Le trèfle à douze feuilles

Chapitre 19 : Vicissitudes

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Dernière mise à jour 08/11/2016 18:45

« Une loi de Murphy n'arrive jamais seule.
Si elle est seule, c'est que d'autres sont en préparation. »
~ Combinatoire de Régnier à la loi de Murphy


Vicissitudes n. f. pl. Succession d'événements bons ou mauvais, et, en particulier, ensemble des événements malheureux qui affectent l'existence humaine. Les vicissitudes de la fortune.
 

21 mars 2964, 03:29 p.m.


Le petit groupe qui s'éloignait d'une marche rapide finit par ralentir au bout de quelques courtes minutes. Sandra se retourna alors vers le professeur, lui lançant un regard plus noir que jamais. Le concerné n'eut pas besoin de l'entendre parler pour savoir ce qu'elle lui reprochait : après tout, n'avait-il pas tenté de se mêler à une affaire qui ne le concernait pas, et n'avait peut-être même rien à faire avec l'enquête ? Tout ceci fut résumé en une simple question de l'adolescente qu'elle rétorqua sèchement :

« Pourquoi vous avez fait ça ? »

Il soupira ; rajusta son haut-de-forme en regardant le sol. Son attitude désolée pourtant venait en contradiction avec la tonalité assurée de sa réponse :

« Ta mère et toi ne vous êtes jamais doutées que la mort de ton père devait avoir un quelconque rapport avec la mach— ?
- N'en parlez pas dans la rue, on pourrait vous entendre.
- Si tu veux. Mais cela ne répond pas à ma question. »

Silence.

« Depuis quand habitez-vous à Entrelasque, toutes les deux ?
- Arrêtez de changer de sujet, Professeur, ce n'est pas comme ça qu'on arrivera à vous comprendre.
- Mais je ne change pas de sujet, Sandra, répliqua calmement le gentleman. Bien au contraire.
- Je n'aime pas vos sous-entendus. Allez droit au but, s'il vous plaît. »

L'archéologue n'osa pas mentionner le fait que seulement un ou deux jours plus tôt, l'adolescente du futur utilisait les mêmes moyens que ceux qu'elle blâmait en ce moment-même ; bien que, de la part des autres Londoniens, la prendre à son propre jeu, pour une fois, fût plutôt tentant.
Ceux-ci demeuraient en retrait, mais ne perdaient aucune miette de la conversation ; la situation tendue cependant les rendaient plus réticents à participer à la conversation : un seul mot de leur part pouvait peut-être avoir de graves conséquences.

Sans répondre, l'homme au haut-de-forme dévisagea la jeune fille qui le fixait de ses deux yeux noirs. Elle cachait plutôt mal ses émotions, il était en effet aisé de remarquer qu'elle n'avait pas énoncé ce « changement de sujet » pour rien : elle ne voulait pas répondre à ses questions, tout simplement.
Et ce silence était amplement suffisant pour établir une hypothèse solide.

« Laisse-moi deviner, prononça-t-il doucement alors qu'il relevait son regard vers l'horizon. Vous avez toutes les deux emménagé ici après le meurtre, car ta mère était convaincue qu'il ne s'agissait pas d'un accident et qu'elle craignait que vous soyez les prochaines cibles. »

Il se retourna vers l'enfant, murmurant calmement un « Est-ce que je me trompe ? » qui n'obtint aucune réponse verbale. Toutefois, l'homme avait dû faire un demi-tour pour pouvoir regarder la jeune fille en face à face, car celle-ci s'était arrêtée dans sa marche, fixant le sol. Elle tremblait nerveusement.
Apparemment, il avait vu juste.

La discussion qui s'était tue fut soudainement coupée définitivement par une petite musique aux sons électroniques qui sortit de la poche de l'enfant. Flora osa murmurer qu'il s'agissait peut-être de son téléphone portable qui sonnait. Sandra soupira, plongea sa main droite dans sa poche pour en sortir le petit appareil qui, en effet, s'était allumé tout seul ; elle le maintint une demi-seconde devant elle sans réagir, puis elle déposa soudainement son pouce droit sur le petit carré rouge qui apparaissait sur l'écran. Un déclic sourd retentit. Puis elle rangea de nouveau le petit engin électronique au même endroit que celui d'où elle l'avait sorti.

