Entre infini et au-delà
Cassy passa une journée entière à tourner et retourner en rond dans la Forêt de Jade, de manière à brouiller les pistes. Elle avait enduit les jambes de Galopa avec un mélange de baies qu'elle avait trouvées en chemin, d'herbes odorantes et de boue, afin de contrer le flair aiguisé des Grahyèna.
Épuisée par une aussi longue errance, elle réussit à trouver une petite caverne moussue, à peine assez grande pour les accueillir, son pokémon et elle, où ils pourraient se reposer. Ils n'avaient pas cessé de se déplacer et, l'un comme l'autre, ils n'avaient plus la force de continuer.
Avec parcimonie, Cassy puisa dans les réserves de nourriture qu'elle avait emportées du Bourg-Palette et donna quelques poffins à Galopa. Il aurait mérité une double ration, mais elle ne pouvait se permettre de gaspiller ce qu'ils avaient. Il était exclu, pour l'heure, de sortir de l'endroit où ils étaient tapis.
L'adolescente eut énormément de mal à trouver le sommeil, malgré son corps éreinté et ses courbatures dues à une trop longue chevauchée. Elle craignait à chaque instant de voir un Grahyèna ou l'un de leurs maîtres surgir et écarter le rideau de fougères qui la dissimulait.
Elle finit par s'assoupir alors que la nuit était tombée depuis longtemps, tout en sachant que Galopa garderait un œil sur elle. Elle espérait que son piège aurait fonctionné et que les hommes qui la traquaient auraient continué leur route jusqu'à Argenta. Le lendemain matin, elle se remit en route.
Elle effectua un très long détour pour éviter la cité, ce qui lui fit perdre un temps considérable, d'autant qu'elle se déplaçait beaucoup moins vite qu'elle ne l'avait fait jusqu'à présent. Fourbus comme ils l'étaient, sa monture aussi bien qu'elle, ils ne pouvaient pas se permettre de maintenir une cadence élevée.
À plusieurs reprises, elle perçut le bruit assourdissant émis par l'hélicoptère qui avait surgi au Bourg-Palette. Le plus souvent, il était assez lointain, mais il arrivait parfois qu'il semble tout près, et Cassy sentait son sang se glacer, convaincue que ce n'était qu'une question de secondes avant qu'elle soit repérée.
Malgré cela, elle finit par rallier le Mont Sélénite, où elle avait le sentiment qu'elle serait à l'abri. Au moins, dans son réseau de tunnels, personne ne pourrait la repérer depuis le ciel. Elle pensait que, si elle le traversait, elle serait presque hors de portée de ses poursuivants, mais tout ne se déroula pas comme prévu.
L'endroit était un véritable labyrinthe, or Cassy ne possédait ni carte, ni connaissance du terrain. Avant même qu'elle n'en prenne conscience, elle était déjà perdue. Elle ne savait pas comment revenir sur ses pas, et encore moins où trouver la sortie. Les boyaux qu'elle arpentait étaient sombres et seule la torche qu'elle avait fabriquée, à l'aide d'un morceau de bois, de tissu et d'une Flammèche de Galopa, dissipait les ténèbres autour d'elle.
Leurs pas se répercutaient en écho autour d'eux. Elle puisa un peu de réconfort dans l'idée que, si quelqu'un approchait, elle l'entendrait venir de loin. À quoi cela lui servirait-il, cependant, si elle était condamnée à errer dans le Mont Sélénite pour une durée indéterminée, à défaut de retrouver son chemin ?
Après une longue déambulation qui ne l'avait menée nulle part, Cassy décida de s'accorder une pause afin de se sustenter. Malgré ses précautions, ses réserves de nourriture commençaient à s'amenuiser dangereusement, or les efforts physiques nécessaires à sa fuite lui creusaient l'appétit.
Elle dévora sa maigre pitance avec la gloutonnerie d'un Ronflex et Galopa eut le droit à sa part de poffins, la dernière. La boîte que Régis lui avait remise au moment de quitter le laboratoire était désormais vide.
Cassy essuya ses mains sur les vêtements crasseux qu'elle portait. À part lorsqu'elle avait troqué sa chemise de nuit contre un pull, dans la Forêt de Jade, elle n'avait pas pris la peine de changer d'habits une seule fois depuis le début de sa cavale. Elle dormait habillée et préférait ne pas perdre de temps en futilités, même si elle se sentait affreusement sale, avec les taches de boue et d'herbe qui la maculaient.
Elle était sur le point de se remettre en route, sans grande motivation, quand elle perçut quelque chose. C'était un bruit, mais qui n'avait rien à voir avec un déplacement humain. Cela ressemblait davantage à des battements d'ailes. Plus le son se rapprochait et plus il paraissait s'intensifier. Avec effroi, Cassy comprit ce que cela signifiait.
