Derkomai's Mask
Chapitre 28 : Roucool, même caché au milieu des lavandes, je te vois.
6667 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 30/06/2024 08:13
Le repas servi, on pouvait dire que les choses partaient bien. Sacha mangeait avec la gloutonnerie et la vitesse qu’on lui connaissait, mais ce bel entrain devait se tarir rapidement. Allez, s’il ignorait les aliments échoués sur les rebords de l’assiette et qu’il ne considérait que le centre, il pourrait se vanter d’avoir consommé les trois-quarts de son repas. Désespérant, et c’était encore plus frustrant quand la personne face à vous tournait sa fourchette dans l’assiette sans rien avaler.
"Serena, tu ne manges pas ?"
Sortie de ses rêveries par le dragon, la dresseuse releva la tête avant d’observer ses autres pokémons qui se restauraient juste à côté.
- Puisque nous avons un peu de temps, je me disais que Posipi et Négapi pourraient quand même faire leurs débuts à ce concours.
Les oreilles des deux frères se dressèrent. Leur entrainement avait été sérieusement gêné par les évènements au Mont Chimnée et ils ne pourraient pas compenser par l’expérience contrairement aux autres membres du groupe.
- Je sais que ce ne sont pas les meilleures conditions et j’aurais préféré que Pandespiègle puisse vous accompagner comme on l’avait prévu. Mais continuer de repousser les choses n’apportera rien de bon.
Elle ne les sentait toujours pas emballés alors la jeune fille ajouta :
- Ça vous rassurerait que Nymphali ou Roussil participent avec vous ? On aura qu’une après-midi pour s’ajuster, mais elles en sont largement capables.
Les deux lapins échangèrent un regard hésitant. Serena vint s’accroupir près d’eux et leur caressa la tête en guise d’encouragements.
- Moi aussi j’ai un peu peur... beaucoup en fait, avoua-t-elle. Mais vous savez, quelqu’un m’a dit un jour que rien de ce que l’on fait n’est…
- Dra, entendit-elle un grognement réprobateur, comme s’il savait ce qu’elle s’apprêtait à dire.
- Presque rien de ce que l'on fait n’est inutile, corrigea-t-elle rapidement, c'est pour ça qu'il vaut mieux essayer…
Les griffes du type feu grincèrent.
- Essayer à condition d'éviter les mauvaises idées.
Sa queue claqua contre le sol.
- Et d'être blessé… Dracaufeu ! Tu ne m’aides pas !
- Neg, néga, proposa le lapin d’un air las.
- Non, attends, ce que j’essaye de vous dire c’est que même si c’est difficile…
Elle esquissa un regard vers son dragon en même temps qu’elle posait sa main près de son cœur.
- Certaines choses méritent qu’on se démène pour les atteindre, souffla-t-elle.
Roussil baissa la tête vers Nymphali, se demandant si elle aussi avait remarqué l’étrange ton qu’avait pris leur dresseuse.
- Nym ? questionna le pokémon pas très à l’aise.
Bon, le type fée n’avait rien remarqué. Toutefois, cela voulait-il dire que la renarde surinterprétait les choses ? Non, bien sûr que non, c’était juste que ceux qui l’entouraient, humains ou pokémons, s’amusaient toujours à concourir sur qui serait le plus aveugle.
- Néga, gapi, pi ?
Ou le plus idiot, au choix, pensa Roussil alors que Serena clignait plusieurs fois des yeux, ne comprenant pas ce que le bleu demandait. Pour l’aider, Négapi fit mine de rire tout en s’arc boutant vers l’arrières, ses pattes écartées des deux côtés de son corps comme s’il voulait se faire plus grand, ou plus large ou…
- Voltère regardera sûrement, oui, comprit Serena.
- Neg ! cria le pokémon les poils hérissés.
- Vois ça comme l’occasion de le rassurer en lui montrant que les choses vont mieux.
Négapi tapa son pied contre le sol, une fois, deux fois, jusqu’à ce que cela devienne un vrai roulement de tambour.
- S’il te plait Négapi, ça vaut au moins la peine d’essayer.
"Non, non et non ! Pas comme ça, pas maintenant, pas avec si peu de préparations ! Serena, je veux pas que Voltère me regarde et se dise que je suis atteint par Confusion. Donc je passe mon tour, tu vas me laisser passer mon tour, parce que peu importe ce que tu en penses je peux t’assurer que j’ai aucun regret à louper cette superbe occasion de me ridiculiser sur scène !"
Et une attaque Cogne ! Une ! Pile entre la nuque et le vertex du petit monstre.
"Ça fait mal," gronda Négapi les éclairs au bord des joues.
"J’espère bien," nargua Pandespiègle une aura ténébreuse dans la paume de ses mains.
