Entre infini et au-delà

Chapitre 24 : You are not alone

4505 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 24/01/2020 22:08

— Tout va bien, Cassy ? C’est à peine si tu as prononcé un mot depuis que nous avons quitté la ferme.

L’adolescente était allongée sur le sol de la chambre de Cynthia, où d’épaisses couvertures avaient été entassées les unes sur les autres pour lui constituer un matelas de fortune. La Championne avait bien insisté pour lui céder son lit, arguant que dormir par terre lui rappellerait avec amusement son voyage initiatique, mais Cassy avait refusé catégoriquement.

— Oui, je... Je réfléchissais, marmonna-t-elle pour toute réponse.

— Aux notes de ton frère ? Ne t’inquiète pas, je suis certaine qu’à nous deux, nous parviendrons à les décoder.

— Je vous suis reconnaissante pour votre optimisme, mais... ce n’est pas vraiment ce qui me taraude. En fait, j’ai songé que...

Cassy s’interrompit, car sa gorge se noua, rendant son flot de paroles beaucoup moins fluide. Elle déglutit péniblement avant de poursuivre :

— Pendant un moment, je me suis dit que si des individus malintentionnés avaient fouillé la chambre d’Éric, c’était peut-être parce qu’ils l’avaient forcé à évoquer ses recherches, et que cela signifierait qu’il y avait une chance pour qu’il soit encore vivant. Néanmoins, je me suis ravisée. S’ils avaient effectivement contraint Éric à parler, ils auraient sans doute su où trouver ses travaux, donc...

Cette fois-ci, la voix de Cassy se brisa totalement dans un sanglot. Des larmes qu’elle fut incapable de contenir se mirent à rouler le long de ses joues, et elle s’empressa de les balayer avec la manche du pyjama beaucoup trop grand que Cynthia lui avait prêté pour la nuit.

La Championne étendit son bras en direction de Cassy et lui caressa affectueusement l’épaule, sans toutefois prononcer un mot. Elle devait probablement penser que sa déduction était logique, mais ne voulait ni confirmer la mort potentielle d’Éric, ni encourager sa protégée à nourrir trop d’espoirs.

— Essaye de t’endormir, d’accord ? conseilla Cynthia. Tu as fait un long voyage pour venir jusqu’ici, qui n’a pas dû être de tout repos. Tu as besoin de reprendre des forces, et demain matin, on s’efforcera de comprendre ce qui se cache derrière les notes de ton frère. Il est impératif que tu sois en pleine forme pour avoir l’esprit vif.

Cassy s’obligea à esquisser un sourire, un peu réconfortée par la bienveillance de Cynthia, puis se tourna sur le flanc. Le Maître de Sinnoh pressa l’interrupteur de sa lampe de chevet, plongeant la pièce dans les ténèbres, et lentement, très lentement, la jeune fille sombra dans le sommeil.

Lorsqu’elle se réveilla, le soleil était très haut dans le ciel, et elle en conclut que Cynthia l’avait laissé dormir aussi longtemps que nécessaire. Elle-même était déjà levée. Son lit était vide, et Cassy, après avoir tenté de mettre un peu d’ordre dans sa chevelure, la retrouva dans la pièce à vivre, où Carolina était en train de s’affairer aux fourneaux. De délicieux pancakes doraient dans une poêle.

La femme leur servit une grande assiette à chacune, généreusement nappée de sirop d’érable, puis se retira, marmonnant qu’elle avait à faire dans son potager, que les oiseaux ne laissaient jamais tranquille, selon ses propres dires. Cynthia, tout en engloutissant son petit-déjeuner avec l’appétit d’un ronflex, indiqua à Cassy que le jardinage était le violon d’Ingres de sa grand-mère.

Sitôt qu’elles eurent fini de manger, elles débarrassèrent la table. L’adolescente insista pour se charger de la vaisselle, pendant que Cynthia remontait à l’étage chercher dans sa chambre du papier et des crayons, qui pourraient leur être utiles pour tenter de percer le code employé par Éric.

— Est-ce que vous avez des connaissances en matière de cryptage ? demanda Cassy en reprenant place sur sa chaise.

Elle aligna face à elle les documents ayant appartenu à son aîné, au nombre de cinq. Cynthia en saisit un pour l’examiner de plus près, avant de secouer la tête en signe de dénégation, penaude.

