Entre infini et au-delà
— Une pokéball, c'est une sorte de maison portative pour pokémon. Tu les affrontes, et une fois qu'ils sont faibles, tu les captures à l'intérieur.
— Comme les pièges à Rattata ?
— Hum... Oui, oui, en quelque sorte, approuva Cynthia, complètement désemparée.
Elles étaient assises dans l'herbe, à proximité de l'étang du parc municipal, où barbotaient des Psykokwak. La Championne de Sinnoh avait ôté ses bottines pour étendre ses pieds nus sur le sol. Appuyée sur un coude, elle se tourna vers la fillette.
— Le mieux serait que je te fasse une démonstration.
Elle fouilla la poche intérieure de son manteau pour en sortir une sphère rouge et blanche qui s'agrandit entre ses doigts. Elle la lança devant elle et un Roserade en jaillit dans un éclair de lumière écarlate.
— Tu vois, c'est comme ça qu'une pokéball fonctionne. Il faut juste se faire à l'idée du mécanisme. Ensuite, tout coule de source.
Kathy acquiesça distraitement en observant le pokémon. Les fleurs à l'extrémité de ses pattes évoquaient le bouquet qu'elle avait cueilli dans la forêt avant que sa famille ne disparaisse. Elle s'en voulait tellement ! Cynthia dut voir son regard se troubler de larmes, car elle passa un bras autour de son cou pour l'attirer vers elle. L'enfant se blottit contre sa bienfaitrice au parfum apaisant.
— Je ne prétends pas savoir ce que tu ressens, je ne me le permettrais pas, mais j'imagine que ça doit être terriblement difficile pour toi, murmura la Championne.
Elle opina en essuyant ses pleurs avec le mouchoir que Cynthia lui avait donné, tandis que celle-ci rappelait Roserade dans sa sphère métallique. Elles se mirent ensuite debout et la femme courut jusqu'à l'étang. Intriguée, Kathy la suivit pour voir pourquoi elle était partie si vite. Lorsqu'elle fut à sa hauteur, sa nouvelle amie s'accroupit pour l'asperger d'eau.
La fillette mit un peu de temps avant de réagir. Plongeant ses mains dans le liquide vaseux, elle lui rendit la pareille, effrayant au passage un Axoloto qui se tapissait sous la surface. Il leur fallut une poignée de minutes pour être totalement trempées. La magnifique chevelure de Cynthia frisottait à cause de l'humidité, alors que celle de l’enfant était complètement défaite.
— Nous devrions rentrer au Centre Pokémon, déclara la Championne lorsqu’elles eurent fini de s’amuser. Je ne voudrais pas que tu attrapes froid dans tes vêtements. Regarde, ils sont tout mouillés.
Kathy acquiesça à contrecœur. Elle ne tenait pas à retourner dans sa chambre, où elle se sentait emprisonnée, mais elle n'osa pas non plus contredire Cynthia qui s’était montrée si bonne pour elle.
Elles se mirent donc en route. Cette fois, la fillette ne monta pas son Ponyta, mais marcha à côté de lui, les rênes à la main, pour pouvoir avancer au même rythme que le Maître de Sinnoh. Le chemin fut court : elles n’eurent que deux venelles à traverser pour atteindre la place du village, avant de descendre la grand-rue qui passait devant le Centre Pokémon.
L'infirmière Joëlle se précipita vers elles dès qu'elles eurent pénétré à l'intérieur. Cynthia la rassura, tout comme elle l'avait fait avec les policiers, tandis que Kathy s'exclamait qu'elle avait passé un excellent moment. Son visage arborant toujours l'air gracieux dont elle ne s'était pas départie une seule seconde, la Championne l’accompagna jusqu’à sa chambre.
— Je vais patienter dans le couloir en attendant que tu te changes, d'accord ? Tu me préviendras lorsque tu auras terminé.
Kathy répondit par l'affirmative avant que la porte se referme sur sa nouvelle amie. Elle était en train de laisser tomber sa robe humide sur le sol lorsque son regard se posa sur l’horloge. Les aiguilles indiquaient qu’il était plus de dix-sept heures. Elle n'avait pas vu le temps passer : était-il réellement possible qu'une journée entière se soit écoulée depuis que Cynthia l'avait sauvée d’une chute mortelle ?
