Le trèfle à douze feuilles

Chapitre 7 : Faire la pluie et le beau temps

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Dernière mise à jour 09/11/2016 10:58

« En fuyant la pluie, on rencontre la grêle. »
Proverbe turc

19 mars 1964, 07:24 a.m.

Flora était en train de préparer le thé lorsqu'elle découvrit le fléau du jour. Alors qu'elle préparait le petit-déjeuner tout en gardant un œil sur l'eau en train de chauffer, un bruit répété contre le sol, de l'autre côté de la fenêtre, avait attiré son attention. Elle avait posé le tout sur la table, puis écarté les rideaux ; ses grands yeux noirs reflétèrent son effroi quand enfin elle put distinguer ce qui se déroulait au-dehors.
De petites bombes translucides et pâles se jetaient avec fureur contre la vitre, mêlées à un maigre duvet qui, en bas, s'amassait et recouvrait tout sous un épais tissu de coton blanchâtre, troué par endroits par les épaisses boules de verre.

C'était de la grêle : mais une grande grêle puissante et destructrice à faire pâlir les hommes qui ne voyaient pas le jour six mois durant. Une de ces grêles dont les grêlons pouvaient assommer les passants qui en recevraient malencontreusement sur la tête ; une grêle à casser les vitres, à bosseler les voitures, à tordre le métal. Les lampadaires ne fonctionnaient visiblement plus : ceux qui n'avaient pas leur ampoule de verre brisée étaient voûtés comme si quelque force surhumaine les avait tordus et leur avait enfoncé la tête dans le sol gelé. Face à ce spectacle effrayant, la jeune adolescente s'était transformée en statue, n'ayant plus le courage de refermer les rideaux sur cette vision d'une rue dévastée par les éléments, ni même en détourner les yeux. Et dire qu'aucune précipitation n'avait été prévue ! Et la lettre de la veille ? Elle avait promis du beau temps ! A moins que ce ne fût que pour le plaisir d'exposer le vieux dicton...

La Londonienne sursauta violemment et se retourna vers le poêle : de la fumée maigre et brûlante s'en échappait avec fureur, et l'eau sautait de son récipient par vagues écumantes. L'enfant courut éteindre le feu, et épongea prudemment ce qui était sorti de la casserole. Regardant son contenu, elle ne put cependant réprimer un soupir : il ne restait presque plus rien. Elle avait trop attendu.
Elle ouvrit le robinet et ajouta encore de l'eau jusqu'aux deux tiers de la contenance maximale du récipient, puis remit le tout à chauffer ; cette fois-ci, elle ne se laisserait pas distraire. Bien que ce fût tout de même bien étrange, toute cette histoire... Et personne n'avait donc aucune idée de ce qui se déroulait exactement ? Personne ne pouvait l'expliquer ? Il y avait pourtant bien une explication logique ! Tout énigme avait une solution, n'est-ce pas ? Et pourtant...
Cela faisait deux jours que le phénomène avait débuté. Deux jours, cela correspondait généralement au temps que le professeur prenait pour résoudre un tel mystère ; depuis qu'elle l'accompagnait, aucune de ses enquêtes n'avait pris plus de temps... Cela avait de quoi démoraliser, puisqu'en deux jours, cette fois, ils n'avaient que de très maigres indices... Beaucoup trop maigres.

La porte s'ouvrit ; c'était Sandra. La Londonienne la salua distraitement, tout en la dévisageant ; lorsque tout le monde réfléchissait à l'enquête, elle, au contraire, restait seule. Et pourtant, elle affirmait vouloir faire la lumière sur l'affaire, elle aussi... Flora lui avait proposé de partager ses idées avec eux, et elle avait approuvé cette idée avec un semblant d'enthousiasme ; mais elle s'obstinait à s'isoler et se faire oublier. Soit elle n'était pas si curieuse que cela de connaître la vérité, soit elle avait plus d'indices qu'elle n'en disait. Quoi qu'il en fût, cette mystérieuse jeune fille à lunettes devait s'expliquer un minimum.

« Est-ce que tu as vu dehors ?
- Bien sûr. Ça devient de plus en plus dangereux, cette histoire. »

La petite brune regardait la fenêtre à travers laquelle les grêlons passaient ; ils étaient trop lourds pour se laisser bercer par le vent, et donc ne fût-ce que frôler la vitre – et heureusement, car ils eurent pu la briser sans aucun souci. Même si les cheveux bruns cachaient le haut de son visage, il était aisé de voir qu'elle fronçait les sourcils, comme maudissant intérieurement les responsables du cataclysme ; presque comme si elle savait à qui elle avait affaire...
En parlant de cela :

« Sandra, qu'est-ce que c'est ?
- De quoi parles-tu ?
- Ben... Ces créatures ! »

Elle lui présenta un regard interrogateur, comme demandant à la Londonienne la raison pour laquelle elle lui posait une telle question, alors qu'elle savait pertinemment qu'elle n'en avait pas la réponse. L'étrangère soupira, puis s'accouda à la fenêtre avec lassitude.