« Là. Maintenant, il ne sonne plus. »

Puis elle se remit à marcher d'un pas encore tremblotant, mais décidé à ne pas rester dans les parages bien longtemps. Les Londoniens, à défaut d'obtenir une quelconque réponse à leurs questions silencieuses, durent se résigner à la suivre.
C'était indéniable : elle avait vraiment accéléré le pas. Elle grommelait encore des murmures incompréhensibles, mais qui avaient l'air de demander à ses amis de se dépêcher.
Le professeur songea tout d'un coup au fragment de phrase qu'elle avait murmuré avant de partir et qui avait l'air tout à fait anodin au départ :

« Si tout se passe bien. »

Tout n'allait pas bien se passer. En tout cas, tout n'allait pas bien se passer s'ils ne se dépêchaient pas de rentrer.
Emmy le surprit à accélérer le pas lui aussi. Lorsqu'elle lui demanda dans un murmure s'il se passait quelque chose, sa réponse fut relativement parlante :

« Je ne sais pas. Mais il vaut mieux que nous nous dépêchions de rentrer. »

Il fallut pourtant moins d'une minute de plus pour que, soudainement, un jeune homme vint littéralement tomber du ciel pour sauter sur le trottoir et faire face au groupe, bloquant la route. Ses cheveux courts et brun clair aux reflets légèrement kaki eurent un mouvement d'avant en arrière lorsqu'il atterrit puis se releva, mais ses pointes se dressèrent aussitôt malgré le vent ; probablement grâce à du gel. L'adolescent croisa ses bras nus jusqu'au bas des épaules en toisant les passants de son regard ambre lorsqu'il fut debout, tandis qu'une sorte d'aigle de quasiment quatre pieds de haut se posa majestueusement à ses côtés, l'imitant fièrement. Quelques jeunes d'à peu près le même âge que lui arrivèrent aussitôt en surgissant des rues alentour, venant encercler les Londoniens et Sandra. Celle-ci avait serré les dents et les poings, baissant la tête et enfouissant ses yeux dans la chevelure brune qui lui retombait sur le front. Et tandis que ces adolescents qu'elle semblait bien connaître arrivaient, ses amis crurent l'entendre grommeler des paroles à peine audibles, mais lourdes de sens :

« Ne dites rien. Ne faites rien. Je m'occupe de tout. »

Les adolescents, qui étaient tous dresseurs au vu des nombreuses poké balls accrochées à leurs ceintures, commencèrent tout d'abord par dévisager rapidement les quatre personnes qui provenaient du passé ; mais leur attention se porta quasiment aussitôt sur les deux personnes qui désormais se fixaient stoïquement, à moins de deux pieds l'un de l'autre, l'un regardant l'autre de haut à cause de la différence de taille entre eux ; malgré le fait qu'ils eussent probablement tous le même âge approximatif, la jeune fille devait bien avoir une petite tête de moins que celui qui lui faisait face. Et finalement, le jeune homme qui était apparemment arrivé sur le dos du pokémon derrière lui se décida à parler. Il commença par saluer l'adolescente du futur, mais d'un ton tellement sarcastique que ses camarades lui répondirent par des gloussements mauvais.
Il devenait de plus en plus évident désormais que ce n'était pas la première fois que ce genre de scène avait lieu. En tous les cas, Sandra savait à quoi s'attendre depuis qu'elle avait raccroché au téléphone sans même répondre. Le garnement qui avait décidé sans aucune raison apparente de lui bloquer la route la connaissait. Et certainement le connaissait-elle de même.

« Ça faisait longtemps, Sandra. », reprit-il sans même prendre la peine d'attendre qu'elle lui répondît.

Peut-être parce qu'il savait pertinemment qu'elle ne le ferait pas.

« Beaucoup trop longtemps. Tu sais combien de temps, d'ailleurs ? T'as compté ? »

Le regard noir et plein d'éclairs qu'elle lui lança comblait largement son silence.

