Derkomai's Mask
Chapitre 27 : L’héliotrope cachée sous les cendres
4989 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 22/06/2024 07:32
Il fait froid. Serena ouvrit les yeux, les étoiles plus nombreuses que lorsqu’elle les avait quittées brillaient dans le ciel. Elle entendait les ronflements de Pandespiègle, des grésillements qui rappelaient un compteur électrique qui disjonctait. Ça c’est Posipi qui fait un cauchemar. Elle s’assit dans son sac de couchage et attendit un peu le temps que ses yeux s’habituent à l’obscurité. Visiblement elle s’était trompée, c’était Négapi qui émettait quelques gerbes électriques. Et en voyant les poils du panda complètement ébouriffés, elle se doutait qu’elle devrait gérer une nouvelle dispute dès que le matin arriverait.
Il fait vraiment froid, pensa à nouveau la jeune fille. Elle regarda tout autour d’elle à la recherche d’une petite flamme dans la nuit, mais rien, le dragon n’était pas ici. Elle craignit d’abord qu’il se soit enfui, mais étrangement elle avait l’intime conviction que ce n’était pas le cas. Et la soudaine lumière qu’elle remarqua au loin lui donna un bon indice d’où son ami pouvait se trouver. Doucement, elle quitta son sac de couchage sans réveiller ses pokémons. Qu’est-ce qu’il fabrique à cette heure ? soupira-t-elle en frottant ses bras pour se réchauffer.
Elle marchait à tâtons dans la nuit au milieu des champs, soulevant quelques cendres grises au passage. Par ici, il n’y avait que quelques arbres rabougris et des plantes peu vigoureuses. De temps en temps elle croisait une maison, se demandant de quoi pouvait bien vivre les gens qui habitaient ici.
Elle arriva au niveau d’un groupement d’arbres pas beaucoup plus en forme que les précédents. Leurs branches nues agrippaient son pyjama, souhaitant peut-être l’empêcher d’approcher plus des étranges bruits qu’elle entendait. Et pourtant elle ne recula pas, marchant jusqu’à trouver une petite lumière qui éclairait l’obscurité.
La coordinatrice ne se montra pas tout de suite, bien cachée derrière le tronc poussiéreux pour savoir ce que son ami pouvait manigancer si tard. La réponse ne se fit pas attendre lorsqu’il utilisa une de ses attaques pour pulvériser un arbre malchanceux.
La jeune fille se mit à tousser à cause du nuage de poussière qui avait soudain envahi l’atmosphère. Lorsqu’elle releva la tête, le reptile était à son niveau l’air de lui demander ce qu’elle faisait ici.
- Tu n’arrivais pas à dormir, comprit-elle.
Il ne détourna pas le regard, mais ne répondit pas non plus. Comme s’il hésitait à avouer qu’elle avait raison.
- Tu es inquiet pour le concours ?
- Dracau…
Il y avait de ça, mais Sacha ne pouvait pas dire que c’était la seule raison qui l’avait empêché de se rendormir. Une main délicate se posa sur son cou. Il baissa la tête, l’autorisant à aller plus loin dans ses caresses. C’était agréable, sentir les doigts de la jeune fille contre son visage, réchauffer cette main un peu trop froide à son goût grâce à ses écailles.
- Si tu passes la nuit à t’entrainer, tu ne seras pas en forme pour le concours de demain.
Le pokémon flamme lui tourna le dos en signe de refus. Comprenant qu’elle ne le ferait pas changer d’avis si facilement, Serena retourna au camp puis revint avec une couverture qu’elle s’empressa de passer autour des épaules du dragon. Elle s’écarta un peu pour s’assoir dans l’herbe salit par ce que crachait le volcan.
- Je n’ai pas le choix, je vais devoir rester ici jusqu’à ce que tu te sois calmé, expliqua-t-elle devant le regard interrogateur de son pokémon.
