Une nouvelle vie pour Sarah

  Après quelques jours passés ensemble, l’heure du départ avait sonné. Hank et Lottie accompagnèrent le groupe à la gare pour prendre un train en direction de Folkeston où un bateau les mènerait jusqu’à Calais. De là, ils gagneraient Paris avec un autre train.

« Charlotte, ces quelques jours passés avec toi ont été merveilleux. Tu vas beaucoup me manquer, commença Sarah en la prenant dans ses bras.

—    Merci d’être revenue. Grâce à toi mon cœur est plus léger, maintenant que j’ai expulsé cette amertume qui me rongeait de l’intérieur, je vais pouvoir commencer une nouvelle vie, avec Hank que j’ai rencontré grâce à toi, répondit la petite blonde, émue.

—    Moi aussi je me sens désormais plus légère et rassurée de te savoir à présent heureuse. Je vous souhaite à vous deux plein de bonheur, et Hank s’il vous plaît prenez bien soin d’elle, lui dit-elle en lui tendant sa main.

—    Vous pouvez compter sur moi, répondit-il en la lui serrant. Merci pour tout, j’ai désormais un toit et j’ai rencontré une fille superbe. Vous avez changé ma vie et je ne vous remercierai jamais assez pour ça.

—    C’est normal. Après tout c’est grâce à vous que j’ai pu parler à Lottie. Vous resterez à jamais dans mon cœur. »

Ce fut avec beaucoup d’émotion que le groupe se dit au revoir, puis Sarah, Becky et Ram Dass montèrent dans le train. Hank et Lottie restèrent un instant pour regarder la machine s’éloigner, faisant un dernier signe de main à Sarah qui le leur rendit à travers la fenêtre de son compartiment. Elle se rassit sereine en face de Becky et Ram Dass.

« Cela fait du bien de te voir heureuse, dit alors Becky.

—    Et moi je suis heureuse pour vous deux. Vous faites vraiment un très joli couple », répondit Sarah.

Ces derniers échangèrent un regard complice.

« Comme j’ai hâte de retrouver Peter ! continua-t-elle.

—    Oui ! Il a dû drôlement changer ! répondit Becky.

—    C’est vraiment étrange, plus je me rapproche de Peter, plus j’en oublie Daniel. Vous pensez que c’est mal ?

—    Et bien, je ne connais pas Daniel, dit Ram Dass, mais je me rappelle de vous et de Peter, et vous étiez vraiment très proches, je pense que c’est normal de vous focaliser sur lui car vous n’êtes pas avec Daniel pour le moment. Quand vous le retrouverez en Inde, cela passera et vous reprendrez votre vie ensemble.

—    Oui », dit Sarah pensive.

Becky resta silencieuse. A vrai dire, elle ne savait que répondre à son amie, car elle n’avait jamais vraiment apprécié Daniel. Elle trouvait qu’il ne la considérait pas à sa juste valeur et qu’il était très imbu de sa personne. Pour elle, Sarah et Peter étaient fait pour être ensemble, mais elle ne voulait pas lui en parler de peur de la vexer, ou de l’influencer dans ses décisions.

Après deux heures de route, le train arriva à Folkeston, petite ville située au sud-est de Londres, nichée au bord d’un port de pêche, plutôt rustique, avec des maisons en bois posées sur des pilotis en bord de mer. Le soleil brillait haut dans le ciel bleu rempli de mouettes qui virevoltaient et criaient de toutes parts. Il y avait peu de nuages, et la mer était calme. Le trajet en bateau devrait se faire sans encombre.

    Ils embarquèrent à bord du Sullivan, un magnifique paquebot de luxe destiné au transport de voyageurs. Le groupe avait environ une heure et demie de trajet jusqu’à Calais, alors ils décidèrent de prendre une petite collation en terrasse. Plusieurs voyageurs valsaient au son mélodieux de la musique classique interprétée par un orchestre. Sarah pensa alors à ses parents. Quand elle était petite, elle restait des heures à les regarder valser, en espérant un jour danser comme sa mère qu’elle trouvait tellement gracieuse et raffinée dans ses mouvements.

    Ram Dass se leva soudain et invita Becky. Surprise, elle accepta même si elle était consciente qu’elle n’était pas une grande danseuse, et ils rejoignirent ainsi les autres voyageurs. Une grande complicité s’installait entre les deux amoureux. Sarah quant à elle ne pouvait s’empêcher de les envier. Après cette première valse, Becky demanda à Ram Dass d’inviter Sarah à danser, car elle savait qu’elle adorait cela, le trajet se passa alors dans la joie et la bonne humeur.