"Attendez ! Attendez !" cria Posipi avant de courir se réfugier derrière Roussil et Nymphali. "C’est tout bon pour moi," indiqua le petit pokémon une fois bien à l’abri.
- On se calme ! Pandespiègle, Négapi, je ne plaisante pas. Négapi ! Ne saute pas sur la tête du Monsieur ! Oh, non, non, non, par pitié.
Serena se couvrit les yeux de désespoir alors que les gens quittaient leurs sièges en criant de surprise. Elle resta dans cette position une bonne dizaine d’assiettes brisées avant de se lancer à la poursuite des chenapans.
- Blessé, blessé, pas pour faire des bêtises ! cria Serena après s’être écrasée sur la table où se tenait Pandespiègle une seconde plus tôt. Oui, oui ce sont mes pokémons… Je suis désolée pour votre chemisier, mais il n’a pas l’air non plus trop… Ah, il était bleu… Vous savez monsieur, le rouge ce n’est pas si mal, ça va même très bien avec votre teint.
Un peu plus et le nez de la jeune fille découvrait les stades de la biligénie. Mais l’homme qui la menaçait n'était pas un mauvais bougre et il retrouva vite sa courtoisie face au dragon qui s’excusait, poliment, de devoir lui lacérer la gorge de ses crocs s’il ne se calmait pas rapidement.
- Dracaufeu… Dis-moi qu’il reste encore quelque chose à sauver. N’importe quoi, même une fourchette, supplia Serena face au désastre.
- Dracaudra, assura-t-il avec un clin d’œil rassurant.
La dresseuse avait besoin de soutien et elle pouvait compter sur son reptile de feu. Avec sa carrure, sa flamme capable de faire fondre la roche, il lui suffirait d’un grognement pour imposer le calme et le respect. Prêt à défendre la porcelaine et le verre, Sacha s’interposa donc bravement entre les deux monstres.
"On se calme maintenant, si vous continuez je vais…"
"Va plutôt roucooler avec Serena au lieu de nous gêner, " siffla Négapi les yeux toujours rivés sur son ennemi.
"Rou… Roucooler ? N-Non, tous les deux on ne fait que parler. C-Comme des amis, parce que c’est ce qu’on est. Des amis. Et il n’y pas la moindre petite ombre de Roucool entre nous deux !" se confondait l’ancien humain.
"Redis-nous ça après que vous ayez eu votre douzaine d’œufs, d’accord," renchérit Pandespiègle.
"Je… Et pourquoi là vous vous mettez d’accord !?"
"Parce que l’évidence."
"Simplement l’évidence."
"Merci !" s'exclama au loin Roussil.
Le faux pokémon revint vers sa dresseuse la tête basse, les ailes voutées, et d’un air abattu avoua :
"Ils sont trop forts pour moi. Beaucoup trop forts."
Serena caressa la tête de son ami pour le réconforter, mais elle avait tout de même du mal à comprendre comment le dragon s’était fait vaincre alors qu’il n’avait reçu aucune attaque. Ou bien Négapi et Pandespiègle maîtrisaient des capacités psychiques dont elle ignorait l’existence.
- Draaa, s’excusa à nouveau Sacha.
Mais son intervention n’avait pas tout à fait été vaine. Les deux pokémons n’avaient toujours pas repris les hostilités et campaient sur leurs positions, se dévisageant mutuellement.
"Et toi ça ne te gêne pas ? Serena te laisse sur la touche alors que c’est aussi ta performance," grogna le pokémon électrique.
"Oh, tu veux que je te remercie ?"
"Tu n’as pas travaillé juste pour nous regarder !"
Le panda croisa les bras, la feuille coincée entre ses lèvres passait d’un coin à l’autre de sa bouche pendant qu’il soutenait le regard du bleu.
"Je n’ai pas travaillé pour vous empêcher de participer."
Négapi baissa les oreilles, se sentant soudain honteux d’avoir voulu prendre comme excuse Pandespiègle.
"Tu sais très bien… Peut-être Posipi s’en sortira, mais moi tu as bien vu que…"
"Tu as besoin de plus de temps c’est ça ? Très bien, prend-le ici, prends-le à la prochaine ville, améliore-toi encore et encore et peut-être qu’on aura la chance de voir ta première performance pour le Grand Festival."
"Juste cette fois," se crispa le lapin.
"Jusqu’à la prochaine," compléta le panda.
Négapi se mordit la joue alors que son frère approchait lentement de lui.
"Je n'ai pas non plus envie que Serena ait honte par notre faute," avoua Posipi.
"Ça n’a pas empêché un certain Sachamèche de foncer tête baissée contre la meilleure coordinatrice d’Hoenn, pouffa la renarde qui s’était aussi approchée. Et croyez-moi, vous pourrez difficilement faire pire que lui."
"C’était si terrible ?" demanda Négapi.