— J'ai terminé, informa la fillette en sortant dans le corridor.
La Championne la contempla, toujours aussi étonnée par son style et ses manières. Vêtue d'un corsage blanc orné de dentelle et d'une jupe en velours, Kathy semblait venir tout droit d'une autre époque. Son maintien et sa diction n'étaient pas non plus ceux d'une enfant ordinaire. Elle paraissait avoir été élevée selon les coutumes encore en vigueur quelques décennies auparavant.
— Qu'y a-t-il ? s'enquit Kathy en remarquant son regard insistant.
— Rien, je... Euh... J'admirais ton haut. Il est vraiment ravissant.
— Merci beaucoup. C’est Maman qui me l'a cousu, vous savez. Elle a toujours été très douée pour confectionner des vêtements.
— Effectivement, c'est un travail d'orfèvre qu'elle a réalisé. Et maintenant, si nous nous occupions de tes cheveux ?
Cynthia pénétra dans la chambre à la suite de l’enfant, où elle la fit s'asseoir sur une chaise. Elle avait demandé une serviette à l'infirmière Joëlle, avec laquelle elle sécha en grande partie ses boucles noires. Elle prit ensuite la brosse et le peigne posés sur l'unique étagère de la salle de bain, afin de la coiffer.
Les gestes de la Championne étaient doux, apaisants. Plus d'une fois, les paupières de Kathy manquèrent de se fermer. Elle se sentait si bien avec Cynthia. Cette présence à ses côtés avait quelque chose de bénéfique. Elle allait beaucoup mieux depuis le matin même. Rien de mauvais ne pourrait lui arriver tant que le Maître de Sinnoh serait là, elle le pressentait.
Cette dernière tressa sa chevelure d'ébène, qu'elle noua d'un ruban avant de s'écarter pour la laisser s'admirer dans le miroir. Kathy était aux anges : cette coiffure lui seyait à merveille. Elle n'avait plus réussi à attacher ses cheveux depuis que sa mère n'était plus là pour l'aider à le faire, raison pour laquelle ils s'emmêlaient sans cesse.
La porte s'ouvrit sur l'infirmière Joëlle qui portait un plateau. Il s'agissait du dîner de la fillette, composé de pain de mie, d'un bol de bouillon, d'une tranche de fromage et d'un yaourt nature. Cynthia grimaça en découvrant le menu, ce qui fit sourire Kathy.
— En fait, c'est plutôt bon, affirma-t-elle. Nous mangions souvent de la soupe, l'hiver, à la ferme. Cela nous réchauffait.
— Bon, dis-tu ? Encore meilleur que de la glace ?
— Hum... Non.
Elles éclatèrent de rire tandis que la soignante déposait le repas sur la petite table à roulettes. Elle se tourna ensuite vers la Championne pour lui transmettre un message, qu’elle écouta attentivement :
— L'agent Jenny souhaiterait vous parler en privé, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Elle patiente dans la salle d'attente, mais vous pouvez utiliser mon bureau si vous le voulez. Désirez-vous que je vous prépare quelque chose à manger pendant que vous vous entretenez toutes les deux ?
— Je prendrai volontiers un peu de bouillon, s'il vous plaît. Je mange très peu le soir, je m'en contenterai.
Elles quittèrent toutes les deux la pièce, laissant Kathy dîner seule après lui avoir souhaité un bon appétit. Elle était curieuse de savoir ce que la policière pouvait bien avoir à dire à Cynthia. Elle avala sa soupe en quelques gorgées pour lui éviter de refroidir, puis gagna le couloir sur pointe des pieds. Le bureau de l'infirmière Joëlle se trouvait à son extrémité.
Accolée à la porte, l'oreille contre le trou de la serrure, Kathy essaya d'écouter ce que les deux femmes se racontaient. Au début, elles parlaient à voix basse, comme si elles ne tenaient pas à être entendues, puis le ton monta peu à peu. Désormais, le Maître de Sinnoh criait, à l'intérieur, et la fillette put enfin comprendre le sujet de leur discorde.
— Malgré tout le respect que je vous dois, Cynthia, je connais mon métier et ce n'est pas à vous de me l'apprendre. Cette enfant doit être protégée par nos services. Elle est le seul témoin que nous ayons, et elle est peut-être en danger.