   Soudain, un tremblement se fit sentir sous leurs pieds. Le sol déclinait dangereusement renversant ainsi les voyageurs, les musiciens et leurs instruments. Becky, Sarah et Ram Dass se tinrent comme ils purent les uns aux autres. Les cris des voyageurs terrorisés retentirent de toutes parts, pour se mêler à ceux de l’équipage qui criait à plein poumon :

« Les canots ! Dirigez-vous vers les canots ! »

   Sans plus attendre, Ram Dass repéra les embarcations et aida Sarah et Becky à se frayer un chemin dans la foule hystérique, tel un garde du corps. Ils s’aperçurent alors que la proue du bateau était immergée sous l’eau jusqu’au pont avant, faisant disparaître des voyageurs luttant contre la pression de l’enfoncement du bateau qui les entrainait irrémédiablement vers le fond marin. Sarah et Becky restèrent immobile un instant à contempler ce désastre mais Ram Dass les somma de passer devant lui, tandis qu’il les protégeait des coups et des bousculades de la part des voyageurs terrorisés, jusqu’à leur frayer un chemin jusqu’aux canots de sauvetage. L’un d’eux était déjà plein à craquer et commençait à s’éloigner de la catastrophe. La proue continuait dangereusement son immersion, ainsi l’eau avait désormais envahi plus de la moitié du paquebot. Arrivés devant l’embarcation, l’homme arrêta Ram Dass laissant Sarah et Becky monter seules à bord.

« Les femmes et les enfants d’abord s’il vous plaît Monsieur ! ordonna le marin.

—    Ram Dass ! cria alors Becky.

—    Ne vous inquiétez pas Mademoiselle, je prendrai le prochain canot ! », articula-t-il dans un brouhaha infernal.

    Becky et Sarah se serrèrent l’une contre l’autre, apeurées et en larme.

« Ça va aller Becky ne t’inquiète pas », dit alors Sarah.

    La jeune fille ne lâchait pas l’indien du regard, elle voulait s’assurer qu’il pourrait embarquer sur un des canots. Malheureusement ils étaient tous à l’eau, et trois des marins ainsi que Ram Dass ne purent embarquer. Le paquebot commença alors à couler plus rapidement, surprenant les quelques occupants restés à bord, dont le pauvre Ram Dass. Ils furent tous engouffrés dans le tourbillon que provoquait le remous de l’eau dans l’absorption du bateau. Choquée, Becky resta muette, à contempler la mer en espérant voir Ram Dass revenir à la surface. L’attente lui parut interminable. Plus les secondes passaient et plus l’inquiétude l’envahissait l’empêchant de respirer.

Une fois le remous du naufrage passé, les canots se dirigèrent vers le point où se trouvait le paquebot en espérant retrouver des survivants. Ce fut à ce moment-là qu’un des hommes sortit la tête de l’eau. C’était Ram Dass, essoufflé, qui remontait à bout de bras deux autres hommes inconscients, en criant qu’on l’aide. Un des canots se précipita vers lui, pour l’aider à les remonter

tandis qu’il nageait pour rejoindre le canot où se trouvaient Becky et Sarah. Les deux jeunes filles déboussolées ne faisaient pas attention à ce qu’il se passait, elles avaient leurs têtes baissées et n’arrêtaient pas de pleurer, quand soudain la barque chavira légèrement. Elles levèrent la tête pleine d’espoir et virent l’indien agripper le canot, se soulever à l’aide de ses bras musclés et retomber avec une agilité déconcertante dans l’embarcation. Une joie incommensurable les submergea comme un électrochoc.

« Ram Dass ! », pleura de joie Becky.

Sans plus attendre elle le serra dans ses bras sans lui laisser le temps de respirer, et le couvrit de baisers, laissant tomber toutes les barrières de la gêne, tant elle était soulagée. Son turban avait glissé, laissant maintenant apparaître d’épais cheveux noirs qui ondulaient sur son visage hâlé, couvrant légèrement ses beaux yeux d’un marron intense. Becky le trouva irrésistible et rougit à la vue de son torse bien dessiné qu’on ne pouvait s’empêcher de voir à travers sa chemise en lin mouillé. Toutes les personnes présentes sur le canot applaudirent son acte héroïque. Sarah lui serra la main, également soulagée.

« Quelle tragédie ! dit Sarah émue. Dieu soit loué, vous n’avez rien.

—    Je n’ai pas pu sauver les autres hélas, répondit-il, déçu.

—    Tu en as déjà fait beaucoup, renchérit Becky pleine de fierté à son égard.

—    Donnez une couverture à ce Monsieur s’il vous plaît, intervint le marin, il y en a sous les banquettes. »

Tous les canots se regroupèrent en attendant l’arrivée des secours. L’atmosphère était pesante, seulement ponctuée de quelques sanglots de la part de certains voyageurs qui avaient perdu des êtres chers. Ram Dass invita Becky et Sarah à se réfugier sous sa couverture, toute deux choquées et désolées pour les personnes qui avaient péri dans ce naufrage. Le ciel était resté bleu, la mer était redevenue calme, les canots voguaient au grès des légères ondulations formées par l’eau, comme si ce drame ne s’était jamais produit. Sarah rompit le silence pour demander au marin ce qu’il s’était passé. Attristé et choqué il expliqua que le paquebot avait percuté un rocher qui n’était pas indiqué sur leur carte de navigation. Le silence régna de nouveau en maître jusqu’à l’arrivée des secours.

Arrivés à Calais, le groupe, épuisé et trempé, décida de se reposer dans une chambre d’hôtel avant de poursuivre le voyage jusqu’à Paris. Toutes leurs affaires avaient disparu dans le naufrage mais Sarah avait gardé sa petite bourse avec elle. Cela leur permettrait de se racheter quelques affaires jusqu’à la fin de leur périple.