Derkomai's Mask
Chapitre 34 : Tomber au milieu des bleuets, ce n'est pas si désagréable
6522 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 17/08/2024 11:42
Roussil repensait aux derniers mots de sa dresseuse alors qu’elle marchait seule dans la forêt. Oh, elle ne dirait pas que cet amas dense et sombre d’arbres l’inquiétait, bien sûr que non. Tout comme elle assurerait que des forêts, elle en avait vu d’autres et des biens plus terrifiantes, pas de doute là-dessus. Cependant, de là à faire comme les autres et directement quitter le chemin principal… On trouvait déjà bien assez de choses à côté du sentier sans avoir besoin de s’en écarter. Elle ne mentait pas, il suffisait de voir ces magnifiques ronces ou cette sublime tourbe mélangée aux feuilles en décomposition et aux épines de pin pour en être convaincu.
De toute façon, s’enfoncer trop loin dans le sous-bois n’était pas une bonne idée. Pas qu’elle remettait en doute son sens de l'orientation, plutôt qu’elle ne l’avait jamais vraiment utilisé et qu’elle préfèrerait éviter de le mettre à l’épreuve le jour de la fête des dresseurs. C’est vrai, elle pouvait trouver un meilleur cadeau qu’une nuit de battue à la recherche du pokémon renard.
Splock. Le bruit délicat de sa patte qui s’enfonça de cinq bons centimètres dans la tourbière la tira momentanément de ses pensées. Elle reprit sa marche, sachant pertinemment que sans eau elle ne retirerait pas la boue collée à ses poils et risquait même d’empirer les dégâts.
Pourquoi avait-elle accepté de s’embarquer là-dedans déjà ? Surtout qu’elle l’avait fait avec le sourire, histoire de bien enfoncer le… la branche ! La fichue branche qui bien sûr ne pouvait se courber souplement sous son pied, il fallait qu’elle joue les dures et montre qu’elle n’était pas juste une brindille. Roussil arracha le morceau qui avait failli l’estropier pour le grignoter, au moins sa vengeance avait bon goût.
Le bout de bois finissait de se consumer dans sa bouche alors qu’elle se demandait pourquoi elle réagissait ainsi. Après tout, ce n’était pas la première fois qu’elle se retrouvait… Bon d’accord, il est vrai que si elle avait déjà été séparée de Serena, elle ne s’était jamais retrouvée totalement seule.
Roussil inspecta avec attention les épais amas de ronces et les autres plantes qui bien que semblant moins dangereuses pouvaient cacher quelques sucs vénéneux. Tout ce qu’elle risquait de trouver si elle s’entêtait à suivre le chemin, ce serait la prochaine ville. Allez ! Elle était un pokémon, l’orientation c’était un truc instinctif ! Instinctif comme cracher des flammes, mais tu as bien vu Sacha. Oui, oui, je sais, ce n’est pas un vrai pokémon, mais toi tu n’es pas non plus ce qu’on peut appeler un « pokémon de la forêt ». L’oreille de Roussil tressauta, les capillaires gonflés de sang. Cette petite voix ne la gênait pas quand elle s’adressait à d’autres pokémons, mais quand elle se retournait contre elle, ce que c’était agaçant.
Roussil repoussait les obstacles du bout de son bâton. Directement les brûler aurait été plus simple, mais si elle s’y mettait c’était bien toute la forêt qui risquait d’y passer. Au moins le problème serait réglé. Encore une fois, pourquoi avait-elle accepté ? Parce que si c’était pour éviter de paraitre idiote devant Pandespiègle et bien… Et s’il était en train de l'espionner ? Si en fait il était en train de rire en la voyant si peu vaillante ! Eh oui Pandespiègle, tout le monde n’est pas né dans la forêt, il y a aussi des pokémons dont l’œuf a éclos dans une serre bien confortable sous la protection du professeur Platane et de Carchakrock. Mais ça, tu le sais et c’est pour cela que tu as proposé qu’on se sépare, pour m’admirer complètement perdue sur ton terrain de jeu !
Roussil s’était introduite dans un fouillis de broussailles un peu trop dense. Quand les plantes ligneuses lui arrivèrent à la taille et menacèrent d’atteindre son poitrail, elle préféra rebrousser chemin pour chercher un autre passage. La renarde soupira en voyant les pompons jaunes qui décoraient à présent les herbes folles. Son pelage avait beau être épais, si on lui arrachait plus de touffes de poils, sa belle robe finirait avec des trous.