"Il a battu tous les records, " soupira Roussil.
"Tu exagères," essaya Sacha d’une petite voix.
"Elle s’est fait huée par la foule, alors non, je n’exagère pas, grimaça la renarde qui n’appréciait pas particulièrement le souvenir. Pourtant, même si je persiste à croire que tu aurais pu et aurait dû faire plus attention… Elle t’était reconnaissante, vraiment reconnaissante."
"Parce que c’est Sacha, elle pardonne toujours tout à Sacha," fit remarquer Posipi.
"Elle pardonne trop à Sacha, renchérit la renarde. Mais, peut-être l’a-t-elle sentie, la raison pour laquelle il voulait à tout prix gagner… Et la raison pour laquelle perdre n’était pas si grave," finit-elle en se tournant vers le faux-pokémon.
La flamme caudale du métamorphosé crépita doucement à ce souvenir pendant qu’un vague sourire s’insinuait sur ses lèvres. C’était dur pour les deux lapins de comprendre, dur pour des pokémons qui n’auraient pas à partir de comprendre un dresseur qui devait sans cesse quitter ses amis dans l’espoir d’atteindre son rêve. Voilà pourquoi, mieux que quiconque, Sacha savait :
"J’étais là. J’étais juste heureux d’avoir pu être là avec elle. Et je pense que Serena aussi sera simplement heureuse de danser avec vous."
Négapi retint un cri exaspéré. On ne pouvait pas juste le laisser dans son coin à se lamenter sur lui-même. Non, il fallait toujours qu’ils viennent et le tirent, le poussent, voir lui mettent un coup de Cogne à l’arrière de la tête. Bon sang, il n’aurait jamais dû les suivre, c’était vraiment la pire erreur de sa vie !
"Du coup on y participe ?" demanda Posipi.
"Evidemment !" hurla le bleu.
Pendant que Posipi ébouriffait la fourrure de son frère de quelques coups de jus moqueurs, Roussil s’approchait de Pandespiègle pour lui murmurer :
"Tu m’as vraiment surprise."
"Je sais, j’aurais dû garder mon calme mais c’était juste… Tu vois."
"Ah non non, je ne parlais pas de ça. Ce que je trouvais étonnant, c’est que tu sois capable de dire des choses intelligentes," se moqua la renarde.
"C’est toi qui dis ça ?" se vexa le panda.
Un appel au secours nerveux parvint aux pokémons qui jusque-là étaient bien trop occupés pour remarquer que la kalosienne était prise en grippe par une bonne dizaine de dresseurs mécontents avec seulement Nymphali pour la défendre.
"SERENA !"
***
Trente-six assiettes, vingt-quatre verres, trois banquettes, une table c’était là le lourd bilan décompté par l’infirmière Joëlle auquel s’était ajouté deux pokémons, victimes d’une crise cardiaque suite au savon que leur avait passé leur dresseuse.
Heureusement que ce n’était pas moi, vraiment, vraiment heureusement que ce n’était pas moi, se répétait en boucle Sacha coincé devant son assiette.
D’ailleurs, pourquoi était-il le seul attablé alors que tous les autres étaient en train de s’entrainer (y compris Pandespiègle et Négapi récupérés après dix bonnes minutes de no flow ) ? Tout simplement parce qu’après avoir pris une grosse heure pour ranger et nettoyer les dégâts, Serena avait quand même insisté pour qu’il finisse ses croquettes. Sacha avait bien essayé de protester, mais la jeune fille lui avait rappelé que c’était mal de gâcher et puis, il y avait eu ce truc contre lequel le métamorphosé n’était absolument pas préparé.
Et ça repartait ! Ses écailles étaient redevenues aussi rouge que le bout des oreilles de Posipi juste en y repensant. Pourquoi les dracaufeus ne gardaient pas la couleur des reptincels au juste ? Arceus avait intérêt à avoir une bonne explication pour ce mauvais coup.
En fait, il n’y avait pas que le Dieu de l’univers qui devrait des comptes à l’ancien dresseur, madame Roc aussi, vu qu’il était certain que c’était à cause d’elle que Serena avait utilisé une technique aussi déloyale. Comment il pouvait lutter au juste ? Comment il pouvait se battre contre un clin d’œil de Serena, le doux murmure qu’elle glissait contre son oreille, et surtout…
Pour me faire plaisir.
Stop ! Que cette image disparaisse de sa tête, que chaque son cesse d’accaparer ses pensées, que…
"Fiche le camp !" hurla-t-il contre un malheureux roucool venu chiper dans son assiette.
