Le trèfle à douze feuilles

Chapitre 12 : Eaux dormantes

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Dernière mise à jour 09/11/2016 17:23

« Il faut faire de la vie un Rêve, et d'un Rêve une réalité. »
Pierre Curie

Partout, il n'y avait que du blanc. Un blanc envahissant et vide cependant, pas le blanc perlé, aux mille couleurs immaculées et laiteuses de la nacre et des nuages doucereux, avec ses tonalités brillantes et admirables. Non : le blanc du papier dont les fibres enchevêtrées vous éreintaient comme les fils d'un pantin, comme un dessin au crayon de papier inachevé et condamné à rester collé, statique, sur sa feuille de brouillon, craignant chaque instant qu'une gomme vînt l'effacer de la mémoire du monde pour toujours. Dans cette immensité grotesque et pesante, un même silence résonnait ; il n'y avait rien qui pût produire un quelconque bruit, le moindre murmure, le plus petit son possible. Le silence envahissait tout, se mêlant à ce blanc éreintant, et était prononcé à un point tel qu'un grondement grave se forgeait naturellement dans les oreilles, au point d'en devenir douloureux et de provoquer des nausées. Le silence absolu était assourdissant ; c'était pour cela qu'il n'existait que dans les situations extrêmes.
Au milieu de ce désert immense et sans horizons, Emmy faisait face à un miroir. Rectangulaire, tout en hauteur, placé idéalement face à elle de manière à ce qu'elle pût s'y voir entière, de la tête aux pieds. Pourtant, au lieu de se demander comment elle s'était retrouvée en un lieu si insolite et si insignifiant, ce qui sembla être sa voix résonna sans échos – on eut dit qu'elle parlait dans un champ, en hiver, recouvert d'une couche de neige épaisse d'au moins un pied – avec un ton décidé, sec, très sûr de lui, qui l'étonna elle-même en réalité bien qu'elle ne le montrât pas :

« Ce n'est pas moi. »

En effet, si l'on réfléchissait bien, il devenait évident que ce n'était pas elle ; ce n'était que son reflet. Un mirage, une image d'elle-même produite par la réflexion de la lumière sur la surface de l'objet lisse et argenté, puis parvenant jusqu'à ses yeux et lui dévoilant une autre elle-même qui lui faisait face et l'imitait dans ses mouvements. Il n'y avait rien d'étrange à cela : c'était un miroir. Là était son simple et unique rôle. Mais ces quelques mots qu'elle avait prononcés semblaient dire quelque chose de plus profond que cela, sans l'expliciter bien clairement pour autant. Le mystère demeurait entier, mais la jeune femme en veste jaune n'en semblait pas importunée. Elle ne détachait pas ses yeux du pareil regard que lui lançait son « double » ; après tout, ce n'était pas comme s'il y avait quoi que ce fût d'autre d'intéressant à regarder autour d'elle. Elle n'était pas narcissique, mais elle éprouvait comme un mélange de crainte injustifiée et d'admiration pour cette personne qui lui ressemblait tant sans pour autant être elle, ni même exister réellement.
Pourtant, quelque chose clochait. Plus elle gesticulait devant cette plaque d'argent polie et vernie, plus elle ressentait qu'en réalité, c'était elle qui suivait les gestes de son reflet ; plus cette danse ridicule devant le miroir durait, plus elle s'en rendait compte avec lucidité et horreur : elle n'était plus maîtresse de ses mouvements. L'autre femme, qui n'était pas elle, lui lançait cette fois un regard bien plus que vivant, et montrant un éclat que jamais elle n'eut lancé en temps normal. Se reflétaient dans ses yeux les perles noires d'une étrange méchanceté qui se moquait silencieusement mais ironiquement de cette situation. L'assistante du professeur Layton, après quelques minutes, parvint à reprendre le contrôle de ses gestes – à sa propre surprise, bien qu'elle n'y prît pas réellement garde – et se figea face à son reflet, la mine grave, les sourcils froncés comme jamais. Elle demanda brusquement :