— Hélas, non. Ton frère aurait mieux fait de consigner ses travaux en zarbi, je les aurais déchiffrés en un tournemain.

— En zarbi ? Qu’est-ce que ça signifie ?

— C’est une écriture très ancienne, révéla Cynthia sur un ton pédagogue. Pour être exacte, c’est même la plus ancienne qui ait été découverte à ce jour, si bien que les chercheurs s’accordent à dire qu’elle est probablement à la base de toutes les autres.

— Et vous savez la lire ?

— J’ai étudié pendant un temps à la faculté d’Unionpolis et j’ai eu la chance de rencontrer un éminent spécialiste, le professeur Hale, qui m’a beaucoup appris.

Cassy jeta à Cynthia un regard admiratif. En plus d’être une brillante dresseuse, la meilleure de Sinnoh, elle était dotée d’une grande intelligence et semblait posséder une vaste culture générale.

— Je pense pouvoir affirmer, sans trop risquer de me tromper, que les symboles utilisés par ton frère ne correspondent pas à des lettres. Il y en a plus de vingt-six, et de surcroît, ils ne sont pas disposés de manière à former des phrases. En fait... Ils m’évoquent davantage les gravures qui ornent généralement les murs des temples et des ruines.

— Éric n’a jamais mis les pieds sur un site archéologique, rappela Cassy. Il ne s’est même jamais éloigné de la ferme, tout comme moi. Enfin... Il lisait beaucoup, il a peut-être vu des reproductions dans un livre.

— Hmm... Ces caractères-là me disent quelque chose... Ils me sont même très familiers, mais je... Ah si ! Je sais !

Sans manquer de surprendre Cassy, Cynthia se leva d’un bond pour se précipiter vers une porte en acajou, qui donnait sur une pièce que l’adolescente n’avait pas encore visitée. La Championne revint moins d’une minute plus tard avec une énorme encyclopédie sous le bras, dont la reliure en cuir était usée par les années.

Elle la déposa sur la table et n’attendit même pas de s’être rassise pour commencer à la feuilleter. Elle tournait les pages si vite que Cassy dut caler les notes d’Éric pour les préserver du courant d’air. Enfin, Cynthia poussa un cri de triomphe, tout en plaquant théâtralement son doigt sur l’ouvrage.

— C’est bien ce qu’il me semblait ! s’exclama-t-elle. Ce sont les types !

— Les types ? répéta Cassy, qui n’était pas certaine de comprendre.

— Oui, les différents types pokémon. Aux Colonnes Lances, il y a une gravure à même le sol, qui représente Arceus et ses dix-sept plaques. Chacune est ornée de l’un de ces symboles. Regarde. Celui-ci pour l’eau, celui-ci pour le feu, celui-là pour la roche...

L’adolescente, qui s’était penchée pour mieux voir ce que Cynthia lui montrait, se laissa retomber sur sa chaise en soupirant.

— J’imagine que je ne dois pas non plus m’étonner qu’Éric ait eu connaissance de ça... marmonna-t-elle, blasée.

— Décris-moi le reste, s’il te plaît.

Cassy s’exécuta docilement pendant que Cynthia continuait à parcourir son livre massif, à la recherche d’autres pictogrammes qui auraient été employés par Éric. Il lui fallut presque une heure pour atteindre la dernière page, en vain. À l’exception des types, aucun caractère ne s’apparentait à quoi que ce soit de connu.

Elles tentèrent donc une approche différente, qui consistait à donner un sens à l’ensemble des signes regroupés sur chaque document, mais cela s’avéra tout aussi inutile. Elles avaient noirci deux feuilles d’hypothèses, farfelues pour la plupart, lorsque Carolina revint du potager avec des carottes, des tomates et des courgettes particulièrement appétissantes.

— Ma grand-mère était professeur, dans sa jeunesse, indiqua Cynthia à mi-voix. Même encore, il arrive qu’on la sollicite pour avoir son avis ou requérir son aide. Si tu m’autorisais à lui montrer les notes d’Éric, elle émettrait peut-être une déduction à côté de laquelle nous sommes passées.

— Si vous pensez que c’est une bonne idée, alors je vous fais confiance, répondit Cassy.

Carolina avait déposé son panier de légumes sur le rebord de l’évier et se lavait les mains lorsque Cynthia l’appela. Elle s’essuya avec un torchon rapiécé tout en se rapprochant de la table, où elle étudia les travaux d’Éric à la demande de sa petite-fille.