Il retomba sur son siège en soufflant. Serena n’était plus tout à fait une amie, quand bien même il s’efforçait de prétendre le contraire face aux autres. Enfin, il n’était pas non plus au stade de la douzaine d’œuf comme disait Pandespiègle, et même un seul œuf lui paraissait tout bonnement impossible. Quand même, sa dresseuse, sa partenaire, Serena, il n’arrivait plus tout à fait à contenir leur relation dans un seul mot. Il n’en avait plus la force.
"Tu ne veux vraiment pas me laisser ?" grogna Sacha à l’encontre du volatile picorant dans son assiette.
Le pokémon s’envola rejoindre son dresseur et l’ancien humain en le suivant du regard remarqua quelques couverts laissés à l’abandon sur une table. Sacha vérifia à travers la fenêtre que sa dresseuse était bien occupée avec ses pokémons à l’extérieur pour aller chiper fourchette et couteau. Manger avec les doigts ne le gênait pas, mais des fois il avait besoin de se rappeler ces petits détails qui faisaient bien de lui un humain, à la différence près qu’à présent, la fourchette aurait pu entrer toute entière dans sa gueule.
Il avait vraiment grandi à ce point ? Ce qui était sûr en tout cas, c’était que Serena ne pourrait plus lui caresser la tête si facilement. Alors ce sera à moi de me baisser. Sacha sourit doucement tout en posant un œil sur la jeune fille accroupie près du terrain de combat. Il l’avait remarqué depuis qu’il était devenu un salamèche, cette tendance qu’elle avait à se mettre au niveau de ses pokémons pour expliquer ses idées de performance, agrémentant ses mots de quelques schémas dans le sable.
- Regarde ! Même ce pokémon mange mieux que toi !
La fourchette glissa de sa bouche et s’écrasa dans son assiette, aspergeant son ventre de sauces. En même temps qu’il prenait une serviette pour s’essuyer, il remarqua le dresseur qui le pointait du doigt, montrant à son petit frère la bonne manière de se tenir à table.
- Je suis pas un pokémon !
Cela tombait bien, Sacha non plus. Mais il n’était pas encore prêt à le crier à des inconnus.
- Alors utilise ta fourchette et ton couteau au lieu de me faire honte à manger avec tes doigts.
Le petit marmonna quelques mots, suppliant du regard les deux dresseurs en face de lui. Alors ils étaient un groupe de quatre, de quoi rappeler à Sacha comment lui-même voyageait à Kalos ou à Hoenn.
- Ce n’est pas un peu dangereux de laisser ce genre de pokémon sans surveillance ? demanda la fille du groupe.
Le métamorphosé se rendit compte qu’il les fixait. Pas méchamment bien sûr, du moins il espérait qu’on ne l’ait pas interprété ainsi, mais son visage reptilien n’inspirait pas forcément confiance. Il s’empressa de sourire pour dissiper tout malentendu, mais ses crocs aiguisés juraient avec son intention générale, crispant encore plus la dresseuse.
- Si tu as peur de lui maintenant, qu’est-ce que ce sera demain ? se moqua son comparse juste à côté.
- Oh arrête avec tes blagues idiotes, le réprimanda la jeune fille. J’ai déjà suffisamment la pression sans que tu n’en rajoutes.
D’un signe du menton, elle avait montré la kalosienne à l'extérieur en train de diriger un feu d’artifice d’éclairs et de flammes, avouant que ses propres combinaisons n’étaient pas aussi poussées.
- Tu as travaillé dur. Même si c’est ton premier concours ne te laisse pas intimider et n’oublie pas qu’on sera tous là pour t’encourager.
- Dracau.
Le faux pokémon baissa vite les yeux et reprit sa fourchette quand les dresseurs se tournèrent de surprise vers lui. Il n’avait pas pu s’empêcher d’acquiescer parce qu’entendre ces mots lui avait rappelé ce qu’il disait lui-même à Serena. Sauf qu’eux, ils avaient juste entendu grogner un dracaufeu sur un ton bizarre.
- Et puis si ça peut finir de te rassurer : personne n’est assez fou pour utiliser une espèce aussi bagarreuse dans un concours. Donc souffle un bon coup, dis-toi que c’est moi qui passera un sale quart d’heure quand j’affronterai ce dracaufeu lors de la ligue d’Hoenn, et remporte moi ce ruban, finit-il avec un clin d’œil.
- Tu m’aideras à m’entrainer cet après-midi ? demanda la coordinatrice.
- Bien sûr !
Serena aussi lui demandait son aide pour les salons. Même si la seule chose qu’il pouvait faire était de donner son avis sur les performances qu’elle lui présentait.
- Merci.
Sacha lâcha une seconde fois sa fourchette, la gueule grande ouverte. Le garçon aussi était surpris, mais pas totalement, comme si c’était habituel. Ça, ce que cette fille venait de faire… Est-ce que Serena aussi le remerciait de cette manière ? Non… pas tout à fait… Le dresseur toucha sa joue, Sacha toucha ses lèvres, tous les deux intimement liés par le même air béat et perdu.