« Une semaine, j'crois, lança un autre gamin du groupe.
- Une semaine, répéta celui qui était sans aucune hésitation possible le chef de la bande. Une semaine que t'es pas sortie de chez toi, et maintenant tu te ramènes avec des types qu'on n'a jamais vus. Tu trouves ça normal ? »

Les deux adultes sur place eurent un léger sursaut ; comment pouvaient-ils être certains qu'elle n'était pas sortie de chez elle ? Cela signifiait-il qu'ils l'avaient plus ou moins espionnée ?
Emmy en particulier était tentée de réagir, mais Sandra leur avait demandé de ne rien faire ; et en effet, à défaut de résoudre le problème, peut-être ne pourrait-elle qu'envenimer la situation.
Les Londoniens remarquèrent par ailleurs qu'ils avaient tous un très fort accent américain, ce qui correspondait en effet avec la situation géographique qu'avait déduit le professeur à partir des coordonnées du LST.

« On aurait tout simplement pu ne pas se croiser en une semaine, répliqua simplement la jeune fille. Ma mère et moi avons été très prises ces derniers temps parce que des amis de la famille sont en séjour pour le moment. »

Elle ajouta aussitôt un « Mais rien de tout ça ne te concerne » qui prouvait bien son état d'âme haineux. Il était vrai qu'ils avaient tous eu droit à des imprévus qui avaient également contribué à faire chuter son moral – et en l'occurrence sa patience et son sang-froid.
Il était par ailleurs étonnant de remarquer la vitesse avec laquelle un tel mensonge avait été construit ; il fallait probablement en déduire que Sandra en avait pris l'habitude pour expliquer l'inexplicable à des personnes extérieures à l'affaire des voyages temporels.
L'adolescent, lui, accentua son rictus.

« Et ça fait une semaine qu'ils sont restés chez toi ? Il fait pas assez beau dehors, c'est ça ? Moi, je dis que tu nous caches quelque chose. »

Il redirigea son regard vers Luke, qu'il sonda avec deux yeux dont l'émotion était totalement indescriptible. Le concerné ne sut que faire en réponse, aussi ne fit-il rien. Il se tourna ensuite vers les trois autres Londoniens qu'il toisa de même, puis il reprit la parole sans pour autant les quitter des yeux.

« Et ils viennent d'où, comme ça ?
- De Fiore. »

Ne connaissant absolument pas le lieu qui avait été mentionné, ses amis se contentèrent de faire ce qui ressemblait à un acquiescement muet. Visiblement, la réponse n'avait pas été donnée au hasard, parce que l'adolescent parut obtenir nombres de réponses à ses questions silencieuses dans ce simple mot.

« Mmh. Ça expliquerait le... ben, tout en fait. Et qu'est-ce qu'ils font là ?
- Ça ne te concerne pas. »

Le jeune homme haussa un sourcil, toujours le même sourire au coin des lèvres. Visiblement, il s'agissait exactement de la réponse qu'il ne fallait pas donner.

« Ils sont là depuis quand ?
- Ça ne te concerne pas, je te dis.
- Oh, ça va, tu pourrais au moins me dire qu'ils sont là pour faire du tourisme ! »

Il y eut un très court temps de pause, qui parut toutefois durer des siècles ; et pourtant, Sandra ne trouva pas le temps de répondre quoi que ce fût, car déjà son interlocuteur avait repris :

« Du moins, si c'était pour ça qu'ils sont là, tu pourrais me le dire. Et tu sais très bien que les gens de Fiore n'ont rien à faire dans une région urbanisée comme Unys*. Donc ils sont venus pour autre chose. »

N'importe qui pouvait voir du premier coup d'œil qu'il était le chef de la bande : chacun l'avait déjà constaté auparavant, mais cela devenait de plus en plus évident au fur et à mesure. Tout simplement parce qu'il était le seul à parler intelligemment, ses camarades se contentant de faire des mouvements de tête ou des acquiescements sous forme de ricanements plus ou moins sonores pour montrer leur accord avec lui.
Sandra se mordit la lèvre ; tout mensonge avait sa faille, et il venait de la trouver.
La situation devenait de plus en plus insoutenable, et les Londoniens étaient tentés d'agir ; mais à cause du manque de connaissances géographiques, la discussion entre les deux adolescents leur échappait totalement. Et s'ils s'y mêlaient, cela ne pouvait en conséquence qu'engendrer des problèmes supplémentaires.

