Entre infini et au-delà
Léa accepta de reprendre sa route avec Cassy et Cynthia, mais elle ne prononça pas un mot pendant un long moment, ce qui était assez rare pour être mentionné. Elle marchait en silence, dans leur sillage, la tête basse. De temps en temps, la Championne lui jetait un regard compatissant, mais la coordinatrice ne la remarquait même pas.
Cassy, préoccupée, ne cessait de porter sa main à son propre glyphe, au niveau de son avant-bras. Il lui avait toujours paru lourd à porter, mais jamais autant qu'en cet instant. Pourquoi Kiméra ne s'était-elle pas tue ? Elles auraient pu protéger Léa du poids d'un tel fardeau, ce qui n'était plus possible, à présent que la vérité avait éclaté. L'enfant devait être morte de peur, bien qu'elle n'en laisse rien paraître. C'était sûrement le choc qui l'avait rendue muette.
- Qui est au courant de cette histoire ? finit-elle par demander d'un ton cassant, pendant qu'elles s'arrêtaient pour monter leur campement, à proximité du Mont Couronné. Combien de personnes m'ont menti, en tout ?
- Seulement nous, avoua Cassy. Et Régis Chen. D'ailleurs, nous ne t'avons pas menti. Nous avons simplement tenté de t'épargner. Nous ne voulions pas te perturber avec quelque chose dont nous ignorions tout.
- M'épargner ? Si ça se trouve, ce truc est dangereux, et vous n'avez même pas jugé utile de m'avertir.
- Je ne pense pas, coupa Cynthia. Si ces symboles avaient dû avoir des effets néfastes, ils se seraient déjà manifestés. En revanche, ils ont forcément une signification, et c'est cela que nous essayons de découvrir. Nous savons que ces glyphes représentent les dix-sept types pokémon et qu'ils sont gravés sur les plaques d'Arceus. Cassy possède celui du dragon, toi celui des plantes.
- Kiméra a dit qu'il s'agissait d'une vieille légende, se remémora Léa. Que ces marques devaient apparaître et se réunir. Qu'est-ce que ça veut dire ? Il y en a d'autres ?
- Pas à notre connaissance, indiqua Cassy. Ton glyphe et le mien se sont révélées suite à une attaque pokémon, mais Régis Chen a subi la Morsure de son Noctali, sans que rien ne se produise. C'est un phénomène dont la logique nous échappe, comme tout le reste, d'ailleurs. Quant à cette légende... Régis a fait des recherches, de son côté, mais il n'a rien trouvé qui s'apparente à notre situation. Je me demande bien à quoi Kiméra pouvait faire référence.
- Certains mythes sont beaucoup moins répandus que d'autres, souligna Cynthia. Il y a une bibliothèque, à Vestigion. Elle est certes moins fournie que celle de Joliberges, mais j'ai l'intention de voir si je peux découvrir quelque chose à ce sujet. Ils ont un rayon réservé aux livres anciens.
Cassy acquiesça, puis le silence revint sur leur groupe. Quand l'adolescente finit de monter sa tente, celle de Cynthia était dressée depuis un moment déjà et le Maître de Sinnoh s'appliquait à préparer leur dîner, qui se composerait d'une miche de pain et d'une portion de soupe en boîte.
- Où est Léa ?
- Léa ? Elle était là il y a un inst...
La Championne n'acheva pas sa phrase en constatant avec effroi la disparition de la fillette. Elle renversa la casserole qu'elle maintenait au-dessus de la flamme du réchaud et son contenu se répandit dans l'herbe, pendant que Cassy criait le nom de son amie, sans obtenir de réponse.
- Où a-t-elle bien pu passer ? maugréa-t-elle.
- Je l'ignore. Le soleil aura bientôt complètement disparu, nous ferions mieux de la retrouver avant qu'il fasse nuit noire.
Elles abandonnèrent leur campement pour explorer les alentours. Pendant que Cynthia fouillait les différents bosquets d'arbres qui bordaient la route 208, Cassy s'aventura du côté d'un petit champ de baies, qui avaient tout l'air d'être d'une qualité exceptionnelle. Son estomac gronda à leur vue, mais elle l'ignora. Elle avait d'autres préoccupations en tête.
