Les roses et les coqs

Chapitre 1 : Prologue

Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2016 17:52

« Ce n’est pas suffisant de savoir monter un cheval, il faut aussi savoir tomber. »

Proverbe d’Amérique latine

 

Les ruines paraissaient s’étendre sur des miles entiers, voire plus encore. Bien qu’ayant perdu de leurs couleurs vives au fil des siècles et des quelques millénaires, elles n’en perdaient pas pour autant leur attrait aux yeux des archéologues. Ceux-ci, nombreux mais très dispersés dans toute la ville antique, fouillaient, creusaient minutieusement, à l’affut de quelque perle rare parmi l’immense tas de pierres jaunes et innombrables.

Parmi eux, un haut-de-forme particulièrement élevé et d’une couleur terre de Sienne contrastant avec le sable brillant du désert apparut. Une autre silhouette, plus petite, le suivait avec entrain bien que fatigué par la chaleur, regardant à droite et à gauche dans les rues de l’ancienne cité.

 

« Mais c’est gigantesque, professeur ! »

 

Luke Triton rayonnait, comme s’il avait oublié l’atmosphère oppressante due au climat et au silence des scientifiques au travail. Son mentor, lui, se contenta de sourire en rajustant son couvre-chef.

 

« Bien sûr, Luke. Selon nos dernières estimations, Babylone s’étendait sur près de mille hectares. »

 

L’adolescent, émerveillé par le grand nombre que le professeur d’archéologie avait donné, ouvrit de grands yeux stupéfaits, mais remplis de joie et de curiosité pour ce qu’ils visitaient sur le moment. Il ouvrit sa sacoche, en sortit carnet et crayon, et commença d’écrire les informations que lui donnait son mentor avec amusement.

Au bout de plusieurs minutes de marche, le jeune homme finit par reprendre la parole.

 

« Professeur… Que faisons-nous ici, au juste ? Ils ont tous l’air de bien s’occuper des ruines, je ne vois pas quel rôle nous pourrions jouer là-dedans… Une parcelle de terrain n’est pas contrôlée ? »

 

Le gentleman souriait toujours.

 

« Si ce n’était que cela, je ne t’aurais pas emmené avec moi mon garçon. »

 

L’apprenti fronça les sourcils en baissant les yeux, tentant de comprendre le sens de ce qu’avait prononcé l’adulte. Cependant, il dut avouer que c’était peine perdue.

 

« Ils ont récemment trouvé une sorte de temple, au centre de la ville. Cependant, les portes sont solides et personne n’a encore réussi à entrer à l’intérieur.

- Que comptez-vous faire alors ? Pourquoi ont-ils fait appel à nous ? »

 

La réponse, ainsi sortie de la bouche du professeur, paraissait bien plus qu’évidente :

 

« Pour que nous résolvions l’énigme qui la bloque, tout simplement. »

 

Luke se prit à rire soudainement.

 

« Mais oui, bien sûr ! Ils ont pensé que seul le professeur Layton pourrait résoudre cette énigme !

- Et les autres. Il n’est pas rare qu’une énigme en cache une autre, mon garçon. J’ai comme l’intuition que nous en aurons de plus complexes encore à résoudre, une fois à l’intérieur. »

 

Les deux amis se turent. Ils étaient visiblement arrivés à destination, écrasés par l’ombre d’un titanesque bâtiment aussi vieilli par le temps qu’imposant. Un homme qui faisait les cent pas en réfléchissant non loin s’arrêta aussitôt dans sa méditation en les voyant arriver, et vint à leur rencontre en les saluant chaleureusement. Il leur exposa dans l’immédiat les faits, leur montrant chaque détail de la porte, chaque aspérité, leur donnant les hypothèses qu’il avait faites avec ses collègues. Il s’agissait d’une énigme, c’était évident. Il s’agissait probablement d’un puzzle, mais il restait à le résoudre. Ceci dit, il les remercia encore d’avoir répondu à leur appel et les abandonna à leur tâche, partant admirer la cité antique de plus loin.

Indifférent, le professeur se tourna aussitôt vers le mur, s’approcha, tâta quelques roches. Elles étaient découpées en carrés et pouvaient coulisser les unes sur les autres, en effet. Il en prit un, le fit glisser vers la droite sans aucun souci. Cependant, de peur de troubler l’énigme, il le remit à sa place et recula afin de voir l’ensemble. A présent qu’il avait compris les règles du « jeu », il pouvait réfléchir afin de les appliquer.