« Et si tu veux pas nous dire pourquoi ils sont là, c'est qu'il y a forcément une bonne raison, hein ? C'est pas comme si c'était le premier truc louche qui est en rapport avec toi. D'ailleurs, depuis qu'on t'a vue, t'avais déjà l'air louche.
- Elle est louche de nature, pouffa dans un murmure sarcastique un autre garnement.
- Et si je n'ai tout simplement pas envie de te le dire tout simplement parce que j'en ai marre que tu m'embêtes chaque fois qu'on se croise ? »

Un vif éclat de rire mauvais retentit pendant quelques secondes, bien évidemment de la part du jeune homme, suivi des échos des autres adolescents.

« J'ai une idée, reprit-il une fois son hilarité calmée. Si tu gagnes, on te lâche ; si tu perds, toi et tes copains allez nous raconter ce qui se passe exactement.
- Ça veut dire quoi, ça ?
- Ça veut dire que je te défie, Nanab. »

Et il avait décroché une des poké balls accrochées à sa ceinture, la brandissant juste face à elle – ce qui la força par ailleurs à avoir un petit mouvement de recul.

« À l'entrée de la treize. Maintenant. »

Elle le considéra un instant de ses yeux noirs d'où sortaient des éclairs. Comme si elle n'avait que cela à faire...

« Tu sais très bien que tu es l'un des meilleurs dresseurs du quartier, Koga. Ça ne sert à rien qu'on s'affronte, tu sais parfaitement qu'on n'est pas à la hauteur.
- Si. Ça sert à savoir ce que tu caches. »

Silence. L'adolescente du futur ne bougeait pas.

« Fais pas comme si t'avais le choix, Sandra. Si tu connais pas le chemin, faut le dire, on va te le montrer. »

La dernière phrase était évidemment une provocation sarcastique de la part de ce Koga. La jeune fille poussa un soupir tendu, mais lança un « Pas la peine » avant de s'avancer vers ce qui était vraisemblablement la direction pour se rendre à la treize. Qu'est-ce que cela signifiait, par ailleurs ? C'était un nom de lieu bien curieux ; à moins qu'il ne s'agît d'un diminutif.
L'immense aigle qui, jusqu'à maintenant, était resté relativement silencieux et immobile, déploya ses ailes et commença à s'envoler dans la même direction.
Les Londoniens n'eurent aucun mal à comprendre ce qui attendait leur amie ; depuis que le chef de bande avait brandi cette petite bille rouge et blanche, cela était devenu évident.
Décidés à ne pas laisser l'adolescente seule, ils commencèrent à la suivre ; de toute manière, les quelques autres gamins leur barraient toujours la route opposée, ce qui ne leur laissait pas réellement le choix.

La route ne fut pas longue, mais le silence entrecoupé de murmures ironiques et de ricanements alourdissaient encore plus l'atmosphère étouffante. Sandra et Koga se trouvaient devant, le reste du groupe en retrait, aussi aucun des Anglais ne put s'adresser à cette dernière pour obtenir des informations supplémentaires ; en particulier, bien évidemment, sur l'endroit où ils se rendaient. Finalement, le pavage blanc de la ville s'interrompit pour laisser place aux herbes folles, mais encore suffisamment courtes pour que la route campagnarde fût praticable. Le panneau qui trônait à la limite entre cité et nature indiquait clairement « Route 13 », ce qui offrit enfin une explication au nom du lieu qui avait été nommé.
Une route quasiment déserte avait dû être prise comme terrain de combat afin de ne pas avoir à causer trop de dégâts en ville ; peut-être que, par ailleurs, les matches étaient interdits à l'intérieur des milieux urbanisés pour cette raison...

Les deux adversaires s'enfoncèrent encore un peu dans l'étendue herbacée, s'écartant l'un de l'autre d'une bonne trentaine de pieds. L'aigle se posa aux côtés de son dresseur, dévisageant fièrement celle qui lui faisait face au loin.

« Je vais te faire une fleur, s'écria Koga afin que son ennemie l'entendît. Je te laisse commencer ! »

L'enfant fronça encore plus les sourcils. Elle savait que cela ne changerait en rien l'issue du combat.
Elle se saisit sans répondre d'une des poké balls à sa ceinture, appuyant sur son unique bouton ; en sortit un rayon blanc argenté qui matérialisa en quelques secondes Nina. À son tour, le jeune homme libéra un gargantuesque dragon à l'allure effilée malgré le fait qu'il parût recouvert d'une armure verdâtre aux reflets dorés ; ses mâchoires étaient entourées de deux grandes lames aiguisées qui luisaient sous le soleil pesant.