Elle continua son exploration et trouva un tronc mort qui pourrait bien servir de pont naturel. Pas sa meilleure idée, surtout que l’écorce était tellement humide que même en rampant tout en y plantant ses griffes, elle craignait de glisser et ce ne fut que par miracle qu’elle arriva saine et sauve de l’autre côté. Pas de quoi la rendre heureuse pour autant. Je marche, je marche, mais il serait bon de trouver des idées et…
Roussil ne pensait plus à la mousse humide qui s’emmêlait dans ses poils ou aux piqures d’orties qui la démangeaient. Tout ce qu’elle avait en tête à présent, c’était l’énorme pokémon qui ne semblait pas ravi de la voir.
Le pire dans tout ça, c’est qu’il ressemblait à un pandarbare. Certes, le classique noir et blanc s’était mué en un pelage brun, mais concernant la taille et la mine patibulaire bien énervée, il avait dix sur dix niveau ressemblance. Je vais me faire détruire par le cousin de cet idiot… Jusqu’au bout ! Une idée brillante jusqu’au bout mon petit Pandespiègle ! se désespéra la renarde.
Roussil fixait les énormes griffes au bout de ces bras gros comme des troncs d’arbres. Même s’il décidait par miracle de ne donner qu’un coup de patte d’avertissement, la renarde ne doutait pas de voler jusqu’à retrouver le sentier duquel elle n’aurait jamais dû s’écarter. Elle craqua sa branche contre son pelage. Qui sait, peut-être que le feu le ferait fuir… Ou bien achèverait de l’énerver.
La renarde agitait sa torche, se concentrant sur le cercle jaune qui ornait le ventre du monstre pour ne pas penser aux cent kilos de muscle qu’il y avait autour. Elle en croiserait d’autres des pokémons de ce genre, des créatures menaçantes qui, si elle n’était pas capable de les vaincre, s’en prendrait à Serena. Sacha est humain, il redeviendra humain, et ce jour-là tu ne pourras plus te décharger sur lui. Alors prend les devants et montre lui ce que vaut un pokémon de Kalos !
Sauf que visiblement, l’ursaring n’était pas très intéressé par la renarde. Curieux à la rigueur de ce pokémon qu’il n’avait jamais vu, mais l’odeur qui titillait ses narines monopolisa vite toutes ses pensées. Il se dirigea vers l’arbre et l’écrasa entre ses pattes pour en extraire le miel, le pokémon de Kalos étant bien la dernière de ses préoccupations.
Roussil rangea son arme. Le miel sentait délicieusement bon, mais la bête avait instauré une règle tacite qu’elle avait bien l’intention de respecter. Elle s’apprêtait donc à s’éloigner, se promettant de remercier Pandespiègle pour cette « merveilleuse journée ».
Son oreille s’agita, il y avait du mouvement dans les frondaisons. Elle leva la tête et plissa les yeux pour mieux voir ce qu’il se tramait. La fée des bois. Son pelage blanc, ses grandes oreilles roses et sa traîne de longs rubans. Elle bondissait d’arbre en arbre, ses mouvements fluides et gracile, ses vieux instincts toujours intacts. Roussil vérifia que le pokémon était toujours bien occupé à son repas avant de demander à voix basse :
"J’ai trop trainé, c’est ça ?"
Le type fée secoua la tête en signe de négation.
"Le soleil va encore mettre du temps avant de disparaitre. Et cela m’arrange aussi."
"Tu cherches toujours ton cadeau ?"
"Visiblement, venir ici ne m’aide pas plus que ça. Je ne fais que tourner en rond sans le moindre plan en tête."
Ce ne fut pas de la tristesse que Roussil perçut dans la voix de son amie, mais une véritable détresse. Sauf que si la renarde se montrait trop directe et lui demandait ce qui n’allait pas, Nymphali ne lui répondrait pas, même si quelque part Nymphali voulait parler. C’était bien ça le plus exaspérant : la fée des bois n’exaucerait aucun vœu si on n’avait pas l’art et la manière de l’interroger.
"Je ne suis pas vraiment mieux," grimaça la renarde. "Et honnêtement, je ne vois pas ce qui pourrait plaire à Serena par ici."
"Pandespiègle semblait déjà avoir une idée."
"Celui-là… Il fait ce qu’il lui chante et ensuite c’est moi qui dois suivre."
"Tu ne voulais pas venir ici ?" comprit Nymphali.
Roussil ravala sa fierté et écarta grand les bras pour montrer sa fourrure sale.
"Je pense que ça se voit. A force de trainer par ici je vais gagner le type sol, à moins qu’une âme généreuse décide de m’aider."
Nymphali pouffa face à la supplication mal jouée de la renarde. Elle n’avait pas besoin de faire tant de manière pour demander qu’on l’accompagne.
"Si je peux compter aussi sur ton aide," dit le pokémon en tendant son ruban.