— Hum... Non, ça ne m’évoque absolument rien. Est-ce que vous avez une idée, même vague, de ce à quoi font allusion ces pages ? Un point de départ aiderait à y voir plus clair et surtout à savoir dans quelle direction orienter une réflexion.

— J’ai bien peur que non, soupira Cassy, dépitée. Cynthia a juste identifié ces symboles comme étant ceux des types qui ornent les plaques d’Arceus, mais pour ce qui est du reste, nous sommes dans le noir complet.

— Ces glyphes ne sont presque plus utilisés, de nos jours, commenta Carolina. C’est peut-être une piste... Je ne serais pas surprise que ces documents fassent référence à une légende ancienne. Celle des Colonnes Lances, éventuellement ?

Cassy secoua la tête de gauche à droite. Éric ne s'intéressait pas aux mythes ni aux croyances. S'il avait reçu la même éducation religieuse que sa sœur, il n'avait jamais eu la foi, ce qu'elle lui avait d'ailleurs reproché à maintes reprises. Son esprit scientifique le poussait à se fier uniquement à ce qui était concret ou à ce qu'il pouvait démontrer.

— Ça m'étonnerait, précisa-t-elle. Ce n’est pas du tout le genre de l’auteur. Il est... était d’une nature bien trop rationnelle pour perdre du temps à étudier ce qu’il a toujours qualifié lui-même d’élucubrations. Le connaissant, je pense qu’il faut chercher quelque chose de moins abstrait. La théorie de l’évolution, par exemple. Ce serait plus son style.

— Je crains de ne pas vous être d’une grande utilité, dans ce cas, s’excusa Carolina.

Cassy la remercia malgré tout pour son intervention, et la femme s’en retourna à ses légumes, tandis que Cynthia se frottait pensivement le menton, les yeux rivés sur le sol.

— Et si... commença-t-elle avant de s’interrompre.

— Quoi ? Vous avez une idée ?

— Non, mais il y a bien quelqu’un qui pourrait en avoir une. Quelqu’un d’autre, évidemment.

— Qui ? s’étonna Cassy, un peu perplexe.

— Réfléchis une seconde. Tu es une arcésienne pratiquante, ma grand-mère est une spécialiste des mythes et légendes de Sinnoh, et moi, je m’y intéresse en dilettante, or nous cherchons à déchiffrer les notes d’un scientifique. Je ne sais pas si tu as déjà entendu cette phrase, mais science et religion ne font pas bon ménage.

— Il me semble qu'il est arrivé à Régis Chen de la prononcer, oui. Une minute... C’est à lui que vous pensez ? À Régis ?

— Ne m’as-tu pas révélé hier qu’il s’agissait de ton ami ? Et qu’il était déjà au courant de ton secret ? Toi et moi avons peut-être une vision trop large, trop spirituelle pour venir à bout des travaux d’Éric, mais lui... C’est un scientifique aussi, après tout, et même s’il est jeune, s’il a hérité de l’intelligence que l’on prête à son grand-père, il pourra sûrement t’être utile.

— Je ne... Je ne peux pas. Si j’ai quitté le Bourg-Palette, c’est justement pour éviter qu’il ne soit mêlé à tout ça. Il en sait déjà beaucoup trop, et je suis terrifiée à l’idée que ça puisse lui porter préjudice. Regardez l’état dans lequel on a trouvé la chambre d’Éric... Quelle que soit l’histoire dans laquelle ma famille est impliquée, elle met tout le monde en danger.

— Je comprends, Cassy, et c’est tout à ton honneur, mais les notes de ton frère sont actuellement ta seule piste. Si tu ne les déchiffres pas, et tu n’y parviendras pas seule, jamais tu ne découvriras le fin mot de cette affaire. Le meilleur moyen de lever la menace qui plane sur toi, c’est encore de résoudre cette énigme, tu ne crois pas ?

Cassy garda le silence. La logique de Cynthia était implacable, mais cela ne suffisait pas à la convaincre. Effectivement, si elle baissait les bras maintenant, elle se condamnait à fuir pour le restant de ses jours, à s’interdire toute relation et toute attache, et surtout à renoncer à sa vengeance. Exposer quiconque pour des raisons qui ne regardaient qu’elle lui paraissait néanmoins égoïste.