- Des Nosféralto ! s'écria-t-elle. Fuyons !
Le plafond était trop bas pour lui permettre de monter sur le dos de Galopa, aussi s'enfuirent-ils de front. Le pokémon aurait aisément pu la distancer, mais il n'avait pas l'intention d'abandonner sa maîtresse, raison pour laquelle il calquait son allure sur la sienne.
À cause de la lenteur de Cassy, les créatures ailées ne mirent pas longtemps à les rattraper. Elles étaient plus d'une dizaine et agitaient furieusement leurs appendices pour gagner de la distance. Leurs crocs luisaient à la lumière de la torche, prêts à se refermer sur eux pour se repaître de leur sang.
L'adolescente poussa un hurlement lorsque les Nosféralto fondirent sur eux et protégea son visage à l'aide de ses bras. Galopa s'agitait comme un forcené, se ruant et se cabrant pour tenter d'assommer leurs assaillants avec ses pattes puissantes. Ils étaient bien trop nombreux, et d'autres semblaient affluer encore.
Dans la panique, Cassy fit tomber son flambeau, avait d'être percutée par un pokémon, qui la jeta à terre. Le contact du sol provoqua une vibration douloureuse dans tout son corps lorsqu'elle le heurta. Fourbue, elle mit quelques secondes à se relever et, sitôt qu'elle y parvint, un Nosféralto agrippa sa chevelure.
Ses griffes lui raclèrent le crâne et lui arrachèrent un gémissement. Elle voulut se dégager, mais au même moment, une autre créature se posa au niveau de sa jambe et planta fermement ses crocs dans la chair de sa cuisse, à travers le tissu de son pantalon.
Techniquement, les Nosféralto n'étaient pas une espèce dangereuse. Ils se nourrissaient certes du sang des humains qu'ils rencontraient, mais ils n'avaient pas besoin d'une grosse quantité pour être parfaitement repu. Si toute une horde s'abreuvait, en revanche, la situation risquait d'être autrement problématique.
- Galopa ! Flammèche ! ordonna-t-elle sans ouvrir les yeux, de crainte qu'ils se fassent crever.
Elle sentait d'autres griffes, d'autres crocs et supposait que sa peau devait désormais n'être plus qu'un ensemble d'entailles sanguinolentes. Elle se mordit les lèvres, en prenant sur elle pour ne pas pleurer. Elle entendait le cheval de feu se démenait à côté d'elle, mais elle doutait qu'il puisse être capable de venir à bout de tant d'adversaires, inexpérimenté comme il l'était.
Cassy était recroquevillée par terre et agitait ses bras avec virulence, mais cela ne suffisait pas à effrayer les chauve-souris bleues. Elle sentait ses forces l'abandonner à mesure qu'elles lui prélevaient du sang, les unes à la suite des autres. Un sanglot lui échappa malgré elle.
Était-il possible qu'elle puisse mourir ici, aussi bêtement, après avoir passé ces deux derniers jours à fuir ses poursuivants ? Si la situation n'avait pas été sur le point de virer à la tragédie, elle aurait presque pu la juger pathétiquement comique.
Elle passa une main sur son bras le plus meurtri, essuyant le liquide chaud et épais qui s'en échappait. Alors qu'elle désespérait de voir les Nosféralto s'éloigner, enfin repus, un cri lui parvint. Il ne semblait pas provenir d'un pokémon, mais d'une voix humaine, ce qui l'effrayait d'autant plus. Ses traqueurs l'auraient-ils retrouvée ?
Cassy entendit des pas se rapprocher, puis sentit deux mains fermes l'empoigner par les épaules. S'ils étaient venus pour la tuer, qu'ils fassent vite, dans ce cas. Les créatures n'avaient pas épargné une seule partie de son corps et la souffrance qu'elle endurait était insoutenable. Elle espérait qu'ils pourraient l'abréger.
- Tartard, utilise Vibraqua !
Une voix d'homme s'éleva dans le dos de Cassy. Elle appartenait à la personne qui la cramponnait et qui s'efforçait de la tirer vers l'arrière. L'adolescente, mal en point, reçut une gerbe d'éclaboussures sur la joue, lorsque l'attaque atteignit sa cible. C'était probablement son Galopa qui avait été visé.
- Cassy, je veux bien t'aider, mais ça m'arrangerait si tu y mettais du tien. Est-ce que tu peux au moins ouvrir les yeux ?
