Entre infini et au-delà

Chapitre 15 : Sensualité

2315 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/09/2019 22:06

Le professeur Chen programma sa visite à l’École des dresseurs pour la seconde partie du mois de novembre. Le hasard voulait que cela tombe le jour où les élèves devaient passer à l’oral devant toute la classe, afin de présenter l’exposé sur lequel ils avaient travaillé.

Cassy avait consacré des heures à ses recherches et avait lu toutes les lignes concernant les dragons qu’elle était parvenue à trouver, de manière à obtenir le plus d’informations possible à leur sujet. Elle avait rédigé plus d’une demi-douzaine de pages, ce qui risquait fort de lui attirer une nouvelle fois les foudres d’Émilien, car il n’en avait rempli que quatre.

Mme Fangin, qui souhaitait que tout soit parfait pour la venue du professeur Chen, décida de nettoyer le bâtiment de fond en comble. Tous les enfants se portèrent volontaire pour aider et ils se virent attribuer diverses corvées en fonction de leurs capacités, telles que laver le sol ou dépoussiérer les meubles.

La veille de cette visite tant attendue, l’institutrice pénétra dans la salle de classe où Cassy, debout sur une chaise que lui tenait Léa, s’affairait à nettoyer les vitres. Comme elle était la plus grande, et par conséquent la seule à pouvoir atteindre les carreaux les plus hauts, il avait paru naturel que cette tâche lui revienne. Quand elle aperçut Mme Fangin, elle sauta souplement au sol.

— Un problème, maîtresse ? demanda-t-elle, et la question de Léa, identique, lui fit presque écho.

— Non, au contraire, vous faites un excellent travail. Néanmoins, Cassy, j’aurais une autre mission à te confier, de la plus haute importance. Veux-tu bien venir avec moi, s’il te plaît ?

La fillette acquiesça docilement et emboîta le pas de l’enseignante, qui la mena dans la courette où Ponyta paissait paresseusement. Bien que le sol soit majoritairement recouvert de mauvaises herbes, il semblait les trouver à son goût. Il leva toutefois la tête lorsqu’il perçut la proximité de sa jeune cavalière.

— Je suis ennuyée à l’idée de te demander ça, Cassy, mais un contretemps imprévu ne me laisse pas le choix, déclara Mme Fangin.

— Je suis toute disposée à vous rendre service, maîtresse. De quoi s’agit-il ?

— D’ordinaire, la cuisine de l’école est ravitaillée par un marchand qui nous livre en camionnette une fois par semaine. Il devait venir aujourd’hui, mais j’ai reçu à l’instant un Roucool de sa part pour m’informer que son véhicule a un problème d’ordre mécanique et qu’il ne pourra pas effectuer le déplacement. Penses-tu pouvoir te rendre à Argenta avec ton Ponyta et rapporter au moins une partie de la commande, afin que nous puissions sustenter à la fois les élèves et nos invités, demain ?

— Oui, bien sûr, mais... Qu’entendez-vous par « nos invités » ? Je croyais que le professeur Chen venait seul.

— C’est le cas, mais des journalistes locaux m’ont contactée pour me demander l’autorisation de rédiger un article sur sa visite. Une telle publicité, gratuite de surcroît, ne peut qu’être bénéfique à la renommée de cet établissement. Ils ne m’ont pas dit à quelle heure ils comptent venir, mais dans l’éventualité où ils devraient déjeuner avec nous, je veux être sûre que personne ne manquera de rien.

Cassy se mordit la lèvre lorsqu’elle prit conscience de ce que cela signifiait. Elle n’avait aucune envie de se retrouver en une du quotidien de Jadielle, là où n’importe qui pourrait la voir, d’autant qu’elle ne passerait pas inaperçue au milieu de ses petits camarades presque deux fois moins âgés qu’elle.

— Quelque chose ne va pas, Cassy ? Tu sembles avoir pâli. Si tu ne te sens pas bien, il vaut mieux que tu restes ici.

— Non... Non, c’est juste... En fait, je me réjouis à l’idée d’effectuer ce trajet. Depuis que je suis ici, je n’ai presque pas eu l’occasion de monter Ponyta. Ça lui fera du bien de se dégourdir les jambes et de galoper un peu.

— Fort bien. Je te laisse le seller, dans ce cas. Sois prudente, tout de même. Je ne voudrais pas que tu te casses quelque chose.