La renarde s’en saisit avec un grand sourire narquois qui ne disait rien qui vaille à Nymphali.
"C’est ce que je fais toujours, non ? Tu as oublié toutes ces soirées que j’ai prises afin de t’expliquer pourquoi Serena rougissait autant en présence de Sacha ?"
"Tu m’as fait croire que c’était une maladie…"
"Tu étais juste bien plus innocente et naïve que je ne le pensais."
Roussil partit dans un grand éclat de rire. Oh oui, elle s’en souvenait, comment la petite Evoli avait ramené des plantes à sa dresseuse pour la guérir de son soi-disant mal.
"Ce n’est pas… J’ai… Tu sais bien que j’ai vécue seule jusqu’à ce qu’on se rencontre alors je ne comprends pas toujours très bien ce genre de chose, encore moins chez les humains."
La renarde ne parla pas, parce que dire quelque chose à ce moment aurait été la pire chose à faire. Elle devait attendre, lui laisser la place de s’exprimer, accepter que le silence malgré l’angoisse qu’il suscitait ne devait pas forcément être comblé.
"C’est peut-être pour ça que j’ai tant de mal… Tu sais, c’est bête mais moi ma manière de vivre se résumait à ne pas être vu ni entendu. C’est ça, je n’avais pas besoin de me soucier de ce que pensaient les autres, j’avais juste à me soucier de moi, à danser pendant que tous les autres dormaient. Mais Serena est arrivée et elle s’est mise en tête de m’emmener avec elle, de montrer ma danse à toujours plus de monde. J’étais heureuse Roussil, encore plus quand j’ai évolué, mais je n’avais pas encore compris ce que ça impliquait, à quel point on aurait besoin de moi et à quel point je pouvais… Posipi ne m’en a pas voulu d’être comme ça."
"Personne ne t’en a voulu."
Roussil se mordit la langue, elle n’avait pas pu s’en empêcher.
"Tu ne comprends pas ! Même si j’ai évolué, même si d’un seul toucher je peux deviner les sentiments de ceux qui m’entourent… Serena. J’étais dangereuse pour Serena."
Les rubans de Nymphali s’enroulaient autour de ses pattes. Roussil l’avait bien vu, comment le pokémon fée évitait le regard de sa dresseuse, à quel point elle était mal à l’aise en sa présence. Et maintenant, la renarde n’avait plus de doute sur la raison qui avait empêché Nymphali de participer au concours.
"Tu dis ça… Mais c’est toi qui l’apaisais. Tu continuais de lui tenir la main, quitte à endurer sa peur, à t’épuiser, à ne plus pouvoir dormir."
Nymphali inspira profondément, ses flancs se soulevèrent, prête à exploser. Elle se retint et c’était bien ce genre de comportement qui énervait le plus la renarde.
"La nuit va vraiment finir par tomber si on reste ici à parler."
"Elle tombera quoiqu’il arrive, parler n’y changera rien," grogna Roussil.
***
Serena s’en sortait toujours bien dans les activités manuelles. Un talent qui s’était affiné lors de ses participations aux salons pokémons où on demandait parfois de confectionner des tenues pour les petits monstres.
- Je me disais bien que je t’avais déjà vu, tu viens de gagner le concours d’Autéquia, n’est-ce pas ?
Serena donna un coup de ciseaux en trop. Sa feuille de papier de riz désormais gâchée, il ne lui restait plus qu’à en prendre une nouvelle.
- Tu commences à être célèbre, se moqua gentiment Brice assis à côté d’elle.
- Je le savais ! se réjouit Nancy, faisant sursauter tous les dresseurs occupés à la même activité.
La coordinatrice rougit de gêne en sentant tous ces regards braqués sur elle, en particulier celui de la fille qui venait de la reconnaître.
- Un petit sourire pour tes fans ? nargua Brice.
La lame de ciseau ripa et entailla le doigt de la jeune fille. Elle grimaça et s'empressa de ramener la plaie à sa bouche, bougonnant au passage:
- Je ne voulais pas les laisser seuls.
- Ça aurait gâché la surprise, remarqua le garçon.
- Si c’était juste Roussil ou Nymphali à la rigueur… Mais les autres ne sont pas aussi calmes et responsables qu’elles. Sans oublier que Dracaufeu a la fâcheuse tendance à s’attirer des ennuis.
- Je pense qu’un dracaufeu cause plus d’ennuis qu’il n’en attire, remarqua un garçon en face d’elle, un certain Dylan.
- Et pourtant celui-là…
Elle n’osait pas leur révéler qu’après son accès de fièvre, elle l’avait vraiment cru malade. En quelque sorte c’était le cas puisque l’infirmière pensait que c’était lié à la récente dénutrition. Mais elle n’en avait pas l’air très convaincue.