Sacha comprit qu’elle était sérieuse. Il se détourna, fit semblant de ne pas s’en soucier et leva son poing… avant de finalement le laisser retomber avec un soupir. Il traina des pieds en se dirigeant vers son amie, trop inquiet qu’elle n’attrape froid si elle l’attendait toute la nuit. Cependant, il avait bien l’intention de se venger. Au lieu de lui rendre sa couverture, il la prit dans ses bras, la serrant contre son torse et l’enveloppant de ses ailes.
Au moment où Serena allait lui demander ce qu’il faisait, le vent tourna pour amener les cendres du volcan. Elles tombaient telles des flocons de neige avec l’éclat de la lune se reflétant sur leurs surfaces pour les faire briller. La jeune fille observait le spectacle sans dire un mot, la chaleur l’apaisait. Tu as toujours agi pour me protéger. C’était peut-être la première fois qu’elle voyait les choses ainsi. La première fois qu’elle admettait qu’il se soit battu non pas parce qu’il aimait cela ou pour éviter les réminiscences d’un passé douloureux, mais bien qu’il se soit battu pour elle parce que… Tu voulais rester avec moi.
La route 113 privée de ses dernières étoiles à cause du nuage de cendre frissonnait dans l’hiver volcanique. Ce paysage morne et froid, Serena ne le craignait pas. Rassurée, protégée entre les ailes, elle ferma les yeux et… Tu es si chaud.
Sacha contemplait l’étrange spectacle de son amie endormie contre lui. Amie ? Cela faisait un moment déjà qu’il sentait que ce n’était plus si simple.
Latias Airline. H71 Latias Airline, c’est cet avion qu’elle a pris, se souvint-il. En quoi était-ce important ? Il oubliait souvent les choses, mais là il se découvrait le talent de retenir les détails inutiles. Peut-être parce que cette fois, il n’y avait ni télévision, ni pokémon, ni arène pour le distraire. Juste Serena dont la respiration glissait sur ses écailles et portait les souvenirs de cet adieu à l’aéroport.
Le ronronnement des escalators servait de bande son à toutes ces publicités muettes qui défilaient sur les écrans. L’habituel poids sur son épaule avait disparu pendant qu’il la regardait. Sans marcher ou même bouger, elle s’éloignait, transportée par les marches mécaniques qui glissaient sans peine.
« Sacha ! Je peux te demander une dernière chose ? »
Elle s’était retournée avec cette étrange lueur dans les yeux. A la fois détermination et courage qui se mélangeaient pour devenir résolution. Elle remontait, elle revenait vers lui, elle tournait le dos à son rêve. La pire des décisions.
Une fraction de centimètre, une seule seconde qui les séparait. Il devait s’éloigner pour la protéger, pour se protéger lui-même. Comme ça il n’y aurait pas de regret, pas de souffrance, juste deux amis poursuivant leurs rêves respectifs. Alors son pied recula et son corps oublia de suivre.
Il était resté.
Le cauchemar contre ses lèvres était si doux. Et si c’était vrai ? Il forçait son cœur à danser et ordonnait qu’il la retienne. Si je ressemblais vraiment à mon père ? Il attisait des sentiments qu’il s’était promis de refuser. Si je la privais de son rêve ?
A peine un battement de cils, les vagues d’argent l’emportaient déjà loin de lui. Elle continuerait son rêve sans l’attendre pendant qu’il poursuivrait le sien sans la gêner.
Il avait souri.
Alors à quel moment tout cela avait-il dégénéré ? Lui qui n’aurait dû penser qu’à retrouver son vrai corps, il avait finalement décidé de la suivre et de devenir son pokémon. Evidemment cela ne devait pas durer, juste le temps qu’elle reprenne confiance en elle. Mais à présent, le danger que représentaient les Team Aqua et Magma l’empêchaient de partir. Il devait au moins être sûr qu’elle soit en sécurité et ensuite… ensuite… Ses épaules s’affaissèrent.
"Je ne sais pas."
La jeune dresseuse se lova un peu plus contre lui. Contrairement à ce qu’il croyait à Kalos, Serena n’était pas si forte. Souvent peu assurée sur ses décisions, elle ne le comprenait pas toujours et avait la fâcheuse manie de l’inquiéter par des actes complètement stupides. Elle l’avait tellement fait souffrir… Et pourtant je continue de voyager avec toi.