« T'as commencé avec le lourd, se justifia Koga. D'habitude on finit par les duels entre dragons mais... Après tout, pourquoi pas ? »

D'après ce que se souvenait avoir lu le professeur dans l'encyclopédie, le type dragon était sa propre faiblesse, ce qui faisait que, statistiquement, à première vue les deux pokémon étaient à peu près au même niveau ; mais il était évident que cette histoire de types n'était pas le seul élément entrant en jeu dans un match pokémon. Il n'avait pas encore retenu tous les détails, n'ayant eu droit qu'aux bases, mais de toute manière il savait qu'il s'agissait bien plus d'une question de stratégie plutôt que de simples statistiques ; et donc que rien ne pouvait annoncer avec certitude l'issue du match pour le moment.
Le duel commença immédiatement, Sandra prononçant le nom d'une attaque qui pour lui ne signifiait rien. En réponse, Nina se mit à cracher un long jet d'une substance claire mais dont la composition lui échappait, mais que, cependant, l'ennemi parvint à éviter de peu ; Koga répliqua en criant quelque chose d'autre qui se solda par une grande charge du dragon, toutes griffes en avant ; la cible déploya ses ailes, s'envola pour venir dans son dos et lui asséna un coup de pattes qui fit s'écraser l'autre géant contre le sol.
L'adolescente du futur continua en lançant aussitôt un autre ordre, tant qu'il était encore à terre ; le pokémon battit violemment des ailes au ras du sol de manière à faire voleter des grains de sable alentour, qui vinrent emprisonner son adversaire dans un solide tas qui le maintiendrait sur place pour un moment. Les Londoniens purent remarquer qu'en effet, une odeur marine flottait dans l'air et qu'une plage n'était par conséquent pas très loin.

« Faut avouer qu'elle se débrouille pas trop mal, marmonna un des gamins de la bande qui se trouvait juste à côté d'eux.
- Bah, lança un autre. C'est pas parce qu'elle a fait deux STAB en deux coups et qu'elle a réussi à immobiliser son tranchodon qu'elle y connaît forcément quelque chose en stratégie. C'est un coup de bol si tranchodon a une attaque physique bien meilleure que son attaque spéciale.
- Ouais. Dix pokés que ça va pas durer.
- Koga est trop fort. Il va lui mettre la pâtée, c'est sûr. »

Luke sortit discrètement de sa sacoche son petit carnet de notes, l'ouvrant à une certaine page et lisant attentivement. Finalement, il le présenta discrètement à ses amis, ce qui leur permit de comprendre à leur tour ce qui venait de se dire. En effet, l'apprenti avait visiblement recopié quelques notes empruntées aux livres que Sandra leur avait montrés auparavant, et en particulier ces lignes :

STAB (Same-Type Attack Bonus). Une attaque est plus puissante lorsqu'elle est du même type que le lanceur.

Il y a deux types d'attaques, qui dépendent de deux statistiques différentes : l'attaque physique, privilégiée dans le corps à corps, et l'attaque spéciale qui agit à distance. Chaque pokémon a ses propres statistiques particulières selon ses PV (Points de Vie), sa vitesse, son attaque et sa défense physiques et spéciales.


Lorsque son mentor lui demanda pourquoi il avait pris en note autant d'informations – car, en effet, les lignes continuaient ainsi sur quelques pages –, celui-ci lui répondit que cela pouvait toujours être utile de le savoir, puisqu'ils se trouvaient en un endroit où chacun le savait ; ou, du moins, était censé le savoir. Et en effet, cela permit au gentleman de comprendre enfin la véritable tournure du match : le fait d'immobiliser ce « tranchodon » l'empêchait d'utiliser des coups physiques qui n'atteindraient jamais leur cible, puisque Nina était, elle, tout à fait libre de ses mouvements, et de plus semblait dès le départ bien plus vive – peut-être fallait-il en déduire qu'elle avait une meilleure vitesse statistiquement – ; ainsi, cette dernière attaque avait eu pour rôle de débarrasser Sandra et son pokémon d'une statistique un peu trop dangereuse à son goût...
Mais si elle avait fait cela, cela se voyait que c'était également parce qu'elle était loin d'être certaine de gagner ; si elle affirmait, comme tous les autres dresseurs, que son adversaire était bien plus apte à la battre qu'elle, cela ne pouvait qu'être vrai.