- Tu en veux un deuxième pour te réveiller ? se moqua la coordinatrice.
- Ça… ça ira… bégaya-t-il.
Sacha ne bougea pas jusqu’à ce qu’ils aient fini leurs repas et soient partis. Et même après, il continua de fixer son assiette sans prendre en compte la flamme au bout de sa queue qui noircissait l’assise de la banquette.
- Dracaufeu, si vraiment tu en as assez, dis-le au lieu de t’énerver et de brûler les meubles du centre.
Le faux-pokémon reprit vite le contrôle de sa flamme caudale et s’excusa auprès de Joëlle.
- Ça ira pour cette fois. Mais tu es encore maigre et si ta dresseuse ne veut pas que tu sortes de table avant d’avoir fini, c’est avant tout pour que tu récupères.
- Dra.
- Si tu as compris, je compte sur toi pour ne pas ravager mon centre.
Ce n’était pas son intention ! Et c’était quoi cette réputation que les dracaufeus se trainaient ? L’infirmière jeta un coup d’œil par la fenêtre, voyant Serena qui s’entrainait au milieu des autres dresseurs. Elle fronça les sourcils tout en murmurant :
- Quand même. On ne laisse pas seul un dracaufeu à peine dressé.
Elle ne fit pas plus de remarques. De toute façon, si elle en avait dit plus le cœur de Sacha aurait lâché. L’appétit définitivement coupé, il rangea bien proprement son assiette sans oublier les couverts et donna même un coup de chiffon à la table. Peut-être que comme ça il se rattraperait aux yeux de l’infirmière qui les jugerait demain, histoire de ne pas partir avec des points négatifs avant même que le concours ait commencé.
- Trente-six assiettes, vingt-quatre verres, trois banquettes… entendit-il grommeler au loin la soignante.
Allez ! Serena va assurer demain et Joëlle n’aura rien à redire. Et il ne fallait pas oublier que même la coordinatrice débutante avait complimenté la beauté des enchainements, donc il pouvait se montrer un peu confiant.
Mais s’il l’avait oublié ou volontairement ignoré, Sacha dû se souvenir que les performances ne se résumaient pas qu’aux attaques. La renarde réalisait une bonne prestation, de quoi compenser le côté brouillon de ses partenaires. Et puis Posipi et Négapi s’en sortaient relativement bien pour des pokémons reprenant tout juste l’entrainement après une longue pause forcée. Donc pourquoi ça ne marchait pas ? Pourquoi au lieu de les tirer vers le haut la renarde mettait en exergue leurs difficultés ? Pourquoi le correct devenait grotesque quand ils travaillaient ensemble ?
Sacha s’approchait de Pandespiègle et Nymphali restés sur le côté du terrain – Nymphali n’était-elle pas censée participer au fait ? – et qui regardaient la répétition avec la même inquiétude que le métamorphosé. C’est catastrophique. Les attaques sont belles, leurs mouvements sont plutôt bons, mais c’est catastrophique parce que…
Sacha comprit en voyant les pas maladroits de Serena. Il en fut certain lorsqu’elle échoua à rattraper le bâton que Roussil lui avait lancé bien que la renarde ait fait attention de ne pas l’envoyer vers le bras blessé. Une artiste pokémon ne restait jamais derrière son partenaire pour donner ses ordres. Elle participait, elle dansait, se devait d’être en rythme pas seulement mentalement mais aussi physiquement. Et en plus d’être elle-même irréprochable, il fallait qu’elle coordonne le reste de ses pokémons. A la fois chef d’orchestre et musicien… C’était pire que ça. L’orchestre pouvait continuer de jouer sans son chef, un pokémon pouvait gagner sans les ordres de son dresseur, tout cela était rattrapable tant que les autres fournissaient suffisamment d’efforts.
Mais dans une performance, les erreurs de chacun étaient visibles. Si un pokémon chutait, toute l’attention se portait sur lui sans que les autres puissent en détourner l’attention. Si les pokémons se produisaient parfaitement mais que Serena se mélangeait dans ses pas… Sur une même scène, les règles s’appliquaient à tous.
Sacha attendait avec les autres, espérant qu’elle ait juste besoin de reprendre ses marques. Mais phénomène intéressant : plus Serena répétait, plus elle devenait médiocre. Pas le genre de sujet très vendeur s’il devait être adapté en long-métrage. Quoique des fois ils acceptaient des choses étranges, comme ce film avec un Mélofée égoïste qui proférait plus d’insultes qu’il ne parlait et trichait pour remporter ses combats. Sacha avouerait quand même qu’il avait explosé de rire dans la salle de cinéma à la grande honte de son ami Régis.
"Je ne pense pas que ce qu’il se passe soit très drôle," grogna Pandespiègle.
