Entre infini et au-delà

Chapitre 37 : En attendant la fin

2152 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/11/2016 12:19

Cassy marchait dans les limbes, ténébreuses, silencieuses. Il n'y avait que l'obscurité qui s'étendait à perte de vue, à l'exception d'un brouillard épais qui flottait au niveau de ses mollets. Elle avançait, toujours dans la même direction, sans que rien ne vienne troubler ce paysage monocorde. Elle ignorait pourquoi, mais elle devait continuer. Elle avait le sentiment de se diriger vers quelque chose d'important, mais quoi ?

- Cassy... appela soudain une voix sensuelle. Viens, Cassy. Approche.

- Où êtes-vous ? Je ne vois rien.

- Regarde mieux...

Les paupières de la jeune fille se plissèrent pour distinguer à ce qui semblait être des kilomètres d'elle une silhouette perdue au milieu de ce néant. Sans hésiter, sans même se demander si cela pouvait être dangereux, Cassy se mit à courir vers elle. Ses jambes étaient lourdes, comme dans un rêve.

Alors qu'elle était sur le point d'atteindre la personne qui paraissait l'attendre, celle-ci disparue, la laissant seule dans l'obscurité. L'adolescente n'avait eu le temps d'apercevoir que très brièvement une femme à l'immense beauté, son visage laiteux auréolé par une cascade de cheveux roux. Elle aurait presque juré qu'elle était nue.

- Qui êtes-vous ? demanda Cassy, désemparée. Que me voulez-vous ?

- Si tu ne me connais pas, jamais tu ne sauras, répondit la voix de plus en plus faible, avant de s'estomper complètement dans un rire mauvais.

- Attendez !

L'adolescente tendit la main vers l'endroit où la mystérieuse inconnue s'était tenue un instant plus tôt, mais ses doigts ne rencontrèrent que le vide. Ils finirent par heurter la toile de sa tente, au milieu de laquelle elle se réveilla en sursaut, couverte de sueur malgré le froid extérieur.

Il faisait jour et, en entendant des rires au dehors, Cassy comprit que Cynthia et Léa étaient déjà levées. Elle prit quelques minutes pour remettre de l'ordre dans ses idées, puis se redressa, fourbue. Son sac de couchage était de travers, ses affaires renversées. Elle avait apparemment eu un sommeil très agité.

- Eh ! s'exclama la Championne de Sinnoh en la voyant apparaître, emmitouflée dans la cape de Sven. Tu te décides enfin à te lever ? Il est plus de neuf heures et demie, tu sais.

- Je suis désolée, j'ai... mal dormi.

Cassy chercha Léa du regard, qu'elle aperçut en train de combattre un Blizzi sauvage, sans doute dans le but de le capturer. Bulbizarre faisait face à son adversaire, attendant le moment opportun pour lancer une attaque stratégique. Ce fut cependant lui qui fit les frais d'un Blizzard, tombant K.O. sur le coup.

- Oh non ! s'écria la fillette en s'agenouillant à même le sol, à côté de son pokémon. Tu vas bien ? Est-ce que tu m'entends ?

Cynthia se mit debout après avoir sorti une Potion du sac posé à ses pieds, qu'elle utilisa sur le starter afin de lui rendre des forces. Elle lui donna ensuite un médicament, qu'il avala sans rechigner. Léa tourna vers la Championne un regard où s'entremêlaient gratitude et admiration.

- Qu'est-ce que vous en savez, des choses ! complimenta-t-elle.

- J'en apprends encore. La modestie est la clé de la connaissance. Il faut avoir conscience des limites de son savoir et ne jamais cesser de les repousser. Cassy, il reste du lait chaud, dans le thermos. N'hésite pas à en boire un peu pour te réchauffer et, dès que tu auras déjeuné, nous nous mettrons en route pour les Colonnes Lances.

L'intéressé acquiesça distraitement, avant de sortir de son sac à dos quelques pains au lait, et une barre de chocolat pour les accompagner. Elle ne prêtait aucune attention à ses gestes, focalisée sur ses pensées. Elle remâchait mentalement le songe curieux qu'elle avait fait.

Lorsque Cynthia vint s'asseoir à côté d'elle, tandis que Léa et Bulbizarre, rétabli, effectuaient un rapide entraînement, Cassy décida de lui avouer ce qui la taraudait. Elle évoqua la femme énigmatique, ainsi que les propos tout aussi étranges qu'elle avait tenus et l'univers obscur dans lequel elles se trouvaient. La Championne l'écouta patiemment.

