et une expression très inhabituelle enveloppait son visage : de la fureur.

-Vous souvenez-vous de ce que je vous ai dit tout à l’heure, dit-elle d’une voix irritée, entrer avec vous au palais serait le dernier service que je vous rends !

C’était la première fois que Penelope Koldwin se mettait en colère. D’habitude, quelle que soit l’aigreur de ses mots, elle les prononçait avec un calme parfait. Étaient-ce les mots de Katia qui faisaient sur elle cet effet ?

-Peu importe ! S’énerva Luke, ne nous dis rien. De toute façon, Katia va tout nous raconter ; je savais que tu étais derrière tout ça depuis le début.

-Pauvre enfant, répliqua-t-elle, tu crois tout ce qu’on te raconte !

-À cause de Katia va être accusée de meurtre alors que je suis sûr que tu l’as forcée d’une manière ou d’une autre !

-Luke ! Gronda le professeur avant de s’adresser à Penelope, moi je crois connaître l’interprétation de ce qu’elle t’a dit.

-Vraiment ? Demanda-t-elle d’un ton dépourvu d’intérêt, tant mieux, car si vous aviez compté sur moi pour avoir la dernière pièce, votre puzzle serait resté incomplet.

-Je veux tout de même des explications.

-Hélas, vous devrez vous contenter du peu que vous avez. De toute façon, je vais devoir partir ; cet inspecteur ne va pas tarder à revenir et il voudra sûrement m’interroger après ce qui s’est passé. Et vous êtes bien placés pour savoir à quel point je déteste les interrogatoires…

Elle regarda le professeur une dernière fois.

-Adieu, professeur Hershel Layton. Vous êtes très… différent de ce que j’imaginais.

Et elle s’échappa en courant. Luke et le professeur –suivis de Flora qui s’était levée à son tour- tentèrent de la rattraper, mais ils s’heurtèrent à Gramond qui rentrait à son tour. Il avait l’air paniqué.

-Où va Penelope Koldwin comme ça ? Les interrogea-t-il.

-Nous devons la rattraper ! S’exclama Luke, elle fuit.

-Nous avons plus urgent ! S’écria-t-il, essoufflé, Katia… elle… elle a disparu !

Ils rentrèrent à nouveau dans la salle où Schrader était assis seul, un peu perdu.

-Et où est Darken ?

Roderrick avait disparu lui aussi ! Il avait dû profiter de l’état de confusion générale pour fuir.

Parcourant le palais, les cinq personnes restantes commencèrent à rechercher les trois autres. Ils ne trouvèrent ni Darken ni Penelope ; mais ils finirent par trouver Katia… ou plutôt… le corps de Katia.

Un corps sans vie qu’ils trouvèrent dans le jardin, entre les arbres et la végétation. Le sang giclait de sa poitrine tandis qu’un poignard ensanglanté était jeté non loin d’elle. En voyant ses mains remplies de sang, ils ne tardèrent pas à comprendre : elle s’était poignardé elle-même.

Luke et Flora devinrent blancs comme un linge. Ils étaient horrifiés par le spectacle auquel ils assistaient, beaucoup trop dur pour un adulte, alors pour un enfant …

Layton les éloigna de la scène. Tandis que Gramond, inspectant le corps, murmura au docteur Schrader qui était à côté de lui:

-Ainsi, hantée par sa conscience, elle a fini par se suicider, incapable de supporter tout ce poids. Katia Anderson a fini par mourir dans le jardin du palais… par un coup de poignard…

-Les mensonges absolus sont si rares… fut la réponse du docteur.

 

 

Quelques jours plus tard…

Debout à la gare de Folsense, Layton, Luke, Flora et Schrader s’apprêtaient à monter dans le train conduisant à Londres.

Avec la mort de Katia, cette affaire fut classée. Et il était grand temps pour eux de retourner chez eux. Pourtant, et bien que tout ceci soit terminé, ils étaient encore très affectés par ce qui s’était passé. C’est pourquoi personne ne plaça le moindre mot tandis qu’ils marchaient sur le quai.

Marc Gramond était venu aussi. Il avait travaillé sans arrêt ces derniers jours pour prévenir la police, faire des comptes-rendus de l’affaire et avertir le public (ce qui était de loin la tâche la plus compliquée), mais malgré tout cela, il avait trouvé du temps pour venir leur dire au revoir.

Au moment où ils allaient monter dans le train, il appela une dernière fois le professeur.

-Layton ! Attendez un instant !

Le professeur se retourna ; il posa sa valise par terre et fit signe aux autres de continuer sans lui.

-Je souhaiterais vous remercier, dit l’inspecteur, je dois vous avouer que, lorsque j’ai appris que vous alliez enquêter, j’ai été très sceptique à votre sujet. Je vous croyais incapable de cela… et je vois que j’avais tort.

-Je n’aurais jamais réussi sans votre aide, répondit le professeur.

-Bref, c’était un véritable plaisir de vous rencontrer, j’espère que j’aurai l’honneur de vous croiser à nouveau, ajouta Gramond en tendant la main au professeur.

-Tout le plaisir est pour moi.

Et Layton reprit sa valise, et monta dans le train.

 

Tandis que le train longeait la distance entre Folsense et Londres, les quatre voyageurs restaient complètement muets. Luke regardait le sol du compartiment d’un air vide, Schrader feuilletait un journal, et Flora regardait son livre d’images sans vraiment se concentrer sur celui-ci. Hershel, lui, observait le paysage à travers la fenêtre du wagon. Il avait la tête ailleurs, et le doute commençait à l’envahir.

La fin tragique de cette histoire l’avait rendu perplexe. Avait-il fait le bon choix en dévoilant la vérité ? N’importe qui aurait répondu que oui ; mais Hershel constatait que les résultats n’avaient apporté que du mal. Il avait rendu la justice, révélé la vérité au grand jour, arrêté le « criminel », mais avait-il fait quelque chose de bien ?

N’aurait-il pas été meilleur pour lui et pour les autres qu’il laisse les choses telles qu’elles étaient.

Il se dit qu’un bon détective ne se contente pas de trouver la vérité ; il sait aussi comment et quand la dévoiler. Ceci lui remontait un peu le moral : il ne s’était jamais considéré comme un détective.

L’histoire n’était pas terminée ; plusieurs zones d’ombre étaient encore présentes : qui est Penelope ? Et quel est son lien avec les Van Herzen ? Pourquoi Katia a-t-elle tué son grand-père ? Et que contenait le coffret céleste ?

Mais l’affaire, elle, était bien terminée. Elle fut achevée avec la mort de Katia d’une façon horrible, Penelope et Darken avaient pris fuite, Luke et Flora étaient traumatisés et Andrew Schrader devait surement se culpabiliser à cause de cette histoire de coffret. En gros, personne n’avait rien gagné, mais chacun avait perdu quelque chose.

Et quant à Layton, il allait bientôt perdre quelque chose à cause  de cette affaire, quelque chose de très, très précieux…

 

 

 

Laisser un commentaire ?