Sacha mit ses mains devant sa bouche, se rendant compte qu’il souriait. Il se trompait ! En aucun cas il ne se moquerait de Serena ! Il était juste parti un peu trop loin dans ses pensées et… Pourvu qu’elle ne l’ait pas vue. Elle devait déjà se rendre compte de la situation sans que son idiot de faux-pokémon n’en rajoute.
- Encore une fois !
Serena était en sueur, sa main gauche tremblait. Elle avait perdu ses automatismes au point de devenir une gêne pour ses pokémons, quant à les diriger mieux valait ne pas en parler. Mais pourquoi fallait-il que la présence du dresseur soit obligatoire aussi !
- Posi ?
Elle s’était arrêtée sans s’en rendre compte et ses partenaires devaient se demander ce qu’il lui prenait.
- Vous vous débrouillez bien, c’est plutôt moi qui ne suis pas à la hauteur.
Elle caressa la tête du lapin. Non seulement ils n’avaient pas perdu contrairement à elle, mais ils avaient même progressé.
- Vous ne vouliez pas monter sur scène alors que vous vous êtes entrainés en cachette ? Et vos mouvements… Pandespiègle, je ne pensais pas que tu avais de tels talents de professeur.
Elle leur demandait avec le sourire, mais savoir qu’ils avaient poursuivi leurs efforts pour qu’elle puisse reprendre les concours quand elle le voudrait et que finalement c’était elle qui gâchait tous car elle était la seule à ne pas…
"On ne s’est pas tant entrainé que ça," dit Négapi d’un air désinvolte.
C’était peut-être le seul à pouvoir rendre son mensonge crédible. En même temps, il était celui qui avait repris le plus tardivement et il n’était pas nécessaire que Serena sache qu’il avait redoublé d’efforts pour se remettre à peu près à niveau. Il serait aussi honteux d’avouer qu’il restait bien en dessous de son frère puisque celui-ci avait demandé l’aide de Pandespiègle dès qu’il s’était remis de ses blessures. Quant à Roussil et Nymphali, oui, d’accord, elles avaient un peu travaillé leurs pas, mais rien d’extraordinaire non plus.
Serena regarda sa main dont les tremblements avaient empiré. Elle s’était déjà trop morfondue ces derniers temps et elle ne pouvait plus continuer. Sinon elle pouvait tout de suite abandonner l’idée d’affronter Atalante ou même Aria. Elle se remit au travail et vu son regard déterminé, Sacha sentait qu’elle était prête à y passer la nuit. Le meilleur plan si elle voulait échouer demain.
Il la laissa faire encore un moment, des fois que son intuition se trompe. Mais en la voyant s’énerver et s’entêter sur des mouvements trop complexes, il sût qu’il devait intervenir. Sauf qu’il ne savait pas comment il allait convaincre son amie d’arrêter son entrainement si important pour se changer les idées.
Sacha décompta sur ses doigts ce que la coordinatrice aimait : ses pokémons, les pâtisseries, les performances, la mode… En fait, il n’avait pas besoin d’autant réfléchir puisqu’à Kalos, il avait bien vu qu’une certaine activité enthousiasmait toujours l’artiste. Au point que même si c’était l’assurance d’heures d’ennuis à l’attendre, il n’avait jamais le cœur de lui refuser ce petit plaisir.
"Roussil ! Tu ne crois pas que vous devriez faire une pause ?"
Malgré les protestations de la dresseuse, la renarde s’arrêta et refusa de poursuivre. D’un seul regard, elle avait compris les inquiétudes de Sacha concernant la coordinatrice et se doutait qu’il voulait y remédier. Le métamorphosé s’approcha de Serena et fit bien attention de mimer en même temps qu’il parlait.
"Les magasins doivent encore être ouverts à cette heure-ci, donc qu’est-ce que tu dirais d’aller voir ce qu’ils vendent ? Et je suis sûr qu’on trouvera des boutiques de vêtements qui te plairont."
La jeune fille pouvait toujours s’essayer à refuser, lui donner les meilleures raisons du monde pour continuer à s’entrainer, cela ne changerait rien au fait qu’avec Roussil de son côté, la victoire de Sacha était assurée.
***
Le plus dur avait été de la trainer en ville, mais dès qu’elle aperçut les premiers magasins de vêtements, la résistance de Serena céda. Le métamorphosé était en quelque sorte rassuré de voir que sa passion pour la mode revenait vite. Mais nom d’Arceus, que c’était long, surtout quand vous attendiez assis dans votre coin qu’elle finisse ses essayages. Et, il avait bien vu qu’il n’y avait pas qu’un ou deux articles.
"Ça va durer encore longtemps ?" demanda Négapi.
"J’en ai bien l’impression," se désespéra Sacha.