Cassy esquissa un sourire. Elle était trop bonne cavalière pour redouter une chute, mais elle s’abstint d’en faire la remarque. Elle n'avait pas envie de paraître aussi prétentieuse qu’Émilien, qui ne manquait jamais une occasion de mettre en avant ses propres compétences.

Elle équipa Ponyta, puis le fit sortir de la cour avant de se hisser sur son dos. Il réagit presque aussitôt à la pression de ses mollets et s’élança au petit trot, en direction du nord de Jadielle. Cassy, qui connaissait désormais la géographie de Kanto, ou du moins de l’est de la région, sur le bout des doigts, savait qu’il lui faudrait traverser la route 2 et la Forêt de Jade afin de rallier Argenta.

En dépit de cela, elle avait toujours sur elle la carte que Sven lui avait offerte lorsqu’ils avaient échoué sur les rives de Johto, ainsi que sa cape, dans laquelle elle était d’ailleurs emmitouflée. Le velours épais la protégeait de la fraîcheur de l’automne et du vent contre lequel Ponyta luttait pour avancer.

Cassy quitta la route pour s’engager dans le bois et son pokémon ralentit un peu l’allure. Sous le couvert des arbres, le chemin semblait assez accidenté, or elle ne voulait pas voir l’équidé risquer de tomber en trébuchant dans un trou ou sur un morceau de vieille souche.

Tina, qui avait une peur panique des insectes, avait affirmé à plusieurs reprises que cet endroit en fourmillait, pourtant Cassy n’en rencontra aucun. Elle songea que la robe flamboyante de Ponyta, qui trahissait son type feu face auquel ils étaient désavantagés, suffisait à les tenir à l’écart. Les pokémon sauvages pouvaient se montrer agressifs, mais ils n’étaient pas stupides.

À mesure qu’elle progressait dans la Forêt de Jade, Cassy sentait son cœur se serrer. Bien que le paysage, verdoyant à souhait, comme l’indiquait le nom du lieu, soit magnifique, il lui rappelait surtout le bois qui bordait la ferme, celui-là même dans lequel elle s’était perdue le jour où sa famille avait disparu.

Envahie par une triste mélancolie, la fillette éprouva une pointe de soulagement en constatant qu’elle avait presque atteint la lisière. Elle était sur le point de talonner Ponyta pour qu’il reparte au trot, à présent qu’il y avait moins d’obstacles, mais un rire sonore s’éleva au même instant.

Cassy se figea, balayant les alentours du regard. Elle avait entendu tant de rumeurs au sujet de la Team Rocket qu’elle préférait se tenir sur ses gardes. Ces criminels étaient d’odieux voleurs de pokémon, qui ne reculaient devant rien pour parvenir à leur fin. Ses mains se crispèrent sur les rênes avec anxiété, et elle crut que son cœur allait cesser de battre lorsqu’une silhouette surgit devant elle.

— Jolie cape, commenta le nouveau venu avec un sourire en coin.

— Sven !

Cassy s’était souvent demandé si elle reverrait le jeune homme qui lui avait sauvé la vie, et elle ressentit une telle joie qu’elle déchaussa aussitôt ses étriers pour sauter à terre. Dès qu’elle eut touché le sol, elle se précipita vers lui et se jeta dans ses bras. Sans même réfléchir à ce qu’elle faisait, elle l’embrassa sur la bouche, avec une fougue dont elle fut la première surprise.

Quand elle prit conscience de son geste, elle s’empressa de relâcher Sven et de reculer d’un pas, les joues écarlates. Sa respiration s’étant emballée, elle s’appliqua à lui faire retrouver un rythme décent.

— Ravi de voir que tu vas bien, déclara le jeune homme avec un clin d’œil qui empourpra davantage le visage de Cassy.

— Je... Hum... Que... bafouilla-t-elle avant de réussir à se ressaisir. Que fais-tu ici, dans la Forêt de Jade ? C’est bien le dernier endroit où je me serais attendue à te croiser.

— J’étais de passage à Argenta, je voulais visiter le musée. Ils ont une impressionnante collection de fossiles, bien plus grande que celle de Charbourg.

Cassy hocha la tête, sans parvenir à détacher ne serait-ce qu’une seconde ses yeux de Sven, malgré sa gêne. Il lui inspirait une fascination et un émoi qu’elle ne s’expliquait pas, et qu’elle n’avait pas non plus souvenance d’avoir éprouvés la nuit où il l’avait secourue. Ce tourbillon d’émotions qui l’avait envahie à l’instant où elle l’avait aperçue était aussi troublant qu’inconnu.