— Avec la description de la scène de crime que vous m'avez faite, je doute que les agresseurs de cette famille fassent dans la dentelle. S'ils avaient eu la moindre raison s'en prendre à elle, ils l'auraient fait depuis longtemps, protection ou non. Je ne suis pas certaine que vous ayez bien conscience de la situation, agent Jenny. C'est d'une petite fille de douze ans dont nous parlons, et je l'ai rattrapée au moment où elle s’apprêtait à se suicider.
— Je comprends votre inquiétude, et je dois reconnaître que nous vous devons beaucoup pour votre acte héroïque de ce matin, mais...
— Non, justement, vous ne comprenez rien. Vous ne pouvez pas garder indéfiniment cette enfant en captivité. L'enquête ne progresse pas. Elle me l'a dit, et discuter avec vous ne fait que confirmer ses propos. Vous n'avez aucune idée de ce qui s'est réellement passé et vous ne le saurez probablement jamais. En attendant, c'est cette petite qui en souffre. Je ne serai pas toujours là pour lui sauver la vie quand elle recommencera à en avoir assez.
— Que voulez-vous que je fasse ? Elle n'a personne chez qui aller. Ici, au moins, elle a un toit et des gens qui s'occupent d'elle.
— Ah oui ? Est-ce qu'un seul d'entre vous a pris la peine de discuter avec elle ?
— Évidemment, ne serait-ce que pour les besoins de l'enquête.
— Et il n’y a rien qui vous a choqué ? Dans son comportement, sa manière d'être, même jusqu'à son style vestimentaire qui saute pourtant aux yeux ? Elle ne sait pas ce qu'est une pokéball.
— Allons, Cynthia, je vous pensais plus sérieuse que ça. Vous n'allez tout de même pas me faire croire que...
Kathy en avait suffisamment entendu. Elle retourna dans sa chambre, où la Championne la rejoignit une fois sa discussion houleuse terminée. Elle orienta dans sa direction un regard interrogateur.
— Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?
— J'étais certaine que tu viendrais écouter à la porte, plaisanta Cynthia. Tout va bien, ne t'inquiète pas. Tu n'as rien à te reprocher. C'est juste que tes parents, puisque je suppose que ce sont eux qui t'ont éduquée, l'ont fait à la mode du siècle dernier. C'est un peu étrange lorsqu'on ne s'y attend pas, mais c'est loin d'être une critique. Simplement, tu ne connais pas grand-chose de la vie actuelle, ce qui pourrait t'être préjudiciable. L'agent Jenny m'a promis de t'aider à te faire découvrir tout ce que tu ignores, comme moi lorsque je t'ai expliqué ce qu’est une pokéball, et son utilité.
Kathy hocha la tête. Elle était en train de se préparer pour aller dormir. Ses dents étaient brossées et elle portait une chemise de nuit en dentelle, au col montant et au long jupon qui descendait jusqu'à ses chevilles. Elle abandonna ses chaussons dans un angle de la pièce avant de se diriger vers son lit.
— Je peux vous demander un service ? interrogea Kathy d'une voix timide.
— Tout ce que tu voudras.
— Vous accepteriez de réciter une prière avec moi ? J'en adresse une chaque soir à Arceus dans l'espoir qu'Il l'entende et qu'Il vienne en aide à ma famille, que ce soit dans ce monde ou dans l'autre.
Cynthia s'agenouilla à côté d'elle, au pied du lit, et ferma les paupières, les mains entrelacées au niveau de sa poitrine, tandis que la fillette égrainait son chapelet. Elle se releva quelques minutes plus tard. Kathy semblait un peu plus sereine.
— Je dois partir demain matin très tôt pour regagner l'Élite des Quatre, indiqua la Championne. Est-ce que tu veux que je reste ici pour la nuit, même si je ne suis pas là à ton réveil ?
— Cela me ferait infiniment plaisir, Cynthia. Je ne sais comment vous remercier de tout ce que vous avez fait pour moi.
La jeune femme la mit au lit et tira les couvertures jusqu'à son menton afin de la border. Kathy ne tarda pas à se laisser emporter par la magie de Cressélia, un léger sourire aux lèvres, tandis que Cynthia somnolait dans le fauteuil, sa main serrée sur celle de sa petite protégée.