"Pourquoi tu as proposé quelque chose d’aussi ennuyant ?"
Le faux-pokémon fronça les sourcils, ou ce qui s’en rapprochait le plus, en remarquant la chainette dorée que portait le lapin. Et il n’y avait pas que ça, il s’était aussi trouvé un modèle réduit de blousons de motard marqué d’une tête de crocorible dans le dos. A la mode d’Unys il pourrait dire, mais pas sûr que Serena approuverait.
"Pour quelque chose qui t’ennuie, je vois que tu n’as pas perdu de temps."
"Tant qu’on est là…"
"Autant en profiter !" s’exclama Posipi en se jetant sur son frère.
Un raisonnement imparable. Encore plus quand vous l’énonciez avec une veste bleue au zip doré et une casquette blanche marquée d’un éclair noir. Une casquette qui n’aurait pas du tout déplu à Sacha.
"Bon, il vaut mieux que j’aille aider Serena."
"A se changer ?" pouffa Posipi.
"Non ! s’étouffa l’ancien humain. Mais elle doit avoir fini ses essayages et il faut bien l’aider à ranger," expliqua-t-il en grattant sa joue.
"C’est beau que tu sois si dévoué," concéda Négapi.
Traduisez par là que le bleu, et par extension le rouge, n’avaient aucune intention de mettre la patte à la pâte. Sacha fut donc le seul à rejoindre Serena et comme il s’en doutait, elle avait déjà atteint la limite de ce qu’elle pouvait transporter alors qu’une pile de vêtements attendait encore sur le banc de la cabine. L’ancien humain prit sa part sous les yeux reconnaissants de la jeune fille.
- Juste au-dessus de toi à gauche, c’est là qu’il était.
Sacha remit le pull sur le ceintre. Ce serait bien plus simple si les gens du magasin s’en chargeaient, mais cela n’avait pas l’air d’être la politique de la maison.
- Tu ne préfères pas t’amuser avec les autres ?
- Dracau.
- Le shopping ça ne te plait pas vraiment.
- Cauuuu, admit-il
- Mais c’était une bonne idée. Je me suis bien amusée et les autres aussi j’ai l’impression, pouffa-t-elle.
Ils devaient être quelque part au milieu de cet océan de vêtements, oui. En soit, c’était normal qu’ils partagent les passions de leur dresseuse. C’était pareil pour ses propres pokémons, ils étaient goinfres tout comme lui.
- Oh Dracaufeu ! Cette écharpe, qu’est-ce que tu en penses ? Moi, je suis sûre qu’elle t’irait.
Orange et rouge à carreau, pas vraiment son style. A la rigueur si elle lui trouvait une casquette, là peut-être qu’elle attiserait son intérêt. Sacha grimaça, c’était dans ces moments qu’il sentait qu’il n’était pas vraiment son pokémon, mais bien un humain transformé. Quelqu’un qui avait déjà depuis longtemps ses goûts et préférences. Un garçon qui en rangeant les blouses à ruban, chemisiers, manteaux et robes se demandait comment son amie avait eu le courage d’essayer tout cela. Et il n’exagérait pas, presque tous les vêtements du magasin y étaient passés à part…
Serena venait de prendre un pull sans manche, un des rares articles qu’elle n’avait pas essayé. Elle resta devant un moment puis le reposa dans un soupir résigné.
Le cœur de Sacha se serra alors qu’il repensait à tous les habits qu’il venait de ranger et s’insulta plusieurs fois de ne pas avoir remarqué l’évidence. Son épaule, elle n’avait pris aucun vêtement découvert au niveau des épaules.
Le métamorphosé prit le pull que la jeune fille avait abandonné et la ramena rapidement au niveau des cabines d’essayage. Elle n’eut pas le temps de lui demander ce qu’il lui prenait qu’il lui donnait le vêtement et fermait le rideau.
- Dra.
Serena rouvrit timidement la tenture. Une autre bizarrerie de son pokémon qu’elle aurait du mal à comprendre.
- La coupe et la couleur ne me plaisent pas trop tu sais.
Elle ne l’aurait pas fixé comme cela si c’était vrai. Il ferma à nouveau le rideau et en teint fermement les bords. Serena avait beau essayer de le tirer de son côté, elle ne rivalisait pas d’un centième avec la force de son dragon.
- Laisse-moi sortir !
- Cau !
- C’est de la privation de liberté ! De l’oppression !
- Caufeu, cau.
- Dracaufeu, si tu ne lâches pas ce rideau et que Jenny t’attrape, tu pourras toujours me supplier pour que je paye ta caution.
- Dra, dracaudra.
- Tu es impossible, tu le sais ça ?
- Caufeu, acquiesça-t-il sans l’ombre d’un remord.