« Qui êtes-vous ? »

Le silence se prolongea, un sourire sarcastique sur le visage de l'image que le miroir donnait d'elle-même tenant probablement lieu de réponse. Une réponse cependant bien insuffisante.
La jeune lady répéta sa question, puis encore et encore, sans pour autant détrôner ce rictus diabolique des lèvres de « l'inconnue ». Mais pourquoi avoir mis ce mot entre guillemets ? Ce n'était pas elle, et elle ignorait de qui il s'agissait ; par déduction, c'était incontestablement une inconnue à ses yeux. Il n'y avait pas besoin de guillemets montrant un certain doute à ce fait quasiment démontré. Elle eut beau faire, menacer, crier, l'image était désormais devenue statique, mais horriblement vivante malgré tout. L'éclair de la vie traversait ce mirage pourtant immobile.
Finalement, au comble de l'énervement, un poing fusa ; une fissure apparut sur le miroir, fissurant de même en quelques endroits le reflet, qui ne réagit pourtant pas. Au bout de quelques secondes, d'autres coups, des mains, des pieds, des genoux, vinrent démolir ce panneau argenté, sans pour autant faire disparaître cette image statique ; la première fissure infligée demeurait sur le miroir, mais s'était effacée de l'image de son reflet. Elle s'arrêta au bout d'un moment, probablement sous le coup de la fatigue. Et c'est là qu'elle remarqua qu'une silhouette plus petite, plus ronde, plus enfantine, s'était ajoutée dans le miroir. Les cheveux flottant au gré d'un vent inexistant, une large mèche brune de cette même chevelure lui cachant de même le haut du visage, et une partie de ses yeux ; celle qui permettait généralement de déterminer les émotions les plus profondes et les plus véritables de leur propriétaire. Elle était vêtue d'une manière à la fois simple et insolite ; peu de jeunes filles portaient en effet ce genre de jeans. Mais là n'était pas le problème.
Emmy se retourna, et ne vit personne. Elle regarda le miroir, puis derrière elle, puis le miroir : la jeune fillette se trouvait dans le miroir, mais pas derrière elle. Le silence régnait, l'enfant paraissait fixer les deux femmes avec un mélange d'inquiétude et d'amusement ; peut-être même de fascination. Et finalement elle parla :

« Venez, je vais vous sortir de là. »

Et elle et le reflet du miroir disparurent comme par magie, aussitôt qu'elle s'était tue. Lorsque l'assistante voulut regarder le panneau argenté et qu'elle avait brisé de plus près, il tomba en ruines, ruines qui devinrent poussières cendrées qui s'envolèrent au loin au gré d'un vent inexistant, et formant comme un essaim d'abeilles cherchant un nouveau nid à bâtir, dans quelque lieu plus éloigné et – soyons fous ! – plus improbable encore, pourquoi pas. Emmy se rendit alors enfin compte avec une sorte de terreur horrifiée que, durant quelques secondes, elle n'avait pas de reflet dans le miroir. Et que par conséquent, la lumière qui le frappait n'avait pas renvoyé son image ; parce que ces mêmes rayons de lumière ne l'avaient pas frappée elle-même. Par conclusion, elle n'existait pas.

 

20 mars 1964, 10:24 a.m.


