Entre infini et au-delà
Réveillée à l’aube par la lumière du soleil, Cassy décida de profiter du temps qui s’offrait à elle pour se rendre présentable, ce qui ne serait pas du luxe après des jours passés en pleine nature. Elle se leva, dérangeant au passage Ponyta contre le flanc duquel elle s’était assoupie, et suspendit la cape de Sven dans laquelle elle s’emmitouflait pour dormir à une branche d’arbre.
Un ruisseau coulait non loin de là. Comme il n’était pas très profond, Cassy décida de s’y baigner. Elle ôta ses habits, ne conservant que ses sous-vêtements, et plongea sans l’eau qui ne lui arrivait qu’à la taille. Elle était froide, mais revigorante. La fillette se frotta le visage, avant de s'accroupir pour être immergée jusqu'au cou. Cela lui fit le plus grand bien.
Quelques minutes plus tard, elle regagna la rive. À présent qu’elle était propre, elle se sentait beaucoup mieux. Elle utilisa les affaires qu’elle avait abandonnées dans l’herbe pour se sécher, à défaut d’avoir un peignoir ou une serviette, puis enfila une nouvelle tenue, prise dans le sac de selle de Ponyta.
Cassy avait hâte d’assister à sa première leçon. Elle pencha la tête vers l’arrière pour observer le ciel, car à la ferme, elle avait appris à deviner l’heure en fonction de la courbe du soleil. Il était encore tôt, mais elle choisit de se mettre en route immédiatement. Mieux valait arriver en avance qu’en retard.
Tandis qu’elle cheminait vers Jadielle, elle avala quelques baies en guise de petit-déjeuner. Elle aurait besoin de toute son énergie pour affronter cette journée qui s’annonçait riche en nouveautés.
Une fois l’École des dresseurs atteinte, Cassy se mit en quête d’un endroit où installer Ponyta. Elle finit par découvrir, dans la courette attenante à l’établissement, un vieil anneau fixé à la palissade, qui lui permit de nouer les rênes de son pokémon. Elle lui flatta l’encolure, puis se sépara de lui pour pénétrer à l’intérieur du bâtiment.
La classe était déserte lorsqu’elle fit irruption, pas comme la veille où elle s’était sentie submergée par toutes les paires d’yeux braqués sur elle, mais les élèves ne tardèrent pas à affluer, les uns à la suite des autres, par une porte qui devait donner sur le reste de l’école.
Ils dévisagèrent Cassy, échangeant des murmures à son sujet, jusqu’à ce qu’une cloche tinte et que Mme Fangin, l’institutrice, apparaisse à son tour. Elle ordonna aux enfants de prendre place, à l’exception de la fillette, à qui elle fit signe d’approcher. Celle-ci en profita pour lui remettre le document transmis la veille par l’infirmière Joëlle.
— Bien, écoutez-moi tous, lança l’enseignante. Comme je vous l’ai annoncé hier, Cassy Rilène sera désormais votre nouvelle camarade. Elle est originaire de Parmanie et un peu plus âgée que vous, mais que ceci ne vous empêche pas de vous comporter chaleureusement avec elle.
Toute la classe salua en chœur Cassy, qui leur répondit par un sourire timide. La tête baissée, elle rejoignit ensuite le pupitre que Mme Fangin lui désigna. Un cahier et un stylo l’y attendaient déjà. Après que l’institutrice eut inscrit la date à la craie sur le tableau noir, la leçon put débuter.
— Voyons si vous avez tous retenu ce que nous avons étudié hier. Quelqu’un peut me rappeler quel type de pokémon était au centre du cours ?
— Les insectes, maîtresse, répondit aussitôt un élève blond aux cheveux gominés.
— En effet. Et qui parmi vous peut me citer au moins trois noms d’espèce ?
Cassy leva la main, au grand étonnement de tous, y compris de Mme Fangin elle-même, qui l’interrogea malgré cela. Sans prendre le temps de réfléchir, car la réponse lui était venue instinctivement, la fillette récita dans un souffle :
— Les Dardargnan, les Papilusion, les Scarabrute, les Insécateur, les Apitrini, les Muciole et les Lumivole, les...
— C’est parfait, ça suffira pour l’instant, coupa Mme Fangin. Dis-moi, as-tu une idée des endroits où l’on peut croiser ces pokémon, à l’état sauvage ?