- Maintenant que tu en parles, c’est toi la coordinatrice qui a défié Atalante avec un salamèche ? se souvint soudain Dylan.
La kalosienne enfonça profondément sa tête dans ses épaules. Pourquoi les gens se souvenaient-ils de ça ?
- Il voulait m’encourager, mais il ne se rendait pas forcément compte que… rougissait-elle.
- Ne te moque pas, elle a quand même gagné deux rubans alors que toi tu n’as pas un seul badge, s’exclama une femme à l’autre bout de la table.
- Elle se bat avec un dracaufeu aussi ! Pas besoin de faire perdre des points à l’adversaire quand tu peux mettre K.O son pokémon en un coup.
- Mais c’est déjà quelque chose de parvenir à en dresser un tu ne crois pas ? A ce que je sache, ces pokémons ne sont pas réputés pour obéir bien gentiment. N’est-ce pas Serena ?
- Eh bien c’est vrai que je ne comprends pas toujours ce qu’il lui passe par la tête, mais son caractère est plutôt…
- Tu vois ! s’exclama victorieuse la femme.
Et ils reprirent leurs débats pendant que Serena faisait de son mieux pour se dire que tout allait bien du côté de ses pokémons.
- Au fait, ça ne t’intéresserait pas de faire un échange ? proposa Dylan. Comme l’a dit mon amie, je n’ai pas un seul badge pour l’instant et c’est peut-être aussi parce que certains de mes pokémons sont plus taillés pour les concours que pour les arènes alors…
- Il reste avec moi, l’arrêta net la jeune fille.
C’était un silence respectueux qui s’était installé chez les dresseurs, même Brice ne s’essaya pas à commenter jusqu’à ce que :
- Serena puisqu’on en parle, ce ne serait pas ton dracaufeu dehors, remarqua Nancy qui s’était levée pour aller prendre du papier doré.
La kalosienne se rapprocha de la fenêtre et effectivement c’était bien son pokémon qui utilisait des Lance-Flammes à répétition.
- Qu’est-ce que tu fais encore, se désespéra-t-elle.
- Ton cadeau ? proposa Brice.
Il se moquait, mais cela restait quand même une possibilité et il lui en voudrait qu’elle l’espionne. A contrecœur elle commença à baisser le store, mais s’arrêta brutalement.
- C’est pas vrai ! hurla-t-elle.
Elle courut hors de la salle sous les yeux surpris de ses collègues. Certains se levèrent pour mieux voir ce qui avait effrayé la jeune fille et remarquèrent les flammes qui s’élevaient des arbres décoratifs. Et à présent, le pokémon battait des ailes en espérant l’éteindre alors qu’il risquait juste de le disperser.
- Quelqu’un a des pokémons eaux ?! cria Brice.
- Le mien doit encore être dans le centre, se rappela un dresseur.
Les autres restèrent dans la salle à contempler Serena gronder son pokémon tout en jetant du sable sur les braises.
- Bon d’accord, elle n’avait pas tort pour son Dracaufeu, dit Dylan à la fenêtre.
***
Plus elle s’approchait du centre pokémon, plus Nymphali percevait l’odeur du brûlé. Elle y retrouva un Sacha léthargique dont la seule activité consistait à prendre une poignée de terre pour l’égrener dans sa main.
"Tout ne s’est pas passé comme prévu," devina-t-elle l’évidence.
"J’ai failli mettre le feu au centre."
Il baissa la tête, comme s’il souhaitait l’enfoncer dans le sol.
"Puni ?"
"Non, les autres dresseurs et Joëlle ont réussi à la convaincre. Mais je n’arrive pas à donner la forme que je veux à mes flammes et je ne sais pas si j’y arriverai avant ce soir."
Alors on sera deux, pensa tristement Nymphali.
"Comment s’en sortent les autres ?"
"Un certain Ursaring a proposé son aide à Roussil," expliqua le type fée.
Nymphali lui était d’ailleurs reconnaissante, sans ce pokémon elle n’aurait jamais pu se libérer des griffes de la renarde.
"Un Ursaring ?" s’étonna Sacha.
"Roussil a été aussi surprise que toi. Mais contrairement à ce qu’on peut penser, c’est loin d’être le pokémon le plus terrifiant de la forêt, Posipi et Négapi pourront te le confirmer."
Nymphali pouffa face à la mine perdue du faux-pokémon. Comment lui expliquer que les deux lapins avaient demandé de l’aide à un groupe de mucioles et lumivoles et… l’exigence des artistes on dira.