— Et la police ? suggéra-t-elle d’un ton hasardeux. Après tout, enquêter, ça fait partie de leur métier. Si je trouvais un moyen de leur transmettre les notes, peut-être par Roucool, ils...

Le regard que Cynthia braquait sur elle, de plus en plus blasé à mesure que Cassy s’enlisait dans ses propos, dissuada l’adolescente de poursuivre. Elle savait très bien où la Championne voulait en venir : jusque-là, l’agent Jenny et ses collègues ne s’étaient pas montrés particulièrement compétents, ce qui n’avait d’ailleurs jamais manqué d’agacer Cassy, et même avec les documents d’Éric en leur possession, ils risquaient de ne pas avancer davantage.

— Autrement dit, c’est Régis ou rien, marmonna Cassy.

— Et si tu lui laissais le choix ? proposa Cynthia.

— Le choix ? Hormis vous, c’est la personne la plus gentille et la plus serviable que j’aie jamais rencontrée. Je n’ai même pas besoin de lui poser la question pour savoir qu’il acceptera sans hésiter, et c’est justement ça qui me dérange. Je ne suis pas certaine qu’il ait vraiment conscience de ce que ça implique. Moi... Il m’arrive de faire des cauchemars dans lesquels je découvre non pas le salon ensanglanté, mais les corps de mes proches.

Cassy frissonna et enfouit son visage entre ses mains, tandis que Cynthia lui tapotait l’avant-bras pour tenter de lui apporter un soupçon de réconfort. Elle laissa s’écouler une minute entière avant de reprendre la parole :

— C’est toi qui décides, Cassy. Personne ne peut te forcer, surtout pas moi. Si tu estimes qu’il vaut mieux en rester là, eh bien soit.

L’adolescente ne releva pas. Elle n’était plus sûre de rien. Elle n’avait aucune envie d’errer sur les routes avec Galopa jusqu’à la fin de ses jours, sans jamais oser se poser à un seul endroit de crainte d’être reconnue, ou pire, d’être démasquée par ses ennemis. Dans le fond, s’en remettre à la police lui semblait un moindre mal, par comparaison, pourtant elle ne parvenait pas non plus à s’y résoudre.

Le plus intolérable à ses yeux n’était pas une fuite perpétuelle, cependant, ni même le fait de redevenir la presque prisonnière de l’agent Jenny. Non, ce que Cassy ne pouvait accepter, c’était la perspective de ne jamais connaître la vérité.

— En admettant que je sois prête à solliciter Régis... Comment le contacterai-je ? Vous n’avez pas de visiophone, et je ne peux pas pénétrer dans un Centre Pokémon sous peine d’être démasquée.

— Je peux m’en charger, répondit Cynthia avec un haussement d’épaules désinvolte. Il suffit que tu me donnes le numéro du laboratoire du professeur Chen.

— Et si c’est lui qui prend la communication ? Ou un autre scientifique ? Ils vont se demander pourquoi la célèbre Cynthia de l’Élite des Quatre tient à parler à un apprenti.

— J’ai fait une année de théâtre, dans ma jeunesse. J’improviserai.

La Championne ponctua ses paroles d’une œillade complice. Cassy ignorait si cela devait la rassurer ou s’il lui fallait plutôt s’inquiéter de la nonchalance apparente de Cynthia. Elle choisit toutefois de lui accorder sa confiance, comme elle l’avait toujours fait jusqu’ici, et nota les coordonnées visiophoniques sur une feuille vierge.

Le Maître de Sinnoh prit juste le temps de décrocher son manteau et de l’enfiler avant de quitter la maison en trombe, laissant Cassy seule avec sa grand-mère. Carolina n’était pas très loquace, mais elle avait pour principale qualité de ne pas se mêler des sujets auxquels elle n’avait pas été invitée à participer. Bien qu’elle ait pu entendre toute leur conversation, elle n’émit aucun commentaire, se contentant de proposer à l’adolescente un verre de jus d’oran en attendant le retour de Cynthia.

Celle-ci tarda à reparaître. Près d’une demi-heure s’était écoulée lorsque la porte du cottage se rouvrit sur la Championne, qui affichait un sourire satisfait. Cassy supposa que, comme elle l’avait anticipé, Régis avait accepté de lui venir en aide en dépit du danger.

— Le pauvre garçon était mort d’inquiétude, rapporta Cynthia. Il se doutait que tu étais repartie pour Sinnoh, mais il craignait qu’il te soit arrivé malheur en chemin.