— On les trouve généralement en pleine nature. Les Papilusion et les Apitrini vivent à proximité de zones fleuries, afin de pouvoir butiner. Les Muciole et les Lumivole ne s'éloignent presque jamais de l'eau, que ce soit d'un simple ruisseau ou d'un lac. Quant aux Dardargnan, Scarabrute et Insécateur, ils préfèrent se tenir à l’écart des humains, donc ils quittent rarement les bois.
— Excellent, Cassy. Il semblerait que tu viennes d’obtenir ta première bonne note.
L’intéressée ne put s’empêcher d’éprouver un sentiment gratifiant de fierté, qui s’évanouit lorsqu’elle croisa le regard noir du garçon qui avait lui aussi répondu à une question. Il occupait la place située devant le tableau et, visiblement, il n’appréciait pas que quelqu’un dispose d’autant de savoir que lui.
Une fois l’interrogation orale achevée, la leçon commença. Cassy la prit intégralement en notes, tout en l’assimilant au fur et à mesure. Le cours portait sur les altérations de statut. Elle apprit ainsi qu’un pokémon empoisonné perdait progressivement de l’énergie durant un combat, tandis qu’un pokémon paralysé serait considérablement ralenti, voire incapable d’attaquer. Avec un sourire un brin mélancolique, elle se surprit à songer aux sprays que Cynthia avait achetés en sa compagnie, à la Boutique Pokémon de Mérolia.
La récréation survint en milieu de matinée, provoquant une joyeuse bousculade parmi les élèves, pressés de sortir s’amuser. Cassy, qui avait besoin de se familiariser avec son nouvel univers, se leva en dernier. Elle fut néanmoins interceptée par l’institutrice avant d’avoir atteint la porte.
— Si tu n’y vois pas d’inconvénient, j’aimerais profiter de ce temps pour t’expliquer plus en détail le fonctionnement de l’école, mais avant ça, j’aurais quelque chose à te demander.
— Je vous écoute, maîtresse, répondit Cassy en tâchant de ne pas avoir l’air anxieuse.
— Tu connais bien plus les pokémon que tu me l’as laissé entendre hier, n’est-ce pas ?
— Non, pas du tout. Enfin, je veux dire... Je ne vous ai pas menti. Je ne les ai jamais étudiés, mais à la ferme de mes parents, j’ai souvent eu l’occasion de les observer. Il y a plein d’insectes, là-bas, c’est pour ça qu’ils me sont familiers.
Son cœur se serra lorsqu’elle pensa à l’intérêt qu’Éric portait à ces créatures. Il les avait examinés plus d’une fois et était une véritable encyclopédie sur le sujet. À côté de lui, Cassy faisait pâle figure, et cela la peinait de songer que nul ne saurait jamais quel brillant génie était son frère.
Elle se ressaisit lorsque Mme Fangin, choisissant de ne pas s’étendre davantage à ce propos, se lança dans un long discours concernant le mode de vie des élèves à l’École des dresseurs :
— Le déjeuner sera servi à midi, dans la salle qui se trouve de l’autre côté du couloir. Le bâtiment est si petit que tu ne pourras pas la manquer, et de toute façon, il te suffira de suivre tes camarades. Le dîner est quant à lui prévu pour dix-huit heures trente. Il va sans dire que l’accès à la cuisine est rigoureusement interdit.
Cassy se demanda bien pourquoi, étant donné qu’elle avait plus d’une fois prêté main-forte à sa mère pour préparer les repas, mais elle se garda de poser la question. Mme Fangin attendait d’elle qu’elle se soumette au règlement, non qu’elle le discute.
— Les dortoirs se trouvent à l’étage, poursuivit l’institutrice, et le couvre-feu est fixé à vingt heures trente. Gare à l’élève qui sera surpris hors de son lit passé cet horaire. Il y a des tables de travail là-haut, pour vous permettre de réviser et de faire vos devoirs, mais je laisse toujours la salle de classe ouverte jusqu’au soir, car certains préfèrent étudier ici. Enfin, personne n’a le droit de quitter l’école sans une autorisation exceptionnelle. Sachant que tu as plus de dix ans, cette règle ne s’applique pas à toi, mais j’aimerais tout de même que tu la respectes, afin d’éviter tout débordement. Si les autres te voient aller et venir à ta guise, ils risquent d’être tentés d’en faire de même.
Cassy acquiesça, cette requête lui semblant plus que légitime. Mme Fangin conclut son discours et voulut savoir si un point méritait des éclaircissements, mais la fillette avait tout compris. Le mode de vie à l’école paraissait un peu austère, comparé à celui de la ferme, mais toujours plus agréable qu’une errance incertaine sur les routes d’une région globalement inconnue.