« Si seulement je pouvais te répondre... »

Le silence retomba. Aucune des deux ne bougeait ; Flora fixait intensément l'étrangère, qui elle regardait inlassablement par la fenêtre. Cependant, au bout de quelques minutes, cette même bouche reprit la parole.

« Je crois que l'eau bout. »

Cela avait été dit d'un ton neutre ; un ton ne dégageant aucune émotion. Cela n'avait été qu'une constatation d'un fait réel : « l'eau bout ». Une certaine nuance de « fais attention, cela sera bientôt trop tard » se laissait deviner, mais la Londonienne n'y prit pas garde et se contenta d'aller arrêter le feu et verser l'eau dans une théière de porcelaine blanche, y ajoutant une infusion d'Earl Grey. Alors qu'elle procédait, elle reprit cependant la parole, tentant de faire parler ce mur de silence qu'était Sandra.

« Pourquoi es-tu venue ici, sans tes parents ?
- Ce serait bien complexe à t'expliquer... soupira-t-elle en regardant par la fenêtre. En principe, je devais me rendre à la fête avec ma mère, mais elle a été prise au dernier moment... C'est une scientifique, elle est toujours très occupée... Une conférence, comme toujours... »

Il paraissait tout de même étrange qu'elle vînt dans un pays étranger – elle n'avait pas l'accent d'Irlande, c'était évident qu'elle fût étrangère – sans ses parents. S'ils ne pouvaient pas l'accompagner, pourquoi irait-elle ? Profiter seule d'une fête, ce n'était pas particulièrement amusant...

« C'est parce que tu jouais dans le défilé que tu as dû venir seule ? » déduisit-elle alors qu'elle finissait les toasts de confiture.

Sandra parut hésiter. Puis elle murmura, un léger sourire énigmatique aux lèvres, d'un ton accentuant bien ce qu'elle laissait deviner :

« Si tu veux. »

Autrement dit, « ce n'est pas cela, mais je ne te répondrai pas – pas tout de suite ». Elle semblait plutôt étrange, comme jeune fille ; elle n'aimait pas mentir, mais ne paraissait jamais dire la vérité. Il s'agissait d'une sorte de vérité incomplète, quelque chose de vrai qui mentait – enfonçait une idée fausse dans la tête des destinataires. À la longue, cela devenait légèrement agaçant, voire suspect en un tel moment...

« Pourquoi parles-tu toujours par énigmes ?
- « Je les résous toutes », pour citer quelqu'un, sourit-elle. Tu devrais essayer, de temps en temps ; c'est amusant.
- Et impoli. », répliqua la Londonienne en prenant le plateau contenant le petit-déjeuner, comme légèrement vexée.

Elle ouvrit la porte de la cuisine et s'éloigna vers la table la plus grande de la réception de l'hôtel, y déposant avec soin tout ce qu'elle avait préparé.
Les gérants de l'hôtel avaient préféré partir plutôt que de continuer de s'occuper de leur établissement, comme si de rien n'était. Ainsi, avec un personnel réduit à néant, il n'y avait plus qu'à faire la cuisine soi-même ; c'était un peu comme chez le professeur, à Londres... en plus grand.
Flora se retourna vers la porte menant aux fourneaux, une fois son travail achevé ; restée ouverte, elle laissait paraître la salle vide. Où Sandra était-elle donc passée ? Elle n'avait pas fait attention, mais elle avait probablement dû retourner dans sa chambre. Ou aller prévenir les autres que le repas était servi ? Tant mieux dans ce cas ; elle n'aurait pas à le faire elle-même. Versant un peu d'Earl Grey brûlant dans sa tasse vide, elle commença tranquillement de déguster sa cuisine – après avoir ajouté le sucre qui manquait dans son thé, bien entendu. Les autres ne tarderaient pas à arriver, puisque son amie était partie les chercher.