Emmy, en suivant ses amis sur la route menant au commissariat de Dublin, avait repensé à ce rêve. Ou plutôt, ce cauchemar, puisqu'il n'avait rien de bien joyeux...
La première fois que ce songe lui était venu en tête, c'était la nuit suivant tout simplement le début de l'affaire, du dix-sept au dix-huit mars ; et suivant également, comme par hasard, la rencontre de Sandra, qu'elle voyait dans ce rêve aussi bien qu'elle se voyait elle. Certes, il arrivait à tous et à toutes de faire des rêves étranges, voire bien plus extravagants encore ; elle n'y avait prêté aucune attention – elle n'en avait parlé à personne, jugeant cela bien plus qu'inutile –, et était donc passée outre, s'étant bien plus que convaincue du peu d'importance qu'il fallait attacher à de telles futilités. Elle fut surprise de se réveiller la nuit suivante avec ce même rêve qui était venu la tourmenter ; elle songea qu'elle y avait peut-être malgré tout pensé suffisamment souvent avant la nuit pour que, par pure coïncidence, elle y repensât une seconde fois durant son sommeil. Encore une fois, elle ignora ce rêve, certaine que les rêves n'étaient là que pour procurer aux gens de quoi délirer dans leur somme, et certainement pas pour leur offrir quoi que ce fût de sérieux. Cela n'était pas logique, donc pas envisageable.
Mais, la nuit qui venait de passer, ce même rêve, cette même confrontation devant le même miroir, troublèrent encore une fois sa nuit. Deux fois consécutives, bien que ce fût improbable, pouvaient tenir lieu de simple coïncidence. Mais trois, non ; contre toute logique, sa mémoire avait retenu cette histoire sans queue ni tête et tenait absolument à la lui rappeler, un semblant d'intuition lui hurlant mentalement que tout ceci avait un sens. Un sens qu'elle avait intérêt à élucider si elle voulait pouvoir passer une nuit de sommeil bien tranquille, et loin des rêves étranges qui n'avaient pas de sens et lui juraient qu'ils en avaient un.

Sandra ne se trouvait pas tellement loin d'elle à ce moment, et suffisamment des autres pour que cela la décidât. Elle s'approcha et lui murmura à l'oreille un simple « Pourrais-je te parler deux minutes ? » calme et naturel, n'attirant aucunement la méfiance de l'adolescente. Elle hocha silencieusement la tête, lui demandant dans un chuchotement de continuer dans sa lancée.

« Ce n'est pas grand-chose, mais... cela fait trois jours de suite que je te vois en rêve.
- Toujours le même ?
- Oui. C'est très troublant...
- En effet. J'ai entendu dire que les rêves étaient parfois un message que notre inconscient a à nous donner... Le vôtre doit vouloir insister particulièrement sur un détail, on dirait. »

Elles marchèrent encore, à l'arrière du groupe qui ne se doutait de rien. Ou plutôt, qui savait pertinemment ce qu'il se passait mais qui, ne se sentant pas concerné par les messes basses, n'osait pas les interrompre.

« C'est étrange, reprit finalement l'aînée, mais... Quand je t'ai vue pendant la fête, j'avais comme un sentiment de déjà vu...
- Ce n'est pas impossible. » trancha l'enfant, soudainement rêveuse.

L'adulte sursauta légèrement, s'étant attendue à une réponse d'un genre tout-à-fait différent. En réalité, elle avait prononcé cette phrase sans réfléchir, et n'avait pas réellement désiré parler de cela ; enfin, Sandra provenait d'un monde différent. Déjà que leur rencontre était improbable, comment était-il possible que le phénomène se fût reproduit par le passé ? La probabilité que cela arrivât devait être particulièrement faible, surtout qu'elle n'avait aucun souvenir précis d'une telle rencontre. Et pourtant, l'adolescente avait comme approuvé ces dires à l'apparence si peu sensés.

« Toi aussi, tu avais ce sentiment ?
- Non. », avoua-t-elle platement.

Un ange passa.

« Je ne te suis plus... Nous nous sommes vues par le passé, oui ou non ?
- Je ne m'en souviens pas, mais ce n'est pas une preuve du contraire. Ma mémoire n'est pas la vérité pure ; je dirais même qu'elle en est très loin.
- Vu sous cet angle... En fait, je n'ai aucun souvenir précis d'une telle rencontre non plus, mais... Dans ce rêve, tu étais différente. »