La conversation s’acheva et les élèves regagnèrent la classe, sur ordre de l’institutrice. La leçon reprit jusqu’à midi, puis tous refermèrent leur cahier pour se rendre à la cantine en file indienne. Cassy, qui n’avait rien avalé depuis l’aube, était affamée, et surtout, elle se réjouissait à l’idée de manger autre chose que des baies.
Dans la salle, une longue table les attendait, cernée de part et d’autre par des bancs en bois à l’allure inconfortable. Cassy longea un mur au papier peint défraîchi, à la suite de ses camarades, et atteignit un comptoir transparent, où on lui remit un plateau contenant une assiette de purée.
Elle était sèche et presque froide, mais avait le mérite de remplir correctement l’estomac. Quand Cassy acheva sa part, elle se sentait presque repue, ce qui ne l’empêcha pas d’engloutir le yaourt nature qui faisait office de dessert, agrémenté d’un sachet de sucre pour faire passer son goût un tantinet acide.
Elle profita également du déjeuner pour sympathiser avec les fillettes qui lui avaient proposé de s’asseoir entre elles. La première, Léa, était une blondinette au visage poupin et aux grands yeux bleu ciel, âgée de neuf ans. La seconde, Tina, était plus jeune d’une année. Elle possédait une épaisse chevelure bouclée d’un orange volcanique, et une multitude de taches de rousseur parsemait son nez retroussé.
Elles étaient gentilles et serviables, mais un peu trop bavardes au goût de Cassy, comme elle eut l’occasion de le constater au cours des heures qui suivirent. La journée avait été relativement épuisante pour elle et elle n’aspirait qu’à dormir enfin, mais en attendant que le moment soit venu de se coucher, elle devait subir le flot de paroles incessant qui s’échappait de la bouche de ses condisciples.
Cassy avait fini par renoncer à participer à leurs discussions et se contentait de lâcher parfois un « Vraiment ? » ou de hocher la tête en affichant un air vaguement intéressé. Léa et Tina ne s’interrompirent que lorsque sonnèrent huit heures, et commencèrent à se préparer pour la nuit.
Avec une pointe de soulagement, Cassy les imita. Elles lui désignèrent son lit, le seul de disponible, situé juste à côté de la fenêtre. D’après Léa, personne ne voulait y dormir depuis que les garçons leur avaient raconté que Darkrai accolait parfois son horrible face à la vitre, en quête d’une proie à qui infliger les terrifiants cauchemars dont il était le maître.
Cassy, en bonne croyante qu’elle était, tressaillit. Ce n’était sans doute qu’une histoire inventée par les enfants pour apeurer leurs camarades, néanmoins cela ne la rassura pas. Elle avait toujours redouté ce ténébreux pokémon, que la Pokible elle-même décrivait comme étant une créature maléfique.
La fillette attendit que toutes ses compagnes de chambrée se soient assoupies pour tirer son chapelet de sous son oreiller. En plus de la traditionnelle prière qu’elle formulait quotidiennement pour sa famille, elle en ajouta une autre, destinée à tenir Darkrai à l’écart de cet endroit.
Quand elle eut terminé, elle se pencha prudemment pour observer la lune. Elle n’y avait pas prêté attention, au cours des nuits précédentes, mais elle éprouva une pointe de réconfort en constatant qu’elle était pleine. Selon la Pokible, cette période était celle où les pouvoirs de Cressélia atteignaient leur apogée, au contraire de ceux de Darkrai, qui n’étaient jamais aussi puissants que dans la nuit la plus noire.
Cassy contempla longuement le spectacle offert par l’astre céleste, qui diffusait sa douce lueur argentée jusqu’à elle. Elle aurait aimé songer que sa famille la voyait aussi, qu’ils regardaient dans la même direction, où qu’ils soient, mais elle en était incapable. Cynthia avait beau lui avoir affirmé que ses proches étaient peut-être encore en vie, quelque part, la fillette n’y croyait plus. C’était la raison pour laquelle elle ne se raccrochait pas à l’espoir, uniquement à la vengeance.
Cassy essuya la larme qu’elle sentit glisser le long de sa joue, puis s’allongea sous sa couverture. Malgré sa peine, elle s’endormit presque aussitôt et plongea dans un monde onirique où l’attendaient ses parents et son frère, sous un ciel magnifique.