Chaos Sanctuary

Chapitre 12 : Horizons

Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 02:03

Depuis ce matin, le Boss ne cesse de sourire. Son entourage pense que cela est dû au fait qu'un deuxième Pokémon légendaire a rejoint ses rangs depuis peu, mais ils se trompent. Tous se trompent. Le Boss est ravi, car enfin, après avoir joué au chat et à la souris durant de longs mois, il tient la gamine. Il repense à toute l'inquiétude et toute la colère qu'il a éprouvé en pensant à elle, et ce sourire qui lui fend le visage en deux s'élargit encore davantage. Elle est là, elle est à lui, enfin.
Il toque doucement, trois petits coups à la porte, et ouvre sans attendre la réponse. Noa est beaucoup trop obstinée pour répondre, il est bien placé pour le savoir. A peine est-il entré dans la petite pièce qu'il sent le regard glacé de la fillette se poser sur lui. Ses yeux sont pleins de rancœur, de tristesse et d'incompréhension. Lui s'attendait à trouver de la colère. Il s'assied en face d'elle, et la regarde quelques instants avant de commencer, d'un ton solennel.
- Noa. Je me réjouis que tu sois enfin là, fait-il, un sourire malicieux au coin des lèvres.
Elle retient ses larmes, il le voit bien. Elle a beau lui avoir donné du fil à retordre, elle est bien plus fragile qu'elle ne le laisse paraître. Le Boss devine qu'elle est à bout de nerfs. Et cela la rend plus attendrissante que jamais.
- Fous-moi la paix... grogne-t-elle.
Sa voix tremble. Le Boss prend une longue inspiration.
- Non, plus maintenant. Ça fait trop longtemps que tu t'es éloignée de moi et de tout ce que j'avais à t'offrir.
Elle ne répond pas et regarde dans le vide. L'ampleur du combat qui se déroule en ce moment en elle-même pour retenir ses larmes et garder son sang-froid est mesurable. Le Boss s'étonne de son incroyable capacité à se maîtriser. Pourtant il sait qu'être prisonnière dans cette pièce, en sa compagnie, la rend folle. Il en est ainsi avec Noa. Il faut la réduire à néant pour avoir une quelconque emprise sur elle.
- Allons, reprend-il. Tu pourrais faire des choses extraordinaires, avec moi. Tu le sais bien.
- Je me fous pas mal d'avoir un monde à mes pieds et tous les Pokémon légendaires dans la poche ! s'écrie-t-elle. Je n'ai rien à voir avec toi !
Cette fois, deux larmes roulent sur ses joues, qu'elle essuie rageusement d'un revers de manche. Si les yeux pouvaient jeter des éclairs, le Boss serait déjà raide mort. Il ne hausse pas le ton, attends que les sanglots qu'elle tente désespérément d'étouffer dans sa poitrine se calment.
- Tu penses vraiment que c'est mon but ? demande-t-il. Dominer la région de Kanto ?
Elle ne répond pas, ne le regarde pas. Qu'à cela ne tienne. Il sait très bien qu'elle l'écoute.
- Je vise bien mieux que ça. Tu ne dois pas encore avoir réalisé à quel point mes projets sont grandioses, et à quel point la vie que tu pourrais mener avec moi serait passionnante.
- Je n'en veux pas.
- Le choix est pourtant vite fait, insiste le Boss.
- Je n'en veux pas.
Obstinée. Même au summum de son malheur, la fillette conserve cette force. Mais elle n'est pas invulnérable, et ne pourra pas résister éternellement. Ils le savent aussi bien l'un que l'autre.
- Que tu le veuilles ou non, tu viendras avec moi, fait-il d'un ton plus tranchant. Accepter ta situation et réussir à en mesurer l'énormité te serait très bénéfique, crois-moi. Tu aurais tôt fait de te rendre compte de la chance que cela représente.
Elle bouillonne. Elle semble sur le point d'éclater. Le Boss continue.
- Le monde entier sera à ta portée.
- Je me fous complètement de cette avidité de pouvoir ! Rugit-elle. Mais bordel, pourquoi insistes-tu tellement ? Pourquoi fallait-il absolument que je vienne avec toi ?
Elle ne cherche plus à refouler ses larmes à présent, elles coulent librement sur ses joues rouges. Le Boss ne peut répondre à cette question, tant il est troublé par cette vision. Alors il s'avance vers elle, et se contente de la prendre dans ses bras. Elle le repousse, une fois, deux fois. Abandonne. Il la serre contre lui, laisse ses sanglots mourir sur son épaule. Ils restent longtemps ainsi, Noa pleurant, lui, l'entourant de ses bras.
- Je ne te laisserai plus partir.

