Troisième Chance

Chapitre 1 : Résurrection

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 18:45

 

Chapître 1 - Résurrection

 

Résumé du traducteur

Pour ceux qui ont oublié l'intrigue du jeu, ou qui ne le connaisse que de nom, en voici un bref résumé. Dans la Perse antique, au fin fond d'un désert perdu, le Prince, personnage principal, est pris dans une tempête de sable au cours de laquelle il perd la trace de Farah, son âne. Parvenu au pied d'un canyon, il fait la connaissance d'une jeune femme dotée de pouvoirs magiques uniques nommée Elika. Poursuivie par son père, elle tente de rejoindre un temple servant de prison au dieu des ténèbres, Arhiman. Le prince lui offre son aide et la suit pour aller protéger le temple. Malheureusement, le père, après un combat contre le Prince, décide de détruire la prison, laissant une brèche assez large pour qu'Arhiman puisse s'en échapper en partie, ainsi que ses soldats ténébreux et quatre corrompus.
Arhiman déverse alors son pouvoir sur le monde, apportant ténèbres et corruption, et infecte les Terres Fertiles, des jardins servant à alimenter la prison du dieu ténébreux. Quelques heures plus tard, la prison est devenue trop faible pour retenir Arhiman, et celui-ci parvient à s'échapper complètement.
Le seul espoir de revoir le soleil un jour est d'obliger Arhiman à réintégrer le monde souterrain dont il n'aurait jamais du sortir. À l'aide d'Elika, le prince doit purifier les terres fertiles infectées par les quatre Corrompus, à savoir le Chasseur, le Guerrier, la Concubine et l'Alchimiste, avant de tenter enfin d'enfermer Arhiman dans sa prison.
Une fois les quatre Corrompus vaincus, le Prince et Elika retournent au temple où il doivent affronter le père, totalement corrompu, ainsi qu'Arhiman. Ils finissent par le vaincre et l'enfermer, mais le Prince ignore encore qu'Elika a déjà été une première fois ressucitée par son père (qui pour ce faire, s'était résolu à pactiser avec Ahriman en acceptant de le libérer et accessoirement de se laisser corrompre) et qu'elle ne vit que grâce au dieu maléfique.
Dès le début, l'objectif d'Elika était donc de se sacrifier pour recréer l'Arbre de Vie qui retiendra Arhiman à jamais.
A peine ce dernier est-il enfermé qu'elle décide de mettre son plan à exécution sans laisser au Prince le temps de l'arrêter.
Désemparé et incapable d'accepter sa mort, le Prince décide donc de rendre sa liberté à Ahriman, offrant ainsi à Elika une « troisième chance » de vivre (puisqu'elle est déjà morte deux fois au cours du jeu) mais condamnant le monde à une éternité de ténèbres.

 

 

Elle suffoqua. L'air emplit ses poumons, l'air brûlant, l'air accueillant. Le premier souffle après tant de longues heures. Le sang gelé s'anima alors que son cœur battait pour la première fois ; c'était comme si du feu liquide coulait dans ses veines. Les muscles devenu rigides dans la froideur de la mort s'étiraient à nouveau atrocement. L'énergie l'envahit, un pouvoir surnaturel, une magie qui n'aurait pas du être.

Ses yeux s'ouvrirent brusquement et son dos se cambra vers le haut alors qu'elle se convulsait en proie à une intense douleur, qui n'était pas sans lui rappeler celle de sa naissance. Bien peu nombreux étaient ceux, qui marchant sous les cieux azurés de cette terre, savaient ce qu'était la sensation de revenir de l'au-delà, et bien moins nombreux encore ceux qui avait été suffisamment chanceux ou maudits pour l'expérimenter deux fois.

Elle s'assit lentement, se sentant plus faible que la première fois qu'elle était revenue d'entre les morts. Avec une affreuse sensation d'angoisse, elle assimila ce qui l'entourait, les hautes portes du temple, le marbre froid de l'autel de son peuple, et l'Arbre de Vie qui s'étirait en hauteur vers les cieux infinis, plus large que l'éternité. Les racines de ce glorieux arbre couvraient encore le plus terrible des secrets de ce monde, dissimulant la dernière demeure d'un dieu déchu. Son regard errait entre l'imposant bâtiment et le visage inquiet de celui qui l'avait ramenée à la vie.