 

« Tiens, c’est étonnant… souffla-t-il au bout d’un temps.

- Qu’y a-t-il, professeur ? demanda son apprenti du tac-au-tac.

- Regarde bien, Luke. Il y a deux cent dix-sept blocs. »

 

Le jeune homme compta ; le compte était bon. Deux cent dix-sept carrés, tous de même taille, étaient éparpillés sur la paroi de l’entrée.

 

« Et alors… ?

- Et alors, reprit son mentor, cela ne fait pas un carré. Les blocs ne formeront pas un motif selon un carré. »

 

Il continua de réfléchir un moment, sans bouger. Luke le regardait, tentant de trouver de la cohésion entre les blocs, mais n’en trouva pas.

Finalement, l’adulte parut rayonner. Il se rapprocha du mur à toute vitesse, sans un mot, ne faisant du bruit que par ses pas rapides. Les blocs se mouvaient à une célérité effrayante sous la main du professeur d’archéologie. Finalement, il recula lentement, admirant son œuvre. Les carrés, mis sous la disposition qu’il proposait, formait un lion, symbole babylonien. Les traits et gravures que portaient les blocs l’avaient aidé à trouver la place de chacun dans le puzzle ; certains en dessinaient la crinière, d’autres les contours de l’animal, un bloc lui donnait un œil menaçant… qui commença de briller d’une lumière bleuâtre, fantomatique. Cela avait débuté par l’œil, puis la lueur se répandit sur l’oreille, la crinière, le dos, la queue, les pattes… Puis le mur s’affaissa, libérant le passage. Luke, abasourdi, montrait parfaitement à quel point il était impressionné. Son mentor, lui, se contenta de lui dire :

 

« Souviens-toi, Luke. Si tu ne peux former un carré ou un rectangle avec les pièces que l’on te donne, alors cherche une forme qui a un rapport avec le contexte de l’énigme. »

 

L’apprenti hocha lentement la tête, le regard dans le vide. Quand il sortit de sa torpeur, il reprit son carnet et écrivit quelques phrases à toute vitesse avant de ranger son calepin et de reboucher son stylo à plume.

Finalement, le groupe s’aventura à l’intérieur du temple. L’unique salle était gigantesque, mais vide. Une seule trappe au milieu prouvait que cela menait quelque part, et peut-être même vers quelque chose. Encore une fois, il s’agissait d’une énigme. Toujours le même principe : déplacer des blocs de manière à former quelque chose. Cependant, leur nombre formait cette fois bel et bien un carré, et les blocs n’étaient pas gravés de manière à former un lion. Il fallait trouver autre chose.

 

« Il s’agit d’un simple « taquin », Luke. Trente-cinq blocs pour trente-six places. »

 

Décidé d’imiter son mentor, le jeune adolescent voulut tenter et se mit aussitôt au travail. Son aisance dans une énigme plus simple que la première fit qu’en moins de dix minutes le motif était reconstitué. Il représentait une étoile au sommet d’une pyramide renversée, le tout entouré à demi par en-dessous par une sorte de couronne solaire. Quant à la signification, les Londoniens n’eurent pas le temps d’y réfléchir que, de même, les blocs de pierre étincelèrent. Mais bien plus rapidement que la première fois, et d’une lueur plutôt rougeoyante.

 

Le portail qu’ils avaient ouvert peu auparavant se referma sans prévenir. Pris au piège, le jeune garçon commença de paniquer.

 

« Professeur, qu’est-ce qui se passe ?! »

 

L’adulte tentait de garder son sang-froid, mais ne répondait pas à son apprenti. Il n’entendait plus rien. Les murs se mirent à luire de la même teinte, le sol tremblait. L’édifice semblait prêt à s’écrouler sur eux.

 

« Mais je ne comprends pas, professeur ! J’ai trouvé la bonne réponse, non ?! »

 

La trappe se souleva, avec les deux Londoniens qui se tenaient dessus. Le plafond se rapprochait d’eux de plus en plus rapidement. Aux limites de la plaque circulaire qui paraissait s’envoler, plus rien n’était visible, à part une lumière aveuglante. Luke, perdant tous ses moyens, se serra contre son mentor en fermant les yeux, sentant son heure proche.

 

En bouquet final, la trappe elle-même se mit à luire autour du mystérieux symbole. Entourés de lumière, ne voyant plus rien, tenant à peine debout à cause des tremblements, cette vision apocalyptique fut la dernière chose qu’ils purent distinguer avant de s’évanouir.

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