"Quant à Pandespiègle," continua-t-elle avant que le métamorphosé ne lui pose la fatidique question, "je n’ai pas trop compris ce qu’il cherchait à faire. Il m’a expliqué que c’était une tradition de chez lui : une tige de bambou et une histoire de bénédiction psychique. Mais je n’ai pas compris pourquoi il était revenu en ville…"
"En même temps, la forêt n’avait pas l’air de contenir beaucoup de bambous," concéda Sacha. "Et toi ? Tu as déjà fini ?"
Elle baissa les oreilles et le faux-pokémon comprit aisément ce que cela signifiait.
"Oh… Ne t’en fais pas, il te reste encore du temps."
"Je ne pense pas que j’ai le droit de lui offrir quoique ce soit," avoua-t-elle.
"Qu’est-ce que tu racontes ? Ce n’est pas une question de droit !" s’emporta l’ancien humain.
"Tu ne te souviens pas ? J’ai accepté la Serena qui voulait se faire du mal, je l’ai même admirée. Alors comment je pourrais lui apporter quoique ce soit de bon ?"
Sacha ne se souvenait que trop bien du moment où il avait perçu le même regard entre Nymphali et sa dresseuse.
- Dracaufeu ! Je t’ai amené un extincteur, je te montre comment il marche et ensuite tu pourras…
Nymphali s’était cachée derrière le reptile un poil trop tard. Serena interrogea silencieusement le type feu du regard, qui lui confirma ses inquiétudes.
- Nymphali, une dresseuse que je viens de rencontrer voudrait voir ce qu’est une performance de salon. Puisque tu es la première à rentrer, tu voudrais bien m’aider ?
- Nympha, proposa le pokémon en pointant d’un ruban le faux-pokémon.
- Je ne pense pas que Dracaufeu soit le meilleur pour ça… Sans vouloir te vexer, se dépêcha-t-elle d’ajouter.
- Dra, acquiesça Sacha qui savait mieux que quiconque ce qu’il valait.
Nymphali baissa les oreilles et suivit d’un pas trainant sa dresseuse. Comment expliquer qu’elle n’avait aucune envie de danser, que la passion qui l’animait avant s’était rabougrie au point qu’elle se demande si elle fleurirait à nouveau un jour.
- Ça fait longtemps qu’on n’a pas fait de performance ensemble, remarqua la jeune fille, et aussi… tu n’enroules plus tes rubans autour de mon bras quand on marche ensemble.
- Nym, démentit le pokémon.
Mais elle avait ralenti le pas et plaqué ses antennes contre son pelage.
- C’était si écœurant ?
- Li ?
- A Vermilava, tu passais beaucoup de temps à m’apaiser et… Tu devais aussi le sentir : mon humeur, mes sentiments, je suppose que ce n’était pas très agréable pour toi. Pas du tout en fait.
Cette fois Nymphali s’était définitivement arrêtée. Elle observait la ville, les arbres un peu plus loin, en se disant qu’elle devrait y retourner pour trouver son cadeau. Serena comprendrait, non ? Qu’elle ne pouvait pas rester, qu’elle devait… Elle se sentit soulevée. Serena la tenait fermement dans ses bras, sans tenir compte des protestations du pokémon qui se débattait.
- Je vais te brosser un peu, c’est toujours mieux de danser avec un pelage propre, tu ne crois pas ?
Durant tout le trajet vers leurs chambres, Nymphali évita que ses antennes n’effleurent la peau de sa dresseuse, tâche difficile vu comment Serena la serrait contre elle.
"Je peux marcher ! Je peux marcher seule !" suppliait-elle.
Serena la posa enfin sur le lit et s’en alla farfouiller dans son sac. Elle souriait, pleine d’énergie, libérée de ses cauchemars que le type fée n’avait jamais réussi à éloigner. Comment as-tu fais Sacha ? Comment as-tu fait pour la transformer ? Serena revenait, si Nymphali devait s’enfuir, c’était maintenant. Elle tendit ses muscles, les yeux rivés sur son point d’atterrissage.
- Je suis désolée d’avoir été un si mauvais modèle.
Le pokémon dressa ses oreilles, son saut bloqué, toute son attention à présent portée sur sa dresseuse.
- Peut-être que je me trompe, que j’essaye encore de déduire trop vite les sentiments de quelqu’un, mais… Tu étais perdue, tu ignorais comment t’y prendre pour m’aider et finalement tu t’es dit que c’était à cause de toi si les choses empiraient.
Parce que ça l’était. Parce qu’elle avait failli arrêter le seul capable de sauver Serena.
- Stop Nymphali. Stop, intima la dresseuse.
Elle s’était assise à côté du pokémon et tordait ses mains sur la brosse.