Elle attendit plusieurs longues minutes, mais ils n'arrivaient toujours pas. La Londonienne dut finalement se rendre à l'évidence : elle n'était pas partie les chercher. Qu'était-elle donc allée faire alors ? Elle n'avait même pas déjeuné !
Quoique : en regardant plus attentivement son plateau, l'un des toasts à la confiture manquait. Mais quand avait-elle bien pu le prendre ? Et pourquoi partir ainsi, sans prévenir ? C'était désormais certain : elle allait devoir en parler au professeur. Cette histoire devenait plus que suspecte ; que pouvait-elle bien faire, en secret ? Où pouvait-elle bien aller ? Déjà, le soir-même où le phénomène avait commencé, elle était partie chercher ses affaires dans son ancien hôtel. Soit ; c'était dangereux au vu des circonstances, mais compréhensible. Mais que pouvait-elle faire désormais ? Elle n'allait pas ressortir, puisqu'elle avait tout récupéré... Cela n'avait plus aucun sens ; ou plutôt, elle manquait d'éléments pour pouvoir trouver une explication bien claire. Et ces éléments, seule cette mystérieuse jeune fille pouvait les lui fournir.

Finalement, remarquant qu'elle tournait en rond et n'arrivait à rien, l'adolescente se décida de se lever et d'aller chercher ses amis. Non seulement elle devait les prévenir que leur petit-déjeuner était prêt, mais de plus elle pouvait également leur parler de cet étrange comportement...
Elle sortit du salon, et prit l'un des escaliers qui menaient aux chambres. De l'autre sortit une petite silhouette, recouverte d'un épais manteau sombre, trottinant vers la sortie sans faire de bruit.

 

19 mars 1964, 07:58 a.m.


Il grêlait toujours. Toujours les mêmes grêlons aussi gros que des balles de tennis, toujours aussi solides que le diamant, toujours aussi dangereux que les bris de verre. Pourtant, il fallait bien agir, un jour ou l'autre ; il était hors de question de laisser faire celui ou ceux qui se cachaient derrière ces attaques répétées. L'adolescente voulait arrêter cela ; elle le pouvait peut-être ; elle le devait. Le professeur et ses amis étaient loin de se douter de tout ce que cela impliquait réellement. Personne à Dublin ne pouvait se le représenter, tant c'était au-delà de ce qu'ils pouvaient seulement imaginer dans leurs rêves les plus fous. Et, par ailleurs, cela l'arrangeait ; c'eut été le contraire qu'elle eût eu bien plus de mal à respecter la règle numéro cinq.
Ces « créatures » ne perdaient rien à agir ainsi, face à un ennemi qui ne pouvait rien face à elles. Ne pouvaient-elles donc pas choisir un adversaire plus à leur taille, selon lequel le duel eut été plus juste ?
Ce jour-là, l'armée dublinoise allait sortir les armes. Elle avait intérêt à réussir, et faire vite. Leur faciliter la tâche était essentiel ; et ce, si possible, sans se faire remarquer.

Craignant de se retrouver assommée par les nombreuses bombes translucides, l'enfant longeait les murs, protégée par les toitures qui dépassaient un peu sur les trottoirs. Elle avait pris des chaussures à crampons, afin de pouvoir marcher dans la neige comme éviter de déraper sur la glace. Son épais manteau lui permettait de ne pas avoir trop froid ; le thermomètre qu'elle avait sorti n'indiquait pas plus de moins douze degrés Celsius ; une température bien évidemment tout sauf naturelle pour la saison.

L'enfant fut soudainement sortie de ses pensées lorsqu'une silhouette se profila devant elle et lui barra fermement le passage, montrant sa détermination à ne pas s'écarter du chemin ; haute de plus de six pieds, imposante, blanche comme neige, au regard menaçant. La créature n'était bien évidemment pas heureuse de voir qu'un être humain avait le courage de sortir de « chez lui » par un tel blizzard, et il était aisé de lire dans ses yeux un sévère « Va-t'en avant que je ne me fâche ».
L'étrangère, loin d'être effrayée, le regarda droit dans les yeux d'un air de défi. Elle savait pertinemment qu'elle ne risquait rien ; pour le moment du moins. Il était clair pour elle que, à partir de là, cette situation stable allait se dégrader à cause de ce qu'elle allait faire. Elle n'en avait que moins de temps pour réussir ; mais elle n'avait pas le choix.

« Je vous prierais de cesser ces gamineries, si j'étais convaincue que vous le feriez. Mais ce serait une erreur que de croire cela... »

Ce qui ressemblait à un gigantesque homme des neiges parut étonné ; un être humain qui n'avait pas peur ? Un enfant, de plus ? Cela n'avait aucun sens, et cela pouvait nuire aux plans de son maître. Mais il n'avait pas le droit de lui faire de mal, de la faire taire ; c'était contraire aux ordres, il le savait bien. Il devait l'effrayer alors, par n'importe quel moyen... Mais la jeune fille reprit avant qu'il n'eût le temps de réagir.