Il continuait de se rapprocher tout en sachant que dans un futur proche, une fois libéré du masque, il l’abandonnerait pour accomplir son rêve tout comme l’avait fait son père. Il continuerait pour que sa mère n’ait plus à l’attendre. C’était ce qu’il était, ce qu’il avait décidé de devenir, Serena n’y changerait rien. Toutefois…
Est-ce que je pourrais te croire ?
***
- Rou.
Non maman, c’est trop tôt pour l’entrainement avec Rhinocorne. Surtout que son lit était particulièrement agréable et l’air frais qu’elle sentait sur son visage ne lui donnait pas envie de quitter les chaudes couvertures.
Roussil soupira, faisant signe aux deux lapins électriques de réveiller gentiment la dresseuse. Négapi accepta la mission sous le regard inquiet de Pandespiègle.
- Piiii, siffla le pokémon alors que la fourrure bleue au niveau de sa patte se gonflait.
Pandespiègle fut le premier à comprendre ce que son comparse manigançait, cependant il était déjà trop tard… A moins qu’une puissante aile repousse juste à temps le pauvre petit Négapi.
- Nég ! Néga ! se plaignit le monstre après avoir repris ses esprits.
Les autres soufflèrent de soulagement d’avoir évité un réveil électrisant à leur dresseuse. La renarde nota dans un coin de sa tête de ne plus jamais demander au pokémon négatif de jouer les réveils matins. Mais bon, ils avaient toujours le problème que Serena ne se réveillait pas et qu’un certain métamorphosé, en dépit de son profond sommeil, la défendait de ses ailes.
"Qu’est-ce qu’on fait ?" demanda Nymphali à son ainée.
La renarde croisa les bras pour y réfléchir avant d’avoir une brillante idée. Le faux pokémon avait préféré s’endormir assis, ainsi sa tête pendait mollement vers le bas alors que tout le reste des muscles de son corps restaient tendus pour éviter la chute.
"C’est beau l’amour," roucoula-t-elle soudain.
"Je ne pense pas que ce soit suffisant…" commença Nymphali avant de remarquer que le dragon relevait la tête.
L’air s’était soudain réchauffé et toutes ses écailles virèrent au rouge au moment où il remarqua la position dans laquelle il s’était endormi. Il retira vite ses ailes sans complètement lâcher son amie.
"Elle avait froid et…" se défendit-il.
"Maintenant est-ce que tu pourrais la réveiller, le coupa la renarde, sinon on va vraiment être en retard au concours."
Ça lui était complètement sorti de la tête. Il toucha d’une griffe le bras de la jeune fille tout en l’appelant par son nom, même si de l’extérieur ce n’était qu’un mélange de syllabes « dra » et « cau ».
- Je suis réveillée, bougonna Serena avec un grand bâillement.
Mais en voyant le visage inquiet de tous ses amis et le soleil pâle qui brillait dans le ciel depuis un moment, les souvenirs revinrent vite à la jeune fille.
- Le concours ! On va être en retard ! cria-t-elle en courant vers le camp.
Serena roulait son sac de couchage en même temps qu’elle coiffait ses cheveux. Il semblait évident pour son équipe qu’ils ne prendraient pas de petit déjeuner ce matin. La dresseuse sortit ses vêtements de son sac et comme elle n’avait pas le temps de se trouver un coin un peu à l’abri des regards elle cria :
- Dracaufeu, tes ailes !
Le faux-pokémon ne comprit pas, mais s’exécuta. Entourant sa dresseuse de ses grandes ailes de telle sorte que seul lui pouvait voir ce qu’il s’y cachait. A son grand damne d’ailleurs puisque la jeune fille était en train d’enlever son pyjama sous ses yeux. Sacha rougit, balbutia avant de finalement se reprendre et de lever sa tête vers le ciel. Elle paniquait tant que ça pour oublier ce qu'il s'était passé chez madame Roc ?
"Un souci ?" questionna Posipi.
A part sa dresseuse qui se changeait entre ses ailes et sa température qui augmentait en flèche ? Serena, en plus d’avoir sa propre cabine, disposait maintenant d’un véritable service de chauffage intégré.