Neith contemplait le grand feu, pensif. Il n'osait pas regarder ses camarades, ne sachant que trop bien ce qu'il allait trouver sur leurs visages. Lui-même, l'air lugubre, la mine triste, n'était pas beau à voir. C'était la première fois que les Caravaniers étaient aussi peu nombreux autour de ce grand feu, et qu'un tel silence régnait. L'humeur générale était si palpable que c'en était pénible. Il tourna la tête vers Loena. Leurs regards se croisèrent. Le sien, vert, pénétrant. Perdu.
Le jeune homme remit machinalement une bûche dans le feu, puis leva enfin la tête vers les autres. Une dizaine de personnes, pas plus. C'était tout ce qui subsistait des Caravaniers. Pourtant le matin-même, ils étaient encore si nombreux. Cinquante, soixante ? Peut-être plus.
- Je rentre à Azuria demain, fit Dike, se résolvant enfin à prendre la parole. J'en ai assez vu. Que ceux qui le veulent m'accompagnent
Des images encore toutes fraîches traversèrent la mémoire de Neith. Une mer calme, tout d'abord, et tous ses compagnons, montés sur des Pokémon eau et des radeaux de fortune. Ils avançaient pourtant bien. La Muraille ne semblait plus si infranchissable, la liberté était à portée de main. Une euphorie collective s'était emparée de chaque Caravanier.
Et puis soudain, d'une seconde à l'autre, les vagues immenses. Les tentacules qui avaient jailli de part et d'autre de l'eau, s'enroulant autour des corps, les entraînant au fond de l'océan sans possibilité de fuite. En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, tout avait basculé. On avait alors confié à Neith, Loena, Dike, et quelques autres, une bien lourde tâche : survivre. Ils avaient nagé jusqu'à n'en plus pouvoir, rejoignant les côtes, et s'étaient effondrés là, haletants. La Muraille avait eu raison de la Caravane. Neith s'était toujours refusé à croire à cette barrière de Pokémon bloquant toutes les sorties. Pourtant, c'était bien elle qui avait aujourd'hui précipité la quasi-totalité de ses amis au fond des eaux.
Neith releva la tête et laissa son regard flotter quelques instants sur le visage dur de Dike.
- Je ne rentrerai pas. Je ne peux pas simplement retourner chez moi, il va me falloir quelques temps pour me remettre de tout ça, comme pour nous tous j'imagine.
- La Caravane n'a pas d'avenir, hasarda une jeune femme. Ça n'a plus de sens, notre seul but vient de s'écrouler. On ne peut pas continuer.
- C'est encore bien plus simple que ça, la reprit Loena. Il n'y a plus de Caravane. Elle s'est noyée avec tous nos camarades.
Tous acquiescèrent en silence. Puis, comme si se taire était à présent devenu insoutenable, Loena se hâta de reprendre.
- Neith, je viendrais avec toi, si tu veux bien...
Besoin de projets. Besoin de se dire qu'il y a encore quelque chose devant soi. Neith perçut la profondeur des mots que prononça son amie, et trouva même quelque part suffisamment de sincérité pour lui adresser un sourire.
- Bien sûr.
Personne d'autre ne sembla désireux de se joindre à eux, mais le simple fait d'avoir Loena à ses côtés était un cadeau. La solitude n'aurait été que pire encore, après cet épisode désastreux.
Beaucoup des personnes assises autour de ce feu n'en étaient pas à leur première catastrophe. Puisque majoritairement originaires d'Azuria, la plupart des individus rassemblés ici avaient également connu l'embrasement de leur ville, la perte de leurs proches, de leurs foyers. Une fois n'est pas coutume, deux non plus. Il y avait chez Neith la même douleur sourde que le jour de l'incendie.
Les Caravaniers se séparèrent le lendemain matin aux aurores, dans de dernières embrassades. Pas de larmes. Quelques mots furent échangés. Des promesses pour la suite, des souvenirs évoqués, et chacun partit de son côté. Le soleil dans le dos, Neith et Loena choisirent un petit sentier vaguement tracé et s'y engagèrent sans en connaître la destination. Tant qu'à démarrer une nouvelle vie, autant offrir au hasard le luxe d'en décider à notre place.