De son côté, le dragon continuait de lancer des coups à distance selon les ordres de sa dresseuse, tout en évitant le mieux possible les tirs de son opposant qui se débattait dans les remous du tas de sable, en vain. Koga rageait de plus en plus, au point de perdre son sang-froid. Finalement, il lança un ordre qui fit trembler son adversaire :

« Draco Meteor. »

L'adolescente du futur se mordit la lèvre en ayant un mouvement de recul, tandis que le dragon en armure formait une boule brillante et gigantesque qu'il lança dans le ciel. Une fois suffisamment haute, celle-ci explosa en une myriade de petites pierres aiguisées et scintillantes qui replongea sur le sol, droit vers Nina.

« Abri ! »

Une sphère translucide se forma autour du pokémon vert pomme, et les roches vinrent s'écraser contre cette sorte d'écran protecteur. Une fois de plus, la vitesse l'avait emporté sur la puissance phénoménale des coups adverses ; mais il s'en était fallu de peu.
Cependant, l'entrave de sable ne pouvait durer éternellement. Koga s'en rendit compte finalement lorsqu'enfin le tas commença de bouger, cédant face aux efforts fournis par le pokémon emprisonné à l'intérieur. Retrouvant alors son sourire mauvais, il put enfin s'autoriser de lancer un ordre à propos d'une attaque physique.

« Colère. »

Alors que l'armure entière du dragon commençait de luire, comme si le métal était porté au rouge, la masse de sable vola complètement en éclats, masquant la scène à tous. Les spectateurs ne purent qu'entrapercevoir le mastodonte se jeter vers son adversaire volant, griffes et crocs sortis. Tous retinrent leur souffle, Koga excepté. Il semblait plus que jamais sûr de son coup.
Lorsque le sable retomba, les deux dragons étaient au sol. Nina ne bougeait pas, faisant faiblement trembler les brins d'herbe près de ses naseaux. Le « tranchodon » luisait toujours, la fixant hautainement. Toutefois, il haletait. Et quand la lumière s'éteignit au bout de quelques secondes, il s'effondra tout d'un coup, lui aussi.

« Cravate*... s'écria un des adolescents d'un ton incrédule, le souffle coupé. Elle l'a mis cravate... »

Les Londoniens n'osèrent pas dire qu'ils ne voyaient pas le sens du mot « cravate », ou plutôt ce qu'il avait à faire dans un tel contexte. Ce n'était pas le moment pour cela, et ils n'eurent aucun mal à comprendre qu'il prenait certainement le sens de « match nul » ou « égalité ».
Koga regarda tout d'abord son pokémon à terre avec surprise, mais se ravisa tandis qu'il brandissait sa poké ball, le faisant entrer de nouveau à l'intérieur.

« Bah, qu'est-ce que ça change après tout ? confirma un des adolescents. Elle a perdu son seul sweeper, alors que Koga en a encore deux. Elle va perdre, c'est tout. »

Luke regarda de nouveau son carnet, qui expliqua que sweeper était un terme technique désignant un pokémon axé sur l'attaque ; et en effet, si les trois autres pokémon de Sandra n'en étaient pas, cela ne pouvait signifier qu'une seule chose : qu'ils étaient moins puissants que Nina, et ne feraient donc pas le poids face à la suite.
Les Londoniens comme les gamins de la bande voyaient déjà Sandra en train de révéler son secret. Si cela inquiétait les premiers plus qu'autre chose, cela n'engendrait que des ricanements chez les partisans du jeune homme.

Celui-ci fit signe au gigantesque oiseau derrière lui qu'il était désormais à son tour de prendre le relais. De son côté, l'adolescente libéra Matt, qui considéra son adversaire. Tous parurent étonnés de son choix, s'étant attendus à ce qu'elle sortît Gabrielle qui était de type électrique, et avait donc l'avantage du type ; mais elle ne prit aucunement garde à toutes les remarques qui fusaient dans son dos. Elle avait visiblement choisi de miser seulement sur la puissance de tir plus que sur les statistiques. Et au moins, aucun des deux opposants n'était en position d'avantage ou de désavantage... si l'on ne regardait que ces histoires de types, plutôt que la morphologie : de ce point de vue-ci, l'oiseau avait de toute évidence la maîtrise d'un milieu que la loutre bleue ne pouvait pas utiliser : les airs.