- Je sais ce que ça fait, je sais très bien ce que ça fait et c’est pour ça que je veux t’empêcher de faire la même erreur que moi.
Les rubans se resserrèrent autour du corps de Nymphali. Les feuilles mortes s’accrochaient à ses poils, la boue tâchait son pelage blanc, comment une simple brosse pourrait enlever toute cette saleté. Mais Serena s’y évertua quand même, d’abord à bout de bras puis s’approchant petit à petit du pokémon.
- Je ne veux pas que tu prennes ma place, je ne veux pas que tu me montres ce que j’aurais pu devenir si vous ne m’aviez pas sauvée.
Nymphali scruta les yeux de sa dresseuse, attendant le moindre signe de rejet alors qu’elle approchait ses rubans.
- Tu peux tout prendre, murmura la dresseuse.
Nymphali enroula ses sens autour du bras de la dresseuse et se laissa aller. Apaisement, quiétude, sérénité pendant que Serena lui souriait, la serrait un peu plus fort contre elle pour lui permettre d’entendre les battements apaisant de son cœur. Mais ce n’est pas moi qui t’ai offert ça.
- Bien sûr que si, souffla Serena.
Nymphali sourit doucement alors que la jeune fille fermait les yeux. Le goût dans ses rubans était savoureux, doux, parfois corsé bien loin de l’âcreté des nuits de terreur. Elle se prit à en désirer plus, à vouloir dévorer plus longtemps ces saveurs, mais Serena épuisée s’était allongée et voguait vers le sommeil.
"Tout représente trop pour un humain," se moqua le pokémon.
Elle s’allongea près de sa dresseuse et commença à diffuser son aura apaisante.
"Mais… j’aimerais y ressembler un peu, à ce que tu viens de me faire goûter, tu penses que c’est possible ?"
La jeune fille grommela une vague réponse dans les brumes de l’inconscience. Nymphali frotta sa joue contre la main de sa dresseuse, doux souvenir de leur première rencontre.
***
Nancy se trouvait bien gênée alors qu’elle vérifiait la montre du centre. Serena avait dit qu’elle n’en avait que pour cinq minutes, et elles étaient largement dépassées. Sauf que personne à part elle ne semblait s’en soucier, même pas Brice concentré sur ses dernières finitions. Si les humains s’en fichaient, peut-être devrait-elle demander au pokémon, quoique le dragon ne devait pas avoir très envie qu’on dérange son entrainement.
- Bonjour.
Les deux yeux reptiliens se braquèrent instantanément sur la dresseuse. Nancy se sentait mal à l’aise par la manière dont il la dévisageait, sans se douter qu’en vérité l’ancien humain se souvenait vaguement de son visage tout comme le ruban rose dans ses cheveux.
- Je m’appelle Nancy et on a un peu discuté avec Serena, ta dresseuse.
Sa voix tremblait et elle était ravie d’avoir maintenue une distance de sécurité. Pas qu’il l’effrayait, mais elle préférait rester prudente avec ce genre de pokémon.
- Dracaudra.
Elle ne s’attendait pas à ce que le dragon la salue de manière aussi amicale, encore moins qu’il lui sourit de toutes ses dents.
- Euh… Je la cherchais et je me demandais si tu n’aurais pas une idée d’où elle était.
Il pencha la tête sur le côté, Serena avait pourtant bien dit qu’elle montrait sa performance à une certaine Nancy, et il ne doutait pas qu’il s’agissait bien de celle en face de lui. Il ouvrit la gueule et renifla l’air, les traces de sa dresseuse le menaient bien vers le centre.
- Caufeudra, caufeu !
L’inquiétude du reptile était palpable pendant qu’il marchait d’un bon pas vers le bâtiment. Nancy n’avait pas eu l’intention de le faire paniquer, mais elle ne s’y connaissait que très peu en dracaufeu et elle n’aurait jamais pensé qu’il puisse se mettre si vite en alerte.
- Cau ! s’écria le pokémon de soulagement.
Serena se frottait les yeux au pied de l’escalier quand ils arrivèrent. Elle s’excusa vite d’avoir pris autant de temps, mais à présent, elle et Nymphali étaient plus que prête pour la démonstration.
Nancy ne fut effectivement pas déçue du spectacle, elle qui commençait à peine les concours restait béate face aux combinaisons et à la manière dont Serena se synchronisait avec son pokémon. Un émerveillement partagé par le reptile qui était resté de bon cœur. A vrai dire, il était si captivé que Nancy comprenait mieux pourquoi Serena le gardait comme partenaire.
- Qu’est-ce que tu en as pensé ? demanda Serena après le salut final.