Que vous n'ayez pas d'autre solution ou que ce soit un choix personnel, les conséquences sont les mêmes.
D'abord, il y a le premier vol. Celui qui vous tord le ventre, qui vous angoisse et vous excite à la fois. Vous avez peur de cette illégalité, peur de piller de pauvres gens qui ne vous ont rien demandé. C'est mal, vous le savez, pourtant vous le faites, et vous réalisez ce qui vous fait défaut. Trois choses indispensables pour un brigand : discrétion, rapidité, efficacité.
Puis les vols s'enchaînent. Vous prenez confiance en vous et en vos capacités, et mettez du cœur à l'ouvrage, avec la vague idée qu'il s'agit de survie. Vous progressez, et veillez à ne pas prendre plus que le nécessaire, ce qui vous permet d'éliminer toute culpabilité. Vous voyagez, ne dormez jamais deux fois de suite au même endroit, cachez votre visage lors de vos expéditions frauduleuses. Vous en rencontrez d'autres dans le même cas que vous, nouez des liens, et entrez dans cette espèce de grand réseau de connaissances. Ici, tout le monde est dans la même galère, et tout le monde survit comme il peut. Vous pensez devenir quelqu'un. Et au bout d'un moment, vous êtes forcés de vous en rendre compte.
A vous être ainsi exclu du semblant de société qui subsiste, plus rien n'est pareil.

Premiers jours de printemps. C'était sans regrets que je laissai derrière moi les froides journées à n'en plus finir, la neige, les nuages et le vent. J'avais eu ma dose. A avoir dormi chaque nuit dehors pendant toute la durée de l'hiver, j'avais trouvé une bonne raison de m'émerveiller du printemps, chose qui ne m'était encore jamais arrivée jusqu'ici. Renji ne semblait pas particulièrement partager mon enthousiasme ( le matin même, j'avais vanté la nouvelle couleur des arbres dont les feuilles repoussaient, ce à quoi Renji avait répondu en haussant les épaules : « Ouais, c'est vert quoi. » )
J'observais le paysage qui défilait derrière la vitre en plexiglas. Quelques heures plus tôt, nous avions eu la chance de tomber sur l'un des rares individus de la région à posséder encore une voiture, et suffisamment d'essence pour s'en servir, lequel s'était gentiment proposé de nous déposer à notre prochaine destination, soit Carmin Sur Mer. Nous avions passé quelques semaines aux alentours de Céladopole, et éprouvions le besoin de changer d'air, de vivre d'autres choses, de rencontrer d'autres gens, de vider d'autres portefeuilles. Au cours des précédents mois, je ne m'étais pas ennuyé une seule seconde. Il est fascinant d'observer comme les relations se nouent vite dans une communauté de scélérats. Renji et moi avions fait connaissance de nombre d'autres itinérants – un tantinet cleptomanes, mais fort sympathiques -, et ce partout où nous étions passés. Encore quelques années, et je n'allais pas tarder à pouvoir me vanter de connaître Kanto comme ma poche.
Nous étions en avril. Cela faisait cinq mois que Noa n'avait donné aucun signe de vie. Elle commença par me manquer cruellement, puis je finis par réaliser que la vie suivait son cours. Son souvenir restait, impérissable. Mais la certitude que je finirais bien par la retrouver disparut. Au fil de ces quelques mois, je me résignai définitivement. Peut-être la reverrai-je, peut-être pas. Sans doute que j'entendrais parler de la Team Rocket un jour ou l'autre. Ce n'était plus mon affaire à présent. C'était la deuxième fois que ma vie changeait radicalement. La première fois était celle où je rencontrai Noa. La deuxième, celle où je la perdis. Un rythme de vie calqué sur une seule personne : quelle plus certaine preuve d'attachement que celle-là ?

 


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