"Aucun problème," grimaça-t-il.
Il sentit soudain une pression sur ses ailes le forçant à vite s’écarter.
"Pardon !" paniqua-t-il croyant avoir fait une erreur.
Mais son amie était complètement habillée, sa main toujours en l’air après avoir touché la membrane.
- Tu ne réagissais pas quand je t’appelais alors…
Sacha souffla de soulagement. Ce n’était pas gentil de jouer ainsi avec son cœur de si bon matin.
***
Des plaines d'or qui se disputaient avec des fleurs sauvages, des terres fertiles nourries par les cendres sans être étouffées par leur excès. Si l'on demandait aux habitants d'Hoenn de décrire Autéquia, beaucoup en parleraient comme une bourgade isolée dans l'ombre du Mont Chimnée. Cependant, cet imaginaire datant d'il y a dix ou trente ans ne correspondait plus tout à fait à l'agglomérat d'immeubles qui perçait entre les arbres.
Serena n'avait toutefois pas le temps de se plaindre du manque de pittoresque de ce soit disant village. Elle, tout ce qui l'intéressait, était d'arriver à temps au concours. Mais encore fallait-il pour cela qu'elle trouve la salle où se déroulait l'évènement. Elle pourrait certes consulter son navi-map pour s'aider, mais cela signifiait lâcher d'au moins une main son dragon, chose rigoureusement impossible quand vous aviez déjà du mal à tenir en place avec vos deux bras sur une monture volante. Quant à essayer de repérer le bâtiment de ses yeux… la coordinatrice ne pensait pas que regarder en bas quand vous aviez le vertige soit préconisé.
- Dracaufeu, tu te souviens des précédents bâtiments de concours ? Essaye de trouver quelque chose qui y ressemble.
Sacha irait encore plus vite si ses souvenirs voulaient bien remonter. Un petit effort, il était venu ici avec Flora alors… Rien à faire ! Toutes les villes et salles de concours qu’il avait visitées se mélangeaient dans sa tête. Mais peut-être que s’il prenait un peu plus de hauteur…
La coordinatrice étouffa un gémissement apeuré en remarquant qu’ils gagnaient en altitude. Surtout ne pas regarder en bas, se concentrer sur la respiration de son pokémon et… Pourquoi continuait-il de monter ? Ils étaient déjà assez hauts maintenant !
- Et si on se posait pour regarder la carte ? couina-t-elle.
Le métamorphosé sentait que s’il s’arrêtait maintenant, il ne pourrait plus redécoller. En tenait-il pour preuve la vapeur d’eau qui sortait de sa gueule grande ouverte et la douleur dans ses muscles dorsaux. Et pour ne rien arranger, il avait l’impression que Serena était plus lourde que lorsqu’ils étaient partis ce matin.
Il sentit soudain les bras de son amie complètement enserrer son cou. Oh, ce n’était pas bon ! Elle lui avait déjà fait plusieurs fois le coup sur le trajet pour qu’il sache qu’elle était en train de paniquer. Et quand elle paniquait, il s’ensuivait souvent une petite session d’étranglement.
"Je descends ! Je descends Serena alors calme toi !"
Maintenant c’était lui qui paniquait. Mais quand la jeune fille était sous adrénaline, elle avait la force d’un mackogneur. Des quatre bras d’un mackogneur ! Et Sacha ne tenait pas particulièrement à tester la résistance de sa nuque.
Les bras n’avaient toujours pas exercé leur pression et Sacha retenait son souffle en se demandant s’il y réchapperait pour cette fois. Son cœur palpita au moment où le souffle de sa dresseuse chatouilla sa nuque. Elle avait opté pour une nouvelle technique afin de se rassurer : presque s’allonger sur le dragon et enfouir son visage contre le cou rugueux. Disons que cela avait l’avantage de lui permettre de rester en vol sans trop le déséquilibrer, mais en contrepartie il avait l’impression que son cœur avait oublié comment battre.