Se profilait encore dans son esprit la silhouette de la jeune fille, qui était particulièrement nette. Physiquement, elle n'avait pas tellement changé ; son attitude mystérieuse et énigmatique, avec une once de malice qui lui était bien propre, ne l'avait pas quittée non plus. En réalité, il s'agissait surtout de sa tenue qui était troublante. Certes, elle n'était pas particulièrement étonnante – bien que peu courante, mais pas au point d'être extravagante –, mais le fait troublant était qu'elle n'avait jamais vu l'enfant dans une telle tenue ; du moins, elle n'en avait aucun souvenir.
Sandra, au lieu de lâcher ses cheveux et de n'en attacher qu'une petite mèche à l'aide d'un ruban, comme c'était le cas depuis qu'elle la voyait à Dublin, avait en réalité une queue de cheval – banale, mais bien moins lorsqu'il s'agissait d'un rêve et d'une image jamais vue dans la réalité. Au lieu de son costume de festival, elle portait une simple chemise vert pâle et un jean d'un genre peu courant. Encore une fois, cela n'était pas particulièrement extraordinaire ; mais étant donné qu'elle n'avait vu cela qu'en songe, cela suffisait pour attiser sa curiosité.
L'enfant à lunettes, elle, se contenta de hausser les épaules.

« Je suis désolée, mais je ne peux pas vous aider.
- C'est tout de même bizarre, comme rêve... », insistait Emmy.

Un fin sourire s'installa finalement sur le visage de l'étrangère.

« Est-ce un rêve, ou un souvenir ? murmura-t-elle d'un ton songeur.
- Un rêve, trancha-t-elle avec certitude. Les lieux complètement blancs et les miroirs qui ne jouent pas leur rôle normal de miroir, ce n'est pas réel. »

Le sourire s'intensifia. Apparemment, il ne fallait pas prendre sa remarque au premier degré.

« Ce n'est pas parce qu'un souvenir est profondément modifié par votre esprit qu'il n'en est pas moins réel... Qu'y avait-il dans ce miroir ?
- D'abord moi – ce qui est normal –, puis moi en train de ne plus suivre mes mouvements, puis toi. »

Elle hochait la tête de haut en bas, signe qu'elle comprenait bien.

« Je vois...
- Tu comprends ce que ça veut dire ? sourcilla l'assistante, sceptique malgré tout.
- Je ne suis pas sûre ; mais je crois avoir cerné le problème. »

Et ses lèvres continuaient de remuer muettement, comme disant des choses qu'elle n'osait pas ajouter.
Cependant, ce fut à ce moment qu'Emmy distingua enfin un détail subtil, mais qui pouvait avoir toute son importance. Discret comme un moucheron dans l'ombre de la nuit, un mystérieux petit engin noir entourant l'oreille droite de l'enfant lui fut enfin révélé ; sa petite mèche de cheveux, qui habituellement masquait ce détail, était en ce moment-là bousculée en tous sens par la marche. Cela fut bref, la mèche revenant aussitôt à sa place initiale, mais ce regard anodin qu'elle lui avait porté avait été jeté au moment même où ce détail devenait visible. Pendant ce temps, l'enfant continuait de marmonner silencieusement, ne se doutant de rien.
Ayant froncé les sourcils, une déduction logique à tout cela parvint à l'esprit de l'assistante du professeur Layton ; de logique, elle était même bien plus qu'évidente, bien que certains détails auxquels elle ne faisait pas attention sur le moment fussent encore obscurs. Voulant obtenir des explications, elle reprit finalement la parole, mais cette fois-ci de manière à ce que tout le monde l'entendît et y prêtât attention.


« À qui parles-tu ? »


L'étrangère tressaillit muettement, s'arrêtant subitement dans sa marche. Elle la regardait, éberluée, comme si elle ne comprenait pas ce qu'elle voulait dire exactement. Le reste du groupe se retourna, marquant une incompréhension générale. Cependant, à force de fixer ainsi dans le blanc des yeux la Londonienne, l'enfant comprit qu'il n'y avait plus aucun moyen de passer à côté des explications.