- Te voilà enfin ! s'exclama soudain Cynthia, et l'adolescente poussa un soupir de soulagement. Où étais-tu ?
Cassy revint sur ses pas pour rejoindre ses amies, réunies. Léa avait les cheveux emmêlés et des feuilles y étaient accrochées, comme si elle avait tenté de ramper sous un buisson, ce qui était vraisemblablement le cas, à la vue de la boue qui maculait ses vêtements.
- J'ai poursuivi un Rozbouton et j'ai réussi à le capturer, informa la coordinatrice, fière d'elle. C'est le premier pokémon que j'attrape par moi-même, et...
- Tu ne dois pas t'éloigner de la sorte ! la réprimanda Cynthia. C'est peut-être dangereux.
- Je n'étais pas loin, assura Léa.
- Assez pour que tu ne nous entendes pas t'appeler. Si tu avais eu besoin d'aide, comment aurais-tu fait pour nous avertir ?
- Ne vous inquiétez pas pour moi. Quand Bulbizarre est à mes côtés, il ne peut rien m'arriver.
- Bien sûr que si ! Tu n'as pas idée des risques que tu enc...
Cynthia prit conscience, mais trop tard, de la bévue qu'elle était en train de commettre. Elle plaqua une main sur ses lèvres pour se faire taire, mais le mal était fait. Léa l'observa, suspicieuse. Malgré sa naïveté et son manque de maturité, elle n'était pas idiote. La raison de ces paroles lui sauta aux yeux :
- C'est à cause de la marque, n'est-ce pas ?
- Nous avons de bonnes raisons de penser que des gens sont très intéressés par toute cette histoire, confessa Cassy. Un peu trop, même.
- Quel genre de gens ? interrogea Léa.
- Des personnes dont les intentions sont tout sauf angéliques.
- Et comment est-ce que vous le savez ?
- Nous... Ils ont tenté de s'en prendre à moi, autrefois. Ils ont voulu me capturer et c'est de cette façon que j'ai rencontré Cynthia. Elle m'a aidée à leur échapper.
Cassy s'en voulait d'édulcorer la réalité de la sorte à Léa, mais la fillette était sans doute assez traumatisée par ses découvertes récentes sans avoir besoin de rajouter à la liste le massacre de la famille Granet par des barbares. Si elle entendait cela, elle ne s'en remettrait pas.
- Est-ce qu'il y a d'autres détails que vous auriez omis de mentionner ? interrogea Léa, la voix vibrant d'une note de panique.
- Écoute... La situation est suffisamment complexe ainsi. Si tu fais ce qu'on te dit et que tu te montres prudente, il ne devrait pas y avoir de problème.
- En ville, je me suis déjà promenée seule, argua la coordinatrice.
- En ville, tu es rarement seule, répliqua Cassy. Il y a toujours des passants, des boutiques ouvertes... Autant de gens qui pourront te venir en aide en cas de besoin. Léa, tout ceci n'est pas un jeu, même s'il y a des règles. C'est du sérieux. Tant que nous n'aurons pas compris ce qui se passe, nous serons vulnérables.
L'enfant baissa les yeux, et Cassy espérait qu'elle aurait compris la leçon. Même si, pour le moment, aucun danger ne semblait les menacer, l'adolescente préférait rester sur ses gardes. Après tout, sa famille était censée être à l'abri lorsque les assassins étaient passés à l'acte, et elle n'oubliait pas qu'elle-même ne devait sa survie qu'à la chance.
Après trois jours de marche, elles atteignirent la Forêt de Vestigion, où elles passèrent la nuit. Une mauvaise surprise les attendait au réveil, quand elles s'aperçurent qu'une horde de Pachirisu affamés était venue dérober leur réserve de nourriture. Elles durent se mettre en route pour la Pierre Mousse, où Léa pourrait faire évoluer son Évoli, le ventre vide.