— Que vous a-t-il dit d’autre ? Quelqu’un soupçonne quelque chose, au Bourg-Palette ?

— Non, rien. Régis a trouvé un moyen de justifier ton départ précipité auprès de son grand-père, et il est à peu près convaincu que tu n’auras aucun problème lorsque tu rentreras.

— Lorsque je rentrerai ? répéta Cassy. Mais je... C’est inenvisageable ! Le simple fait de lui confier les notes d’Éric risque de l’exposer suffisamment ainsi. Je...

— Nous en avons longuement discuté, lui et moi, et nous sommes du même avis. Quoi qu’il se trame dans l’ombre, tu seras plus en sécurité à Kanto qu’à Sinnoh. À condition de continuer à te montrer relativement discrète, personne ne pourra deviner que tu te caches là-bas, alors qu’ici...

— Ma couverture a bien failli voler en éclats une fois, à cause d’une stupide blessure. Rien ne prouve que ça ne se reproduira pas.

— J’y ai également réfléchi, intervint Cynthia d’une voix douce. Tu as déjà entendu parler de Lucio Goyo ? Il fait lui aussi partie de l’Élite des Quatre, et c’est l’un de mes plus proches amis.

Cassy répondit par un hochement de tête affirmatif et s’apprêtait à préciser qu’elle l’avait croisé par hasard, que c’était d’ailleurs lui qui l’avait aiguillée vers Célestia pour y retrouver Cynthia, mais la Championne ne lui en laissa pas le temps. Elle reprit directement :

— Lucio n’a pas toujours été une figure respectable de la région. Il a longtemps eu des fréquentations plutôt douteuses, et je sais qu’il est encore en contact avec certaines d’entre elles, même s’ils ne collaborent guère plus ensemble. À mon humble avis, il doit être en mesure de te fournir des papiers qui feront de Cassy Rilène ton identité à part entière.

— Cynthia, ça m’a tout l’air d’être illégal ! protesta l’adolescente. Il est exclu que je vous permette de risquer votre intégrité pour...

Le Maître de Sinnoh plaqua un doigt sur ses lèvres pour la faire taire et la rassura d’un sourire qu’elle coupla à un clin d’œil, avant d’expliquer :

— Ce serait en effet illégal si je m’avisais de te procurer de faux documents par l’intermédiaire de Lucio, mais peut-on sincèrement parler de faux sachant que tu n’en as pas de vrais à la base ? Puisque ton âge n’est pas celui que tu croyais avoir, il est tout aussi possible que Katharina Granet ne soit pas ton véritable nom. Comme rien n’atteste légalement ton identité, il s’agira simplement de t’en donner une.

Cassy garda le silence. En dépit de son inquiétude, Cynthia et Régis semblaient vraiment déterminés à l’aider, mais ne le regretteraient-ils pas si la situation devait mal tourner ? Elle-même réussirait-elle à se le pardonner s’ils s’attiraient des ennuis, voire pire, par sa faute ?

Une part d’elle avait très envie de retourner au Bourg-Palette, car c’était le seul endroit où elle s’était sentie à nouveau chez elle depuis qu’elle avait quitté la ferme, mais des papiers officieux obtenus par Lucio suffiraient-ils à la protéger ? Elle n’en était pas convaincue.

— Puis-je te donner un conseil ? demanda Cynthia, qui percevait son hésitation.

— Je vous en prie.

— Retourne au Bourg-Palette avec les notes de ton frère et essaye de les décoder avec Régis. Une fois que tu sauras ce qu’elles contiennent, tu aviseras.

Cassy s’accorda le temps de la réflexion, même si cela lui semblait être une alternative acceptable. Elle avait passé des mois au laboratoire sans avoir d’ennuis, sans même que quiconque, à l’exception de Régis, soupçonne quoi que ce soit sur elle. Quelques jours ou quelques semaines de plus, en fonction du temps que prendrait l’interprétation des travaux d’Éric, ne feraient guère de différence.

— Et s’il s’avère que ces notes ne m’apportent rien d’utile ? Ou si nous échouons à en venir à bout ?

Cynthia leva la main pour effleurer une mèche qui tombait devant le visage de Cassy, puis la repoussa derrière son oreille. Elle lui caressa ensuite la joue avec tendresse et murmura :

— Dans ce cas, ce sera à toi de faire ton choix.