« Vous avez gagné. Je vais vous expliquer... »

Elle soutint cependant un petit moment de silence, reprenant de l'assurance dans son regard. Ses yeux noirs avaient de nouveau repris une teinte grave, montrant toute l'importance de ce qu'elle s'apprêtait à dire.

« Je compte cependant sur vous pour ne pas raconter ça à qui que ce soit. Que nous soyons bien clairs. »

Après une brève hésitation, l'archéologue convainquit ses amis d'accepter de maintenir le silence ; tout ce qui comptait sur le moment était de savoir.
L'adolescente emplit silencieusement ses poumons avec le plus d'air qu'elle pouvait recueillir, se donnant du courage, puis commença.

« Vous avez certainement pu vous en douter, ce n'est pas complètement par hasard que je suis là depuis le début de l'affaire. En réalité, on m'avait prévenue que quelque chose allait arriver ici, et que ma mère et moi devrions intervenir ; mais j'ignorais totalement que c'était ce genre de choses qui allait arriver...
- De qui avais-tu appris ça ? » tenta le professeur.

La mine de Sandra s'assombrit en l'espace de seulement quelques fractions de secondes. Dès que la question avait parvenu à ses oreilles, elle s'était comme tétanisée ; se reflétait dans ses yeux comme un obscur gouffre sans fond dans lequel elle était en réalité elle-même plongée.
Elle tremblait comme une feuille ; et ce n'était pas dû au vent froid qui s'engouffrait dans la rue avec ténacité depuis la première heure. Son regard semblait s'embuer de larmes, elle se mordait la lèvre inférieure comme si elle tentait de se contenir.

« Est-ce que... ça va ? murmura Flora, inquiète.
- Serait-il arrivé quelque chose à cette personne ? » voulut déduire Luke, sans se rendre compte cependant de son manque flagrant de tact.

L'enfant tressaillit encore, et semblait presque sur le point de défaillir. La remarque de l'apprenti semblait juste, mais son sujet n'eut probablement pas dû être abordé ; pas en un tel moment. En effet, au comble de l'embarras, l'étrangère finit par perdre complètement ses moyens.

« Oh, mais laissez-moi tranquille ! Référez-vous à l'énigme si vous voulez tout savoir ! »

Et elle partit en courant en sens inverse, les larmes perlant désormais sans retenue sur ses joues. Les assistants du gentleman voulurent la poursuivre, mais celui-ci les arrêta. Ils avaient un rendez-vous au commissariat à ne pas manquer, et ils avaient suffisamment de retard comme cela. Et puis... Il valait mieux qu'elle restât seule pour un moment, au moins le temps qu'elle se calmât un minimum.
Cependant, avant de repartir, l'homme au haut-de-forme se pencha au sol, ramassant un mystérieux petit objet noir avec curiosité. Cela avait été un mouvement fugace et discret, mais il l'avait bien vu : elle l'avait jeté volontairement. Mais qu'était-ce au juste ? Qu'est-ce que cela pouvait-il bien signifier ? Elle semblait vouloir les aider, mais elle ne le faisait pas. Encore une fois, elle n'en avait probablement « pas le droit »... Mais à quoi servait donc ce petit appareil qu'elle avait jeté au sol avant de se mettre à courir ? Et pourquoi leur avoir confié cet appareil en question ? Peut-être était-il destiné à les mettre sur la voie, d'une manière ou d'une autre...
Cet outil était indiscutablement une merveille de technologie ; d'après ce qu'avait compris le gentleman, Sandra était en communication avec une personne lointaine, et ce apparemment via ce petit instrument. Et pourtant, comparée à l'image qu'il avait des téléphones, la taille de l'objet était ridiculement minuscule ; ceux qui fonctionnaient sans l'aide de fils étaient encore bien peu pratiques, car bien plus gros que ce qu'il avait dans la main. Et pourtant, comment expliquer le fait qu'elle parlât à quelqu'un de lointain sans autre moyen de communication possible ?