Salle de concours ! Où est la salle de concours ? Serena tu me chatouilles… Salle de concours, salle de concours, salle de concours ! Au top de sa concentration, Sacha ne mit pas longtemps à repérer le fameux bâtiment. Une fois posé devant l’entrée, Serena n’avait plus qu’à descendre, le faux-pokémon s’était même baissé jusqu’à ce que son ventre touche le sol afin de lui faciliter le travail. Sauf que la jeune fille ne semblait pas l’avoir remarqué et continuait de s’agripper à lui en frissonnant.
- Dra, dracaudra, essaya-t-il.
Ce ne fut pas une franche réussite. Mais il ne faudrait pas non plus des heures à la coordinatrice pour se rendre compte qu’ils avaient atterri. Si ? Ne lui dites pas que si ! Parce que son cœur allait vraiment disjoncter !
Il remua un peu, ses bras trop courts ne lui permettaient que de toucher les pieds de la dresseuse, et faire bouger ses ailes la crispait. Il tourna lentement son cou pour éviter qu’elle ne serre ses bras par réflexes jusqu’à ce qu’il puisse la voir.
"Voler avec moi te fait si peur ?"
Il effleura sa joue du bout du museau. Ce n’était pas gentil de trembler autant, de respirer aussi vite, de fermer si fort les yeux alors que… Il était là. Il la rattraperait. Il ne la laisserait pas tomber.
Bleu. Le beau bleu de ces yeux à la fois perdus et gênés. D’aussi près, il distinguait les nuances de l’iris, les reflets lumineux qui vivaient près des pupilles. Ces yeux… comment faisait-il pour les ignorer déjà ?
- Les inscriptions ! se souvint-elle dans un cri.
Elle se précipita à l’intérieur du bâtiment sans vérifier si le dragon la suivait. Cela tombait bien, il avait besoin d’air frais et d’un peu de temps pour pleinement reprendre conscience d’où il était.
En l’attendant, il se souvenait de la douleur dans ses muscles, de ses poumons épuisés, de ses ailes tellement chaudes qu’il aurait pu s’en servir comme plaque de cuisson. De la fatigue, rien d’étonnant après tout le chemin qu’il venait de faire en portant la dresseuse sur son dos. Tout comme il n’y avait rien d’étrange à ce que son cœur batte si violemment après un tel effort… Il toucha du bout des doigts sa poitrine, les mouvements qui le faisaient tant souffrir résonnaient à travers la paroi. La faute à l’effort, la faute à la fatigue et… peut-être un peu la faute de Serena.
Quand la dresseuse ressortit, l’ancien humain perçut que tout ne s’était pas passé comme prévu. Sa peau blême, la manière dont elle fuyait son regard en s’approchant de lui. Ils étaient vraiment arrivés trop tard ? Après le sprint qu’il avait fait…
- D-Dra ? demanda-t-il inquiet.
Serena déglutit. Elle voyait bien la fumée qui émanait du bord des lèvres du dragon et elle ne savait pas comment il réagirait à la nouvelle.
- On n’est pas en retard, assura-t-elle avec un sourire crispé.
- Dracau, souffla de soulagement l’ancien humain.
- On est même un peu en avance, ajouta-t-elle essayant de rester le plus naturel possible.
- Dracau ? questionna le faux-pokémon soudain suspicieux.
Pas la peine de la regarder comme ça ! Alors oui, peut-être qu’elle aurait dû prendre le temps de revérifier la date au lieu de faire aveuglément confiance à Voltère.
- Alors tu vois, je suis sûre que tu vas en rire mais… En fait il se trouve… Je t’assure, c’est vraiment bête.
- Dra ?
Serena mélangeait ses doigts en évitant soigneusement de croiser le regard du métamorphosé. Il fallait bien lui dire et ensuite… Elle préférait ne pas imaginer la suite en fait.
- C’est-à-dire que le concours ne commence que demain, avoua-t-elle, et les inscriptions aussi.
- Cau !?
Elle baissa la tête, sachant pertinemment qu’elle lui avait fait traverser la moitié de la route 113 en un temps record pour finalement lui annoncer qu’il s’était dépêché pour rien.