— Et si je fais le mauvais ?

La Championne ne répondit pas immédiatement. Elle fit d’abord mine de réfléchir, avant de se lever pour se diriger vers le réfrigérateur, sous l’œil attentif de sa grand-mère. Elle en sortit une petite boîte translucide, de forme rectangulaire, et prit deux cuillères dans l’un des tiroirs du buffet.

— De la glace ? s’étonna Cassy lorsque Cynthia lui présenta le contenant.

— Menthe-chocco. Ton parfum préféré.

— Vous vous souvenez de ça ?

— J’ai souvent repensé au jour de notre rencontre, avoua la jeune femme. Quand je te regarde, aujourd’hui, j’ai presque du mal à croire que tu es cette petite fille que j’ai sauvée d’une chute mortelle. Tu as bien changé.

— Tout ça, c’est grâce à vous. Vous m’avez insufflé la force et le courage alors que je pensais avoir perdu tout espoir. Vous m’avez également donné un but, qui m’a aidée à aller de l’avant.

— Oui, mais ce que tu as accompli entre-temps, c’est à toi seule que tu le dois. Moi, je t’ai uniquement appris qu’il ne fallait jamais se laisser abattre par les épreuves qui se dressent en travers de notre route. Même si c’est dur, même si on ne s’en croit pas capable, il faut toujours relever la tête et continuer. Peu importe où ça nous mène : ce qui compte, c’est de ne pas s’arrêter en chemin.

Cynthia enfonça sa cuillère dans la crème glacée et en coupa un gros morceau, qu’elle avala avant de se pourlécher les babines. Cassy l’imita. Le délicieux goût de la menthe-chocco réveilla en elle la même nostalgie qu’autrefois, et le souvenir de sa mère. Avec un pincement au cœur, elle songea qu’elle ne pouvait pas abandonner. Pas maintenant. Pas alors qu’elle était peut-être à deux doigts de découvrir quelque chose.

Un léger sourire, qui semblait empreint de fierté, se dessina sur les lèvres de Cynthia lorsqu’elle lui fit part de sa décision. Elles convinrent ensemble que l’adolescente se mettrait en route après le déjeuner, dont l’heure se rapprochait à grands pas, et que le professeur Carolina lui fournirait des vivres pour le trajet jusqu’à Rivamar.

Cassy tenta de refuser, estimant qu’elle avait suffisamment abusé de la générosité de ses hôtesses, mais la grand-mère de Cynthia ne voulut rien entendre. Lorsque le moment du départ fut venu, elle tendit à la jeune fille assez de nourriture pour s’alimenter durant toute une semaine, voire davantage. Elle n’avait pas lésiné sur les quantités.

— Je ne sais comment vous remercier, murmura Cassy à Cynthia, qui l’avait accompagnée sur le seuil du cottage.

Elle aurait aimé l’escorter jusqu’à ce qu’elle retrouve Galopa, sur la route 215, mais l’une comme l’autre avaient jugé que ce ne serait pas très prudent. Même dans son village natal, Cynthia était l’objet de regards curieux ou admiratifs, et elle aurait tôt fait d’attirer l’attention sur Cassy.

— Tu n’as pas à le faire, répondit la Championne en la serrant dans ses bras. Je suis heureuse de t’aider.

L’adolescente savoura cette étreinte durant un bref instant, avant de balayer des yeux les environs, ainsi que la route qu’elle s’apprêtait à reprendre. Pensivement, elle déclara :

— Le jour où j’ai quitté ma ferme, le monde me paraissait immense, mais aujourd’hui, il ne m’effraye plus autant. Peut-être parce que je me suis aperçue qu’il n’était pas aussi vaste que je le croyais. C’est étrange, non ?

— Non, pas du tout. À l’époque, tu ignorais presque tout de cet univers dans lequel il t’a fallu apprendre à évoluer, et surtout, tu n’avais aucun point de repère, alors que maintenant, tu sais que tu pourras toujours compter sur moi à Sinnoh, et sur Régis à Kanto. Tu n’es plus seule face à l’inconnu.

Cynthia se pencha afin de déposer un baiser sur le front de Cassy, ce qui était sa manière de lui souhaiter un bon voyage. La jeune fille tourna ensuite les talons, non sans un pincement au cœur, pour se diriger vers ce qui l’attendait. Avec un peu de chance, ce serait enfin des réponses.

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