En chemin, Cassy ramassa quelques baies sauvages, qu'elle jugea comestibles. Sa vie à la ferme et les nombreux plans sauvages qui poussaient dans les environs lui offraient une bonne connaissance de ces plantes. C'était l'un des rares domaines où elle pouvait se targuer d'en savoir plus que Cynthia.
Elles divisèrent leur cueillette en trois parts égales, qu'elles mangèrent goulûment. Les fruits étaient juteux et leur chair était épaisse, au point tel qu'ils suffirent presque à les rassasier. Elles se léchaient les doigts avec gourmandise lorsque l'immense rocher couvert de mousse pénétra enfin dans leur champ de vision.
Léa essuya ses mains collantes contre son pantalon, puis libéra Évoli de sa pokéball. Mu par l'instinct, il comprit aussitôt ce qu'il avait à faire. Il marcha d'un pas lent vers la pierre, se dressa sur ses postérieurs et plaqua ses pattes avant contre la surface verdâtre. Son corps s'illumina d'un halo blanc pour s'agrandir, s'affiner. Il se transformait en splendide Phyllali.
- Me voici désormais avec une équipe entière de... Ah ! s'exclama Léa, en adressant un regard accusateur aux deux autres. Je comprends mieux, maintenant ! C'est pour ça que vous teniez tant à ce que je ne dresse que des types plante. C'est bien ce symbole-là que je suis censée porter, non ?
- Régis avait émis cette hypothèse pour moi, indiqua Cassy avec un haussement d'épaules. J'ai pensé qu'il serait plus simple de mener l'expérience avec des plantes plutôt qu'avec des dragons, car je n'ai pas le niveau nécessaire pour dompter de tels pokémon.
- Qu'est-ce que vous espériez, au juste ?
- Qu'il se produise quelque chose, je suppose... Que ta marque s'illumine, qu'elle te pique, qu'elle disparaisse... Bref, qu'elle agisse, d'une manière ou d'une autre.
- C'est raté, révéla Léa. Je ne ressens rien du tout, et elle est exactement comme au premier jour.
- Il faut peut-être attendre, intervint Cynthia. Trois pokémon, c'est encore bien peu. Nous verrons lorsque tu en auras six. Il se produira peut-être le signe que nous guettons à ce moment-là.
Elles poursuivirent leur chemin vers Vestigion en partageant des théories, toutes plus extravagantes les unes que les autres, auxquelles Léa prenait désormais part. Les températures étaient chaudes, et elles ne firent que s'accroître dès la fin de la matinée. Quand le trio sortit du bois, qui jouxtait presque la cité, la chaleur avait atteint son paroxysme.
Elles firent une halte dans un supermarché où elles achetèrent des bouteilles d'eau fraîches, afin de se désaltérer, et consultèrent un guide de Vestigion, dans lequel Cynthia releva l'adresse de trois hôtels. Le plus proche se trouvait au sud-ouest de la ville, à proximité du musée.
La Championne proposa à Cassy et Léa d'aller voir les statues à l'effigie de Dialga et de Palkia, à l'entrée, pendant qu'elle-même se chargeait de réserver des chambres. Elle avait prévu de passer une nuit sur place pour se rendre à la bibliothèque et rechercher des informations sur la légende mentionnée par Kiméra.
- L'être du temps... L'être de l'espace... murmura Cassy.
D'un doigt, elle caressa les inscriptions en Zarbi, dont Cynthia avait commencé à lui enseigner les rudiments, gravées sur les plaques dorées qui ornaient les deux sculptures. Elles étaient impressionnantes, et correspondaient parfaitement à l'idée que l'adolescente se faisait des deux Dragons.
- Ils ne sont pas censés être trois ? s'enquit Léa.
- Si, mais Giratina est très controversé, à cause de l'image négative qu'en donne la Pokible, ainsi que de nombreux mythes et légendes. Le maître des dimensions, comme on le surnomme souvent, aurait trahi Arceus et aurait tenté de s'élever contre lui, avant d'être banni dans le Monde Inversé.
- Oh, je vois... murmura la fillette. Il doit être effrayant, mais celui qui me fait le plus peur, c'est Darkrai.