- Vois ça comme une chance de peaufiner les derniers détails.
Serena ne mit pas beaucoup de cœur dans son excuse et pour cause, son pokémon savait parfaitement qu’on pouvait régler ces fameux détails aussi bien en ville que sur les routes.
- Sans oublier que l’infirmière Joëlle aura plus de temps pour vérifier que tout va bien.
Un peu mieux, mais elle n’aimait pas trop la façon dont le dragon se rapprochait. Il gardait la tête basse, son long cou faisant barrière pour empêcher la jeune fille de reculer en ligne droite. Elle fit un arc de cercle, essaya de le contourner, mais se retrouva vite bloquée contre un banc.
- Et…
Elle s’écroula sur le banc et zieuta derrière elle en se disant que le dossier n’était pas si haut et que passer par-dessus restait une bonne option.
- Je vais pouvoir te cuisiner quelque chose de frais !
Elle ne s’attendait pas à ce que cette excuse fonctionne et pourtant son pokémon se calma sur le champ.
- Dracau, dit-il satisfait.
Maintenant qu’elle y pensait, il n’avait pas grogné. Et un dracaufeu qui ne grognait pas était-ce vraiment un dracaufeu énervé ?
- Tu jouais la comédie !?
- Cau ? Feuuuu.
Il était moins bon pour prétexter l’innocence, surtout quand son ventre se mettait à gargouiller. De toute façon, ce n’était pas comme si Serena pouvait revenir sur ce qu’elle avait dit même s’il l’avait honteusement trompée.
- Je ne te pensais pas capable de me mentir, bouda-t-elle.
Sacha se tendit. Si elle savait… Enfin, ce n’était pas vraiment un mensonge, juste une légère omission de qui il était vraiment.
- Tu es pensif tout d’un coup. Il y a quelque chose que tu veux me dire ?
- Dra ? Cau ! Dracaudra dracau ! paniqua-t-il.
- Si tu le dis…
Elle prit sa tablette pour voir quel était le chemin le plus court pour se rendre au centre, mais son pokémon lui faisait déjà signe de monter. Il avait dû repérer le toit rouge si caractéristique pendant qu’il cherchait la salle de concours depuis le ciel.
- Ce n’est pas contre toi, mais je préfèrerais y aller à pied.
- Dracau ?
- Je pense que j’ai déjà eu ma dose de vol pour aujourd’hui, admit-elle avec un rire nerveux.
***
Si d’abord la dresseuse était ravie de voir son monstre retrouver l’appétit, elle déchanta vite en se rendant compte que la faim le rendait intenable. Pendant qu’elle s’attelait aux fourneaux, le reptile lui tournait autour, passait sa tête par-dessus son épaule et lui chatouillait le cou de son haleine chaude au passage.
Dire qu’elle devrait canaliser cette boule d’énergie demain. Déjà qu’elle n’était pas sûre qu’il se souvienne de la différence entre un concours et un match d’arène, mais s’il se montrait aussi agité qu’en ce moment, les choses allaient vite devenir ingérables.
- Tu pourras lécher la cuillère après que j’aie fini de mélanger.
Et s’il se vexait qu’elle cherche à le brider et devenait incontrôlable ? Comme l’avait dit Adriane, les dracaufeus aimaient se déchainer contre de puissants adversaires, une mentalité qui ne s’accordait pas très bien avec la grâce et la beauté qu’on attendait pour cette compétition. Oh ça suffit maintenant ! Dracaufeu sait parfaitement à quoi ressemble un concours. Si cela ne lui convenait pas, il ne m’aurait simplement pas suivie...
Serena arrêta sa tache répétitive le temps d’étirer un peu son épaule. C’était madame Roc qui le lui avait fait remarquer en premier et Serena commençait à croire qu’elle avait raison. Son pokémon, était-il du genre à faire des choses qu’il n’appréciait pas simplement parce qu’elle lui avait demandé ? Un peu… Un peu comme s’il voulait lui faire plaisir quitte à mettre de côté ses propres envies.
Serena fit un mouvement un peu trop vigoureux et comme bien entendu le museau du dragon n’était pas très loin, il se reçut une belle giclée de pâte gluante.