Prince, c’était ainsi que la Concubine l’avait appelé. Des traits anguleux et une barbe de plusieurs jours entourés par son écharpe. Ses yeux bleus glacier étaient remplis d’inquiétude et remplaçaient l’habituel petit sourire insolent, alors qu’il cherchait son regard. La conscience lui revint.

Les hommes sont capables de choses stupides pour les femmes.

Il l’avait trahie tout comme son père avant lui, et tous les sacrifices, tout ce pour quoi elle avait vécu, tout ce pourquoi elle était morte, étaient nuls et non avenus. Elle sentit le tissu même de la réalité vaciller alors qu’Ahriman se libérait de ses dernières chaînes. Tout ce qu’elle put faire fut de souffler un seul mot, rempli d’une peine indescriptible avant de s’effondrer dans les bras accueillants de l’insconscience.

« Pourquoi ? »

Elle ne sentit pas que le Prince soulevait son corps léger, la tenant délicatement dans ses bras, mais elle reprit conscience l’espace d’un instant, lorsque le monde explosa autour d’eux. Elle sentit son regard intense, puis elle se détourna, incapable le regarder dans les yeux. Elle se sentait vide comme jamais auparavant. Il ne restait plus rien. Plus de terres fertiles, plus de temples, plus d’Arbre de Vie, plus de Cité de la Lumière. Plus d’espoir pour l’humanité. Tout ce qu’elle connaissait, tout ce qui avait un jour compté, s’était effondré.

Ahriman était libre, et l’homme qui la portait en était la raison. Trahie était le mot qui décrivait le mieux ses sentiments. Elle avait donné tout ce qu’elle avait, plus que n’importe qui aurait pu demander, plus, et plus encore, et ce n’était pas assez. A la fin, son sacrifice lui-même, son noble trépas, lui avaient été arrachés par cet … étranger, quelqu’un qui ne révélait même pas son nom. Le poignant sentiment de désespoir fut infecté par une infime part de satisfaction coupable, car elle vivait, une fois encore, envers et contre tout.

Le ciel s’obscurcissait autour d’eux, et la chaleur accablante de ce désert abandonné fut submergée par la froideur glaciale de la mort et de la déliquescence. La tempête de corruption faisait rage autour d’eux, avec des vrilles sombres qui agressaient leurs talons, et pourtant ils quittèrent la vallée d’Ahura indemnes. Le choc d’être à nouveau en vie l’affaiblissait toujours, mais pas une fois, les pas du Prince ne faiblirent sous son poids. Elle était trop fatiguée, trop vidée physiquement et émotionnellement pour se rebeller contre son étreinte.

Puis tout à coup, ce fut terminé. Le vacarme cacophonique se calma alors que le Prince franchissait les derniers pas qui menaient hors de la vallée, et subitement un ciel clair et azuré s'étendit au dessus d'eux jusqu'à l'horizon. Le vent d'un autre monde qui les fouettait sauvagement avait disparu, seule demeurait la brise constante et légère du désert, créée par le déplacement quotidien d'air chaud et froid. Elle ouvrit lentement ses yeux, restés hermétiquement clos, sur le calme soudain. Peut être étaient-ils morts. Peut être que tout ceci n'était qu'un rêve dans l'au-delà. La lumière aveuglante blessa ses yeux sensibles ; des yeux qui s'étaient habitués à l'obscurité de la corruption depuis ces quelques dernières heures.

Etaient-ce des heures ? Etaient-ce des jours ? La course frénétique à travers la capitale délabrée de ce qui avait été un jour un vaste empire, tentant l'impossible pour rassembler toutes les chaînes qui jadis entravaient un dieu, courant contre une horloge invisible. Et l'espace d'un instant, elle osa croire qu'ils avaient réussi. Qu'elle pouvait enfin reposer en paix, sa dernière mission achevée. L'amertume l'envahit à nouveau. Le monde était épuisé. Qui pourrait empêcher Ahriman, à nouveau relâché, d'errer sur Terre sans surveillance ?