Curieux, les autres Londoniens s'étaient attroupés autour du petit engin, le dévisageant sous toutes ses coutures et tentant de comprendre son utilité et son fonctionnement. Le silence régnait autour d'eux, malgré le vent qui continuait de souffler avec force, aussi purent-ils tous entendre au bout de quelques minutes un léger grésillement qui avait pour origine le petit appareil dont il était question. Après le grésillement se fit entendre un murmure de voix féminine qui, bien qu'ayant un aspect légèrement électronique – ce son si particulier qui caractérisait les voix passant par le téléphone –, gardait une touche bienveillante et amicale.

« Professeur Layton ? »

En entendant ce nom, tous eurent un léger sursaut de surprise. Luke reprit aussitôt en demandant à la voix comment elle connaissait son mentor. A défaut de lui répondre, l'étrangère se présenta :

« Vous connaissez Sandra... Je suis sa mère, Evelyne Kotino. »

Étant donné que son visage n'en demeurait pas moins inconnu, personne ne sut comment répondre. Après quelques secondes de silence, la femme reprit :

« Veuillez l'excuser pour ce qui vient de se produire, c'est juste que... ce genre d'histoires lui rappelle de mauvais souvenirs. Très mauvais.
- De quoi s'agit-il exactement ? tenta l'archéologue, décidé malgré tout d'obtenir la réponse à sa question.
- C'était son père. Suite à... une « altercation » avec « quelqu'un », il était venu à en déduire que Dublin était sur le point d'avoir des « ennuis ». Enfin, c'est un bien grand euphémisme...
- S'il y a tout de même quelque chose que je ne comprends pas, coupa l'apprenti, c'est que vous êtes parfaitement consciente de la gravité de la situation... Sandra m'a dit que votre gouvernement n'était même pas au courant de ce qu'il se passe ici, mais rien ne vous empêche de le prévenir ! Et pourtant, vous vous obstinez à agir par vous-même... »

Un léger soupir tendu se fit entendre.

« C'est beaucoup plus compliqué que ce qu'il n'y paraît... Vous savez, il n'y a pas que les règles qui empêchent tous ceux qui « savent » d'expliquer aux autres ce qui se produit exactement. Si j'essayais de prévenir le Gouvernement, personne ne me croirait ; tout simplement parce que c'est quelque chose de tellement complexe que cela paraît complètement inconcevable... »

L'adolescent se tut, autant que ses amis. Visiblement, si Sandra se taisait à propos des explications de l'affaire en cours, c'était à cause de ces fameuses règles... Mais des règles à propos de quoi ? Qui les avait conçues, et pourquoi ? Lorsque Flora tenta de poser la question à la mère, sa réponse fut aussi claire que sibylline :

« Personne n'a vraiment créé ces règles ; elles ont toujours existé, c'est juste que personne n'y prenait garde jusqu'alors parce que personne n'avait les moyens de les transgresser. Toute personne sensée devrait cependant, dans notre cas, respecter ces règles. Si Sandra et moi agissons, c'est parce que nous savons qu'elles sont sur le point d'être transgressées, et que nous avons les moyens d'empêcher ça. C'est également pour ça qu'il est très important que nous réglions le problème une bonne fois pour toutes. »

Encore une fois, le silence retomba. Cependant, Evelyne finit par reprendre la parole quelques minutes plus tard :

« Vous devriez vous rendre au commissariat, vous allez être en retard. J'ai cru comprendre que Sandra vous avait donné une énigme qui pourrait vous aider, non ? La connaissant, ce sera largement suffisant jusqu'à demain.
- En parlant d'elle, répliqua le professeur, savez-vous où elle a bien pu se rendre ?
- Oh, elle ne doit pas être bien loin, ne vous en faites pas. Elle a dû rentrer à l'hôtel, sûrement... »

Alors que le groupe commençait de repartir lentement, l'archéologue rangeant le petit engin dans sa poche, la voix se fit entendre une dernière fois :

« J'y pense ; quand vous la reverrez, pourrez-vous lui dire de ne plus jeter son... appareil au sol ? C'est très mauvais pour les batteries. »

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