- Pardon Dracaufeu ! s’écria-t-elle en voulant essuyer les tâches à l’aide de son tablier.
Cependant, le faux-pokémon fut plus rapide et se débarbouilla d’un bon coup de langue.
- Dracau, se réjouit-il avec un grand sourire.
Serena se faisait souvent la réflexion qu’il ressemblait à Sacha et quand elle le voyait sourire comme ça… Il faudrait qu’elle essaye de prendre des nouvelles du garçon. Mais, après ce qu’elle avait fait à l’aéroport, elle n’osait pas être la première à appeler. Et puis pourquoi n’avait-il pas essayé de la contacter de son côté ? Est-ce que lui aussi était gêné ? Ou bien ne partageait-il pas ses sentiments et ne voulait pas la blesser, ou encore…
Elle sentit deux mains rugueuses se poser sur les siennes. Serena ne comprit pas tout de suite pourquoi il l’avait arrêtée jusqu’à ce qu’elle remarque qu’une bonne partie de la préparation avait fini sur son tablier.
- Dra ? questionna le pokémon, l’inquiétude transparaissant dans sa voix.
Ou peut-être qu’il est juste trop occupé à capturer de nouveaux pokémons, se résigna-t-elle dans un soupir.
La flamme du faux pokémon rapetissa en même temps qu’il se reculait. Pourquoi avait-il la sensation que ce soupir agacé lui était destiné ? Il n’avait rien brûlé, rien renversé alors pourquoi elle… Comment je peux être aussi nul ?
Elle lui avait demandé de s’écarter, mais lui ne l’avait pas écoutée. Il l’avait gênée, il l’avait ralentie sans penser un seul instant qu’au lieu de perdre son temps dans une cuisine pour son stupide dragon, la dresseuse pourrait déjà être en train de répéter ses enchainements pour le concours.
- Drrra.
- Je sais que tu as faim, mais ce n’est pas une raison pour grogner.
Quoi ? Non ! Il voulait juste s’excuser ! Même si, quand il y réfléchissait, ça ressemblait plutôt à un grondement menaçant... Si seulement il était un adorable et mignon pichu, ce genre de pokémon capable de se faire pardonner simplement en… Oh ! C’est vrai que cette technique fonctionnait bien d’habitude et peut-être qu’en l’appliquant…
La dernière chose dont Serena s’attendait de la part de son gros reptile, c’était de le voir baisser la tête et venir délicatement frotter sa joue contre la sienne. Une marque d'affection qu'elle avait l'habitude de voir entre Pikachu et son dresseur, alors c'était étonnant de découvrir que les dracaufeus en faisaient de même.
- Tu veux me remonter le moral ? se moqua-t-elle.
Sacha s’arrêta. Ce qu’il venait de faire était sans doute normal pour un pokémon, mais pour un humain… Sa respiration se coupa quand il s’imagina faire la même chose avec son vrai visage, sa vraie peau contre celle de la jeune fille.
- Dra ! Dracau, dracaudra, cauuuuuu !
Un doux sourire éclairait le visage de la dresseuse. Tôt ou tard elle finirait par reprendre contact avec Sacha, mais pour l’instant elle devait s’occuper de son dragon. Ce pokémon plein d’énergie avec qui elle ferait équipe demain, ce dracaufeu un peu bizarre qui était toujours là pour l’encourager.
J’aimerais mieux te comprendre.
Elle approcha sa main, profita de la faiblesse du dragon perdu dans ses pensées pour toucher les ailes. Si douces et chaudes.
- Feu ! cria de surprise Sacha.
Tellement surpris qu’en s’agitant pour se dégager, sa queue frappa le bol et le fit s’envoler sur la tête de sa dresseuse. La pâte dégoulinait le long des cheveux de son amie et tombait sur ses vêtements pendant que le métamorphosé s’excusait. Cette fois il était persuadé qu’il n’échapperait pas aux remontrances. Mais Serena se contenta d’éclater de rire sous le regard étonné du dragon.
- Je te promets d’y arriver un jour, le prévint-elle.