Ses sombres pensées furent interrompues par un son cru ; le braiement sonore et joyeux d'un âne assoiffé. Des bras puissants la déposèrent sur le sol et l'allongèrent délicatement sur le sable. Il dit doucement « Reste-là, d'accord ? » Elle ne lui répondit pas, le simple fait d'entendre sa voix l'emplissant d'une rage impuissante. Se relevant à nouveau, il se tourna vers l'âne toujours en train de braire, qui trottait vers eux.

« Farah ! » Lui flattant la tête, il commença inspecter les sacs en désordre toujours attachés au dos de l'animal.

« Te voilà, brave fille, brave fille ! » et répondant à l'âne insistant, « Oui, je sais que tu as faim et soif, laisse moi juste une seconde, hé, oh, doucement, ne bois pas comme une cochonne ». Il glissa l’une des outres dans la bouche déshydratée de l’animal et y versa le contenu entier, puis il posa le fourrage sur son encolure.

« Brave fille, tu m’as trouvé, tu m’as trouvé ». Il continuait à lui parler de façon apaisante, et ne cessait de lui flatter la tête. « Maintenant, mange et tiens-toi tranquille pendant que je vérifie tes sacs ». Elika remua pour la première fois depuis les dernières minutes, soulevant son corps du sable et relevant les yeux. En dépit du fait qu’elle tremblait de rage, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une impression, comment dire, de normalité en voyant cette scène domestique parfaite, L’Homme S’Occupant D’Un Ane. La sérénité vola en éclats lorsque l’homme ouvrit l’un des sacs soigneusement fermés et en retira deux ou trois bibelots qui brillèrent d’un vif éclat au soleil de midi. De l’or. Une véritable fortune, se souvint-elle. Se saisissant d’une autre outre, il franchit les quelques pas qui le séparait de la forme allongée, et la déposa dans ses mains tremblantes. Comme la chaleur et le froid, la rage avait disparu, cédant la place au désespoir.

« Pourquoi ? » demanda t-elle à nouveau, la voix tremblante. La réponse du Prince ne lui ressemblait pas du tout, prononcée doucement et presque sur un ton d’excuse.

« Il faut que tu boives, tu as besoin de prendre des forces. Il faut qu’on s’en aille d'ici rapidement ».

« POURQUOI ! » hurla t-elle en jetant l’outre au loin. Elle atterrit avec un bruit sourd et l’humidité source de vie commença à se répandre par le bouchon à moitié ouvert. D’un pas vif, il alla la ramasser, puis retourna vers elle. Il s’agenouilla près d’elle, le visage d’un sérieux absolu; pas l'ombre d'un sourire ne flottait sur ses lèvres.

« Par qui crois-tu que j’ai été envoyé dans ton royaume ? »

« QUOI ? » hurla t-elle, trop en colère pour entendre ses mots.

« Par. Qui. Crois. Tu. Que. J’ai. Eté. Envoyé ? » Il l’empoigna si vigoureusement que ses doigts laissèrent des marques, et que l’outre tomba à terre, oubliée, tandis qu’il articulait les mots un à un.

La magie s’éveilla en Elika, grandissant pour satisfaire son besoin de mort ou quoi que ce fut d’autre. Elle sentit les flammes blanches aveuglantes danser sous les paumes de ses mains, avides de brûler, de consumer. Elle siffla à travers ses dents serrées :

« Lâche-moi ». Il relâcha sa prise et continua :

« Par qui crois-tu que j’ai été envoyé ? Ce n’est pas un hasard si j’ai atterri dans ton royaume caché, tu l’as dit toi-même. Alors, qui a guidé mes pas ? De qui suis-je le pion ? D’Ormazd ou d’Ahriman ?”

S’arrachant finalement à sa poigne, elle se leva d’un mouvement fluide, prête à combattre, la faiblesse de sa résurrection oubliée.

« Tu pourrais être le toutou d’Ahriman, qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ! »

« C’était quand la première fois que tu as utilisé ta magie ? C’était pour me sauver ! »

« Et tu peux me croire, je le regretterai jusqu’à la fin de mes jours !»