« ... Alors, je me suis dit qu'il fallait vous convaincre autrement. »

Elle avait baissé le regard, et présentait un air grave, presque plus effrayant que la créature elle-même. Sortit de la manche droite de son épais manteau une petite main fine qui s'éleva au-dessus de sa tête, prête à claquer des doigts. Comprenant qu'ils n'étaient pas seuls et qu'il ne s'agissait que d'une mise en scène dont il était la principale cible, l'être resta à l'affut de quoi que ce fût qui ressemblerait à un être vivant capable de rivaliser avec lui. Cependant, la rue piétonne était déserte.

« Il est grand temps que cette ville retrouve le soleil. », murmura-t-elle, brisant une dernière fois le silence hivernal.

Elle claqua des doigts, en effet. Dans l'une des rues voisines, une soudaine lueur s'alluma, et se propagea alors à très grande vitesse aux alentours. L'enfant souriait à présent, et elle retira son manteau avec tranquillité ; l'air se réchauffait à vue d'œil. Elle sortit son thermomètre : il affichait déjà les dix-huit degrés Celsius. Cela continuait de grimper, mais la température reviendrait à une normale pour la saison quelques minutes plus tard ; quatre ou cinq, selon ses estimations.
Lorsqu'enfin la lumière cessa, l'astre du jour brillait plus que jamais, comme si le climat des côtes méditerranéennes était venu s'installer, en plein mois d'août. La glace et la neige commençaient de fondre, mais la majorité avait déjà disparu, comme sublimée, évaporée sans même passer par l'état liquide ; les rues ne craindraient pas d'inondation avec si peu d'eau restante. La créature blanche restait immobile, considérait le si petit être qui l'avait battue à son propre jeu, puis disparut, une minuscule tâche blanche détalant au loin, fuyant l'insupportable chaleur. Sandra soupira de soulagement, puis sourit ; se tournant vers la ruelle d'où avait brillé l'intense lueur, elle murmura :

« Tes capacités m'étonneront toujours... »

Son sourire cependant s'effaça. Lorsqu'elle reprit la parole, son ton était bien plus grave.

« J'espère que vous êtes tous prêts ; il est certainement parti les prévenir que nous sommes là. Je sens que la couverture va tomber... »

Elle eut probablement voulu ajouter un « d'ici très peu de temps », mais elle ne le fit pas ; elle salua ses interlocuteurs silencieux, bien cachés dans la venelle, puis partit en courant vers l'hôtel. Son sourire cependant avait légèrement reparu.

« Mais ça ne concerne qu'eux. Ici, personne ne se doute de rien, songeait-elle alors qu'elle arpentait O'connell street. Et c'est tant mieux pour tout le monde. »
 

19 mars 1964, 08:44 a.m.


En réalité, la subite éclaircie fut plus accueillie par les Londoniens avec une intense surprise plutôt qu'avec soulagement ; cette surprise n'en fut pas moins décuplée lorsque tous surent qu'une adolescente qu'ils ne connaissaient que trop bien était sortie de l'hôtel peu auparavant. Lorsque celle-ci rentra, l'accueil fut plutôt froid. Tout cela ne pouvait être entièrement dû au hasard ; autrement dit, cette Sandra cachait désormais à coup sûr des informations plus ou moins importantes, et savait même peut-être comment lutter contre le phénomène qui s'abattait depuis deux jours sur la capitale d'Irlande.

Dès que l'étrangère eut ouvert la porte d'entrée de l'hôtel et croisé le regard de tous les Londoniens autour de la table de la réception, elle avait aussitôt ressenti le poids de la suspicion qui désormais pesait sur elle. Pour la discrétion, elle eut en effet pu faire beaucoup mieux ; mais elle ne pouvait désormais plus changer cela.
L'enfant s'attendait à ce que le professeur et ses assistants lui posassent toutes sortes de questions alors qu'elle s'asseyait à leurs côtés et sirotait la tasse de thé encore à peine tiède qu'elle avait abandonnée pour un temps ; pourtant, personne ne rompit le silence qui s'était installé. Tous se contentaient de focaliser leur regard sur l'énigmatique jeune fille, qui avait tant à leur révéler.