Il fallut quelques secondes à l'adolescente pour comprendre qu'on ne désirait pas la tuer, mais qu'on venait au contraire de lui sauver la vie. Qui était cette personne qui l'avait secourue, et comment connaissait-elle son prénom ? Pour avoir la réponse, elle consentit soulever ses paupières.
Sa vision était un peu floue, après les avoir gardées closes si longtemps. Elle distingua une silhouette sombre, toute de noire vêtue et qui se confondait avec la pénombre ambiante, en train de diriger un Tartard qui semait la panique parmi les Nosféralto. Ils agitaient leurs ailes dans tous les sens, tentant de se défendre.
- Sven... murmura Cassy d'une voix faible, lorsqu'elle eut identifié son sauveur. Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Plus tard, les explications, tu veux bien ? Tartard, achève-les avec Pistolet à O !
Cassy fut de nouveau aspergée lorsque le pokémon cracha un jet aqueux sur la horde, qui se dissipa pour de bon et s'enfuit dans toutes les directions en volant d'une manière désordonnée, en poussant un ultime cri. Quelques créatures semblaient confuses, car elles se heurtèrent aux stalactites.
Sven rappela son partenaire dans sa pokéball avant de pivoter sur lui-même pour rejoindre Cassy, toujours par terre. Avec des gestes vifs, il l'aida à se mettre debout, un bras passé autour de sa taille, son autre main la cramponnant au niveau du poignet. Sans crier gare, il la saisit derrière les mollets pour la faire basculer à l'horizontale et la plaqua contre son torse. Il la porta jusqu'à son Galopa, sur lequel il l'allongea.
- Il n'y a pourtant aucun musée à cambrioler, à proximité du Mont Sélénite, trouva la force de plaisanter Cassy. Je suis au courant pour Argenta. Je sais que c'était toi.
- C'est toujours moi, répondit-il simplement, avant de passer les rênes par-dessus l'encolure du cheval de feu pour le mener. Si je suis ici, c'est pour trouver des Pierres Lune. Il y en a beaucoup, d'après ce qu'on raconte, et elles valent une véritable fortune. J'avais l'intention de découvrir un joli butin, au lieu de quoi je découvre une jolie fugitive. Comment est-ce que tu t'es retrouvée là ? La dernière fois que je t'ai vue, tu étais à Sinnoh, en compagnie de Cynthia Shirona.
- L'avantage, quand tu te promènes avec une célébrité comme elle, c'est de pouvoir passer sous le nez de l'agent Jenny sans qu'elle t'accorde la moindre attention. Le meilleur moyen de se rendre invisible, c'est parfois de se faire voir.
- Certes, admit Sven. À ce propos... Tu n'étais pas obligé de me couvrir, ce jour-là. Tu aurais pu révéler qui j'étais aux autorités. Pourquoi ne l'as-tu pas fait ?
- Tu aurais préféré ? interrogea Cassy. Plus sérieusement, si je leur avais dévoilé ton identité, ils se seraient obligatoirement demandé comment je te connaissais, et j'aurais eu des ennuis. C'est donc moins dans ton intérêt que dans le mien que j'ai gardé le silence, mais aussi parce que j'avais une dette envers toi, après ce qui s'est passé à bord du bateau, il y a deux ans. Nous étions quittes, du moins jusqu'à aujourd'hui. Je te suis de nouveau redevable, à présent.
La voix de la jeune fille perdait son intensité à mesure qu'elle parlait. Sven le remarqua et l'examina attentivement, sans cesser d'avancer. Cassy avait mal partout et chacune de ses plaies lui infligeait une douleur cuisante.
- Ils n'ont pas fait semblant, constata son sauveur. Si tu n'avais pas eu le réflexe de te protéger le visage, ces Nosféralto t'auraient sûrement défigurée. Tu as eu de la chance que je sois dans le secteur, d'autant que tu n'as pas emprunté la galerie la plus fréquentée du Mont.
- Je me suis égarée. La police m'a localisée à Argenta et j'ai pensé que je pourrais leur échapper en traversant le Mont Sélénite.
- Au final, c'est toi qui as failli ne pas en réchapper. Ne t'inquiète pas, je vais te conduire en lieu sûr. Tu ne me sembles pas en état de marcher et, de toute façon, il faut désinfecter tes plaies, sans quoi elles risquent de s'infecter.
- Tu n'as pas l'intention de m'emmener au Centre Pokémon, j'espère ?
- Avec l'agent Jenny qui te recherche ? Je ne suis pas stupide. Non, il y a un endroit bien plus adéquat pour deux voleurs comme nous.
- Lequel ?
- C'est une surprise, répondit Sven avec un sourire malicieux. Tu le découvriras lorsque nous y serons.