« Je vais te laisser le temps de réfléchir pour la prochaine fois, ricana Koga face au grand avantage qu'elle lui avait ainsi offert, probablement sans s'en rendre compte. Vol ! »

L'aigle gigantesque déploya ses ailes et prit en effet son envol, s'éloignant dans les airs jusqu'à devenir hors d'atteinte de toute attaque en provenance du sol ; voire presque hors de vue. En attendant qu'il redescendît, la dresseuse lança un regard à son pokémon qui semblait porter une attention toute particulière lorsqu'elle lui ordonna ce qu'il devait faire :

« Blizzard. »

Tous les dresseurs présents autour d'elle, y compris Koga, lancèrent une interjection qui exprimait parfaitement leur surprise ; en effet, il ne servait à rien d'attaquer puisque l'ennemi était hors d'atteinte. Et, au vu de leurs têtes ahuries, il devait s'agir, de plus, d'une attaque particulièrement puissante et nécessitant donc de nombreux efforts qui ne serviraient à rien...
Matt s'exécuta cependant, remplissant le terrain de combat et les alentours d'un souffle glacial et épais, recouvrant tout le monde sous un voile opaque et blanc. Par réflexe, tous fermèrent les yeux en se recroquevillant sur eux-mêmes face au froid et à la neige qui avait remplacé le doux soleil en quelques secondes. Personne ne pouvait plus y voir quoi que ce fût.
Le professeur Layton, cependant, sentit que quelqu'un lui tirait le bras discrètement. Lorsqu'il risqua un œil, il distingua la silhouette de cette même adolescente qui lui faisait signe de le suivre ; après avoir attiré silencieusement l'attention des trois autres Londoniens, le petit groupe s'exécuta avant de disparaître, se retrouvant de nouveau dans la cave où siégeait la machine à voyager dans le temps. Visiblement, elle avait profité du brouillard pour s'enfuir seule, puis aller chercher ses amis en utilisant sa machine... Mais n'était-ce pas imprudent, d'un certain côté ?
 


« Gueriaigle ! Abandonne Vol et utilise Anti-Brume ! »

Le pokémon concerné cessa sa charge pour s'arrêter juste au-dessus du nuage de brouillard gelé ; il battit alors des ailes de manière à dissiper celui-ci, libérant enfin les humains de cet enfer glacial. Toutefois, lorsqu'ils purent enfin distinguer de nouveau les environs, ils se rendirent compte très tôt que quelque chose avait changé depuis que l'attaque avait été lancée : en effet, Sandra et ses mystérieux amis avaient tout simplement disparu.

« Eh, Koga ! Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? »

Le concerné ne répondit pas, se contentant de leur ordonner de fouiller les environs ; ils n'avaient pas eu le temps d'aller bien loin, c'était certain. Enfin, Sandra, peut-être : elle avait largement eu le temps de s'échapper en chevauchant Nina. Même si elle devait être encore faible, elle pouvait toujours voler en cas d'extrême urgence.

Tandis que ses camarades s'étaient dispersés dans toutes les directions possibles, à la recherche des habitants de Fiore, il ne put qu'esquisser un sourire mauvais, une fois de plus.

Il tenait encore un élément qui pouvait lui prouver que ce qu'elle cachait était plus important encore que ce que tous imaginaient au départ. Et s'ils ne retrouvaient pas la dresseuse ni ses amis, il connaissait bien son adresse.
À bien y réfléchir, elle lui devait des explications : déclarer forfait pouvait parfaitement être considéré comme une défaite. Et il lui faudrait donc s'expliquer.

Notes :
* : En effet, les habitants de la région de Fiore, très respectueux de l'environnement, tendraient logiquement à vouloir s'éloigner de l'urbanisation qui est particulièrement présente à Unys.
* : Il y a ici une ambiguïté qui serait intraduisible en français, mais que je tenais à faire ressortir : nos chers Londoniens sont britanniques, aussi comprennent-ils « cravate » lorsque quelqu'un dit
« tie » ; alors qu'un Américain comprendrait ici « Match nul ». D'un autre côté, les Britanniques diraient « draw », qui signifie également « dessiner »... L'ambiguïté existe donc des deux côtés, comme pour nombres d'autres exemples.

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