- Ne pourrait-il s'agir d'un simple rêve ?

- Non, réfuta l'adolescente. Ça semblait bien trop réel pour être le fruit de mon imagination. Est-ce que... Est-ce que vous pensez que ça pourrait être l'œuvre de Darkrai ? Les légendes veulent qu'il s'engouffre dans l'esprit des gens pour se repaître de leurs espoirs et ne laisser place qu'aux ténèbres.

- S'il s'agissait vraiment de lui, je ne crois pas que tu te serais réveillée aussi aisément. Qui plus est, et ce en dépit de l'importance capitale que j'attache à la mythologie, nous n'avons aucune preuve tangible de son existence.

- Vous avez raison. De toute façon, je ne crois pas qu'il s'agissait d'un cauchemar. Ce que j'ai vu n'avait rien d'effrayant ou de menaçant. C'était plutôt comme si cette femme essayait de rentrer en contact avec moi par le biais de mon subconscient, même si je sais que c'est impossible.

- Que t'a-t-elle dit, exactement ?

- « Si tu ne me connais pas, jamais tu ne sauras. », récita Cassy sans difficulté, car les mots s'étaient imprimés dans son esprit à l'instant où elle les avait entendus. Ça n'a aucun sens. Je suis apparemment censée l'avoir déjà vue, pourtant je n'ai jamais vraiment côtoyé d'adultes à l'exception de mes parents, et si notre rencontre était fréquente, je m'en souviendrais. Malgré ça, je suis convaincue que je ne l'ai pas imaginée.

- Ce qui m'interpelle le plus, c'est qu'un tel événement se déroule précisément ici, à quelques dizaines de mètres des Colonnes Lances, souligna Cynthia. Si ce rêve, ou cette vision, a bel et bien une signification, je doute qu'il s'agisse d'une simple coïncidence.

Cassy acquiesça, puis avala son dernier pain de lait sans appétit, avant de rassembler ses affaires. Quand elle eut terminé, Léa rappela Bulbizarre dans sa pokéball et elles se mirent toutes les trois en route pour le sommet du Mont Couronné, sur lequel s'étendait le plateau des Colonnes Lances.

- Waouh ! soufflèrent en chœur les deux jeunes filles lorsqu'elles le découvrirent.

Devant elles s'étendaient un sol parfaitement plat, en pierre ancienne. Des piliers se dressaient majestueusement de part et d'autre ; ils semblaient relier le ciel et la terre. Quelques-uns étaient brisés, sans doute à cause de l'usure provoquée par les siècles, mais cela n'enlevait rien à la beauté du lieu. Cassy avait le sentiment de ne jamais avoir été aussi proche de l'Alpha qu'en cet instant, elle qui avait pourtant toujours eu la foi.

Une gigantesque gravure était dessinée au centre. Elle représentait trois cercles équidistants, qui formaient un triangle. Cynthia indiqua qu'ils symbolisaient les Dragons Giratina, Dialga et Palkia, respectivement gardien des dimensions, du temps et de l'espace. Dans la zone qui les séparait, il y avait dix sept rectangles, disposés en arrondi. Dix-sept, comme les types pokémon ou, en l'occurrence, le nombre de plaques d'Arceus.

Pendant que Léa, intriguée, se dirigeait vers les colonnes qui donnaient son nom à ce lieu, Cassy et le Maître de Sinnoh marchèrent jusqu'à l'ornement. Parvenues à sa hauteur, elles s'agenouillèrent toutes les deux sur le sol, afin de pouvoir l'examiner de plus près.

- Là, regarde... souffla Cynthia.

Du bout des doigts, elle caressa les symboles inscrits dans les fausses reliques du Créateur. Ils étaient absolument identiques à ceux qu'Éric avait utilisés dans ses notes et qu'Émilien avait reconnus au premier coup d'œil. Par réflexe, Cassy porta sa main à son avant-bras quand ses yeux se posèrent sur le caractère du dragon.

- Tu devrais peut-être... commença la Championne, avant de s'interrompre.

- Quoi ?

- Je ne sais pas. Le toucher ?

L'adolescente retroussa sa manche pour dévoiler le glyphe qui souillait sa peau. Elle prit une profonde inspiration pour se donner du courage, puis le fit entrer en contact avec son semblable. Elle fut presque soulagée lorsqu'elle constata, après une longue minute, que rien ne se produisait.

- Je suis à court d'idées, marmonna Cynthia en se redressant. Viens, examinons attentivement le reste du plateau. Nous trouverons peut-être quelque chose d'intéressant ailleurs.