- C’est autre chose de le voir en vrai. Pas vrai Rosabyss ?
Le pokémon agitait sa queue de joie et il n’était pas le seul. Le remarquant, Serena s’approcha discrètement du dragon et lui demanda :
- Et toi, qu’est-ce que tu en as pensé ? Je me débrouille de mieux en mieux, non ?
Elle fit bouger son bras pour prouver sa souplesse bien qu’elle faillit grimacer plusieurs fois. Sacha lui attrapa doucement l’épaule, il ne tenait pas à ce qu’elle force sur sa blessure, même pour le rassurer.
- Alors ? attendait-elle son avis.
Le métamorphosé suivait les perles de sueurs qui glissaient près des lèvres de la jeune fille. Ah, c’est vrai qu’elle attendait une réponse, mais que dire ? Rester simple, classique dans le style : « c’était très bien ». Oui, c’était le mieux à faire.
"C’était…"
Le cœur au bord des lèvres, il finit par lui échapper, s’élever en une flamme rouge pâle aux bords tremblants. Il l’observa voler, abasourdi, toutes ces heures passées pour essayer de créer un cercle de feu et maintenant…
- C’est très mignon, remarqua Nancy. Je ne pensais pas qu’il pouvait faire ça.
- Moi non plus, avoua la dresseuse qui effleura du doigt la flamme qui s’était approchée d’elle. C’était donc ça que tu préparais ?
Le cœur ardent s’était dissous dans les airs quand celui à l’intérieur de Sacha signalait sa présence comme pour compenser la récente perte.
- Tu veux bien recommencer ? demanda Serena. A moins que tu aies d’autres formes en réserves… Ou si tu veux attendre ce soir pour tout me montrer.
"Non !" s’écria-t-il.
Une nouvelle nuée s’envola. Certaines moururent en un instant, mais la plupart rejoignirent la coordinatrice et effleurèrent ses cheveux, ses vêtements, son ruban, sa peau et, pendant quelques secondes, Sacha imagina ses lèvres à la place des flammes.
- Ça ne brûle pas ? s’inquiéta Nancy.
Serena s’était posée la même question au moment où le feu l’entourait et la piégeait. Ces formes mouvantes, aussi jolies soient-elles, restaient dangereuse, brûlantes et Serena s’attendait à vite en souffrir. Mais, étrangement, même après plusieurs minutes…
- Non. Ça ne brûle pas, vraiment pas.
Quelques flammes s’éteignirent sous son souffle. Elle tourna sur elle-même, ses mouvements suivis par les feu-follet, sa peau caressée par leur chaleur.
- Ce sera vraiment parfait pour le prochain concours. Mais je suis quand même curieuse : pourquoi des cœurs ?
Ah ça oui Sacha, bonne question, pourquoi des cœurs ? entendit-il une voix le narguer. Et si le métamorphosé pouvait hurler, là, maintenant, sa seule réponse serait : C’est toi Serena ! C’est toi qui m’as détraqué !
"Une idée comme ça," répondit-il finalement.
***
Dans la cuisine désertée, Sacha écorchait le fouet contre le verre du saladier. Si seulement il avait accepté la proposition de Posipi ce matin, il ne serait pas en train de vérifier toutes les cinq minutes que ses flammes avaient bien repris leur forme normale.
- Dra !
Il écrasa le torchon d’une aile, étouffant juste à temps l’incendie en préparation. Pourquoi tout s’enflammait si vite ? Ses écailles rougir soudain, le sang dans son cœur en ébullition, il jeta sa tête dans l’évier et ouvrit le robinet à fond pour inonder son visage brulant. Mais encore faudrait-il que l’eau puisse l’atteindre avant de devenir vapeur.
Ça oui, on peut dire que ça va vite, beaucoup trop vite ! Il voulait passer plus de temps avec Serena et au fur et à mesure, se sentir plus à l’aise avec ce qu’il ressentait sans avoir cette envie constante de le repousser. Sauf que là, les choses s’emballaient à une vitesse inouïe.
Il poussa un râle déplorable lorsqu’enfin un peu d’eau réussit à atteindre ses écailles. Repousser le problème c’était bien, mais un de ces jours il redeviendrait humain et, le hic, c’est qu’il redeviendrait Sacha du même coup. Si, si, ce fameux garçon qui devrait donner une réponse à l’au-revoir de l’aéroport. Le dresseur qui pensait réussir à s’en éloigner grâce à un nouveau voyage et qui finalement se faisait rattraper, talonner… d’accord, en fait c’était déjà sur lui à le mordre.