Cassy l'approuva. Elle-même avait grandi dans la sainte terreur de la créature, présentée par les histoires comme le plus sombre de tous les légendaires, capables d'inspirer les pires cauchemars aux humains comme aux pokémon dès qu'ils sombraient dans le sommeil.
- Nous devrions rejoindre Cynthia, suggéra la jeune fille. Nous aurons tout le temps de revenir visiter le musée avant le Concours.
Une brise légère s'était levée, mais elle ne suffisait pas à rendre le climat supportable, ni à sécher la sueur qui mouillait leurs habits. Des mirages de chaleur se formaient au ras du sol, sur l'asphalte. Les gens étaient nombreux à se déplacer dans les rues, notamment sur cette avenue, mais tous semblaient pressés de rentrer chez eux se mettre au frais.
Parmi la foule, que Cassy observait d'un œil distrait, elle remarqua une blouse blanche, qui attira son attention comme un aimant. Hypnotisée par cette vision, elle fit un pas dans sa direction. Léa le remarqua et lui demanda aussitôt pourquoi elle changeait de trajectoire, mais l'adolescente ne lui répondit pas.
Elle avança encore vers la personne qu'elle avait aperçue à l'instant, bien que celle-ci commence déjà à s'éloigner. Quand l'autre fut totalement hors de vue, Cassy se figea, les lèvres entrouvertes, le regard vide, l'air absent.
- Cassy ? Tu vas bien ? questionna vivement Léa en la secouant par le bras, car elle la croyait en transe.
- Non, répondit-elle d'une voix faible, pâle comme un linge, avant de perdre connaissance et de s'effondrer sur le trottoir brûlant.
Le soleil disparut tandis qu'elle s'enfonçait dans les ténèbres. Bientôt, elle se mit à grelotter, à cause de la différence flagrante de température. Il faisait froid, désormais, quel que soit l'endroit où elle se trouvait. Cassy ne parvenait pas à se repérer, car les environs étaient plongés dans les ténèbres. Une brume épaisse jaillissait du sol invisible.
Elle avança à tâtons dans l'obscurité, les mains tendues devant elle pour ne pas heurter un obstacle. Elle progressait sur une surface lisse, car elle ne s'entrava pas une seule fois. Elle finit par apercevoir une lumière, dans le lointain. Elle courut jusqu'à elle, soucieuse de ne pas la voir lui échapper une nouvelle fois.
- Allez-vous me dire ce que vous me voulez ? demanda Cassy à l'instant même où la femme qui lui était apparue aux Colonnes Lances se matérialisait devant elle.
Elle était nue, comme l'adolescente l'avait supposé la première fois qu'elle l'avait vue. Sa longue chevelure rousse entourait son corps galbé et dissimulait une partie de ses formes. Son extrémité effleurait la courbe harmonieuse de ses mollets. Ses lèvres se retroussèrent dans un sourire mauvais.
- C'est toi qui attends quelque chose de moi, répondit l'autre d'une voix sensuelle. Tu veux obtenir des informations.
- Si vous en avez, donnez-les-moi.
- Ai-je bien entendu ? Serait-ce un ordre ? Personne ne m'ordonne jamais rien. Personne !
Sa mystérieuse interlocutrice avait hurlé le dernier mot avec rage, si bien qu'il sembla résonner un instant à l'intérieur de Cassy elle-même. Elle décida de ne pas se laisser impressionner par une vision, aussi étrange soit-elle, qui ne pouvait être autre chose que le fruit de son imagination. Déterminée à la braver, elle croisa les bras sur sa poitrine, une lueur arrogante dans le regard.
- Je suis certaine que vous bluffez. Vous ne savez rien.
- Tant pis, c'est toi qui vois.
Avec grâce, la femme pivota sur elle-même, repoussant dans son dos ses cheveux incandescents. Sa main s'attarda dans ses boucles, au niveau de son cou, et dévoila un bref instant sa gorge pâle. Elle était marquée d'un symbole, que Cassy eut à peine le temps de remarquer.
- Attendez ! s'écria-t-elle, mais trop tard, car les limbes venaient de se refermer sur l'inconnue.