Elle tendit la main à Cassy, qui la saisit, pour l'aider à se remettre debout. Léa était toujours en train de s'extasier devant les divers piliers lorsqu'elles s'en approchèrent à leur tour. Ils possédaient tous des inscriptions dans une écriture que la jeune fille ne connaissait pas, et que la Championne présenta comme étant du Zarbi.

- C'est un alphabet ancestral que j'ai étudié quand je suivais des cours à la faculté d'Unionpolis.

- Vous pouvez le déchiffrer ? interrogea Cassy.

- Bien sûr, mais ces gravures ne nous apprennent rien. Elles mentionnent simplement Arceus et les trois Dragons. Je suis désolée, je pensais sincèrement que nous découvririons quelque chose ici.

- Ce n'est pas grave...

La voix de Cassy se brisa sur le dernier mot et elle éclata en sanglots. Cynthia s'assura que Léa était à une distance suffisante pour ne rien remarquer, puis passa ses bras autour du buste de la jeune fille, dont les nerfs venaient de lâcher. Entre deux hoquets, elle parvint à bredouiller :

- J'ai peur, Cynthia. J'ai terriblement peur... Où est-ce que tout ça va nous mener ? J'ai quitté Mérolia avec la ferme intention de découvrir qui avait tué ma famille, pourquoi, et accessoirement de les venger, au lieu de quoi... Au lieu de quoi je me retrouve impliquée dans une histoire qui semble dépasser l'entendement. Je ne traque plus des meurtriers, mais des forces qui me dépassent. Une marque est apparue sur ma peau par magie, une femme se met à me parler dans mes rêves... C'est à n'y rien comprendre ! En quoi les miens ont-ils pu être mêlés d'une quelconque façon à cette affaire ? Quel est le rapport entre nous, les Gijinkas et les plaques élémentaires d'Arceus ? Et Léa ? Que vient-elle faire là-dedans ? Elle est peut-être en danger, tout comme Régis, parce qu'il connaît mon secret, et...

- Calme-toi, intima Cynthia en la saisissant fermement par les épaules, car elle était désormais hystérique. Je t'ai dit que je gardais un œil sur toi, ainsi que sur Léa. Tant que ce sera le cas, vous n'aurez rien à craindre, l'une comme l'autre. Quant à ton ami Régis, je ne pense pas qu'il ait du souci à se faire. Tu m'as confié toi-même qu'en plus d'être chercheur, il s'agissait également d'un excellent dresseur. Il est capable de se défendre et, qui plus est, personne ne sait qu'il est impliqué dans cette histoire. Elle a l'air de se dérouler essentiellement à Sinnoh, or il est à Kanto.

Cassy vint blottir sa tête contre celle de son amie, qui entreprit de lui caresser doucement les cheveux d'une main, l'autre tapotant le creux de ses omoplates. Chacun des gestes de la Championne était protecteur et rassurant. L'adolescente se sentit légèrement mieux à son contact.

Elle versa encore quelques pleurs supplémentaires, puis elle tira de sa poche un mouchoir qu'elles connaissaient bien, toutes les deux. Brodé d'un « C » majuscule à la calligraphie élégante, c'était le présent que Cynthia avait offert à Cassy lors de leur première rencontre. Avec le carré de tissu, elle essuya ses yeux humides.

- Il faut que tu sois forte, d'accord ? dit le Maître de Sinnoh en pinçant affectueusement son menton. Pour ta famille, pour Régis, pour Léa, mais aussi, et surtout, pour toi. Tu es confrontée à un mystère qui nous laisse tous pantois et qu'il ne sera certainement pas simple de résoudre, mais je pense que nous pouvons y parvenir, tous ensemble. Il ne faut pas désespérer.

La jeune fille acquiesça, sans conviction. Elle ne partageait pas le positivisme de Cynthia. Si les Colonnes Lances, berceau de la naissance du monde selon la Pokible, ne lui avait apporté aucune réponse, où en trouverait-elle ?

Le cœur lourd, Cassy leva les yeux vers le ciel pour adresser mentalement une prière à Arceus, sans prendre la peine de sortir son chapelet. Lui qui savait tout, Il était le seul à pouvoir l'aider réellement. Elle ne pouvait s'en remettre qu'à Lui pour accéder à la vérité. S'Il ne la guidait pas, jamais elle ne percerait le mystère qui l'entoure, or pour le moment, elle guettait un signe de Lui, en vain.

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