Le métamorphosé revint à son plan de travail d’un pas gauche et cracha quelques flammes. Pas de cœurs, pas de cercles, juste leurs formes normales. Rassuré, il attrapa la spatule, la sous-pesa dans sa main avant de se remettre au travail… ou pas. Il venait de se frapper lui-même le bout du museau avec l’extrémité évasée et c’était toujours aussi affreux. Mais, il le sentit, son cœur qui s’accélérait comme si la jeune fille allait soudain apparaitre et soulager sa douleur. Sacha déglutit, il ne se contentait plus d’attendre, il était réellement en train de chercher, d’essayer d’accepter que lui et Serena… Plus ? Enfin, il ne voulait pas dire Plus comme le boost d’attaque de Posipi, mais… plus.
Tu me rappelles ton père.
Toutes ses écailles s’étaient hérissées. Il observa son reflet sur le verre, qu’y avait-il de semblable dans ces écailles orange et ces crocs ? Et puis, ne serait-ce que le jour où il avait obtenu ses huit badges, il avait prouvé, il s’était prouvé qu’il était différent de cet homme !
Sa tête retomba. Bien sûr, des badges, comme si ces bouts de métal ou les victoires dans des arènes prouvaient que les choses iraient bien avec Serena alors que… Peut-être devrait-il essayer de le dire.
"Je…" articula-t-il péniblement.
Ne serait-ce que pour l’entendre, pour savoir à quoi ça ressemblait, découvrir la forme de ses symptômes à présent que la phase d’incubation s’achevait.
"Serena, je… je t-t'..."
Parce que quelque part, il espérait que la réponse serait là, qu’elle lui révèlerait si oui ou non, il serait comme celui qui avait abandonné sa mère.
"Tttt-onnerre Pikachu," abandonna-t-il.
- On t’avait pas dit interdiction de cuisiner seul ?
Sacha sursauta, aussi bien par peur qu’on ait entendu sa piètre performance que par l’arrivée soudaine du garçon qu’il avait tant de mal à supporter.
"Ils avaient déjà fini l’atelier," expliqua le faux pokémon, "et j’ai pris mes précautions."
Il souleva l’extincteur en guise de preuve, mais Brice n’y prêta pas attention. Il fronça les sourcils, et observa avec attention le plan de travail.
- Qu’est-ce que tu comptais préparer ?
De toute façon Brice ne s’essayerait pas à y goûter, donc en quoi ça lui importait ?
- Drrr, Dracau !
Le garçon s’était emparé du livre de cuisine grand ouvert sur la table. Il lut la page en diagonale puis observa avec attention le verre doseur rempli de lait à la bonne graduation et la balance indiquant le même poids de farine que la recette.
- Tu comprends ce qui est écrit ? s’étonna Brice.
Sacha bomba le torse, évidemment qu’il comprenait et avec les leçons de Serena il ne se faisait plus piégé par les ½ et autres monstruosités du genre.
- Tu ferais mieux de te cantonner à ce que Serena t’apprend, ça t’évitera des ennuis.
Le livre avait claqué dans sa main et il avait poussé du pied la poubelle jusqu’à la table. Sans plus de cérémonies, il s’appliqua à tout jeter sous le regard ahuri du monstre.
"Arrête ! C’est du gâchis ce que tu fais !" gronda Sacha.
Il savait qu’il y avait de forte chance pour que les ingrédients soient gâchés quoi qu’il arrive, mais tout de même, on pouvait au moins lui laisser sa chance.
"Brice !"
Il avait saisi le poignet du dresseur, les babines retroussées pour le dissuader définitivement de continuer son petit manège.
- Je t’expliquerai plus tard, Dracaufeu.
Il s’était dégagé de la poigne du reptile d’un mouvement sec.
"Pourquoi plus tard ? Pourquoi pas maintenant ?" grogna Sacha qui décidément avait un mauvais pressentiment.
Le garçon tapota la table, semblant réfléchir à la proposition du faux pokémon.
- Je te propose de t’aider, tu devrais en profiter… Parce que ça pourrait ne pas durer, et bien plus vite que tu ne le penses.
Il éclata de rire, comme s’il s’amusait d’une blague qu’il venait tout juste d’inventer pendant que sa main secouait le livre vert.
"Qu’est-ce qu’il y a de drô…"
Sacha fixait les doigts pliés à proximité de son nez comme s’ils étaient la pointe d’une épée. Tétanisé, le souffle coupé, il attendait que Brice finisse son geste.
- Je plaisantais voyons, s’amusa le garçon en tapotant amicalement la joue du reptile. Et puis je n’ai pas envie d’à nouveau fâcher Serena.
Il glissa le livre de recette entre les mains biens dociles du faux-pokémon.
- Tiens, je te laisse ranger ça.