Silence dans la cabine. Serena faisait la liste des options qu’il lui restait pour lentement se rendre à l’évidence qu’à part menacer de le priver de profiteroles, chose particulièrement violente qu’elle préférait réserver pour des situations d’extrêmes urgences, sa seule chance était :
- Si je l’essaye, rapidement, tu me laisseras sortir ?
- Dracau, promit-il.
Elle se changea, mais elle aurait préféré ne pas voir le résultat. Dommage que ce genre d’endroit fût dédié à ce que les gens puissent admirer leurs futurs achats. A moins de ne regarder que le voile en soi noir, Serena pouvait difficilement éviter son reflet.
- Dracaudra ?
- Ça ne vaut pas le coup que tu voies ça.
Elle était catégorique et dans d’autres circonstances il n’aurait sans doute pas instisté. Mais après ce qu’il s’était passé chez madame Roc, Roussil risquait vraiment de le tuer s’il ne se rattrapait pas rapidement.
Il déglutit, serra ses deux poings, souffla un grand coup, recula d’un pas, resta trois bonnes secondes sans bouger, se décida à refaire un pas en avant, nouveau grand souffle. Pitié, ne me fait pas le coup de l’avoir déjà enlevé.
Il ouvrit le rideau. Les yeux de Serena s’écarquillèrent d’horreur pendant qu’elle cachait son épaule du mieux qu’elle pouvait.
- Ça ne m’amuse pas, grinça-t-elle.
Il le savait et c’est bien pour cela qu’il referma la draperie, pour être certain qu’elle n’aurait pas à supporter les regards curieux des gens qui passaient.
"Ça te va bien," avoua-t-il.
Elle crispa ses lèvres. En vérité elle aussi l’aimait bien ce pull noir sans manche. Elle avait même imaginé qu’il irait bien avec cette jolie jupe qu’elle avait repéré dans un autre magasin et deux trois accessoires assortis.
- C’est horrible, tu ne trouves pas ?
Elle avait déballé le pansement pour bien qu’il voie la brûlure et les traces de dents. Qu’il fuit maintenant, comme il l’avait fait chez madame Roc. Mais il la surpris lorsqu’il lui saisit les bras et la força à se retourner tout en s’assurant qu’elle ne pourrait pas se détourner du miroir. Son visage à quelque centimètre de l’épaule meurtri, il lui murmura :
"Je t’ai demandé de la détester, pas de te haïr."
Serena frissonna. Il la regardait sans se laisser distraire par la marque qui entachait la peau, juste elle, simplement elle.
- Je ne te dégoûte pas ?
"Non. Bien sûr que non."
Serena lui fit un menu sourire.
- Alors qu’est-ce qui t’a dérangé l’autre fois ?
Le faux-pokémon grimaça. Déjà qu’il avait peur de la réaction de la renarde s’il disait la vérité, alors il n’allait certainement pas se confier à la principale concernée.
- Ne me dis pas que Roussil a raison, pouffa la jeune fille.
- Cau…
Moqueuse, son sourire s’élargissait de plus en plus.
- On voyage quand même ensemble depuis un moment. Tu sais bien que mes vêtements ne sont pas ma vraie peau, donc c’est normal que je les perde de temps en temps.
Tout ce qu’il voulait, c’était qu’elle arrête justement de les « perdre » quand il était là. Il devrait quand même pouvoir respecter l’intimité de son amie sans passer pour un phobique du déshabillage.
- En plus, tu vois bien que la nuit je n’ai pas la même tenue et ça ne te dérange pas. Même si tu ne m’avais jamais vue en serviette, ce n’était pas si différent de quand je mets mon pyjama.
Tu veux que je reste quand tu te changes, c’est ça ? ironisa-t-il. Du moins, il crut qu’il ironisait jusqu’à ce qu’une fumée blanche sorte de sa gueule. Il s’effraya d’imaginer plus sérieusement la scène et le pire, c’est qu’il commençait à croire que ce n’était pas une mauvaise idée. Ils dormaient ensemble, dans le même lit, collés l’un à l’autre même s’il avait tout fait pour l’éviter. A partir du moment où Serena ne lui laissait pas le choix, ce n’était plus vraiment sa faute… Non impossible ! se molesta-t-il.
Serena arqua un sourcil en se demandant ce qui était encore passé par la tête de son pokémon. Et puis il commençait à faire drôlement chaud dans cette cabine.
- On devrait y aller, tu ne crois pas ?
- Dra ? Dracau… Dra, fit-il la moue.
- Ce pull ne me va pas si mal. Je devrais peut-être le prendre finalement.
Elle feignait l’hésitation, mais elle avait déjà pris sa décision. Bien sûr elle ne se pensait pas capable de découvrir ses épaules tout de suite et cette tenue risquait de rester longtemps dans son sac. Mais je le mettrai de temps en temps si tu l’aimes. Juste avec toi.