Lorsque le petit-déjeuner fut terminé, chacun repartit à ses occupations, comme si de rien n'était ; Flora emporta avec elle le couvert vide dans la cuisine ; Emmy et Luke partirent vers les chambres en se murmurant des confidences secrètes ; restèrent ainsi, seuls, le professeur et Sandra, en face à face autour d'une table vide. L'adulte n'avait pas bougé. L'adolescente ne savait que trop bien à quoi elle devait s'attendre, et rougissait légèrement en baissant la tête et le regard. Elle n'était plus si certaine que sa « couverture » fût aussi invulnérable qu'elle ne l'affirmait intérieurement.
Finalement, le silence fut rompu par quelques simples mots, prononcés doucement, silencieusement, et pourtant fermement par l'archéologue :

« Tu nous caches quelque chose qui concerne cette affaire et qui pourrait nous faire avancer, n'est-ce pas ? »

L'enfant commença par se mordiller la lèvre, mais elle prit une petite inspiration muette et se décida de répondre.

« Je n'aime pas mentir. Je mens toujours le moins possible. »

Il fallait probablement en déduire que l'hypothèse de l'archéologue était vraie ; néanmoins, l'homme n'en était pas plus avancé pour autant, aussi continua-t-il, toujours du même ton, son interrogatoire improvisé.

« Aurais-tu une raison particulière de nous le cacher ?
- Oui, Professeur. Une raison très particulière.
- Et quelle est cette raison, Sandra ? »

La formulation de la réponse précédente montrait parfaitement qu'elle refusait également d'énoncer cette si bonne raison ; cependant, il n'était pas inutile de tenter d'en savoir plus...
La concernée poussa un long soupir, puis murmura :

« J'aimerais pouvoir vous répondre. »

Ce genre de réponse paraissait cacher nombre de sous-entendus. Le professeur en resta légèrement étonné quelques secondes.

« Cela signifie-t-il que quelqu'un t'en empêche ?
- C'est bien plus que « quelqu'un », Professeur.
- Qu'est-ce que c'est, alors ?
- Je... n'ai pas le droit de vous le dire. »

Le silence retomba. Le professeur Layton n'osa pas lui demander la raison pour laquelle cela lui était interdit, pensant qu'ils ne feraient que tourner en rond puisqu'elle ne lui répondrait pas. Sandra, cependant, reprit la parole en relevant la tête, l'air triste voulant se faire rassurant :

« ... Mais vous le saurez un jour. Et alors, vous comprendrez tout.
- Si je le saurai un jour de toute manière, pourquoi ne pas me le dire tout de suite ?
- Je... Il ne le faut pas. Pas maintenant. »

Elle savait bien que cela n'était pas une raison suffisante. Elle devait le convaincre, par n'importe quel autre moyen... Elle jetait des regards à ses côtés, comme si les réponses à ses problèmes se glissaient autour d'elle comme des serpents venimeux. Finalement, n'en pouvant plus, elle se leva d'un bond de son fauteuil et se précipita vers les escaliers menant aux chambres en une fraction de seconde ; elle s'arrêta juste devant, tournant le dos à l'homme au haut-de-forme, et murmura quelques derniers chuchotements :

« Je suis vraiment désolée. Mais je ne peux rien vous dire. Quelqu'un me l'a demandé... Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais il devait avoir une très bonne raison de le faire. »

Et elle grimpa les marches en courant avec légèreté, ses pas résonnant à peine sur le parquet verni et recouvert de moquette.
 

19 mars 1964, 10:32 a.m.


Comme la veille, une créature étrange avait de nouveau brisé une fenêtre du commissariat et apporté une missive, blanche comme neige, portant bien comme l'avait affirmé la veille le professeur londonien le numéro « trois ». Pourtant, pour une fois, les deux supérieurs irlandais ne voyaient pas le rapport entre le contenu de la lettre et le fléau du jour, qui était finalement bien clément. Le message annonçait de la grêle et des températures dignes de la Scandinavie, et ce qu'ils voyaient était un sol en train de sécher sous un doux soleil dublinois, correspondant à la fois au mois de mars, à la fois aux prédictions météorologiques.

« Est-ce que vous y comprenez quelque chose ? » demandait régulièrement, chaque fois que cela lui venait en tête, le commissaire.

Et le colonel était, à chaque fois, incapable de lui répondre, se contentant de regarder par la fenêtre brisée le doux soleil de printemps.

« En tout cas, finit-il par prononcer, cela ne change rien au fait que, cet après-midi, mes hommes et moi allons traquer ces bestioles de malheur. On pourra peut-être en tirer quelque chose... Du moins, arrêter tous ces ennuis pour de bon. »

Clovert haussa les épaules avec un semblant de lassitude ; en neutraliser quelques ne voulait rien dire. Personne ne pouvait savoir combien d'ennemis il y avait réellement... En tout cas, il était tout de même préférable que son acolyte eût raison ; il l'espérait intérieurement.

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