« Réfléchis ! Si c’était un stratagème d’Ahriman qui m’avait attiré dans cet endroit, est-ce qu'Ohrmazd t’aurait permis de me protéger à maintes reprises ?
Est-ce qu'il m'aurait permis de demeurer indemne sur ses Terres Fertiles alors que tu les purifiais de la Corruption ? »

« Uniquement pour te permettre de les vendre à Ahriman lui-même, une fois encore ! »

Est-ce qu'on peut rester concentré sur le sujet ? » explosa t-il, indigné ; « J’essaie de m’expliquer. »

« Inutile de t’expliquer, il n’y a même pas de mots pour ta trahison ! »

« Tu crois ça, Princesse ? ». Il recula d’un pas. « Voyons un peu ce que ton dieu en pense ! Allez vas-y, essaie pour voir, foudroie moi sur place ou quelque chose du genre ! Voyons un peu si ton dieu pense que je suis un suppôt du mal ! » Il baissa les mains, offrant sa poitrine sans protection, le petit sourire satisfait caractéristique sur son visage. Ça l’amuse, comprit-elle. Il avait trahi le monde et à présent il tournait ses actes en ridicule. Les yeux d’Elika se rétrécirent jusqu’à devenir des fentes et plus vives que la foudre, ses mains crépitèrent. Des éclairs blancs de magie mortelle furent libérés, alimentés par le besoin et la colère. Ils coururent vers sa poitrine et le temps s’arrêta.

Dans un mouvement au ralenti, elle vit les yeux du Prince s’écarquiller dans une expression de surprise terrifiée, et une terreur glaciale envahit son cœur à son tour. Réalisant ce qu’elle avait fait, elle voulut rappeler la magie, mais il était tard, trop tard. « Non, non, plus de mort, pas lui, non ! » pensa t-elle durant la fraction de seconde nécessaire à la magie pour franchir la courte distance entre eux.

Puis, au tout dernier moment, les serpents de lumière blanche changèrent de direction, inoffensifs, juste devant leur cible. Il se tenait là, indemne, et apparemment agréablement surpris d’avoir une fois encore, d’une certaine façon, trompé la mort.

Épuisée mentalement et physiquement, elle tomba à genoux, et tout à coup, les bras puissants du Prince furent autour d’elle. Instinctivement, les siens se refermèrent également autour de lui, et s’asseyant dans le sable, sous l’œil cruel d’un soleil implacable, elle commença à sangloter de façon incoercible.

La digue se brisa, et toutes les larmes étouffées, toute la douleur enfermée commencèrent à se déverser, alors qu’elle s’accrochait à lui comme si sa vie en dépendait. Le dernier adieu à sa mère, le désespoir de voir son royaume mourir, la solitude de nuits sans fin passées seule sous les étoiles au sommet de la Tour de la Reine, le poids du monde sur ses épaules inexpérimentées, la prise de conscience de son échec que personne n’endosserait, la perte de son père promis à un destin pire que la mort … Toutes ces émotions refoulées, dissimulés derrière la froide apparence, la submergeaient à présent comme prises d’une folie furieuse. Chacune d’entre elle, isolément, aurait réduit le plus puissant des hommes à l’état de pauvre hère tremblante, mais elle tenait bon, glacée, insensible. Puis vinrent les larmes pour elle-même, pour la vie qu’elle s’était résolue à sacrifier pour que les autres puissent vivre, les larmes pour l’Elika-qui-aurait-pu-être, imaginée à partir de début d’espoirs et de rêves éveillés, d’histoires de voyageurs, et de connaissances livresques.

Tout cela et plus encore échappa finalement à son contrôle. Elle tremblait violemment et ses larmes trempèrent la chemise du Prince jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus pleurer, et durant tout ce temps, il la serra contre lui sans mot dire.

Le temps passa.

Lentement, elle s’immobilisa, et lorsqu’il eut le sentiment qu’elle était prête, il la laissa se détacher de lui. Les yeux noisette rencontrèrent les bleus pour la première fois de sa vie. De cette vie. Et une fois encore, elle demanda doucement :

Pourquoi ?”

Et cette fois, elle était prête à entendre sa réponse.

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