— Et toi, qu’est-ce que tu fais dans le coin ? Tu n’as pas eu d’ennuis avec la police ?

— Non, tu avais raison. C’est à peine si les gens m’ont prêté attention depuis que je suis arrivée à Kanto. Ils n’ont que le nom de la Team Rocket à la bouche.

— Je doute que ça dure, révéla Sven en glissant ses mains dans ses poches. D’après les nouvelles que j’ai glanées à Argenta, le Conseil Quatre est déterminé à enfin faire tomber l’organisation. Apparemment, ils ont reçu l’aide de deux dresseurs prometteurs qui ont déjà mis à mal les plans de ces criminels à plusieurs reprises. Red et Blue, ça te dit quelque chose ?

Cassy secoua la tête en signe de dénégation. Elle avait brièvement étudié les différents Champions de Kanto, mais pour ce qui était des autres figures de la région, elle avait encore beaucoup à apprendre.

Sven et elle discutèrent pendant quelques minutes supplémentaires, après quoi le jeune homme déclara qu’il était temps pour lui de se remettre en route. Le bateau qui le reconduirait à Sinnoh devait quitter le port de Cramois’Île en début de soirée, et il ne tenait pas à le manquer.

— Je suis... vraiment heureuse de t’avoir revu, avoua Cassy.

— Moi de même, très chère.

Elle sentit sa respiration ralentir au point de s’arrêter complètement lorsque Sven se pencha vers elle pour l’embrasser. Il baisa d’abord ses lèvres, puis suivit la ligne de sa mâchoire, avant de descendre au niveau de sa gorge. Cassy fit basculer sa tête sur le côté et son cœur s’affola tandis qu’elle sentait le souffle tiède du jeune homme se promener dans son cou.

— À bientôt, murmura-t-il à son oreille.

— Je... Euh... Oui. À bientôt.

Cassy bafouilla ces quelques mots, et ne retrouva sa lucidité qu’une fois que Sven se fut éloigné d’elle. À bientôt ? S’attendait-il à la revoir ? Après tout, pourquoi pas ? Puisque le hasard venait déjà de les réunir, il pourrait très bien recommencer.

La fillette rejoignit Ponyta, qui avait patienté en broutant avidement l’herbe verte et grasse de la Forêt de Jade. Elle reprit ses rênes en mains et se hissa sur son dos, pendant que Sven se retournait pour lui adresser un sourire éclatant par-dessus son épaule, qu’il accompagna d’une œillade. Cassy lui répondit par un petit signe.

Dès que leurs chemins se furent séparés, la culpabilité s’empara d’elle. Elle avait honte de la façon dont elle s’était comportée et des sentiments que lui avait inspirés la proximité de ce jeune homme qu’elle connaissait à peine. Son attitude était celle du péché, en plus d’être totalement déplacée à l’égard de sa famille disparue.

Cassy prit une profonde inspiration et tâcha de réfléchir calmement, ce qui n’était pas facile, car l’image de Sven lui revenait sans cesse en mémoire. Grand, beau, mais surtout toujours vêtu de noir, cela n’était pas sans lui évoquer l’apparence ténébreuse de Darkrai telle qu’elle était décrite dans la Pokible.

L’enfant sentit un frisson lui parcourir l’échine. Elle ordonna brusquement à Ponyta de s’arrêter et enfonça ses doigts dans sa poche pour en tirer son chapelet, qui ne la quittait jamais. Elle devait réciter une prière, implorer Arceus de lui pardonner son comportement. Le livre saint affirmait qu’Il était miséricordieux. Quant à Cassy, elle était jeune, et surtout peu avertie. Elle espérait qu’Il se montrerait clément et ne lui tiendrait pas rigueur de ces émotions nouvelles auxquelles elle ne savait pas encore résister.

À mi-voix, elle psalmodia la promesse de lutter contre la tentation, si elle devait à nouveau se retrouver dans la même situation, puis se signa à plusieurs reprises. Elle s’obligea ensuite à se focaliser sur ce qu’elle avait à accomplir. Sa vengeance, certes, mais dans l’immédiat, c’était la tâche que Mme Fangin lui avait confiée qui importait le plus.

Cassy pressa doucement le ventre de Ponyta pour lui faire reprendre le pas, et donc leur route. Tandis qu’ils laissaient la Forêt de Jade derrière eux, elle parvint à réfréner l’envie qu’elle avait de frôler sa joue et son cou, à l’endroit où les lèvres de Sven l’avaient touchée.

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